CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Tenter de donner une définition d’un courant théorique ou d’une discipline est une entreprise qui paraît à beaucoup vaine et inutile [1]. Pourquoi alors avoir choisi ce thème de la définition de la sociologie économique ? En analysant les travaux qui se revendiquent de la sociologie économique – ou de ce que d’aucuns ont appelé la « Nouvelle Sociologie économique » – et qui se sont multipliés depuis les années 1980, trois raisons apparaissent.

2La première découle du constat suivant. Lorsque l’on jette un regard rapide sur les textes de sociologie économique et sur les manuels aujourd’hui chargés de les présenter [2], on ne trouve pas une définition de ce courant, mais en réalité plusieurs – et ce, même si on limite son attention aux travaux des auteurs contemporains [3]. Certes, la plupart d’entre elles se rangent sous la bannière d’une définition très générale que l’on peut énoncer ainsi : la sociologie économique correspondrait à « la perspective sociologique appliquée aux phénomènes économiques » (Smelser et Swedberg, 1994, p. 3). On pourrait donc penser que le problème de la définition n’en est pas un. Toutefois, sans entrer dès à présent dans le détail de la discussion que nous nous proposons de développer par la suite, un rapide coup d’œil jeté aux principales présentations de ce courant convaincra sans difficulté le lecteur que cette définition ne permet pas d’identifier sans ambiguïté les travaux qui doivent être regroupés sous l’étiquette de « sociologie économique ». En effet, des divergences profondes existent entre ces différentes présentations en ce qui concerne les frontières de la sociologie économique et ces dernières paraissent être à géométrie plus que variable. Si par exemple O. Williamson prend place dans le Handbook de sociologie économique de N. Smelser et R. Swedberg (1994) et dans le recueil de textes fondamentaux de R. Swedberg (1996 b), M. Granovetter, auteur central de la Nouvelle Sociologie économique, en fait dans ses premiers textes l’une des cibles principales de sa « Nouvelle Sociologie économique » [4]. De même si P. Bourdieu ne figure dans aucun des manuels de langue française consacrés à ce courant, M. Granovetter, dans un texte décrivant le paysage intellectuel de la sociologie économique, souligne la très grande proximité de ses analyses avec celles de cet auteur (2000, p. 36.). Par ailleurs, deux des principaux courants économiques « hétérodoxes » du paysage intellectuel français – l’école de la régulation et celle des conventions – doivent-ils être intégrés dans la sociologie économique, ainsi que le prétendent par exemple B. Lévesque, G. Bourque et E. Forges (2001) ? Qu’en est-il également – pour rester dans le paysage français – des travaux du MAUSS ou de ce que l’on appelle « l’économie solidaire » ? Autant de questions qui resteront sans réponse si l’on ne prend pas au sérieux la question de la définition de la sociologie économique.

3Ces remarques nous conduisent à la seconde raison qui nous incite à revenir sur la définition de la sociologie économique. Pour la comprendre, partons du constat que beaucoup ont fait avant nous : la sociologie économique est entrée, depuis un certain nombre d’années déjà, dans une période d’institutionnalisation intense. On a vu ainsi se multiplier les publications consacrées à ce thème, les numéros spéciaux de revue, les manuels, les collections, une lettre électronique, les enseignements, les colloques et les séminaires, ainsi que plusieurs regroupements au sein des associations professionnelles de la sociologie. Or, pour certains, cette institutionnalisation doit répondre à la volonté clairement affichée de « “redonner” à la sociologie économique un statut de discipline autonome au sein de la sociologie », pour reprendre les termes de R. Swedberg (1994, p. 28, nous soulignons). Certes, un tel positionnement institutionnel de la sociologie économique, au sein de la sociologie, présente plusieurs avantages. Il permet d’une part d’éviter bien des réactions hostiles venant de la communauté des économistes face à ces travaux qui revendiquent parfois de s’attaquer aux « objets centraux » de l’économie (Granovetter, 1994 (1992), p. 81). D’autre part, il permet également de ne pas avoir à prendre parti dans les violentes querelles qui déchirent les économistes. En outre, la pluridisciplinarité a souvent mauvaise presse et elle n’est pour beaucoup que le voile programmatique derrière lequel se cachent l’indigence intellectuelle et la faiblesse des travaux. Toutefois, un tel positionnement institutionnel de la sociologie économique ne risque-t-il pas de fermer la porte aux quelques économistes susceptibles de s’y intéresser et de collaborer éventuellement à son développement, non seulement institutionnel, mais également scientifique ? La collaboration entre économistes et sociologues ne pourrait-elle s’avérer ici fructueuse ? Or, si nous n’avons pas la naïveté de penser qu’une simple définition suffise à déterminer le positionnement institutionnel de travaux donnés et moins encore leur contenu, il n’est reste pas moins que certaines définitions peuvent venir légitimer des stratégies institutionnelles différentes. Aussi la stratégie d’ « appropriation » de la sociologie économique adoptée par certains sociologues paraîtra-t-elle moins évidente si nous arrivons à montrer qu’aux côtés de la définition que nous mentionnions ci-dessus, il existe d’autres définitions. Si nous montrons en outre que, parmi ces définitions, l’une d’entre elles a pour conséquence la remise en cause de la séparation étanche entre les deux disciplines voisines et rivales – sociologie et économie –, voire la contestation de l’existence autonome de l’une et de l’autre, on peut espérer que la collaboration entre les chercheurs de deux disciplines rencontrera un peu moins d’obstacles, du moins d’obstacles institutionnels. Telle est donc la deuxième raison pour laquelle il nous paraît nécessaire de revenir sur la définition de ce courant.

