CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En 1925, quand reparaît L’Année sociologique, Mauss est écartelé entre différentes exigences qui l’amènent immanquablement à éparpiller son travail et ses forces entre son œuvre d’ethnologue, de sociologue, et, dans la foulée, de nouveau « chef de file » de l’École française de sociologie. En même temps qu’il revendique la perpétuation de l’œuvre de Durkheim , il s’en démarque à bien des égards quand il entreprend une série de réflexions destinées à renouveler la posture sociologique. La parution de ce numéro inachevé de L’Année sociologique, dont cette livraison exhume quelques documents inédits, en est d’ailleurs un indice. Néanmoins, on ne saurait uniquement y voir qu’un échec, car le travail de Mauss, même s’il révèle un bilan en demi-teinte, s’accompagne de quelques réussites notoires.

L’œuvre institutionnelle et pédagogique de Mauss

Faire l’ethnologie

2Mauss a depuis longtemps à cœur d’œuvrer au développement institutionnel de l’ethnologie. Une fois la guerre terminée, il s’attelle à cette tâche qui paraît d’autant plus urgente et difficile qu’une grande partie des collaborateurs de L’Année sociologique sont morts au combat [1].

3Il estime par ailleurs que le champ d’études des sciences sociales s’élargit, notamment du fait de l’extension de l’empire colonial. Bref, « il faut [...] recruter de nouveaux élèves, constituer des laboratoires, faire appel aux pouvoirs publics pour réorganiser toutes les sciences anthropologiques. Nous n’avons pas en France de musée d’ethnographie digne de ce nom ; nous n’avons pas de laboratoires spécialement dédiés à l’étude des indigènes ; la sociologie n’existe pas chez nous. Le grand public ignore tout de nos recherches » [2].

L’Institut d’ethnologie

4Précisément, 1925 est surtout l’année de la création de l’Institut d’ethnologie, qui est pour lui un indéniable succès après un travail de longue haleine. Dès avant la guerre, Mauss avait envoyé au ministre de l’Instruction publique un « projet de création d’un institut d’ethnologie » à but théorique (il s’agit de récolter toutes sortes de documents pour l’ethnologie, l’histoire, l’anthropologie, la sociologie) en même temps que pratique (asseoir une politique coloniale qui tienne compte de la réalité des sociétés locales) [3].

5L’idée s’était concrétisée dès 1924, quand Mauss avait pris contact avec Lucien Lévy-Bruhl [4] et Paul Rivet [5], tous deux intéressés au développement de l’ethnologie, qui touche de près leurs enseignements. Les statuts, sans doute rédigés par Mauss, stipulent que « cet Institut a pour objet de coordonner, d’organiser et de développer les études ethnographiques, en particulier celles qui se rapportent aux colonies françaises, de former des travailleurs pour ces études, et de publier leurs travaux. L’Institut pourra envoyer des missions aux colonies et exceptionnellement ailleurs, il pourra subventionner des publications aux colonies, dans la mesure de ses ressources » [6].

6La formation comprend plus précisément « les méthodes de la recherche et de la description ethnographiques – les institutions des indigènes, en particulier, leurs langues, leurs religions, leurs coutumes, leurs techniques – leur histoire et leur archéologie – leurs caractères anthropologiques » [7]. Mais surtout « l’Institut décernera un diplôme d’études ethnographiques ». Les activités pédagogiques de l’Institut prennent rapidement de l’ampleur et Mauss s’y investit activement, se chargeant du cours d’ethnographie descriptive, qui est, de l’avis de Marcel Fournier , la charge d’enseignement la plus lourde [8], et qui s’inspire directement du programme de recherche esquissé dans « Divisions et proportions des divisions de la sociologie », un texte publié en 1927 [9].

7Avec l’Institut, Mauss dote l’ethnologie d’un domaine d’étude empirique et d’un savoir-faire que ses élèves partent explorer. Toute une nouvelle génération d’ethnologues, à l’instar de Germaine Dieterlen et Paul-Henri Chombart de Lauwe, apprend son métier d’enquêteur en allant tester sur le terrain les intuitions, les résultats et les remarques du professeur. Son enseignement peu académique dont la formule lui sied particulièrement, et qui instaure une relation pédagogique de type socratique entre lui et son équipe se révèle être un choix judicieux. C’est aussi avec Mauss que des gens comme Georges Dumézil , Alexandre Koyré, Alfred Métraux dans les années 1920, puis la décennie suivante les Roger Caillois , Louis Dumont, Maurice Leenhardt, Michel Leiris, André Leroi-Gourhan, Pierre Métais, Maxime Rodinson, André Schaeffner , Jean-Pierre Vernant, Jacques Soustelle... font leurs premières armes, et se découvrent une vocation.

Le Pr Mauss

8Cet enseignement apparaît comme un complément à celui qu’il donne par ailleurs à l’École pratique des hautes études dans lequel il traite d’exemples illustratifs du plan général présenté à l’Institut, car il s’apparente plus à des études de cas effectuées au moyen de commentaires de documents.

9À l’EPHE, Mauss enseigne l’histoire des religions des peuples non civilisés en tant que directeur d’études, depuis 1914. Il ne quittera plus ce poste jusqu’à la fin de sa carrière. Cette décision n’avait d’ailleurs pas été sans créer sans quelques heurts avec Durkheim , qui voulait voir son neveu se consacrer plus complètement à sa thèse sur la Prière, qui restera d’ailleurs inachevée [10]. Ses cours s’inscrivent comme on le voit dans le cadre de disciplines très spécialisées qui ne concernent que quelques étudiants passionnés. Il n’est pas docteur, ni normalien, par choix [11]. Il garde toute sa vie cette attitude car « même quand son autorité fut partout reconnue, quand sa nomination au Collège de France eut consacré son renom, Mauss ne fut jamais un pontife » [12]. Ce caractère singulier se ressent aussi bien dans la forme, que dans le contenu de son enseignement qui est marqué par « une jeunesse d’esprit et de tempérament qui l’inclinait à rechercher la société des étudiants, des chercheurs, plus que celle des hommes d’âge » [13]. Son cours, très axé sur la lecture des auteurs et la discussion de leurs résultats, brise le cadre des conventions. Le professeur est lâche sur les horaires, arrive et repart en retard.

Le nouveau chef de file de l’École française de sociologie

10Il lui est néanmoins difficile de se consacrer à plein temps à cette tâche, et il semble en souffrir. De par les liens de parenté qui l’unissent à Durkheim , il est persuadé, et on l’y incite par ailleurs largement, qu’il est investi d’une mission de préservation à l’égard de la sociologie durkheimienne. Cela fait de lui le nouveau chef de file présumé de l’École de française de sociologie. Il se considère bon gré mal gré comme le légataire de Durkheim, et il perçoit la perpétuation de sa mémoire et de l’esprit de son équipe comme un devoir, et une tâche qui lui incombe plus particulièrement. Mais c’est pour lui, qui semble relativement fragile [14], une charge bien lourde à porter.

