1La morale est au cœur de profonds débats dans les relations internationales qui tiennent principalement à leur histoire et à l’épistémologie de cette discipline. Avant de réfléchir sur un de ses traits contemporains les plus significatifs et les modèles analytiques les plus appropriés pour le traiter, il convient d’en préciser la nature. À l’origine d’une réflexion sur la morale, le droit et la tradition cosmopolitique kantienne ont accompagné l’essor d’un idéalisme et d’une « morale des nations » [1] et ont joué un rôle important dans le développement d’organisations internationales comme la Société des nations. Leur rival, le réalisme, s’est développé pendant l’entre-deux-guerres et devient hégémonique après 1945 en prenant le contre-pied du droit et de la morale. Cette école prône le retour à la « réalité » de la matérialité et de la puissance. Selon ses fondateurs, les valeurs n’ont pas ou peu de rôle dans les affaires internationales.
2Le rapport du réalisme à la morale a suscité de nombreuses controverses. Ce courant se présente sous les traits d’une pensée qui vise à expliquer des comportements étatiques amoraux et se veut neutre sur le plan axiologique : elle serait une science explicative des stratégies d’acteurs rationnels déterminés par des différentiels de puissance et mus par la poursuite de leurs intérêts nationaux. Les réalistes considèrent que l’État ne saurait être jugé pour ce qu’il fait. Pourtant, Hans Morgenthau énonce clairement que l’État doit maximiser sa puissance et poursuivre son intérêt national [2]. Cette injonction peut être interprétée comme une justification morale de la poursuite de ses intérêts [3], elle est source d’ambiguïté au regard des postulats théoriques du réalisme et alimente une critique de la pratique qui s’en réclame, la Realpolitik.
3Le réalisme suscite d’autres polémiques. Suivant E. H. Carr, un autre de ses pères fondateurs, les intérêts des dominants déterminent à eux seuls le contenu de la morale [4]. Dans de telles conditions, ce relativisme conduit aisément au cynisme. Henry Kissinger, un des représentants de la théorie réaliste et un praticien de la Realpolitik, est sa figure la plus aboutie [5]. Le réalisme est aujourd’hui non seulement critiqué pour sa faiblesse théorique, en raison de son incapacité à expliquer la chute du mur et à analyser l’après-guerre froide, mais encore la Realpolitik est aussi dénoncée pour les comportements de ses adeptes. Dans ce contexte, le cynisme kissingerien est brocardé, Kissinger devient la cible d’une vaste campagne transnationale visant à le poursuivre pour crimes contre l’humanité qui a notamment pour effet de perturber ses déplacements à l’extérieur des États-Unis.
4En dépit de leur profonde différence, réalisme et idéalisme ont une caractéristique commune. Le regard qu’ils portent sur le monde s’est figé dans une vision anthropomorphique des relations entre États. Dans le cadre réaliste, les États sont égoïstes ; pour l’idéalisme ils sont animés par une vision morale [6]. Depuis la fin des années 1980, un autre cadre d’analyse, le courant transnationaliste, met en question un tel primat interétatique. Il innove en faisant l’analyse du rôle des acteurs non étatiques et de leurs relations avec les États dans un système international hétérogène [7]. Cet interactionnisme vise à éclairer des phénomènes sociaux à l’extérieur du champ strictement diplomatique et stratégique, notamment l’émergence de normes morales.
5États, organisations internationales ou entreprises multinationales ont été mis en accusation au cours des années 1990 et sommés de rendre des comptes de leurs comportements passés ou présents (Colonomos, 2005). Pour analyser ces phénomènes, les auteurs transnationalistes et constructivistes ont élaboré la notion d’ « entrepreneurs moraux » [8] en adoptant une démarche d’inspiration wébérienne qui met l’accent sur le rôle des valeurs et des normes dans la définition des intérêts [9]. L’analyse sociologique appelle une réflexion sur le contenu de ces normes et leur généalogie qui éclaire leur place dans les morales premières des traditions instituées. Ce constructivisme permet un enrichissement mutuel entre sociologie et philosophie indispensable pour mener à bien ce projet. La mise en accusation et le scandale appartiennent à un registre d’action post-bipolaire et deux dimensions sont incontournables pour analyser ce phénomène : l’historicité des normes tout comme la relative invariance de certains interdits. Ainsi, l’interdit du meurtre est toujours présent dans les grandes théories morale de la guerre. Il est réinterprété à la mesure des conflits et transparaît dans les modèles de la guerre juste, dans les principes de discrimination et proportionnalité, jusqu’à la définition du dommage collatéral.
6Cet article analyse la dimension transnationale de la mise en accusation internationale en soulignant le rôle des entrepreneurs moraux. Nous souhaitons montrer dans quelle mesure le changement structurel de la fin de la guerre froide a permis l’avènement de ce tournant. Notre propos vise à situer historiquement cette morale dans une transformation systémique et dans des jeux de puissance [10] sans pour autant, comme c’est souvent le cas, considérer que la morale est strictement dépendante d’un rapport de forces et en conséquence n’existe pas en tant que telle puisqu’elle ne serait que le voile de la domination [11]. Précisément, une analyse de la morale doit se pencher sur son contenu et sa rationalité, dans le cas présent en étudiant les contours des formes de responsabilité que ces campagnes contribuent à révéler.
Des campagnes globales
7Les campagnes des années 1990 possèdent des caractéristiques inédites au regard des mobilisations antinucléaires ou a fortiori des luttes en faveur de l’abolition de l’esclavage. Elles sont le fait d’organisations qui se sont considérablement professionnalisées, dont les ressources ont augmenté et qui sont de plus en plus nombreuses [12]. Le nombre de ces campagnes croît de manière très significative, elles touchent des domaines de plus en plus diversifiés depuis le commerce, la protection de l’environnement, la défense du droit des animaux, jusqu’à la critique de l’indifférence aux famines et aux épidémies, la défense des femmes et des enfants et la dénonciation des abus sexuels dont ils sont victimes. La transnationalité de ces campagnes se fonde sur au moins une des caractéristiques suivantes. Des acteurs non étatiques ciblent des organisations internationales ou des multinationales. Les activistes sont de nationalités diverses. Les activistes n’appartiennent pas à l’État-nation qu’ils visent dans leur campagne.