4La dernière raison que nous avons de le faire relève de l’épistémologie de l’économie. En effet, nous l’avons dit, selon la définition que l’on adopte de la sociologie économique, le tracé de la frontière entre la sociologie et l’économie peut se trouver profondément modifié, voire disparaître complètement. Traiter la question de la définition de ce courant nous ramène donc inéluctablement à celle de la frontière entre les deux disciplines – lieu hautement conflictuel – et des rapports qu’elles peuvent entretenir [5]. Nous retrouvons ainsi l’une des questions centrales de l’épistémologie de l’économie.

5Partons donc à la recherche de la définition de la sociologie économique. Nous en présenterons trois principales dont nous examinerons la cohérence ; et nous nous efforcerons pour chacune de repérer ses conséquences sur les relations qu’entretiennent les deux disciplines voisines.

I - Une première définition :« la perspective sociologiqueappliquée aux phénomènes économiques »

6Comme nous le mentionnions en introduction, la sociologie économique est généralement présentée comme « la perspective sociologique appliquée aux phénomènes économiques » (Smelser et Swedberg, 1994, p. 3) ou encore comme « l’étude sociologique de l’économie » (Swedberg, 1994 (1987), p. 221).

A - Les « phénomènes économiques »

7Or, cette définition pose un certain nombre de difficultés. Elle demande notamment à être précisée. En effet, lorsqu’on l’énonce, une première question surgit aussitôt : Que faut-il entendre par « phénomènes économiques » ? On trouve chez les auteurs qui adoptent une telle définition plusieurs réponses.

8Ainsi, pour M. Granovetter, les phénomènes économiques correspondent-ils aux « objets centraux » de l’économie, à savoir « la production, la distribution et la consommation » (1994, p. 81). On reconnaît ici sans peine l’une des principales définitions que la discipline économique donne d’elle-même. Toutefois, il en existe une seconde [6] : il s’agit de celle proposée par exemple par L. Robbins et qui est actuellement au cœur de la discipline économique. Selon ce dernier, l’économie est « la science qui étudie le comportement humain comme une relation entre des fins et des moyens rares qui ont des usages alternatifs » (1932, p. 30) [7]. Et l’on retrouve effectivement, toujours chez M. Granovetter (1992, p. 33), une définition des « phénomènes économiques » très proche de cette dernière, lorsqu’il reprend la définition de « l’action économique » de M. Weber (1921). Or, sans entrer dans un débat délicat, on peut affirmer, en prenant appui sur l’autorité du philosophe D. Hausman (1992), que ces deux définitions ne coïncident pas [8]. Toutefois, puisque la première définition de ce qu’il faut entendre par « phénomènes économiques » semble la plus souvent retenue par les auteurs qui s’efforcent de définir la sociologie économique, passons donc sur ce premier problème et admettons que tel soit « l’objet » de ce courant. Nous allons voir cependant que les difficultés rencontrées par cette première définition de la sociologie économique ne s’arrêtent pas là.

B - La « perspective sociologique »

9En effet, si l’on s’en tenait à cette partie de la définition, la sociologie économique coïnciderait alors totalement avec l’économie. Aussi faut-il, pour comprendre ce qui différencie la sociologie économique des travaux des économistes, mobiliser l’autre partie de la définition – la première, celle qui nous dit que la sociologie économique est une « perspective sociologique » ( « appliquée aux phénomènes économiques » ). Or, une telle proposition demande évidemment elle aussi à être précisée et l’on peut repérer dans la littérature consacrée à cette question trois interprétations différentes. Examinons-les successivement.

10Selon la première, cette « perspective » se définirait par opposition à celle des économistes : elle serait « inductive et historique » quand la théorie économique serait « abstraite et déductive » [9]. Une position de ce type apparaît par exemple dans l’article de P. Hirsch, S. Michaels et R. Friedman de 1987 [10]. Or, même s’il est probable que le rapport à l’empirie n’est pas le même dans les deux disciplines, il n’en reste pas moins qu’un risque se dessine toutefois ici. Celui qui consisterait à tomber dans le « stéréotype » que dénonce à juste titre P.-M. Menger selon lequel « la (bonne) sociologie serait par vocation gardienne de l’analyse réaliste et critique de la société, tandis que la théorie économique immergée dans la fiction de ses modèles irréalistes, et de son axiomatique de l’acteur rationnel, n’aurait que la pseudo-neutralité positiviste d’une science adossée au capitalisme triomphant » (1997, p. 421) [11]. Tournons-nous donc vers une autre interprétation de cette notion de « perspective sociologique ».

11Selon une seconde interprétation, cette expression désignerait toutes les méthodes spécifiques utilisées couramment par les sociologues. Telle est par exemple la définition que l’on trouve au début de l’ouvrage de P. Steiner consacré à la sociologie économique : « La sociologie économique étudie les faits économiques en apportant l’éclairage donné par l’analyse sociologique, c’est-à-dire par des méthodes différentes de celles de la théorie économique, comme les enquêtes, les typologies, la méthode comparative ou, plus récemment l’analyse de réseau. » (1999, p. 3 ; nous soulignons).