Perpétuer l’œuvre de Durkheim et de ses collaborateurs

11Comme tous les collaborateurs de L’Année sociologique première série, il a été formé par le travail fourni en commun dans l’équipe. Et, ce devoir de faire œuvre de perpétuation se fait très aigu chez lui, qui, en tant que neveu, et élève du fondateur de la sociologie universitaire, marqué par une « culture familiale » dans laquelle cette double filiation tient une place importante, sent peser sur ses épaules la fonction représentative qui désormais lui incombe. « Après la mort de Durkheim , j’ai un peu dû tenir sa place. J’ai défendu la sociologie un peu partout et de temps en temps transigé en sa faveur. » [15]

12Au moment de la parution de la deuxième série de L’Année sociologique, il annonce qu’il va falloir reprendre le flambeau de la tradition instaurée par Durkheim  : « C’est dans une atmosphère de sympathie et d’encouragement que nous reprenons la tradition interrompue. » [16] Évoquant la mémoire du « maître » et de ses collaborateurs morts au combat, il estime que « leur autorité grandit », ce en quoi « elle alourdit notre responsabilité et nous impose un dur devoir : ne pas laisser baisser le niveau où ils avaient élevé la chose commune » [17]. En conséquence, il n’y a pas d’autre choix que se mettre à la tâche :

« Travaillons encore quelques années. Tâchons de faire quelque chose qui honore leur mémoire à tous, qui ne soit pas trop indigne de ce qu’avait inauguré notre Maître [...] C’est dans cet esprit de fidèle mémoire à Durkheim et à tous nos morts ; c’est en communion encore avec eux ; c’est en partageant leur conviction de l’utilité de notre science ; c’est en étant nourris comme eux de l’espoir que l’homme est perfectible par elle [...] que nous reprenons tous fortement, avec cœur, la tâche que nous n’avons jamais abandonnée. » [18]

13Dans le deuxième tome de la revue, paru quelques années plus tard, il insiste sur la continuité entre les travaux de l’avant et de l’après-guerre, afin de ne pas « perdre l’autorité que nous tenons de Durkheim  » [19]. C’est pourquoi « nous n’altérons rien du cadre que Durkheim avait lentement élaboré. Nous suivons l’ordre ancien ». Il importe avant tout de « continuer une tradition respectable » [20]. L’esprit de Durkheim doit rester présent et Mauss s’y emploie.

Publier les œuvres des amis disparus

14Or Mauss prend tellement à cœur cette mission de « gardien de la tradition durkheimienne » qu’il s’en acquitte en partie au détriment de la promotion de sa propre œuvre, fournissant des efforts non négligeables pour faire connaître du public des travaux inédits de Durkheim , et de certains de ses collaborateurs.

15« Il prolongea les travaux de ses camarades disparus. Bien plus, au détriment de ses propres recherches, il assuma le lourd travail d’édition, d’achèvement et de publication des manuscrits laissés par Durkheim , Hubert ... Hertz et les autres », écrit Evans-Pritchard [21]. En effet Mauss s’occupe tour à tour de la publication des œuvres de Hertz (parues sous le titre de Mélanges de sociologie religieuse et de folklore, en 1928) puis de celles d’Hubert qui donneront les ouvrages sur les Celtes (publié en 1932 sous le titre Les Celtes et l’expansion celtique), et sur Les Germains (qui ne sort lui qu’en 1952). Il se plaint d’ailleurs de la lourdeur de cette tâche qui principalement dans les années 1920 l’absorbe beaucoup. Abnégation, générosité, dévouement, tels sont les qualificatifs qui reviennent souvent sous la plume des commentateurs (et admirateurs) de Mauss.

16En somme, il nous semble que ce qu’on a pris parfois pour le relatif inachèvement de la contribution scientifique de Mauss , et son manque d’unité, s’explique incontestablement par le poids de la tâche de perpétuation de l’entreprise durkheimienne. En ce sens, l’épanouissement du « Mauss ethnologue » a sûrement été pour partie entravé par les obligations qui lui incombaient par ailleurs. Le principal intéressé en prendra conscience, écrivant quelques années plus tard : « Je voudrais dissiper une prévention qui, je le sais, règne à mon endroit. On considère que j’ai abusé de mes enseignements en faveur de la sociologie » [22], et s’en défend en dissociant son action militante de sociologue, et sa contribution scientifique, donc neutre et exclusivement critique, d’ethnologue.

17Nous serions tenté d’avancer que pour Mauss devenir la nouvelle figure emblématique de la sociologie universitaire n’est pas très captivant, et il y voit souvent une corvée, comme le prouve sa réticence à s’impliquer dans la reparution de L’Année sociologique, malgré les déclarations de principe évoquées plus haut.

Mauss et L’Année sociologique, deuxième série

18Du vivant de Durkheim sa contribution à la revue était la plus importante de toutes, de 1898 à 1913 [23] (4 mémoires originaux et 326 comptes rendus ; contre, par exemple, respectivement 2 et 272 à mettre au compte d’Hubert  ; 1 et 174, chez Simiand  ; aucun et 75 chez Halbwachs ; 3 et 96 pour Bouglé  ; 1 et 124 chez H. Bourgin ) [24]. Toutefois, ce n’est pas sans une certaine réticence qu’il s’était engagé dans ce travail.

19« C’est un vrai poison pire que la grippe », dit-il de L’Année en 1912 [25] ; et quatre ans plus tard : « Mieux vaut la guerre pour moi que L’Année sociologique. » [26] Et de fait Mauss se fait tirer l’oreille : il rend ses travaux souvent en retard, ce qui irrite Durkheim . « Depuis la première année, tes retards ont été presque régulièrement en augmentant [...] je me demande ce que sera l’avenir ; et je te prie de te le demander, et de voir si oui ou non tu peux prendre ta part d’un travail collectif régulier », écrit-il à son neveu, probablement en 1901 [27]. Trois ans auparavant il s’écriait déjà : « Cette impuissance me déconcerte » [28] ; il va même jusqu’à se plaindre à sa sœur en lui signalant que depuis plusieurs mois « Marcel n’a abouti à rien d’appréciable » [29]. Et finalement, découragé il confie à Hubert que « le mal est sans remède ; nous avons affaire à un incurable » [30]. Nul doute qu’il faut voir là aussi le reflet de la sévérité que Durkheim, travailleur acharné, manifeste à l’égard de son protégé. Cette sévérité est à la mesure de ses exigences, et ces mots durs sont sûrement le produit d’un rapport de force, compliqué de liens familiaux très forts, qui a opposé le maître et l’élève [31].