8Les États et les organisations internationales sont les principaux destinataires de ces adresses. Ainsi, tandis que des sanctions économiques ont été mises en place en 1991 contre l’Irak et maintenues jusqu’en 1997 en dépit de leurs désastreuses conséquences humanitaires et de leur relative inefficacité, des ONG et des associations de médecins ont sévèrement évalué cette politique [13]. En raison de leur poids à l’ONU et de leur soutien aux sanctions au début des années 1990, les États-Unis ont été particulièrement pris à parti. Le Fonds monétaire international, la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale du commerce sont, quant à eux, la cible de mouvements transnationaux au nom des méfaits de la gouvernance globale [14].
9Les multinationales économiques sont aussi régulièrement visées par des campagnes visant à stigmatiser leur complicité avec des dictatures ou les mauvais traitements de leurs salariés dans les pays du Sud. Des ONG investissent de nouveaux champs d’études en observant le comportement des entreprises dans des domaines comme l’environnement et en traitant des problèmes éthiques spécifiques aux secteurs pétrolier et textile [15].
10Les obligations qui pèsent sur les États et les entreprises sont devenues plus contraignantes. Une vague de demandes de réparation des injustices historiques liées à l’esclavage, aux guerres et aux génocides a vu le jour au cours des années 1990 [16]. Elle est le fait de professionnels du droit, de dirigeants communautaires et d’historiens qui ont uni leurs connaissances afin d’obtenir des réparations financières pour les victimes et leurs descendants. Ces demandes touchent désormais des entreprises impliquées dans des événements plus récents, comme en témoignent les plaintes en nom collectif déposées auprès de cours américaines contre des institutions financières saoudiennes au nom de leur rôle dans la préparation des attentats du 11 septembre 2001.
11Dans ces différents domaines, les activistes usent de réseaux pour former des coalitions souples et dynamiques [17]. Plusieurs catégories de professionnels s’associent afin de formuler en termes moraux une charge d’accusation qui repose sur une connaissance des faits imputés aux institutions. Des « communautés épistémiques » [18] se penchent sur des questions techniques et sur les problèmes causés par l’incurie politique ou économique, elles suggèrent les éventuelles solutions que les institutions accusées devraient apporter en réponse. L’expertise sert de pilier autour duquel ces réseaux se rassemblent. Ainsi, à partir de 1996 au moment où il est renforcé, l’embargo contre l’État cubain fait l’objet d’une violente critique aux États-Unis. Plusieurs associations patronales – les entreprises américaines sont les premières touchées par ces mesures – se sont liées à des Églises protestantes membres du Conseil œcuménique des Églises, à des évêques catholiques américains [19] et à des ONG [20]. En s’appuyant sur une expertise économique et médicale, cette coalition hétérogène [21] a dénoncé les méfaits de cette politique : certains Cubains seraient empêchés d’avoir accès à des soins ; en raison du manque à gagner supporté par ses entreprises, l’Amérique « perdrait » des emplois.
12La morale est une charge d’accusation qui a pour objectif de rendre coupable aux yeux du plus grand nombre le destinataire de cette adresse [22]. La campagne de mise en accusation suit des règles récurrentes comme la comparaison avec les comportements les plus indignes tout en soulignant leur caractère exceptionnel [23]. La dénonciation du travail forcé des détenus emprisonnés par la junte birmane auquel ont eu recours des pétroliers français et américains obéit à cette règle. Ces campagnes s’organisent sur le mode du scandale. En prenant le monde pour scène, les activistes stigmatisent des comportements déviants en usant de la technique du shaming [24].
Une rupture historique
13Le changement intervenu dans le système international à la suite de la chute du mur a permis la multiplication de ces initiatives. L’organisation du monde post-bipolaire tranche avec la traditionnelle division du système international de la guerre froide. Les relations internationales ne sont plus à l’image du monde schmittien de l’ami et de l’ennemi (Schmitt, 1928). Elles sont davantage le face-à-face entre un monde de partenaires habitué à l’échange et convaincu de la nécessité de l’interdépendance, et un univers de parias fortement hétérogène et divisé. À la faveur de l’interdépendance entre partenaires, de nouvelles relations s’instaurent entre ceux qui se considéraient, sur le plan politique, des amis. On pardonne tout à l’ami, en revanche on exige du partenaire qu’il rende des comptes.
14Un exemple est révélateur de cette transformation de la relation morale. Les plaintes adressées contre les banques suisses, les entreprises allemandes ou les compagnies d’assurances européennes par des avocats américains et des représentants des communautés juives auraient été impensables dans le monde de la guerre froide. Des Américains n’auraient pas été en mesure d’attaquer frontalement de si précieux alliés de leur État. L’interdépendance économique, le rôle des communautés dans la sphère publique américaine et leur accès à la scène internationale dans des domaines traditionnellement monopolisés par l’État comme les négociations diplomatiques [25] ont permis l’expression de ces plaintes et l’obtention de réparations et de restitutions.
15La RFA et l’État d’Israël signèrent en 1951 un accord en vue de réparations accordées aux victimes de la Shoah et à Israël. Des organisations communautaires jouèrent certes un rôle dans ce processus, cependant, l’initiative fut essentiellement conduite par des diplomates. En marge de ces accords, des victimes voulurent obtenir des dédommagements et des restitutions estimant que leurs cas n’avaient pas été pris en compte dans le règlement. Les avocats auxquels ils s’adressèrent à partir de 1945 les en dissuadèrent. Les instruments juridiques qui ont récemment permis aux avocats américains d’attaquer en justice les entreprises suisses ou allemandes n’étaient pas à l’époque utilisés par les praticiens du droit. La plainte en nom collectif est un recours dont l’application est relativement récente (les années 1960), son usage systématique dans un contexte international date de la fin des années 1980 (lors d’un procès intenté par des Philippins contre la veuve du dictateur Marcos). Pendant la guerre froide, les archives qui ont permis aux avocats d’instruire leurs plaintes contre les banques, les compagnies d’assurances et les industries allemandes étaient fermées aussi bien à Moscou qu’à Washington. Enfin, l’exposition aux menaces de boycott émanant des États-Unis devient un sujet de préoccupation majeur à partir de la fin des années 1980, nombre d’entre elles ayant fusionné avec des entreprises américaines et le marché américain étant devenu une incontournable priorité dans le développement de leurs activités [26].