12On pourrait même être tenté de restreindre ces méthodes à la dernière d’entre elles : la théorie des réseaux ; on obtient ainsi une troisième interprétation de ce que recouvre la notion de « perspective sociologique ». Or, même si la notion de réseau joue indéniablement un rôle essentiel dans le courant de la sociologie économique, une telle interprétation n’est pas acceptable, et ce, pour deux raisons symétriques. En effet, tous les travaux de sociologie économique ne relèvent pas de ce type de méthode, et à l’inverse, tous les travaux qui l’utilisent ne se revendiquent pas de la sociologie économique. Il suffit pour s’en convaincre de consulter l’ouvrage édité par J.-E. Rauch et A. Casella, Networks and Markets [12] (2001). Ces deux auteurs affirment même que les échanges intensifs qui se développent entre sociologues et économistes, au croisement des notions de « réseaux » et de « marché », « permettront de reconnaître de manière plus précise qu’il existe une division du travail entre la théorie économique et la sociologie économique » (2001, p. 21).

13Seule la seconde interprétation paraît donc pouvoir être retenue.

C - Un curieux mélange

14Toutefois, si l’on définit ainsi les « phénomènes économiques » et la « perspective sociologique », la sociologie économique correspond alors à ce curieux mélange – à cet être hybride – qui par son « objet » appartient au domaine des économistes et par sa « méthode » à celui des sociologues. Un peu plus aux sociologues toutefois, puisque c’est à eux qu’appartiennent les méthodes et qu’en outre ce sont eux qui ont décidé de les appliquer à de nouveaux objets, ou plus précisément à des objets qu’ils avaient choisis d’abandonner aux économistes, pour des raisons stratégiques, au moment de l’institutionnalisation de leur discipline, ne gardant que les « miettes » que ces derniers voulaient bien leur abandonner [13].

15Resterait toutefois à définir de manière précise ces « méthodes » de la sociologie et à être certain qu’elles diffèrent de celles des économistes. Si tel n’était pas le cas – soit parce que certains sociologues adopteraient des méthodes des économistes, soit à l’inverse parce que certains économistes emprunteraient à la sociologie certaines de ses méthodes – ne faudrait-il pas alors reprendre la définition de la sociologie économique [14] ?

II - La notion d’encastrement

A - Première tentative

16Tournons-nous donc vers une nouvelle définition de la sociologie économique.

17Pour cela revenons un instant sur l’article de 1985 de M. Granovetter qui est, sinon le texte fondateur de la Nouvelle Sociologie économique, du mois celui qui « allait devenir le texte le plus connu de la sociologie économique contemporaine » (R. Swedberg, 1997, p. 239). On y trouve trois propositions théoriques ; rappelons-les ici – même si elles sont bien connues de la plupart des lecteurs – dans la version que Granovetter en donne en 1992 [15]. Ce dernier écrit ainsi :

18« 1 / La poursuite d’objectifs économiques s’accompagne en général de celle d’autres objectifs de nature non économique, comme la sociabilité, la reconnaissance, le statut social et le pouvoir. Les analyses qui, par principe, font abstraction de ces derniers partent avec un handicap.

19« 2 / L’action économique (comme toute action) est socialement située et on ne peut l’expliquer uniquement en considérant des motifs individuels. Elle est encastrée [embedded] dans des réseaux continus de relations personnelles, plutôt qu’effectuée par des acteurs atomisés.

20« 3 / Les institutions économiques (comme toutes les institutions) n’émergent pas automatiquement sous une forme donnée, déterminée par les circonstances extérieures ; elles sont au contraire “socialement construites” (...) » (Granovetter, 1992, p. 25) [16].

21C’est à l’aide de ces trois propositions que M. Granovetter va s’attaquer aux phénomènes qui constituent selon lui les « objets centraux » de l’économie. Or, on trouve au cœur de ces trois propositions, la notion « d’encastrement » que Granovetter emprunte à Polanyi (1944) [17] et qui lui permet d’énoncer ce qu’il appelle sa « thèse faible de l’encastrement » (par opposition, d’une part à la thèse « forte » de K. Polanyi et des « substantivistes » et, d’autre part, à la position « des économistes ») qu’il énonce ainsi : « Si je suis d’accord avec les économistes (...) pour dire que la transition vers la modernité n’a pas beaucoup changé le niveau de l’encastrement, je suis également d’accord pour dire qu’il a toujours été substantiel et qu’il le demeure aujourd’hui ; moins prégnant dans le passé que ne l’affirme la “thèse de l’encastrement fort” des substantivistes (...), mais plus, dans la période récente, qu’ils ne le supposent tout comme le font les économistes » (1992, p. 28). On le voit cette thèse est bien plus large que la seule proposition (2) et synthétise en réalité les trois propositions.

22Apparaît donc ainsi une nouvelle définition de la sociologie économique établie à partir de cette notion d’encastrement. Relèveraient de ce courant toutes les recherches qui se reconnaissent dans cette « thèse faible de l’encastrement » [18].

23Une telle définition appelle deux remarques.