20Après la mort du maître, bien que libéré de cette tutelle tyrannique, Mauss n’est pas plus enthousiasmé à l’idée de prendre la responsabilité de relancer la revue durkheimienne. Évoquant cette perspective, il écrit à Meyerson  : « Je vais sortir du cauchemar de L’Année I pour rentrer dans le cauchemar de L’Année II. Moi je n’en peux plus. » [32] Malgré cette morosité, il s’attelle à restaurer la bonne marche de l’entreprise. Déjà dès 1923, alors qu’il était question de relancer le périodique, c’est à Mauss que Bouglé s’était adressé pour lui dire : « À l’étranger, j’ai pu constater avec quelle impatience vraie on espère la réapparition de L’Année. Puissions-nous réussir. » [33] À la même époque, Huvelin presse Mauss : « Il faut que L’Année reprenne. » [34] À la réunion préparatoire du 1er mars 1923, c’est tout naturellement qu’il est désigné pour présider au destin de la nouvelle publication.

21Il se charge de réunir des fonds pour promouvoir le lancement. Une fois le projet mis sur pied, il offrira 79 contributions à la revue [35], dont quatre mémoires originaux [36], il est responsable de plusieurs sections. Mais, bien vite, semble-t-il, il est déçu par le résultat puisqu’il écrit en 1927 : « Nous suivons nos goûts et nos capacités. Nous ne nous le cachons pas et ne devons pas le cacher. Nous sommes loin de l’idéal et l’avouons franchement. » [37] Car, ajoute-t-il,

« si nous restons enfermés dans les anciennes divisions de L’Année, c’est que nous ne pouvons pas vraiment les modifier de suite. Les uns et les autres nous ne sommes pas encore détachés et ne savons pas encore nous détacher des anciennes disciplines [...] Et, tous ensemble, nous ne sommes pas prêts à un effort de rénovation qui, peut-être ne s’impose pas encore et qui est sûrement trop grand pour la poignée qui reste des disciples de Durkheim  » [38].

22À côté, la pression que lui impose sa tâche de leader se fait toujours très forte. C’est lui qui doit coordonner, informer, décider. En 1928, par exemple, Halbwachs lui demande de Strasbourg : « Je voudrais savoir où cela en est [...] Je comprends que vous soyez souvent débordé. Mais à un moment qui est évidemment assez critique pour L’Année, je voudrais savoir ce qui a été fait, ce qui est en route, surtout quand on est loin de Paris. » [39] Tant d’efforts associés à de mauvais souvenirs coûtent beaucoup à Mauss . En 1927, alors que les choses paraissent prendre tournure, il confie à Sylvain Lévi  : « L’Année II est en confection. L’Année III commence à rappliquer. À L’Année V... j’en aurai soupé. Enfin, ça a du succès. » [40]

23Aussi, après l’échec de L’Année II, quand les sociologues envisagent de créer les Annales sociologiques, Mauss a perdu toute motivation pour occuper un quelconque rôle leader dans l’entreprise, progressivement remplacé par Célestin Bouglé et Maurice Halbwachs, qui en deviendront les principales chevilles ouvrières. Il n’assume plus les fonctions que le destin semblait lui avoir attribuées. En 1914, il écrivait déjà à sa mère : « J’étais aussi peu fait que possible pour une vie intellectuelle. » [41]

24La création de l’Institut d’ethnologie toutefois, s’accompagne d’un projet intellectuel de refondation des sciences sociales dont il a déjà commencé à brosser les grandes lignes au moment de la reparution de L’Année sociologique.

Le projet intellectuel de Mauss

25Dans la réflexion de Mauss , dont il est difficile de reconstruire a posteriori une unité (d’autant plus qu’elle est faite de communications et fragments épars publiés de-ci, de-là) qui n’existe guère, sociologie et ethnologie restent étroitement mêlées, la seconde étant bien souvent destinée à fournir à la première les grandes lignes d’une posture intellectuelle qui trouve son achèvement dans ce que Mauss nomme la « science de l’homme total ». En 1925, Mauss a déjà publié ses « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie » [42] ; c’est à cette date qu’il écrit son célèbre « Essai sur le don » [43]. En 1926 viendront « L’effet physique chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité » [44], « Les parentés à plaisanterie » [45], puis en 1927 les « Divisions et proportions des divisions de la sociologie ». Tel est le principal corpus, constitué bien souvent à partir de fragments d’informations recueillis par des collaborateurs de L’Année morts au combat [46], sur lequel nous allons nous appuyer pour décrire les grandes lignes du travail scientifique de Mauss.

Une sociologie plus empirique

26Dans l’entre-deux-guerres, Mauss estime qu’une ère nouvelle s’ouvre pour la science sociale, qui se doit désormais d’être plus empirique qu’abstraite pour améliorer l’observation des faits sociaux. C’est alors au nom de la sociologie qu’il prend la plume pour s’attacher à décrire la nouvelle science sociale qu’il appelle de ses vœux.

Les nouvelles divisions de la sociologie

27Le premier problème se situe en amont de l’analyse, au niveau de l’observation et du classement des faits, des typologies qu’elle utilise, et dont l’obsolescence ne fait plus de doute aux yeux de Mauss  :

« Une Année sociologique, une sociologie mieux distribuées, mieux proportionnées, voilà le premier but bien défini que nous poursuivons [...] Jusque-là, l’image que nous donnons de ce corps reste caricaturale. Faute de suffisantes études de morphologie, on dirait que selon nous la société est un corps sans pieds ; faute de linguistique, on la dirait sans langue ; faute d’esthétique et de technologie, on croirait que nous la voyons sans sens et sans bras ; faute d’une étude systématique de la conscience collective, on la croirait sans âme. » [47]

28Les compartimentages de la sociologie hérités de Durkheim ont pour Mauss le défaut d’empêcher de traiter correctement les rapports sociaux, et d’analyser de manière satisfaisante la conscience collective.

29Afin de combler cette lacune, il entreprend de créer ce qu’il nommera plus tard une nouvelle « classification et méthode d’observation des phénomènes généraux de la vie sociale » [48] qui doit permettre de faire « comprendre ce que l’on peut entendre par une sociologie générale concrète » [49]. En premier lieu, la sociologie ne s’occupe plus de faits sociaux mais de phénomènes généraux qu’il s’agit de séparer en faits qui relèvent de la morphologie sociale (qui correspond aux structures matérielles), et ceux qui concernent la physiologie, c’est-à-dire l’étude de ces structures en mouvement. L’avantage de cette division réside bien en ce qu’elle est calquée sur des signes concrets et patents qui n’existent que dans la réalité.

30Avec la morphologie sociale, en effet (qui comprend la statistique, la démographie, la géographie humaine, la géographie historique, les mouvements de population dans le temps et dans l’espace...) on reste en mesure de montrer les frontières et les droits que la société se donne sur elle-même et sur son sol, elle met au jour la cohésion sociale dont la sensation de l’espace et du territoire social sont une traduction explicite. Elle concerne les phénomènes qui ont aspect matériel, nombrable, et graphiquement représentable. La méthode par excellence de la morphologie sociale reste la statistique qui est le moyen de mesurer tout fait social.