De nouvelles initiatives juridiques
16Le développement protéiforme du droit dans les relations internationales post-bipolaires a favorisé l’essor de ces campagnes. Nombre d’entre elles reposent sur des procès qui leur assurent une grande publicité. L’essor de la « tort law » dans le droit civil américain et ses applications internationales à travers le recours à l’Alien Tort Claims Act – qui permet à des non-Américains de poursuivre des entités étatiques ou non étatiques de n’importe quel pays devant une cour américaine – constituent un des ressorts fondamentaux de cette moralisation par un droit qui donne les moyens à des individus d’avoir une action transnationale [27]. En 1992, une nouvelle loi est promulguée, le Torture Victim Protection Act, qui octroie la possibilité à des citoyens américains de poursuivre en justice des entités non américaines. Le droit a dès lors une fonction spécifique, il est le plus souvent un moyen de faire entendre une voix dans l’espace public. À ce jour, une vingtaine seulement de ces recours ont abouti. Le plus souvent, l’action en justice, sa menace ou tout simplement son éventualité incitent les États ou les entreprises à trouver à l’extérieur des cours un compromis avec les plaignants. Ces scandales attestent de la montée en généralité (Boltanski, Thévenot, 1991) des représentations du juste et de l’injuste, de l’immoralité et de la moralité.
17La diffusion transnationale d’un « droit de la transition démocratique » a également favorisé le développement d’une morale de la transparence et de l’imputabilité [28]. Le « monde des États » [29] reflète et accompagne les plaintes qui émanent des sociétés civiles. Les acteurs non étatiques, des réseaux de juristes, des fondations ou des Églises ont contribué à moraliser la justice de la transition dans le cas de l’Afrique du Sud et dans les commissions calquées sur cette expérience, notamment récemment au Pérou.
18La Cour pénale internationale encourage cette transformation fondée sur une interaction entre le transnational et l’étatique. Le traité de Rome atteste de la prise en compte par les institutions de ces demandes morales. Comme l’a annoncé son premier procureur, Luis Moreno-Ocampo, la Cour s’intéresse de près aux activités des multinationales et à leur rôle dans les guerres civiles. De même, cette institution s’est inspirée de certaines initiatives sociétales et permet à des individus de demander directement des réparations aux institutions (des États ou des groupes infra-étatiques) qui, dans le cadre de guerre ou de génocide, leur ont causé des dommages [30].
19Les horizons d’attente de nombreux acteurs non étatiques et leurs projets ont changé. Des ONG, comme Amnesty, spécialisées dans des questions exclusivement politiques comme la détention abusive portent désormais un regard attentif sur le rôle des multinationales. Leurs membres attribuent cette nouvelle orientation à la chute du mur [31]. Les juristes ont aussi rapidement pris conscience des possibilités nouvelles qui s’offrent à eux [32], notamment en s’associant sous la forme d’une ONG afin de traiter d’une question particulière (par exemple la défense des victimes de la torture, comme le Center for Justice and Accountability fondé en 1998 à San Francisco).
Le tournant moral dans les rapports de puissance
20Le rôle des entrepreneurs moraux est révélateur de la transformation de la puissance après la chute du mur et la puissance américaine est une des clés essentielles de la compréhension de ce phénomène. Tout comme sur la scène étatique, l’Amérique occupe dans l’univers non étatique une place centrale. La société civile américaine procure des moyens à ses membres d’internationaliser leur action qu’aucune autre société occidentale n’est en mesure d’offrir. Elle est ainsi le foyer à partir duquel se déploient les actions normatives les plus décisives à l’échelle globale. Cette dynamique participe d’une culture nationale et loge dans une tradition messianique de la croisade [33]. Elle répond à des logiques économiques, les ONG bénéficiant aux États-Unis d’avantages qu’elles n’ont nulle par ailleurs. Elles ont directement accès à un marché de donateurs aisés fiscalement, encouragés à subventionner des activités caritatives. La philanthropie est un des versants de cet univers de l’exportation d’un message moral, comme en témoigne le nombre d’organisations non gouvernementales américaines à vocation internationale financées par des legs privés. Sur le plan juridique, les procès en nom collectif contre des entités non américaines tout comme le rôle des fondations américaines dans le soutien à une « justice transitionnelle » [34] attestent de la place qu’occupe la société américaine dans la critique de l’injustice. La récurrence de ces procès aux États-Unis et la forte publicité qui les entoure ont incité une génération d’avocats à se spécialiser dans des domaines comme le droit du travail appliqué aux multinationales. Le capitalisme américain a été le premier à accorder à des normes comme la responsabilité sociétale une place au sein de forums réunissant les entreprises et leurs évaluateurs. Les universités américaines tout comme les think tanks forment des juristes, des économistes et des humanitaires qui œuvrent au développement d’une morale de la transparence et de l’imputabilité. L’essor du marché de l’expertise est notable aussi bien dans le camp néo-libéral qu’au sein des économistes critiques de la mondialisation. Les uns comme les autres participent à cette moralisation de l’international. Sur le plan théorique, libéraux [35] et néomarxistes [36] convergent sur ce point : la société américaine a une capacité de produire et d’exporter des normes sans égales. L’activisme transnational est lié à la société américaine par ses ressources et ses modes d’action tout en s’inspirant de sa tradition philanthropique.
21Cette situation est paradoxale. Les campagnes globales visent essentiellement le monde des États et peuvent ainsi perturber les activités de l’État américain dans l’exercice de sa diplomatie. La critique morale peut constituer une gêne, comme cela a été récemment le cas lors de la seconde guerre contre l’Irak lorsque le gouvernement américain a accepté le coût non dépourvu de risque [37] des conséquences d’une confrontation à un front du refus éthique. Cependant, à la différence des autres États, en raison de leur proximité avec les foyers d’émergence des normes morales, les États-Unis sont souvent en mesure d’anticiper ou de bénéficier de leurs apports. Ils peuvent aussi s’en servir pour forger des coalitions. Il en est ainsi très souvent dans le domaine de la promotion de la démocratie et également dans le cadre de politiques sectorielles, comme la lutte contre la drogue [38].
22Les acquis de la recherche universitaire servent parfois au développement de la politique étrangère américaine. Ainsi, la prestigieuse école de droit de l’Université de Yale, qui a clairement pris parti en faveur de l’application d’un droit international plus exigeant, a eu une incidence sur la politique américaine. Au cours des années 1990, le gouvernement a eu recours à ses travaux. Un des tenants de ce courant, le professeur Harold Hongju Koh [39], fut en charge des droits de l’homme au sein du Département d’État.