24En premier lieu, si nous essayons d’identifier un peu plus précisément ce que Granovetter entend par « encastrement », il faut alors souligner la distinction qu’il introduit entre ce qu’il appelle l’encastrement « structural » et l’encastrement « relationnel » : « “L’encastrement”, écrit-il, renvoie à l’idée que l’action économique et les résultats, comme toutes les actions sociales et tous les résultats, sont influencés par les relations dyadiques (par paires) des acteurs et par la structure de l’ensemble du réseau de ces relations » (1992, p. 33, souligné par l’auteur).

25En second lieu, il faut noter que cette thèse – plus précisément sa seconde partie – est porteuse d’une critique tout à fait radicale à l’égard de la discipline économique. M. Granovetter marque d’ailleurs clairement à diverses reprises – et surtout dans ses premiers travaux – son opposition à ce qu’il appelle la « théorie économique néoclassique » [19]. Ainsi souligne-t-il que les trois propositions théoriques qu’il énonce correspondent à autant de critiques adressées à cette théorie [20]. Si l’on ne saurait donc dire que cette opposition au « paradigme néoclassique » constitue à proprement parler une définition de la Nouvelle Sociologie économique [21], une telle attitude critique paraît toutefois assez caractéristique de ce courant. Et il ne s’agit pas simplement d’une opposition ponctuelle sur un certain nombre de propositions théoriques – aussi importantes ces dernières soient-elles – comme la présentation des trois propositions pourrait le laisser croire. Ce qui est mis en cause ici, c’est n’est rien moins que la légitimité de l’autonomisation du discours des économistes [22] : à savoir, la possibilité d’étudier les « phénomènes économiques » sans tenir compte des réseaux de relations et de la structure de ces derniers. La sociologie économique se placerait donc aux côtés d’A. Comte, dans son opposition aux économistes, lorsqu’il développe dans les 47e et 48e leçons sa critique de l’économie politique, à partir de la notion de « consensus » [23], aux côtés également de É. Durkheim et de F. Simiand. Beaucoup crieront au scandale, à l’hérésie et à une attitude de totale régression.

26Quoi qu’il en soit, l’attaque contre cette définition de la sociologie économique, lourde de telles conséquences, est venue d’autres fronts : des troupes mêmes de cette dernière.

B - Second essai

27L’épisode est bien connu, mais rappelons-le tout de même rapidement, car il est important pour notre entreprise. Dès la fin des années 1980 et le début des années 1990, plusieurs auteurs de la sociologie économique ont en effet adressé une série de critiques assez virulentes à la notion d’encastrement et à la « thèse faible » de Granovetter.

28Ainsi S. Zukin et P. DiMaggio (1990) ont-ils reproché à la notion d’ « encastrement structural » de M. Granovetter d’être trop limitée. S’ils ne nient pas qu’elle joue un rôle, ils soulignent toutefois la nécessité de prendre en compte également ce qu’ils appellent d’autres formes d’encastrement. Ils définissent ainsi un « encastrement culturel » (de l’action économique dans la culture [24]), « politique » (dans un contexte de luttes politiques) [25] et « cognitif » (liée aux facteurs limitatifs de l’esprit humain) [26].

29Toutefois la remarquable « souplesse » de la notion d’encastrement [27] – pour reprendre les termes de R. Swedberg (1997, p. 253) – permet un réaménagement de la définition de la sociologie économique. L’encastrement ainsi redéfini – c’est-à-dire entendu comme structural, culturel, politique et cognitif – serait alors le « parapluie conceptuel » (pour reprendre l’expression de A. Portes et J. Sensenbrenner (1993, p. 1346)), derrière lequel se regrouperaient les troupes de la nouvelle sociologie économique. Relèveraient donc de ce courant tous les travaux s’abritant derrière un tel « parapluie conceptuel » et adoptant cette notion élargie de l’encastrement.

C - Une démarche paradoxale

30Or, on peut montrer que ce second essai se heurte alors à une critique, qu’il partage d’ailleurs avec la définition fondée sur la notion d’encastrement « structural » de M. Granovetter. Cette critique concerne la notion d’encastrement.

31En effet, lorsque les auteurs affirment que les « faits économiques » sont « encastrés » dans le social, dans le « politique », dans le « culturel » ou dans le « cognitif », ils supposent du même coup qu’il y a quelque chose que l’on peut identifier comme « économique » et que l’on peut distinguer du « social », du « politique », du « culturel » et du « cognitif ». Or, la notion d’encastrement n’était-elle pas là initialement pour affirmer précisément que l’économique n’est pas simplement économique, mais qu’il est aussi toujours social, culturel, politique et cognitif ? N’était-elle destinée à nous montrer que les « actions » et les « résultats » « économiques » ne s’expliquent pas uniquement par des facteurs économiques ?

32Il y a donc quelque chose d’assez paradoxal dans la démarche de ces auteurs, puisque c’est au moment même où ils cherchent à contester le règne des économistes qu’ils l’assurent, en reconnaissant l’existence de faits qu’ils qualifient « d’économiques » et dont l’étude tout logiquement reviendrait à ces derniers. D’une certaine manière, ils dessinent donc eux-mêmes la frontière qu’ils cherchent précisément à mettre en cause.

III - « Encastrement » ou « interdépendance » ?