31Si elle peut être isolée parce que les phénomènes morphologiques sont très dépendants les uns des autres, la morphologie sociale est toutefois indissociable de la physiologie, laquelle étudie les actes communs dans la vie des hommes qui sont l’effet de leur vie en société. On peut la subdiviser en deux sous-catégories qui sont la physiologie des pratiques et la physiologie des représentations. Les pratiques communes sont le fruit des représentations auxquelles elles sont liées, et qu’elles peuvent influencer en retour : il n’y a pas de représentation qui n’ait un retentissement sur l’action, de même qu’il n’y a pas d’action pure. Il y a donc une liaison intime entre l’acte et la représentation qui ne laissent pas d’être toujours intriqués. Par exemple la sentimentalisation collective que l’on trouve dans l’art suppose langage, communication, actes collectifs.

32Or la forme que prend un groupe dans l’espace est le résultat de cet ensemble de représentations et d’actes dont le traitement chiffré dévoile la présence. Mais, si la morphologie sociale doit servir à contrôler la physiologie sociale, la réciproque est aussi vraie car tout comme les actes « se traduisent dans la matière humaine et, à l’occasion, dans l’espace et le temps sociaux où tout se passe, de même la structure matérielle du groupe n’est jamais chose indifférente à la conscience du groupe » [50] : une société est à la fois dans le temps, l’espace, le mouvement et l’esprit.

33Dans la nouvelle classification, dont doit s’inspirer à terme LAnnée sociologique, la physiologie est appelée à jouer un rôle fondamental parce que grâce à elle il va devenir possible d’exprimer clairement la nature de la conscience collective : « On a pu croire que Durkheim substantialisait la conscience collective. Rien de plus dangereux que de parler de la [51] société, quand on veut décrire les sociétés, les consciences pensant ensemble, les choses psychiques de telle ou telle vie sociale, ce qui est proprement la conscience collective. » [52]

34Si bien qu’il

« serait facile de parler ici de psychologie collective au lieu de physiologie sociale. À un point de vue même ce serait un progrès. Car cette expression ferait bien sentir que toute cette partie de la sociologie est d’essence psychologique, que tout s’y traduit en termes de conscience, de psychologie si l’on peut dire – à condition que l’on comprît bien que celles-ci forment des communautés de conscience, qu’elles sont des consciences vivant en commun, dirigeant une action commune, formant entre elles un milieu commun. Voilà ce qu’on peut entendre par psychologie sociale » [53].

35En effet, à l’aide des anciennes classifications Durkheim a certes pu isoler certaines représentations collectives, il n’était néanmoins pas en mesure de recomposer le tout, faute d’une véritable théorie du corps et de l’âme des sociétés. On ne peut pas appréhender correctement la conscience collective par l’étude de quelques institutions stables et significatives. Car « de même que psychologiquement, l’homme pense, se tend, agit, sent à la fois, avec tout son corps, de même cette communauté des corps et des esprits qu’est une société sent, agit, vit et veut vivre avec tous les corps et avec tous les esprits de tous ces hommes. Elle est leur tout » [54]. C’est à cette condition que « se trouve justifiée l’unité de la sociologie par une vue claire de son objet », car « ce qu’il faut décrire, ce qui est donné à chaque instant, c’est un tout social intégrant des individus qui sont eux-mêmes des touts » [55].

Une collaboration nécessaire avec la psychologie

36Mauss est par ailleurs persuadé que l’expérience que la psychologie tire de son caractère précocement expérimental doit permettre à la sociologie de modifier ses outils conceptuels en s’inspirant des résultats de sa « voisine ». « Car elle seule, à côté de nos propres élaborations, nous fournit les concepts nécessaires, les mots utiles, qui dénotent les faits les plus nombreux et connotent les idées les plus claires et les plus essentielles. » [56] Cette conviction découle logiquement des classifications nouvelles que crée Mauss, et qu’il veut de la sorte rendre plus complètement opératoires, comme il l’expose dans les « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie ». La « politique de main tendue » à la psychologie inaugure un ton œcuménique qui rompt avec le ton plus offensif de l’époque de Durkheim .

37Il s’agit en clair de demander un appui à la psychologie, afin de comprendre plus complètement les pratiques et comportements sociaux qui correspondent aux représentations collectives. Car même si « sûrement le phénomène social reste toujours spécifique [...] la description de la façon dont il se manifeste dans la conscience individuelle se précise et se nuance » [57], et cela concerne le sociologue pour qui cette manifestation individuelle est signifiante, pour autant qu’elle est révélatrice de la façon dont les tendances collectives s’insinuent dans les individualités. Mauss s’intéresse, pourrait-on dire, aux interférences qui sont susceptibles de naître entre conscience individuelle et conscience collective, et qui font que dans certaines circonstances elles peuvent fonctionner sur des modes similaires.

38Le sociologue doit donc se soucier de certains états de la conscience individuelle, car il est important de voir que ce qui est vrai pour celle-ci, peut l’être pour la conscience collective. D’où la nécessité de bâtir une collaboration franche et sincère avec la psychologie, afin d’être en mesure de pleinement profiter de ses apports conceptuels. Il se montre d’autant plus favorable à ce projet qu’à son sens les deux disciplines en sont arrivées au même stade, à savoir qu’on ne peut plus contester leur « caractère phénoménologique et expérimental » [58]. La nécessaire réorientation du traitement des faits sociaux passe nécessairement par ce travail de remodelage préalable, né de la confrontation des résultats.

« Les Rapports réels et pratiques... » ont donc aussi pour fonction de préciser les points communs entre les deux disciplines. De cette discussion [59], Mauss attend des résultats susceptibles d’être utilisés immédiatement. Des acquis de la psychologie, il retient quelques concepts, dont il pense qu’il serait intéressant de s’inspirer. Parmi ceux-ci, c’est probablement la notion de symbole qui illustre le mieux l’esprit de la nouvelle sociologie telle que la conçoit Mauss. C’est à son avis une découverte capitale que de voir dans les états mentaux « des signes, des symboles de l’état général, et d’une foule d’activités et d’images » utilisés « par les mécanismes les plus profonds de la conscience » [60]. Le symbole intéresse au plus haut point le sociologue, car, affirme Mauss, « voilà longtemps que Durkheim et nous, enseignons qu’on ne peut communier et communiquer entre hommes que par symboles, par signes communs, permanents, extérieurs aux états mentaux individuels [...] par signes de groupes d’états pris ensuite pour des réalités » [61]. Le fait social est essentiellement symbolique. Une représentation collective, qui renferme un savoir qui dépasse infiniment celui de l’individu, doit lui être néanmoins accessible pour devenir signifiante à ses yeux, c’est-à-dire pour renvoyer à d’autres représentations collectives et commander des pratiques. Le symbole est alors une des formes privilégiées qu’elle adopte pour atteindre ce but : il renferme comme le concept une certaine universalité qui lui confère une stabilité et un ascendant moral sur les individus.

39Dans l’esprit de son instigateur, le programme de collaboration admet le principe d’une réciprocité des services rendus par les deux sciences. Et il a l’avantage de respecter l’identité et le domaine de recherche des deux disciplines, à une époque où les tensions paradigmatiques entre sociologues et psychologues ne sont pas apaisées, loin de là.