23Les institutions américaines visées sont aussi parmi les premières à apporter des réponses à la critique, comme en témoigne le rôle pionnier de l’entreprise Levi’s. À l’échelle gouvernementale, la politique des sanctions a été entièrement revue à la faveur de restrictions financières visant les élites de l’État ciblé [40], notamment en raison de la critique humanitaire des embargos multilatéraux à l’ONU et unilatéraux [41]. En prenant cette décision, l’État américain intègre la critique morale et infléchit ses intérêts en considérant de nouvelles opportunités, en l’occurrence une politique plus efficace des embargos.
24Le néolibéralisme économique des organisations comme l’OMC ou la Banque mondiale et le rôle que l’Amérique occupe au sein de ces institutions sont la cible de violentes critiques. Ces campagnes n’ont pourtant pas déstabilisé ces institutions. Les organisations internationales attaquées au nom de leurs politiques néolibérales tentent parfois d’établir un dialogue avec les ONG et se servent de certaines de leurs idées lorsqu’elles ne mettent pas en question leurs objectifs [42], l’essor de cette critique a essentiellement contribué à créer une nouvelle structure d’action internationale [43]. Un dialogue élaboré en termes moraux s’est aussi engagé entre les activistes et les défenseurs de ces institutions [44].
25Ce phénomène dont l’Amérique est l’épicentre dans le contexte unipolaire de l’après-guerre froide est à la croisée de trois formes de libéralisme. En premier lieu, cette morale de la dénonciation suit le chemin du pluralisme libéral et des droits de l’homme. Les sociétés ouvertes et en tout premier lieu la société américaine accueillent les critiques formulées au nom de la démocratie et de ses droits et encouragent leur exportation. Des interventions militaires peuvent être évaluées au nom de leurs conséquences en termes de droits de l’homme. Deuxièmement, la mise en accusation morale participe du développement du libéralisme économique de l’économie de marché. Les représentants de l’économie de marché sont tenus de rendre des comptes dans un monde où ils ne peuvent plus justifier leur action eu arguant du péril communiste. Le libéralisme économique se tourne vers ses origines, notamment vers sa tradition utilitariste et morale et son éloge d’une honnêteté profitable. L’interdépendance des économies favorise la diffusion des normes de la « responsabilité sociétale » depuis les pays anglo-saxons vers l’Europe continentale. Une troisième dimension libérale participe de ce tournant normatif. Les organisations internationales, notamment les Nations Unies, sont fondées dans la tradition de « l’internationalisme libéral » (liberal internationalism). L’intergouvernemental, le droit international et cosmopolitique comme le multilatéralisme sont ses principes dynamiques et le déblocage du Conseil de sécurité des Nations Unies après la guerre froide a eu pour effet de lui donner du poids. L’internationalisme libéral s’est enrichi de l’apport de l’univers non étatique, ainsi les Nations Unies ont accordé davantage de place aux représentants des sociétés civiles. Le programme du Global Compact, l’association entre ONG et multinationales autour de la définition de nouveaux codes de conduite pour les entreprises, reflète ce changement [45]. Dans le contexte de ces trois libéralismes, une critique morale formulée au nom des conséquences d’un acte international a pris une place considérable.
Le conséquentialisme global et la raison contrefactuelle
26Ce conséquentialisme a pour socle une analyse contrefactuelle, c’est un des traits communs les plus importants de ces appels à la moralité. En tant que science, l’étude des contrefactuels a vu le jour dans le champ de la logique, notamment dans la lignée des études de Hume et Stuart Mill. Elle s’est ensuite prolongée sur le terrain des sciences sociales tout particulièrement dans le monde anglo-saxon (Fearon, 1991 ; Rose et Olson, 1995 ; Tetlock et Aaron, 1996). Ce savoir est aujourd’hui appliqué de manière le plus souvent implicite dans la mise en accusation morale, notamment lorsqu’il s’agit de questions internationales.
27La comparaison est une des finalités et un des enjeux principaux de la contrefactualité ainsi que de ses usages. En premier lieu, l’opération contrefactuelle produit une réalité qui aurait pu avoir lieu. Du point de vue des sciences sociales une telle ambition est tout à fait légitime (Weber, 1905). À un autre niveau, dans la mobilisation morale, ce regard sur le monde est fort d’implications qui posent question : afin de susciter l’indignation, la réalité reconstruite est comparée à la réalité avérée.
28Cette opération obéit à des règles. La contrefactualité est tenue de respecter la « co-tenabilité » (Elster, 1978). Le monde qui aurait pu ou qui pourrait exister doit être compatible, dans son développement, avec la réalité telle qu’elle est advenue ou adviendra. Pour nombre de ses théoriciens, la contrefactualité est une réalité (Lewis, 1973) qui se distingue de la fiction historique ou du récit imaginaire.
29Les études sérieuses qui ont mis en cause les récits officiels des États ou des entreprises ont voulu respecter cette règle. Niall Ferguson, un des historiens qui s’est le plus investi dans une théorie de la contrefactualité appliquée aux sciences sociales [46], démontre que l’Allemagne aurait pu payer les réparations exigées lors du traité de Versailles [47]. Contrairement à l’idée la plus couramment répandue suivant laquelle l’Allemagne aurait été prise à la gorge et mise dans l’impossibilité de répondre à des exigences irréalistes et injustes [48], cet historien de l’économie a établi un récit alternatif en expliquant qu’une autre solution aurait été possible. L’Allemagne n’a pas voulu payer et a convaincu un large public de profanes, d’experts et d’historiens que la politique de Versailles était aussi absurde qu’immorale [49].
30Dans leurs campagnes, les activistes moraux font un usage intensif d’une catégorie spécifique de contrefactuels dénommée par les sciences cognitives spotlight counterfactuals. La critique de l’attitude des Occidentaux face à Milosevic au cours des années 1990 est une bonne illustration de ce mécanisme (Turner, 2001). Si Chamberlain n’avait pas cédé devant Hitler, l’Allemagne n’aurait pas envahi l’Europe ; dès lors ceux qui ne s’opposent pas à Milosevic sont les Chamberlain d’aujourd’hui. Cette interpellation se donne pour objectif de susciter l’indignation auprès du public et la honte chez l’institution mise en cause par les activistes. La honte est le résultat d’une association (blending) entre deux récits superposés l’un à l’autre. Suivant des expertises médicales fiables, le nombre d’enfants morts de moins de cinq ans a augmenté de 227 000 par rapport à la période précédente lorsque l’embargo a été mis en place contre ce pays. En conséquence, comme le proclament leurs critiques, si les Nations Unies et l’Amérique n’avaient pas décidé d’appliquer ce régime, ces enfants seraient vivants. La conclusion par le blending est la suivante : les Occidentaux sont des « tueurs d’enfants », l’embargo « est » un génocide.