A - Saisir « l’interaction complexeentre les facteurs économiques, culturels et sociaux-structurels »

33On trouve dans le texte de 1988 de V. Zelizer une nouvelle définition qui, pensons-nous, tout en étant assez proche de la précédente, permet de dépasser cet obstacle. Cette dernière critique en effet elle aussi, comme S. Zukin et P. DiMaggio (1990), le « réductionnisme » (1988, p. 620) de la thèse fondée sur « l’encastrement structural », c’est-à-dire sa tendance à réduire toute chose à un réseau de relations sociales. Elle affirme notamment que « la culture se languit dans les vestiges d’un passé parsonien » (ibid., p. 269 ; cité par Swedberg, 1997, p. 248) [28]. Elle dénonce également la tendance inverse qui conduit certains auteurs à analyser les phénomènes économiques uniquement en termes de culture, comme s’ils n’étaient que des ensembles de représentations. Elle explique alors qu’il faut « réaliser un moyen terme entre la dictature de la culture et celle des structures sociales » (ibid., p. 629). Ce moyen terme correspond à ce qu’elle appelle « l’approche des marchés multiples ». Une telle approche consiste, écrit-elle, à saisir « l’interaction complexe entre les facteurs économiques, culturels [29] et sociaux-structurels » (1988, p. 629), entre « les facteurs économiques et non économiques » (ibid., p. 617). La notion centrale n’est plus ici celle d’encastrement [30], mais celle « d’interaction » (ou « d’interdépendance » ou « d’interpénétration » [« interaction », « interplay », « interpenetration »], la terminologie n’est pas fixée dans son texte) entre des facteurs de nature différente.

34Peut-être s’agit-il simplement d’un flou terminologique, direz-vous ? Entre « encastrement » et « interaction », ne joue-t-on pas sur les mots ? Nous ne le pensons pas. Ce glissement terminologique nous paraît tout à fait délibéré et correspondre à une nuance de taille. En effet, il vient souligner que les causalités ne sont jamais simples entre les différents types de facteurs ; du même coup, c’est l’existence même de « types » de facteurs différents qui apparaît contestable. Le programme de recherche ainsi défini est le suivant : les chercheurs qui l’adopteront devront élaborer « un modèle théorique d’interaction qui explorera et expliquera la variabilité complexe historique, culturelle et socio-structurelle de la vie économique » (ibid., p. 631). Et l’on pourrait ajouter – avec Zukin et DiMaggio – politique et cognitive.

35On obtient alors une nouvelle définition de la sociologie économique. Il faudrait entendre par ce terme toutes les analyses qui intègrent (postulent et démontrent) cette idée d’interrelation entre différents types de facteurs [31].

36Il faut souligner ici que cette nouvelle définition évite la critique que nous adressions à la précédente dans la mesure où la nature « économique », « sociale », « culturelle » ou « politique » des facteurs est uniquement postulée. Les phénomènes « économiques » ne le sont que sur la base d’une définition provisoire et tout le travail d’analyse de la sociologie économique ainsi conçue va consister précisément à remettre en cause cette « nature économique » en faisant apparaître leur interaction avec d’autres types de facteurs. Il n’y a plus « d’objets » spécifiquement « économiques » (ou « culturels » ou « politiques » ou « cognitifs »).

37Il est également intéressant de noter que l’on retrouve cette conception de la sociologie économique sous la plume de Granovetter lui-même en 2000 [32]. Il écrit en effet : « [A]près mes premiers travaux des années 1970 et 1980 centrés sur l’analyse des réseaux, j’ai essayé, dans les publications plus récentes, de compléter les arguments en termes de réseaux, en prenant en compte des forces sociales, culturelles et politiques, afin d’obtenir une analyse plus complète des questions économiques (...). Dans un travail difficile, mais intéressant, Harrison White, l’un des fondateurs de la théorie des réseaux sociaux et de la sociologie économique américaine, essaye également d’analyser la manière dont les aspects politiques, économiques, culturels et sociaux de l’organisation sociale sont articulés entre eux (White, 1992). En réalité, si l’on réfléchit à ce qui est commun à tous les grands sociologues, on constate que tous essayent de saisir cette articulation. Et si Marx, Weber, Durkheim, Parsons, Polanyi, Bourdieu, White et d’autres ont des conceptions assez différentes des liens existant entre les différents secteurs institutionnels, tous partagent l’idée qu’on ne peut analyser la vie sociale en ne s’intéressant qu’à l’un de ses secteurs, qu’il s’agisse de l’économie, de la politique ou du domaine de la culture » (2000, p. 41, nous soulignons) [33]. Il semble donc que Granovetter, délaissant la notion d’encastrement, se soit rallié à la définition de la sociologie économique suggérée par V. Zelizer.

B - Une stratégie offensive

38Toutefois, si l’on admet une définition de ce type, il faut alors admettre deux de ses conséquences.

39Premièrement, le champ de la sociologie économique ainsi définie devient, on le voit, très large. Il est d’ailleurs intéressant de voir P. Bourdieu cité dans la liste établie par Granovetter [34].

40Deuxièmement, on retrouve ici, comme pour la définition fondée sur la « thèse faible de l’encastrement », une stratégie très offensive à l’égard de l’économie. Zelizer parle d’une « aggressive sociological invasion of the market » (1988, p. 617). Ce qui est contesté, rappelons-le, ce n’est rien moins que la légitimité de l’autonomisation du discours des économistes, en d’autres termes, l’existence même de cette discipline.