40Dans l’ensemble de ces réflexions, comme on voit, on ne sait plus très bien quelle est la part laissée à la sociologie et à l’ethnologie. Quand Mauss évoque la sociologie, c’est avec des exemples tirés de l’étude des sociétés archaïques qu’il illustre son propos, mais c’est en tant que sociologue qu’il écrit. Sans doute faut-il y voir l’intention de faire de l’ethnologie un modèle pour la nouvelle science sociale : l’étude de l’homme total.

L’étude de l’homme total

41Les concepts psychologiques dont Mauss souhaite que les sociologues s’inspirent, ont effectivement cette particularité qu’ils relèvent à son avis de l’étude totale, de la conscience en bloc, et dans ses relations avec le corps, et non pas d’études fragmentaires des faits de conscience. Si bien que ce qu’il vise par le moyen d’éventuelles utilisations des résultats de la psychologie, dont il entend suivre l’exemple, c’est « une théorie des rapports qui existent entre les divers compartiments de la mentalité et de ceux qui existent entre ces compartiments et l’organisme » [62].

42Car,

« En réalité, dans notre science, en sociologie, nous ne trouvons guère ou presque jamais même [...] l’homme divisé en facultés. Nous avons affaire à son corps, à sa mentalité tout entiers, donnés à la fois et tout d’un coup. Au fond, corps, âme, société, tout ici se mêle. Ce ne sont plus des faits spéciaux de telle ou telle partie de la mentalité, ce sont les faits d’un ordre très complexe, le plus complexe imaginable, qui nous intéressent. C’est ce que je suppose d’appeler des phénomènes de totalité où prend part non seulement le groupe, mais encore par lui, toutes les personnalités, tous les individus dans leur intégrité morale, sociale, mentale, et, surtout, corporelle ou matérielle. » [63]

43L’individualité psychique mais aussi le corps de l’individu, qui renferme sa conscience et qui est plongé dans son milieu matériel, sont des révélateurs de faits de psychologie collective, en vertu de l’interpénétration des facultés des hommes en action. Si bien que les rapports entre les faits sociaux et les faits psychologiques n’ont de sens qu’envisagés en lien avec certains faits biologiques : c’est là un des chemins tracés par la psychologie, et que Mauss entend suivre.

44De cette science, le neveu de Durkheim n’a donné que quelques aperçus, étant donné le caractère fort dispersé de son œuvre. Pourtant, il a réussi à en poser quelques jalons essentiels.

45Dans les rapports réels et pratiques, Mauss affirme que « l’homme ordinaire est déjà dédoublé et se sent une âme ; mais il n’est pas maître de lui-même. L’homme moyen de nos jours – et cela est surtout vrai des femmes – et presque tous les hommes des sociétés archaïques ou arriérées, est un “total” : il est affecté dans tout son être par le (sic) moindre de ses perceptions ou par le moindre choc mental. L’étude de cette “totalité” est capitale, par conséquent, pour tout ce qui ne concerne pas l’élite de nos sociétés modernes » [64]. Une telle affirmation légitime le statut spécial de l’ethnologie comme science de l’homme total par excellence.

Le cas de la « thanatomanie », ou « l’effet physique de l’idée de mort suggérée par la collectivité »

46Par exemple la « thanatomanie » ou encore la brutale et subite volonté de se faire mourir, constitue de ce point de vue un cas d’école. Dans la société australienne, « la plus inférieure possible ou plutôt la plus inférieure connue », et chez les « Maoris, Malayo-Polynésiens de Nouvelle-Zélande », dont la société est « déjà très évoluée » [65], « une alternative domine toute la conscience, sans milieu. D’un côté, la force physique, la gaieté, la solidité, la brutalité et la simplicité mentale ; de l’autre, c’est, sans transition, l’excitation, sans borne et sans arrêt, du deuil, de l’insulte, ou bien c’est la dépression, également sans borne et sans arrêt, et sans transition, la lamentation sur l’abandon, le désespoir, et enfin la suggestion de la mort » [66]. La liaison entre certains états psychologiques (pathologiques), physiques, et moraux (donc sociaux) y est manifeste.

47Les faits deviennent intelligibles si l’on garde en tête qu’ils renvoient à des institutions particulières telles que la magie et les tabous. Les Australiens considèrent ainsi comme plus naturelles les morts que nous appelons violentes, qui sont les moins importantes en nombre et en proportion, que les autres morts qui sont perçues comme étant d’origine magique ou religieuse. Le scénario est toujours le même : une personne mange du gibier défendu, elle tombe malade et se consume en poussant les cris de l’animal tabou dont l’esprit entre en elle et la tue. « Les tabous (totémiques) violés se vengent. L’animal absorbé parle, agit à l’intérieur, détruit l’homme, le mange, et il meurt. » [67] Le sentiment d’être en situation de péché mortel, d’avoir l’âme « pesante », « liée », « nouée dans des cordes », « absente » [68] fait passer en un temps record de vie à trépas ceux, préalablement en excellente santé, qui se croient enchantés et tombent alors dans un état de prostration totale qui les conduit à la mort.

48Ces expressions, qui renvoient au vocabulaire mythologique, sont « familières certes au neurologiste et au psychologue, mais trouvent ici un large emploi » [69]. Certes, « le chaînon psychologique est visible, solide : la conscience. Mais il n’est pas gros [...] La considération du psychique ou mieux du psycho-organique ne suffit pas ici, même pour décrire le complexus entier. Il y faut la considération du social » [70]. Car, en effet, ce sont des maux de conscience d’origine collective qui font que l’individu se sent dans son tort. Les idées qui président à la naissance de ce sentiment se maintiennent et se reproduisent dans les consciences individuelles sous la pression du groupe. La preuve en est que l’individu ne guérit que dans le cas où l’exorcisme est efficace, c’est-à-dire rétablit la communion avec la chose sacrée essentielle : le totem ou encore l’esprit protecteur du groupe.

49On peut, au bout du compte, en tirer des conclusions qui appartiennent bien au domaine de la psychologie collective parce que ces faits révèlent des états de conscience nés de la vie en groupe, ou, si l’on préfère, qui expriment le contenu de cette partie de la conscience qui en l’individu correspond à l’existence de la société. Ici « les mentalités sont tout imprégnées de cette croyance à l’efficacité des mots, au danger des actes sinistres. Elles sont aussi infiniment préoccupées d’une sorte de mystique de la paix de l’âme. Et c’est ainsi que chavirent les pauvres confiances en la vie, ou qu’elles reprennent leur équilibre par un adjuvant, magicien ou esprit protecteur, de nature collective lui-même, comme la rupture d’équilibre elle-même » [71].

Un deuxième exemple : les parentés à plaisanteries

50Ce deuxième phénomène social, qui manifeste l’intrication du psychologique dans le sociologique et le biologique, est à rapprocher de ce qu’on peut appeler l’expression obligatoire des sentiments et des états de conscience qui les accompagnent, est un thème cher à Mauss , mais aussi à d’autres anciens collaborateurs de Durkheim tels M. Halbwachs.