31Le mécanisme du spotlighting repose entièrement sur la superposition de deux réalités, en l’occurrence un fait historique identifié à une atrocité et une autre décision particulièrement odieuse. La comparaison des injustices et des atrocités est aujourd’hui une question stimulante. Lorsqu’elle obéit aux règles qu’elle se donne elle fait progresser la connaissance de l’histoire. Pourtant, lorsque la comparaison se transforme en une équivalence pure et simple entre deux séquences historiques les abus sont fréquents : l’usage de la catégorie de génocide dans le cas irakien en témoigne. La contrefactualité est ici manipulée, dictée par des considérations partisanes qui mettent en cause sa cohérence.
32Pour autant, ces débats font apparaître une question essentielle. L’application de la contrefactualité à l’évaluation de décisions passées ou présentes nourrit une large réflexion sur la contingence et la nécessité. La contrefactualité se situe du côté de la contingence, son usage met à mal les certitudes officielles. Cette morale se fait la critique des grands récits qui tendent à exonérer ces institutions de leurs responsabilités au nom du fait qu’elles n’auraient pas pu agir autrement et attaque violemment la barrière du secret derrière laquelle se protègent parfois les gouvernements arguant de la raison d’État. Ce conséquentialisme engage à une réflexion morale sur la liberté d’agir [50].
Les séries causales
33Quelles sont les limites causales, spatiales et temporelles de ce type d’accusation ? En identifiant une décision qui, par une série d’enchaînements, provoque in fine la souffrance de certaines victimes, les entrepreneurs moraux remontent une série causale parfois d’une grande amplitude. Dans nombre de médias, il est couramment admis que les multinationales sont la prolongation du colonialisme et sont à ce titre en grande partie responsables de la famine en Afrique. Ce raisonnement (ou plutôt l’absence de raisonnement) devient inquisitoire. Une mauvaise gestion d’une entreprise – un scandale financier qui entraîne des licenciements et la fermeture de la firme – pourrait avoir des répercussions graves sur les pays où cette entreprise est installée et occasionner des pertes de richesse dans les régions où elle est établie. L’entreprise est-elle pour autant responsable de ce manque à gagner des employés qu’elle se voit contrainte à renvoyer ? Lorsque des ONG prennent à parti les décideurs du Nord, elles usent parfois de cette image qui établit un lien direct entre l’entreprise du Nord et l’irresponsable incurie dont elle fait preuve vis-à-vis de l’enfant en proie à la famine en Afrique. En conséquence, par la voie du blending, ses dirigeants sont des « négriers ».
34Plus la série causale est longue entre le moment de la décision jugée fautive et de ses conséquences sur les victimes, plus la responsabilité est difficile à définir. La décision de bombarder un pays dans une guerre considérée juste qui aurait des répercussions négatives sur la politique d’un voisin de cet État et par effet de ricochet sur sa population se révèle difficile à critiquer. Par ailleurs, l’Amérique est-elle responsable, au nom de la traite transatlantique et de sa politique esclavagiste, des difficultés dont souffrent aujourd’hui les Afro-Américains aux États-Unis ? Faut-il restituer aux Indiens les terres conquises par les Occidentaux en Amérique ? Ces questions hantent les débats à propos des réparations et des restitutions. Par souci de pragmatisme, il est sage de se référer à des auteurs classiques qui ont été confrontés à des questions similaires. Dans son Droit de la guerre et de la paix, Grotius considère que les demandes de réparations et de restitutions ne sauraient être entendues au-delà de trois générations [51]. Au nom de la contrefactualité et du critère de co-tenabilité, certains philosophes contemporains sont résolument défavorables à l’idée de la restitution des terres dont les Indiens ont été spoliés il y a cinq ou six siècles (Waldron, 1992) [52].
35En raison de la place qu’occupe aujourd’hui la mémoire, ces adresses ont un large impact médiatique. Dans ce contexte, et cela malgré certains de leurs excès, elles contribuent à un débat enrichissant. Des historiens se penchent sur ces dilemmes moraux. Si les alliés avaient décidé pendant la guerre de bombarder Auschwitz, les nazis auraient-ils commis moins d’atrocités [53] ? Auraient-ils pu le faire ? La mise en accusation de la politique des alliés permet, à travers la concurrence des savoirs qu’elle induit, d’approfondir des connaissances historiques tout en renforçant un débat sur la légitimité des interventions militaires.
Les nouvelles responsabilités
36Ces débats mènent à une définition de la notion de responsabilité, notamment à travers l’élaboration de deux de ses aspects. La critique des Nations Unies ou du comportement des multinationales interroge en premier lieu le caractère direct ou indirect de la responsabilité. Les institutions visées ne sont pas directement responsables du crime qui a en premier lieu frappé les victimes défendues par les activistes et qui les a fragilisées en les exposant à d’ultérieurs préjudices. Les accusés sont principalement mis à l’index en raison du profit qu’ils auraient retiré à la faveur d’une injustice première dont ils n’ont pas été les architectes. Cette dénonciation internationale stigmatise aujourd’hui la conduite des collaborateurs et des complices, et plus généralement des profiteurs. Elle inclut ceux qui laissent se prolonger une injustice, notamment parce que leurs intérêts leur ont dicté de ne pas agir.
37Dans le contexte de l’interdépendance globale [54], la responsabilité indirecte des institutions est au cœur de cette morale conséquentialiste. Commercer avec un dictateur et éventuellement ainsi contribuer à asseoir son autorité n’a pas la même valeur que participer directement à la politique d’oppression dont la population de cet État est victime. Les responsabilités internationales gagnent en lisibilité en étant plus différenciées.