41Aussi dans le clivage que l’on peut identifier en suivant Gislain et Steiner (1995) au sein de la sociologie économique classique entre, d’une part les auteurs qui, comme Weber, Schumpeter ou Pareto, considéraient que le projet de la sociologie économique était de produire un discours complémentaire de celui de l’économie politique et, d’autre part, ceux qui, comme Durkheim ou Simiand, avaient pour projet de lui substituer une autre approche, il nous semble que la Nouvelle Sociologie économique, dès lors qu’elle accepte une telle définition, prend clairement place aux côtés des seconds. La sociologie économique, pour être cohérente avec sa propre définition, doit donc assumer cette ambition, en dépit des inconvénients institutionnels qu’elle entraîne.

Conclusion

42Il semble donc que la stratégie – probablement très efficace institutionnellement, nous l’avons dit – consistant à rapatrier les troupes de la sociologie économique dans le champ de la sociologie, bien à l’abri derrière ses frontières, et à ne pas vouloir prendre parti dans les débats et les querelles qui déchirent le paysage intellectuel de ce que l’on appelle aujourd’hui « la science économique », si elle peut s’appuyer sur la première définition que nous avons identifiée, est en revanche difficilement conciliable avec les deux dernières définitions, ou plus exactement avec certaines conséquences que l’on ne peut pas ne pas en tirer. Elle paraît en particulier assez peu justifiée, si l’on adopte la troisième définition, celle fondée sur la notion d’interrelation.

43Reste alors à savoir comment « les économistes » peuvent et doivent réagir. Notre conviction est qu’ils ne peuvent se désintéresser du développement intellectuel et institutionnel de la sociologie économique. Et ce pour différentes raisons. Certains le feront parce qu’ils adhèrent au projet unificateur des différentes sciences sociales explicitement revendiqué par certains auteurs de la sociologie économique. Les autres devront le faire parce qu’un certain nombre d’évolutions internes, qui se déroulent au sein même de leur discipline, certaines même dans les bataillons d’élite (au cœur de la théorie de l’équilibre général [35]), les y contraint déjà depuis plusieurs années. Pour reprendre et poursuivre la métaphore guerrière développée par E. P. Lazeard dans un tout autre contexte, non seulement « les barbares sont à leur porte » (2000, p. 140), mais en outre les traîtres sont peut-être déjà dans les murs ! Ou pour filer la métaphore de façon moins provocante : beaucoup parmi les économistes ont déjà convergé vers la frontière. En effet, lorsque les économistes mettent – avec l’indétermination des équilibres d’anticipations rationnelles – les « croyances » au cœur de leurs préoccupations, lorsque d’autres soulignent la nécessité de prendre en compte des notions telles que le « statut », le « capital social » ou les « relations interpersonnelles », ne sont-ils pas alors conduits à observer ce qui se passe de l’autre côté de la frontière [36] ?