51Les relations de sexe à sexe, par exemple celles qui caractérisent les relations de belle-mère, de beau-père à bru, se traduisent par des relations d’étiquettes faites de respect extrême inspiré par un sentiment de terreur et de crainte religieuse, un « tabou » dont la traduction en langage zoulou est « avoir honte de ». Il en résulte tout un ensemble de pratiques quotidiennes extrêmement codifiées qui portent sur le langage utilisé, la manière de partager la nourriture, qui lorsqu’elle est « vue par le beau-père devient taboue » parce qu’il y a « projection de son odeur sur elle » [72], de regarder les personnes...

« Mais ces relations ont leurs contraires [...] en face du respect, il y a l’insulte et l’incorrection, il y a la brimade et le sans-gêne ; en face du devoir sans borne et sans contrepartie, il peut y avoir des droits sans limites et même sans réciprocité [...] Les gens dits primitifs, en réalité un très grand nombre de classes et de gens parmi les nôtres, encore de nos jours, ne savent modérer ni leur politesse, ni leur grossièreté. Nous-mêmes, nous avons connu de ces états d’excessive audace et d’insolence vis-à-vis des uns ; d’excessive timidité, de gêne et contrainte absolues vis-à-vis des autres. » [73]

52Mauss poursuit la démonstration en faisant valoir que chez les indiens Crow les parentés à plaisanteries ont un droit de grossièreté, mais aussi une autorité de censeurs : les plaisanteries s’exercent par une sorte de surveillance morale des uns sur les autres. Aux îles Banks, l’institution de « poroporo » permet de classer les gens qui « poroporo », comme le mari de la sœur du père, et ceux qui ne se « poroporo » pas, avec qui l’on reste très correct.

53Ces usages « expriment un état sentimental psychologiquement défini ; le besoin de détente ; un laisser-aller [...] » [74], dont la cause réelle réside dans les structures sociales et représentations collectives. Car les personnes se classent ainsi sur une sorte d’échelle des valeurs religieuses et morales, suivant laquelle les attitudes se distribuent suivant le temps.

54On peut alors en tirer des conclusions sur le rythme du temps social, fait d’une sorte d’alternance entre des moments de retenue et des périodes de laisser-aller qui en sont la contrepartie nécessaire [75], mais aussi sur la structure de la société tout entière. Par exemple, concernant le tabou de la belle-mère, dans le cas où, selon la terminologie employée aujourd’hui, la règle du mariage s’applique à la cousine croisée patrilatérale dans le cas d’un échange simple, la belle-mère

« est la sœur de votre père et avec le sang de laquelle on a par sa femme des rapports directs ; elle est la “vieille” personne avec laquelle on communique indûment par sa fille et dont la vue pourrait faire “vieillir le gendre” ; la propriétaire du sang des enfants qui naîtront du mariage ; elle symbolise les dangers du principe féminin [...] Elle est l’objet constant d’un nombre de sentiments concentrés et tenant tous, on le voit, à sa position définie à l’égard du gendre » [76].

55Bref, cette position à l’égard du gendre est compréhensible à travers la relation d’échange que constitue le potlatch [77]. Se montrer familier avec sa belle-mère, c’est sous-entendre que l’on est en passe de reprendre au clan partenaire une femme qui lui a été donnée par le sien à une date antérieure, et grâce auquel on a obtenu sa propre femme, bref, c’est mettre en danger l’ordre social.

56L’étude de l’homme considéré comme un « total » débouche donc sur une réflexion générale à l’échelle de la société tout entière : « On perçoit ici le point de passage qui unit les institutions plus frustes, plus simples, où des tabous et des étiquettes s’opposent à des insultes et à l’irrespect. » [78] À cette date, le travail conceptuel de Mauss est sans doute à son apogée, puisqu’il livre les intuitions qui seront les plus consacrées par la postérité, et notamment le célèbre « Essai sur le don », auquel il rattache lui-même comme on l’a vu les faits relatés ci-dessus, et que nous allons évoquer maintenant.

L’Essai sur le don

57L’exemple du potlatch convainc Mauss qu’au moyen de l’étude de l’homme considéré comme un « total », certains ensembles de pratiques disent l’essentiel de ce qu’est une société, parce qu’ils « mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions [...] et dans d’autres cas, seulement un très grand nombre d’institutions ». Ils dévoilent un ensemble de phénomènes « à la fois juridiques, économiques, religieux, et même esthétiques, morphologiques, etc. » [79].

58De la sorte, « L’étude du concret, qui est du complet, est possible » [80], car ses ensembles reflètent la cohérence de la société qui s’y trouve tout entière présente, comme condensée. La pratique du don, que Mauss observe dans certaines sociétés réunit ces propriétés.

59L’Essai sur le don, débute par une interrogation sur la forme de l’échange en Polynésie, Mélanésie, et dans le Nord-Ouest américain. Or il se trouve que dans ces sociétés on ne trouve rien qui ressemble à ce qu’on appelle une économie naturelle ; le simple troc de richesses et de biens au cours d’un marché passé entre les échangistes n’existe pas.

60Car ces pratiques montrent que ce ne sont pas des individus « ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales » [81]. Par ailleurs l’échange ne porte pas seulement sur des biens et des richesses, des « choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires » [82].

61Toutefois, ce qui frappe, c’est que les échanges revêtent aussi une forme obligatoire « à peine de guerre privée ou publique » [83] ; ils mettent en scène des groupes qui s’opposent et se font face. Si bien qu’à cette forme d’échange sont associés des états psychiques collectifs particuliers :

« Mais ce qui est remarquable dans ces tribus, c’est le principe de la rivalité et de l’antagonisme qui domine toutes ces pratiques. On y va jusqu’à la bataille, jusqu’à la mise à mort des chefs et nobles qui s’affrontent ainsi. On y va d’autre part jusqu’à la destruction purement somptuaire des richesses accumulées pour éclipser le chef rival en même temps qu’associé [...] cette prestation revêt de la part du chef une allure agonistique très marquée. Elle est essentiellement usuraire et somptuaire et l’on assiste avant tout à une lutte des nobles pour assurer entre eux une hiérarchie dont ultérieurement profite leur clan. » [84]

62D’où le nom de prestations totales de type agonistique.

63De fait, « c’est en considérant le tout ensemble » qu’on peut dire la spécificité d’un groupe, mais à condition de percevoir « le mouvement du tout, l’aspect, l’instant fugitif où la société prend, où les hommes prennent conscience sentimentale d’eux-mêmes et de leur situation vis-à-vis d’autrui » [85]. En adoptant ce caractère phénoménologique, l’étude des faits sociaux « a un avantage de réalité », car alors « on saisit plus que des idées ou des règles, on saisit des hommes, des groupes et leurs comportements. On les voit se mouvoir [...] comme dans la mer nous voyons des pieuvres et des anémones. Nous apercevons des nombres d’hommes, des forces mobiles et qui flottent dans leur milieu et dans leurs sentiments » [86].