38Il est nécessaire de prendre en compte une pluralité d’organisations, États et agents non gouvernementaux, pour traiter les dilemmes au cœur de ces campagnes. Un deuxième aspect de la responsabilité occupe dès lors une large place dans cette critique : la responsabilité collective. Alors même que celle-ci a traditionnellement été mise entre parenthèses dans plusieurs types de droit et de morale, elle fait aujourd’hui retour. Une accusation formulée en ces termes vise à stigmatiser des processus internes qui ont conduit une institution à adopter une politique dommageable pour des tiers. Cette investigation a pour ambition d’interroger la place d’un groupe spécifique ayant joué un rôle significatif dans cette décision [55]. Si l’on considère que, par la délibération qu’elle institue en son sein, une organisation est dotée d’une capacité d’analyse des conséquences de ses actes, il est possible de la désigner responsable au nom des conséquences négatives de la décision qu’elle a prise [56]. Un groupe de personnes qui n’a pas empêché une injustice d’être commise doit être confronté à sa responsabilité, qui est supérieure à la somme des responsabilités des individus qui constituent le groupe [57]. Le présupposé de cette imputation est le libre choix des membres de ce groupe dans un environnement où il est possible de hiérarchiser les décisions suivant la valeur de leurs conséquences.
39Les deux catégories de responsabilité indirecte et de responsabilité collective permettent de renouveler une réflexion qui, au nom du marxisme comme du christianisme, s’était pendant longtemps contentée de décrier « l’égoïsme proverbial » des nations [58]. Le maniement de ces catégories s’avère toutefois délicat. Commercer avec un dictateur est certes un choix qui engage la responsabilité de tout un collectif, mais la dénonciation de ce comportement en termes de responsabilité collective peut conduire à une aporie : si le groupe est dans son ensemble responsable, personne ne l’est vraiment. Cette impasse peut être évitée. Un règlement monétaire est la preuve d’une responsabilité collective de la personne morale contrainte d’en accepter les termes. Cette solution complète le jugement pénal d’un ou plusieurs individus spécifiquement en cause ainsi qu’un éventuel jugement moral sur leur culpabilité individuelle.
L’évaluation de l’accusation
40Dans des espaces sociaux qui donnent à la dénonciation morale autant de place, les critiques sont à leur tour amenés à se justifier sous peine d’être mis en accusation, d’être discrédités et ne plus être en mesure d’exercer leur fonction. Leur réputation est en jeu dans un marché de la critique très concurrentiel. Ce mécanisme régulateur permet d’éviter certains mensonges et des diffamations abusives.
41Les entrepreneurs moraux sont le plus souvent jugés en fonction de la véracité des faits qu’ils rapportent. D’autres règles méthodologiques et déontologiques devraient également être prises en compte dans l’évaluation de ces dénonciations ; voici celles qui nous semblent les plus appropriées. En premier lieu, ces adresses se doivent de respecter les règles d’usage des contrefactuels dans la mesure où, tout du moins implicitement, elles y ont recours. L’évaluation des experts doit être vérifiable, tout comme les organisations qui les emploient se doivent d’être transparentes et accountable. Ces débats doivent avoir lieu dans une arène démocratique délibérative qui restreint la possibilité d’éventuelles dérives populistes. La dénonciation de l’irresponsabilité ne doit pas être motivée par une critique de la démocratie en tant que telle. Lorsqu’elles conduisent à une accusation définie en termes de responsabilité collective, ces accusations doivent se prévenir des impasses du culturalisme. Les groupes visés ne sont pas naturellement déterminés, ils sont socialement construits. L’action des entrepreneurs moraux ayant pour objectif de travailler avec leurs accusés devrait être favorisée au détriment des initiatives qui visent à leur exclusion. Leur finalité n’est pas l’élimination des irresponsables mais la réforme de leurs politiques. Enfin, ces changements sont destinés à renforcer le rôle des individus plutôt que de consolider des stratégies d’organisations bureaucratiques. Pour autant, elles doivent, à terme, être en mesure d’améliorer le fonctionnement des institutions politiques, économiques et juridiques qui s’en inspireraient.
42La généralisation de l’accusation morale a principalement pour effet de décentrer la prise de décision internationale de son schéma le plus classique, la poursuite de l’intérêt national et la maximisation de la puissance par la stratégie et la diplomatie. Ces campagnes et les réactions qu’elles suscitent au sein du « monde des États » attestent de la place de la morale dans la définition de la puissance [59] et du rôle accru de la réputation dans la conduite des institutions [60]. Confrontées à leurs critiques, les institutions élaborent des stratégies en adéquation avec une nouvelle définition de leurs intérêts. En provoquant un débat sur les conditions et la mesure de la souffrance visant à l’amélioration des conditions de la vie, le processus itératif [61] de la mise en accusation s’inscrit dans un des processus d’évolution cognitive les plus significatifs des relations internationales du XXe siècle [62].
Notes
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[1]
Terry Nardin, David Mapel, Traditions of International Ethics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. Voir plus particulièrement : « Chapter 2 : The Tradition of International Law », p. 23-41.En ligne
-
[2]
Hans Morgenthau (1948), Politics among Nations, New York, Mc Graw Hill, 1985, p. 10.
-
[3]
Charles Beitz, Political Theory of International Relations, Princeton, Princeton University Press, 1979, p. 20.
-
[4]
E. H. Carr (1939), The Twenty Years Crisis, New York, Harpers Row, 1964, p. 79.
-
[5]
Parmi de très nombreuses réparties qui lui sont reprochées, on peut mentionner : « Pourquoi devrions-nous nous flageller de ce que les Cambodgiens se sont faits à eux-mêmes ? » (nous traduisons). Selon l’historien Ben Kiernan, la politique américaine aurait favorisé la prise de pouvoir de Pol Pot par ses bombardements massifs qui ont détruit toute l’organisation sociale de ce pays. Kissinger n’est pas le seul représentant de cette tradition. Ce sont les propos d’Eisenhower en référence au dictateur Somoza : « C’est peut-être un salaud, mais c’est notre salaud » (nous traduisons et soulignons).
-
[6]
Woodrow Wilson, qui était professeur de science politique avant d’être élu à la présidence, considérait que l’Amérique devait « sauver » le monde en se faisant l’apôtre de la démocratie.
-
[7]
La figure la plus importante de ce courant est James Rosenau dont l’ouvrage d’une influence considérable Turbulence in world politics, Princeton, Princeton University Press, 1990, est toujours au cœur du débat sur le rapport entre les États et les acteurs non gouvernementaux.
-
[8]
Elle a été importée de la sociologie et notamment des travaux de Becker. Howard Becker, Outsiders : Studies in the Sociology of Deviance, New York, Free Press, 1963, p. 148. Elle fait son apparition pour caractériser le rôle de certains activistes dans la mise en place de régimes de normes où la morale joue un rôle important en tant que point de rassemblement de la mobilisation transnationale.