Notes

  • [1]
    « Est-il raisonnable ou fructueux de consacrer des efforts prolongés ou renouvelés à des questions de nature “essentialiste” ou conceptuelle, comme le sont nécessairement les questions de définitions ? », écrivent par exemple A. Mignat, P. Salmon et A. Wolfesperger (1985, p. 85).
  • [2]
    Plusieurs ouvrages ont en effet été consacrés ces dernières années à la présentation de ce courant. Pour nous en tenir aux principaux (et en privilégiant ceux disponibles en langue française), nous citerons : N. Smelser et R. Swedberg, 1994 ; R. Swedberg, 1994 (1987) ; R. Swedberg, 1996b ; R. Swedberg, 2003 ; P. Steiner, 2005 (1999) ; B. Lévesque, G. Bourque et E. Forges, 2001 ; C. Trigilia, 2002 (1998).
  • [3]
    En renvoyant le lecteur intéressé par les tentatives plus anciennes de sociologie économique à l’ouvrage de J.-J. Gislain et P. Steiner (1995) et à celui de R. Swedberg (1994), ainsi qu’à son texte de 1991.
  • [4]
    On retrouve la critique adressée par M. Granovetter à O. Williamson dans la plupart de ses textes. Pour une première présentation nous renvoyons le lecteur au texte de 1985 de M. Granovetter (2000, chap. 2).
  • [5]
    Depuis le début des années 1990 environ, en France notamment, la multiplication des analyses consacrées à cette question de la frontière qui sépare l’économie de la sociologie nous paraît en partie résulter du développement de la sociologie économique. Pour nous en tenir au paysage intellectuel français, nous pourrions citer ici trois numéros de la Revue économique consacrée à ce thème (1988, 2002, 2005), ainsi que les articles de E. Malinvaud (1996, 2001) et les réponses qui lui furent adressées par A. Caillé, P. Combemale et P. Steiner dans la revue L’Économie politique (2001). Il faudrait également ajouter le numéro spécial de la Revue française de sociologie consacré à ce thème et coordonné par P.-M. Menger en juillet-septembre 1997. Il serait toutefois difficile de ne pas citer l’ouvrage d’entretiens de R. Swedberg de 1990 ou le numéro spécial du Journal of Economic Perspectives (2005).
  • [6]
    On trouve cette idée notamment chez H. Sidgwick lorsqu’il écrit dans le Palgrave l’entrée « Economic science and economics » (qui – cela mérite d’être souligné – a été reprise comme telle dans le New Palgrave, la bible théorique actuelle. Notons qu’il n’y a pas d’entrée « Economics » dans cet ouvrage, pas plus que d’entrée political economy). Cette dualité est également soulignée par D. Hausman (1992, p. 6, voir infra).
  • [7]
    On trouve enfin une troisième définition qui est un mélange des deux précédentes, conformément à l’attitude adoptée aujourd’hui par beaucoup d’économistes ; ainsi, R. Swedberg (1996, p. IX), par exemple, définit-il l’économie comme l’étude des « activités de production, de répartition et d’échange de biens et de services rares ».
  • [8]
    Il écrit ainsi : « (...) it seems to me that economists typically accept competing definitions of their subject as concerned with a particular set of causal factors (rational acquisitiveness) and as concerned with a particular realm of social behaviour. Central to contemporary economics is the implicit but highly contestable conviction that the two definitions coincide, that (at a suitable level of approximation) the causal factors with which economists are concerned provide a complete theory of their subject matter » (Hausman, 1992, p. 6).
  • [9]
    On retrouve ici une opposition classique qui est au cœur de la plupart des débats méthodologiques qui se sont déroulés dans la seconde moitié du XIXe siècle.
  • [10]
    Ces auteurs écrivent ainsi : « En dépit de la stabilité et du pouvoir des hypothèses fondamentales des économistes et de la cohérence logique qu’elles permettent d’atteindre, les modélisations déductives de ces derniers présentent un défaut rédhibitoire aux yeux du sociologue : elles le conduisent à ignorer le monde empirique qui les entoure » (1987, p. 280 notre traduction). Notons que cet article a été utilisé par N. Smelser et R. Swedberg (1994) pour construire le tableau qui résume selon eux les oppositions entre la sociologie économique et l’économie mainstream (p. 4, repris dans Swedberg, 1996, p. X, et 1998, p. 135).
  • [11]
    S’il visait par ces mots certains sociologues, les économistes sont eux aussi parfois capables de propos excessifs. Ainsi L. Lévy-Garboua écrivait-il : « Les chercheurs en sciences sociales ont donc le choix entre une perception sensorielle de la réalité [celle des sociologues] et la perception rationnelle commune à toutes les sciences [et en particulier à l’économie], qui se donne pour objet des concepts dépouillés et dépourvus d’ambiguïté et qui construit avec eux des représentations stylisées, complexes et souvent peu intuitives de la même réalité. (...) Le sociologue a été formé à éprouver des sensations. Il a développé en lui un cinquième sens qui le fait participer intensément à la réalité qu’il observe. Avec ce dernier, il va s’efforcer de comprendre la totalité du réel, de restituer au lecteur les sensations même que les acteurs sociaux ont éprouvées. Il a atteint son but le jour où il est enfin capable de résumer la réalité pleine de nuances par des typologies de mots et de concepts, assez simples pour être mémorisés et assez denses pour être immédiatement reconnus pour essentiels et pour vrais par son lecteur. L’œuvre sociologique se propage par l’adhésion de ses lecteurs, transformés en disciples, à une sorte de vérité révélée » (1988, p. 289, nous soulignons).
  • [12]
    Le lecteur pourra notamment se référer aux pages 3-5 pour une présentation des principales analyses économiques antérieures à la publication de cet ouvrage.
  • [13]
    Nous renvoyons ici le lecteur à Swedberg (1994 (1987), p. 50-54).
  • [14]
    En outre, une telle dichotomie entre d’un côté un « objet » et de l’autre des « méthodes » pourrait laisser penser que ces phénomènes « économiques » auxquels on « applique » la perspective sociologique seraient des « faits donnés » à celui qui les étudie. Telle paraît en effet être parfois la position des auteurs. Ne faudrait-il pas alors leur opposer une grande partie de l’épistémologie moderne : celle qui nous rappelle que les faits ne sont jamais « donnés », mais toujours « construits », « imprégnés de théorie » ? On pourrait ici multiplier les références et les citations. On trouve en effet cette thèse longuement développée par P. Duhem (1906, 2e partie, chap. 4), par exemple, avant de devenir un lieu commun de l’épistémologie moderne, puisqu’on peut la repérer notamment chez G. Bachelard (1934), K. Popper (1934) ou plus tardivement chez T. Kuhn (1962).
  • [15]