64Appliquant ce principe selon lequel un acte et sa représentation entretiennent une liaison très intime [87], Mauss opère le renversement consistant à examiner le sens que prend le potlatch aux yeux de ses protagonistes. Il le découvre alors, « le plus important, parmi ces mécanismes spirituels, est évidemment celui qui oblige à rendre le présent reçu » [88]. En ce sens on peut dire que sa sociologie est plus compréhensive qu’auparavant car elle accepte comme digne objet d’étude la façon dont les acteurs vivent leurs pratiques.

65On sait, en effet, que chez les Maoris, le système d’échange est caractérisé par le don de cadeaux qui doivent être ultérieurement échangés ou rendus, bien souvent avec usure. Cette pratique du don compensé par un contre-don est associée à une représentation collective touchant la chose échangée, qui en fait un taonga. Car « ce qui, dans le cadeau reçu, échangé, oblige, c’est que la chose reçue n’est pas inerte » [89]. Elle est considérée, en effet, comme disposant d’un pouvoir spirituel, le hau, qui a prise sur le bénéficiaire, « car le taonga est animé du hau de sa forêt, de son terroir, de son sol » [90]. De la sorte le donateur a prise sur le donataire en vertu du fait que dans son cadeau il reste une part de lui. Dans ces conditions, il est essentiel de rendre à autrui ce qui est « parcelle de sa nature », « car, accepter quelque chose de quelqu’un, c’est accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son âme ; la conservation de cette chose serait dangereuse et mortelle » car elle donnerait une « prise magique et religieuse » [91] sur le bénéficiaire.

66La prise en compte de la notion de hau permet de plus à Mauss de mettre au jour le fait que dans un tel univers de représentations le don est indissociable du fait de recevoir et de rendre. Car ne pas recevoir, tout comme négliger de donner, c’est refuser l’hospitalité, ne pas commercer, ne pas contracter alliance par les femmes et par le sang, bref c’est « déclarer la guerre », « refuser l’alliance et la communion » [92]. « En tout ceci, il y a une série de droits et de devoirs de consommer et de rendre, correspondant à des droits et des devoirs de présenter et de recevoir », conclut Mauss [93]. La circulation des choses s’identifie à celle des droits et des personnes en vertu du mélange de liens spirituels entre les choses qui sont à quelque degré de l’âme, et les individus et les groupes qui eux sont à quelque degré des choses.

67Si bien que les trois obligations du donner-recevoir-rendre forment un tout indissociable qu’il faut considérer comme tel, un fait social total, dont la découverte apporte une lumière nouvelle sur ce qu’est en mesure de découvrir l’observateur. Car elles disent quelque chose sur le fonctionnement de ces sociétés considérées dans leur globalité, mais aussi sur les sociétés modernes en éclairant des institutions et des pratiques où on retrouve certaines de ces notions archaïques.

68C’est ainsi qu’il existe encore des formes intermédiaires entre ces échanges à rivalité exaspérée : aujourd’hui « nous rivalisons dans nos étrennes, nos festins, nos noces, dans nos simples invitations » [94], « la charité est encore blessante pour celui qui l’accepte [...] L’invitation doit être rendue, tout comme la politesse » [95].

69L’obligation de donner qui s’applique particulièrement aux chefs, lesquels ne peuvent prouver leur fortune et leur pouvoir qu’en dépensant, éclaire la notion d’honneur, et partant les pouvoirs politiques tels qu’ils fonctionnent dans ces sociétés, mais aussi le fonctionnement des pratiques qui chez nous visent à distinguer un groupe des autres. Le potlatch intervient dans les mariages où à l’occasion de l’alliance entre les familles celles-ci échangent des cuivres blasonnés dont elles ne se séparent pas en d’autres occasions. Mauss entrevoit aussi dans ce système de dons rendus des formes archaïques du droit tel que l’ont connu certaines sociétés indo-européennes : c’est ainsi que chez les Germains tout contrat, vente ou achat comprend une constitution de gage, qui oblige et lie mais aussi engage l’honneur. Le hau, qui oblige à rendre plus pour pouvoir s’en libérer, à certains égards est l’ancêtre de la notion d’intérêt. Les taongas qui circulent définissent les circuits économiques par lesquels se distribue la richesse ; on en trouve des traces dans la valeur économique telle qu’on la conçoit aujourd’hui : le marché par exemple est encore imprégné de rites et de mythes, tout comme la monnaie conserve une part de magie.

70Tous ces résultats n’ont cependant une quelconque valeur que parce que, rappelle Mauss , « nous avons vu des sociétés à l’état dynamique ou physiologique. Nous ne les avons pas étudiées comme si elles étaient figées, dans un état statique ou plutôt cadavérique, et encore moins les avons-nous décomposées et disséquées en règles de droit, en mythes, en valeurs et en prix » [96]. L’Essai sur le don est une étude physiologique en ce qu’on y voit comment dans l’esprit des individus la peur du pouvoir du hau devient la motivation principale qui guide leur comportement, et comment cette motivation, d’origine collective, est liée à d’autres représentations qui expriment la société dans sa généralité. Avec le hau, l’observateur fait, en même temps que les individus observés, l’expérience de leurs catégories de pensée. C’est à cette condition, en se plongeant « dans cette observation concrète de la vie sociale », qu’on se donnera « le moyen de trouver des faits nouveaux que nous commençons seulement à entrevoir » [97].

71Avec l’invention du fait social total, Mauss prouve que « le principe et la fin de la sociologie, c’est d’apercevoir le groupe entier et son comportement tout entier » [98].

72Entre les individus concrets qui échangent et la société constituée de groupes qui équilibrent leurs rapports (économiques, militaires, de parenté, juridiques...) en traitant entre eux de la sorte, il y a cette prestation totale à caractère agonistique, qui est, pour la compréhension de l’observateur, un « intermédiaire » grâce auquel il devient clair que l’individu est un tout, placé dans un tout dans lequel il vit, en éprouvant certains états psychiques particuliers. Le fait social total est le « révélateur », en quelque sorte, qui met en évidence ces connexions multiples, et autorise ainsi à intégrer les faits mentaux collectifs dans des cadres sociaux précis.

73L’appréhension d’un phénomène social par le moyen d’une analyse qui fait appel à la notion de fait social total a de plus cet avantage qu’elle permet d’orienter dès le départ l’observation des faits qui, dans ce contexte, prennent une signification particulière. De la sorte l’étude ne risque pas de se perdre dans un empirisme tous azimuts.

74Le concept de fait social total apparaît donc comme la méthode adéquate pour la science de l’homme total, car de la sorte les « faits de fonctionnement général ont des chances d’être plus universels » [99], ce qui multiplie les garanties de pouvoir faire apparaître la spécificité du monde social.