-
[9]
Margaret Keck, Kathryn Sikkink, Acvists Beyond Borders Advocacy Networks in International Politics, Ville, Cornell University Press, 1998. Voir plus particulièrement : « Transnational advocay networks in international politics », p. 1-38.
-
[10]
Thomas Risse Kappen, « Ideas do not float freely : Transnational coalitions, domestic structures and the end of the cold war », International Organization, 1994, vol. 48, no 2, p. 185-214. Voir notamment, p. 185-188.En ligne
-
[11]
Yves Dezallay, Brian Garth, « Merchants of law as moral entrepreneurs : Constructing international justice from the competition for transnational business disputes », Law and Society Review, 1995, 29 (1), p. 27-64.En ligne
-
[12]
John, Bolli, George Thomas (ed.), « INGOs and the construction of world culture », in John Boli, George Thomas (eds), Constructing World Culture : International Nongovernmental Organizations since 1875, Stanford, Stanford University Press, 1999, p. 13-59.
-
[13]
Pour une analyse de ces mobilisations et une évaluation morale de la politique de sanctions : David Cortright, George Lopez, « Are sanctions just ? The problematic case of Irak », Journal of International Affairs, spring 1999, 52 (2), p. 735-756.
-
[14]
Robert, O’Brien, Anne Marie Goetz, Jan Art Scholte, Marc Williams, Contesting Global Governance Multilateral Institutions and Global Social Movements, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.En ligne
-
[15]
Pour une analyse très détaillée de ces mobilisations et une liste des principaux activistes : Kimberly Elliott, « White Hats or Don Quixotes », National Bureau of Economic Research Conference on Ermerging Market Labor Institutions, august 2000, 43 p.
-
[16]
Pour une réflexion d’ensemble sur ce vaste phénomène : Eliazar Barkan, 2000, The Guilt of Nations Restitution and Negotiating Historical Injustices, New York, Norton.
-
[17]
Dans le cas de l’Amérique latine et de la défense des droits de l’homme : Kathryn Sikkink, « Human rights, principled issue-networks, and sovereignty in Latin America », International Organization, 1993, vol. 47, no 3, p. 411-441.En ligne
-
[18]
Peter Haas, « Introduction : Epistemic communities and international policy coordination », International Organization, 1992, vol. 46, no 1, p. 1-36.En ligne
-
[19]
Le Vatican avait dénoncé l’usage inconsidéré des sanctions économiques.
-
[20]
Notamment Washington Office on Latin America (WOLA) et Pax Christi Hollande.
-
[21]
Irving Horowitz, « The [US] Cuba Lobby then and now », Orbis, 1998, 42 (4), p. 553 sq.En ligne
-
[22]
François Tricaud, L’accusation éthique recherche sur les figures de l’agression éthique, Paris, Dalloz, 1977.
-
[23]
Harold Garfinkel, « Conditions of successful degradation ceremonies », American Journal of Sociology, 1956, vol. 61, no 5, march.
-
[24]
C’est le terme utilisé par les ONG. Robert Drinan s.j., The Mobilization of Shame a World View of Human Rights, Yale University Press, 2002, p. 3 sq. En décrivant le développement des droits de l’homme, l’auteur s’interroge sur leur sens moral et sur la capacité de ses promoteurs à désigner comme honteux certains comportements.
-
[25]
L’impact des communautés dans la formation de la politique étrangère américaine et les négociations auxquelles les États-Unis participent a fait l’objet de travaux récents. Tony Smith, The Power of Ethnic Groups in the Making of American Foreign Policy, Harvard, Harvard University Press, 2000. Voir plus particulièrement : « Chapter 3 : Gaining influence in Washington », p. 85 sq.
-
[26]
Pour un argumentaire plus détaillé sur le caractère résolument novateur de ces demandes, je me permets de renvoyer à un travail antérieur. Ariel Colonomos, « L’exigence croissante de justice sans frontières : le cas des demandes de restitutions de biens juifs spoliés », Études du CERI, 2001, no 78, juillet.
-
[27]
Cette loi date de 1789. Elle n’est appliquée pour la première fois qu’en 1980 (Filartiga v. Pena-Irala, 630 F.2d 876 (1980)) et son usage devient systématique au cours des années 1990 dans le cadre de plaintes en collectif. On compte aujourd’hui à peu près une centaine de recours en justice de ce type ; la très grande majorité a été déposée à partir du début des années 1990. Pour une analyse de ses effets sur les entreprises : Elliot Schrage, « Judging Corporate Accountability », Columbia Journal of Transnational Law, 2003, vol. 42, no 153, p. 154 sq.
-
[28]
Le droit de la transition démocratique prend un essor nouveau avec la fin du communisme dans les pays de l’Est. Ruti Teitel, « Transitional justice genealogy », Harvard Human Rights Journal, 2003, vol. 16, p. 69-94. Pour une analyse de la justice des transitions qui suit la guerre froide et de ses acteurs nationaux et transnationaux, voir p. 78-85.
-
[29]
James Rosenau désigne cet espace par le terme de « state-centric world », qu’il oppose au « multi-centric world » (James Rosenau, op. cit., « Chapter 10 : The two worlds of world politics », p. 243-297).
-
[30]
Statuts de Rome de la Cour Pénale Internationale, art. 75 et 79, p. 43 et 44.
-
[31]
Glen Peters and Georges Enderle, The Emerging Relationship between NGOs and Transnational Companies, Price WaterHouse Cooper, 1998. Voir plus particulièrement l’appendice : « The survey NGO expectations from transnational corporations (TNCs) ».
-
[32]
Austin Sarat, Stuart Scheingold, « State transformation, globalization and the possibilities of cause lawyering », in Austin Sarat, Stuart Scheingold, Cause Lawyering and the State in the Global Era, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 13.
-
[33]
L’idéalisme américain wilsonien est une tradition qui perdure tout au long du XXe siècle (malgré l’attachement au réalisme pendant la guerre froide), Tony Smith, America’s Mission : the United States and the Worldwide Struggle for Democracy in the Twentieth Century, Princeton, Princeton University Press, 1994.
-
[34]
Cf. supra, n. 28.
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[35]
Joseph Nye, « Soft Power », Foreign Policy, automne 1990, 80, p. 153-171.
-
[36]
Susan Strange a identifié les quatre fondements de la puissance qui font de l’Amérique un rival inégalé, la sécurité, la production, la finance et la connaissance. Dans ce dernier registre, la production de normes occupe une place centrale. Susan Strange, « The persistent myth of lost hegemony », International Organization, 1987, vol. 41, no 4, p. 551-574.