    Il existe des différences entre le texte de 1985 et les versions ultérieures qu’il faudrait probablement étudier de manière systématique. Nous mentionnerons ici simplement le fait que l’idée de « construction sociale », qui jouera un rôle fondamental par la suite, n’apparaît pas dans l’article de 1985. De même dans son article de 1990, il ne présente plus que deux thèses : la première et la troisième (2000, p. 103)
  • [16]
    Notons que N. Smelser et R. Swedberg construisent un tableau qui, selon eux, résume les différences théoriques principales entre la sociologie économique et l’économie « mainstream », en s’appuyant pour l’essentiel sur les deux premières propositions de Granovetter (auxquelles ils ajoutent des différences d’ordre méthodologique ou qui concernent les traditions intellectuelles des deux disciplines) (1994, p. 4 ; on trouve une première version assez différente de ce tableau dans Swedberg, 1994 (1987)).
  • [17]
    Sur cet emprunt, on pourra consulter P. Rème (2000) et P. Steiner (2002).
  • [18]
    Cette position correspond, pensons-nous, à celle adoptée par P. Steiner (2002, p. 36).
  • [19]
    Nous ne nous prononcerons pas ici sur la définition que l’on peut donner de cette expression, ni sur sa pertinence.
  • [20]
    Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à I. This Saint-Jean (2002).
  • [21]
    Nous partageons ici totalement le point de vue de P. Steiner lorsqu’il critique les définitions du « paradigme de la sociologie économique en opposition au paradigme de la théorie néoclassique », qu’il repère notamment chez Swedberg (1994) et Swedberg et Smelser (1994, p. 4-8). Il écrit ainsi que la définition d’un paradigme est un « exercice bien périlleux. (...) L’exercice est doublement périlleux lorsque le paradigme de la sociologie économique est défini a contrario du paradigme de la théorie néoclassique » (1997, p. 84).
  • [22]
    Explicitement revendiquée, depuis au moins J. S. Mill (2003 (1836) et 1988 (1836)).
  • [23]
    Il affirme que « puisque les phénomènes sociaux sont ainsi profondément connexes, leur étude réelle ne saurait donc être jamais rationnellement séparée (...). Toute étude isolée des divers éléments sociaux est donc par la nature de la science, profondément irrationnelle, et doit demeurer essentiellement stérile, à l’exemple de notre économie politique, fût-elle même mieux cultivée » (A. Comte, 1995 (1839), p. 117-118).
  • [24]
    La culture est ici définie comme « les représentations collectives communes » qui peuvent par exemple venir limiter ce que les individus désirent acheter ou vendre. Elle influe par le biais de « croyances et des idéologies – considérées comme données – ou des systèmes de règles formelles » (S. Zukin et P. DiMaggio, 1990, p. 17).
  • [25]
    On retrouve ici une partie des critiques adressée à la nouvelle sociologie économique de Granovetter par J.-L. Laville (1997). Pour une réponse de ce dernier, voir Granovetter, 2000, Introduction.
  • [26]
    À chacune de ces nouvelles formes d’encastrement correspondent autant de nouvelles critiques adressées à la théorie économique.
  • [27]
    D’autres y verront probablement à juste titre le signe de son absence de définition précise (voir par exemple Rème, 2000).
  • [28]
    On trouve probablement une explication de la défiance que Granovetter a à l’égard de cette notion de « culture », dans sa formation intellectuelle et sa « rébellion » contre ce qui constituait alors « l’orthodoxie » en sociologie (sur ce point, voir Granovetter, 2000, p. 33-34).
  • [29]
    Dans la version française de ce texte, elle remplacera le terme de « culturels » par « symboliques » (1992, p. 3).
  • [30]
    Terme qu’elle utilise lorsqu’elle présente les travaux de Granovetter (par exemple, 1988, p. 629).
  • [31]
    Notons que c’est par exemple la définition retenue par C. Trigilia : « Dans un premier temps, nous pouvons définir le champ de la sociologie économique comme étant caractérisé par un ensemble d’études et de recherches visant à approfondir les rapports d’interdépendance entre les phénomènes économiques et sociaux » (2002, p. 13).
  • [32]
    Même s’il parle d’ « articulation » et non pas d’ « interrelation ». En tout état de cause il ne parle plus ici d’ « encastrement ».
  • [33]
    Nous avons légèrement corrigé la traduction que nous proposions à l’époque pour être plus près du texte anglais.
  • [34]
    Il faut souligner ici que Bourdieu est le seul auteur contemporain cité par Granovetter, à l’exception de White qui a été, selon ses propres termes, son « mentor » et a « exer[cé] une influence intellectuelle décisive » sur ses travaux (2000, p. 33). Notons à ce propos qu’en dépit des critiques assez violentes adressées par P. Bourdieu à Granovetter et à la théorie des réseaux ce dernier affirmait que sa pensée était « extrêmement proche – dans sa conception et dans son esprit – de la sociologie économique francophone et, notamment, du remarquable article de Bourdieu ». Et, même si ce point mériterait une argumentation approfondie, nous pensons pouvoir affirmer que « l’anthropologie économique » développée par Bourdieu (telle qu’il la développe dans différents textes, notamment dès ses premiers travaux sur l’Algérie (1958, 1963 ; Bourdieu et Sayad, 1964, ou dans Bourdieu et Passeron, 1964, et plus longuement dans son article de 1997 et dans Les structures sociales de l’économie (2000)) doit avoir sa place dans la sociologie économique contemporaine.
  • [35]
    Il s’agit notamment des modèles dits de « taches solaires » (voir par exemple Azariadis et Guesnerie, 1982).
  • [36]
    Nous avons tenté de le montrer dans This Saint-Jean (2004).
Français

RéSUMé. — Cet article revient sur la question de la définition de la sociologie économique. Son ambition est tout d’abord de montrer que cette question, contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture rapide des travaux de ce qu’il est convenu d’appeler la Nouvelle Sociologie économique, est loin d’être tranchée. Trois définitions différentes sont ainsi identifiées et présentées successivement. L’article s’efforce de mettre en évidence d’une part, les difficultés rencontrées par certaines d’entre elles, et d’autre part les conséquences que ces différentes définitions ont sur le positionnement institutionnel de la sociologie économique et sur le tracé de la frontière entre sociologie et économie.

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Isabelle This Saint-Jean
Université du Littoral – PHARE – LEMMA
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/08/2007
https://doi.org/10.3917/anso.052.0307
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