-
[37]
Dans une vision libérale, une telle décision n’est pas moralement appropriée (l’accent est mis sur la priorité de la recherche du consensus). Elle est également préjudiciable. Ses conséquences seront à terme négatives en raison de la difficulté que les États-Unis rencontreront dans la constitution de coalitions futures lorsqu’ils en éprouveront le besoin.
-
[38]
Ethan Nedelmann, « Global prohibition regimes : The evolution of norms in international society », International Organization, 1990, vol. 44 no 4, p. 511. L’auteur souligne l’interaction entre le gouvernement américain et les entrepreneurs moraux transnationaux dans la formation de coalitions intergouvernementales.
-
[39]
En tant que juriste et diplomate, il a souligné à plusieurs reprises le rôle du facteur transnational dans la définition de la loi. Voir notamment : Harold Hongju Koh, « Why do nations obey international law ? », Yale Law Journal, année, vol. 106, no 8, p. 2599.
-
[40]
George Lopez, « More ethical than not economic sanctions as surgical tools », Ethics and International Affairs, 1999, 13, p. 143-148.
-
[41]
En 2000, à la suite de la campagne contre l’embargo cubain imposé par les États-Unis, le Congrès décide la reprise du commerce de biens alimentaires et pharmaceutiques avec l’île.
-
[42]
Robert O’Brien et al., op. cit. « Chapitre 2 : The world bank and women’s movements » (p. 24-66) « et » Chapter 4 : The world bank, the WTO and the environmental social movement « (p. 109-158). Les auteurs prennent notamment l’exemple de la critique par des mouvements de femmes de la politique de la Banque mondiale dans les pays du Sud et des critiques de l’OMC. Dans un cas comme dans l’autre, ils montrent que ces activistes sont parvenus à faire reconnaître la légitimité de leurs critiques par les institutions auxquelles ils s’adressent. Sur le plan formel, la Banque mondiale a apporté des réponses à ces demandes (p. 63-66). Les critiques de l’OMC ont fait prendre conscience aux dirigeants de cette organisation du nécessaire dialogue avec la société civile (p. 106-108).
-
[43]
Les auteurs la désignent sous le terme de « multilatéralisme complexe » (ibid., p. 206-234).
-
[44]
Voir notamment Jagdish Bhagwati, in Defense of Globalization, Oxford, Oxford University Press, 2004. Plus particulièrement : « Part II : Globalization’s human face : Trade and corporation, Chapter 5 : Poverty enhanced or diminished », p. 50-72.
-
[45]
Certains sociologues ont vu dans ce processus l’avènement d’une « société civile globale » (John Boli, George Thomas, op. cit. ; Ronnie Lipschutz D., « Reconstructing world politics : The emergence of global civil society ? », Millennium : Journal of International Studies, 1992, vol. 21, no 3, p. 389-420).En ligne
-
[46]
Ferguson (1997), Rosenfeld (2002).
-
[47]
Ferguson (1999).
-
[48]
Ces réparations auraient été d’autant plus néfastes, car, pour certains, elles auraient entraîné ou favorisé la montée du nazisme.
-
[49]
Rappelons que Keynes avait quitté Versailles en dénonçant l’injustice de la politique des réparations.
-
[50]
La réflexion de G. E. Moore est éclairante sur ce point. Celui-ci considère qu’une action est juste si l’agent n’avait rien pu faire d’autre qui aurait produit de meilleures conséquences (G. E. Moore, « Free will », in Principia Ethica (1903), Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 311).
-
[51]
Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, Paris, PUF, 1999, livre II, chap. XXIII : « Les causes douteuses », VII, 2.
-
[52]
Waldron considère qu’il est impossible de savoir ce que ces terres seraient devenues au cours d’un temps aussi long. Elles auraient pu être cédées ou abandonnées par les Indiens. Dans le cadre d’une politique sociale, il est possible d’imaginer d’autres formes de justice visant à compenser les inégalités.
-
[53]
Pour un débat très contrasté entre historiens : Levy (1996), Neufeld et Berenbaum (2000), et Wyman (1984).
-
[54]
Samuel Scheffler, Problems of Justice and Responsibility in Liberal Thought, Oxford, Oxford University Press, 2001. Voir plus particulièrement, « Chapter 2 : Responsibility in a global age », p. 34-38. Certes, l’interdépendance globale s’est accentuée, en conséquence les conséquences d’un acte sont toujours plus difficiles à évaluer, mais notre connaissance et nos capacités d’observation se sont considérablement accrues, au point de rendre davantage lisible qu’auparavant un environnement au demeurant plus complexe.
-
[55]
Peter French, « Morally blaming whole populations », in Virginia Held, Sidney Morgenbesser, Thomas Nagel (eds), Philosophy, Morality and International Affairs, New York, Oxford University Press, 1974, p. 266-285. Une collectivité produit des décisions qui ne sont pas réductibles à l’action de ses membres, pas plus qu’un groupe n’est une collection d’individus. Pour évaluer une décision collective, il faut envisager les autres possibilités que le groupe aurait pu choisir, voir p. 280-284.
-
[56]
D. E. Cooper, « Collective responsibility », in Peter French (dir.), The Spectrum of Responsibility, New York, Saint Martin’s Press, 1991, p. 255-264. Sur le plan international, cette exigence se traduit par des actes comme l’intervention militaire humanitaire et les demandes de responsabilité sociétale pour les entreprises.
-
[57]
Virginia Held, « Can a random collection of individuals be held responsible ? », Journal of Philosophy, 1970, LXVIII, 14, p. 471 sq.En ligne
-
[58]
Reinhold Niebuhr, Moral Man and Immoral Society, New York, Scribner’s, 1932.
-
[59]
Rodney Hall, « Moral authority as power resource », International Organization, 1997, vol. 21, no 4, p. 591-622.En ligne
-
[60]
Peter van Ham, « The rise of the brand state », Foreign Affairs, 2001, vol. 80, no 5, octobre, p. 2-7.
-
[61]
Ernst Haas, « Words can hurt you or who said what to whom about international regimes », in Stephen Krasner (dir.), International Regimes, Ithaca, Cornell University Press, 1983, p. 25-26 et 57.
-
[62]
Emanuel Adler, « Cognitive evolution : A dynamic approach for the study of international relations and their progress », in Emanuel Adler, Beverly Crawford (dir.), Progress in Postwar International Relations, New York, Columbia University Press, 1991, p. 55.