Conclusion

75Quand reparaît L’Année sociologique, le travail de Mauss est au faîte de sa gloire. Ce sont là, en effet, sans doute les années durant lesquelles il est le plus productif et où il connaît ses plus importants succès. On mesure à cette occasion toute l’ambiguïté du personnage, irrémédiablement attaché à la personne et au travail de Durkheim , mais aussi prompt à s’en détacher pour défendre ses convictions. Le caractère peu académique de sa position institutionnelle aussi bien que de sa production intellectuelle, qui est encore à cette époque la condition de son succès, est aussi sans doute, paradoxalement, la cause de son semi-échec [100]. De fait, le neveu de Durkheim s’est de plus en plus dégagé, au fil des années, de toute implication dans l’œuvre commune des durkheimiens pour se replier sur l’ethnologie et le petit groupe de fidèles qui venaient l’écouter. Faut-il y voir, comme V. Karady , les « incertitudes de sa conviction doctrinale » qui illustreraient « son refus de théoriser son expérience scientifique » [101] ? Le mystère demeure. Toujours est-il que malgré cette postérité qui le consacre comme un « géant » au panthéon de la science sociale, il n’y eut pas, à proprement parler, d’école « maussienne » en ethnologie et encore moins en sociologie [102].

ANNEXE B

tableau im1
tableau im2

Notes

  • [1]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ cite entre autres, Hertz « tué à l’attaque inutile de Marchéville, le 13 avril 1915, à l’âge de 33 ans, en précédant sa section hors de la tranchée », David, Bianconi, Reynier, Gelly, Laffite, Vacher, Huvelin _ex "Huvelin, Paul"_, Chaillié (Mauss, « In Memoriam : l’œuvre inédite de Durkheim _ex "Durkheim :[Durckheim], Émile"_ et de ses collaborateurs », L’Année sociologique, deuxième série, t. 1, 1925). Citons aussi A. Durkheim, un des linguistes de l’équipe.
  • [2]
    L’état actuel des sciences anthropologiques en France, 1920, in Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, Œuvres, t. 3, Paris, Éditions de Minuit, 1969, p. 434-435.
  • [3]
    Projet de création d’un institut d’ethnologie, novembre 1913 (Fonds Hubert _ex "Hubert, Henri"_-Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, Archives du Collège de France).
  • [4]
    Lévy-Bruhl jouit déjà à cette époque d’une certaine notoriété. Il est de la génération de Durkheim _ex "Durkheim :[Durckheim], Émile"_ (il est né en 1857, est mort en 1939), avec lequel il a entamé un dialogue à propos de la « mentalité primitive », à laquelle il a consacré un livre en 1922. Il est professeur à la Sorbonne où il enseigne l’Histoire de la philosophie moderne. Depuis 1920, il a succédé à Th. Ribot à la direction de le Revue philosophique.
  • [5]
    Rivet, pour sa part, est assistant au laboratoire d’anthropologie du Muséum d’histoire naturelle. Il est né à Wasigny dans les Ardennes en 1876. Médecin militaire il a participé à la mission scientifique française qui s’est chargée de mesurer un arc du méridien dans les Andes de 1901 à 1906. Pendant la guerre, il est chef du service d’épidémiologie et d’hygiène des armées alliées. En 1919, il reprend ses fonctions au Muséum et étudie les langages autochtones du continent américain. Il est aussi secrétaire général de la Société des américanistes et de l’Institut français d’anthropologie.
  • [6]
    Archives nationales, AJ 16 2592, « Conseil de l’université de Paris », séance du 24 novembre 1924.
  • [7]
    Ibid.
  • [8]
    Marcel Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, Paris, Fayard, 1994, p. 511.
  • [9]
    Dans L’Année sociologique, nouvelle série, 2, et reproduit dans Œuvres, t. 3, p. 178-245.
  • [10]
    Voir E. Durkheim _ex "Durkheim :[Durckheim], Émile"_, Lettres à Marcel Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, Paris, PUF, 1998, présentées par Marcel Fournier _ex "Fournier, Marcel"_ et Philippe Besnard _ex "Besnard, Philippe"_. À noter que le travail sur la Prière vient d’être publié en anglais.
  • [11]
    C’est en accord avec sa sœur Rosine, et parce que le jeune Marcel est rebuté par la vie en internat, que Durkheim _ex "Durkheim :[Durckheim], Émile"_ qui « a lui-même souffert de la compétition scolaire, de la crainte, de l’échec », et qui « a été déçu par la formation qu’on dispense à l’École normale », entérine la décision de ne pas devenir normalien (Fournier _ex "Fournier, Marcel"_, op. cit., p. 41).
  • [12]
    Jean Cazeneuve, Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, Paris, PUF, 1968, p. 11.
  • [13]
    Henri Lévy-Bruhl, « In Memoriam : Marcel Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ », L’Année sociologique, troisième série, 1948-1949, Paris, PUF, 1949, p. 3.
  • [14]
    Comme le prouve, par exemple, l’abattement qu’il manifeste à la mort de son très cher ami, Henri Hubert _ex "Hubert, Henri"_ en 1927.
  • [15]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, « L’œuvre de Mauss par lui-même », dans Revue française de sociologie, 20 (1), 1979, p. 219.
  • [16]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, « In Memoriam... », op. cit., p. 2.
  • [17]
    Ibid, p. 8.
  • [18]
    Ibid, p. 28.
  • [19]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, « Divisions et proportions des divisions de la sociologie », L’Année sociologique, nouvelle série, 2, dans Œuvres, t. 3, p. 179.
  • [20]
    Ibid., p. 178.
  • [21]
    E. E. Evans-Pritchard, « L’Essai sur le don », L’Arc, numéro spécial, « Marcel Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ », 1990, p. 28.
  • [22]
    « L’œuvre de Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ par lui-même », op. cit., p. 211.
  • [23]
    Derrière celle de Durkheim _ex "Durkheim :[Durckheim], Émile"_.
  • [24]
    D’après le décompte effectué par Philippe Besnard _ex "Besnard, Philippe"_ (« La formation de l’équipe de L’Année sociologique », RFS, 20 (1), 1979).
  • [25]
    Lettre à Hubert _ex "Hubert, Henri"_ du 15 décembre (citée par Fournier _ex "Fournier, Marcel"_, op. cit., p. 137).
  • [26]
    Lettre à Hubert _ex "Hubert, Henri"_ du 8 décembre 1916 (ibid., p. 138).
  • [27]
    Ibid., p. 148.
  • [28]
    Lettre à Hubert _ex "Hubert, Henri"_, in RFS, 28 (1), 1987, p. 498.
  • [29]
    Lettre de Durkheim _ex "Durkheim :[Durckheim], Émile"_ à sa sœur, 18 octobre 1907 (in Fournier _ex "Fournier, Marcel"_, op. cit., p. 149).
  • [30]
    Lettre à Hubert _ex "Hubert, Henri"_, s.d., in RFS, 1987, op. cit., p. 520.
  • [31]
    Pour avoir un aperçu plus complet des relations conflictuelles en même temps que fusionnelles qui liaient Durkheim _ex "Durkheim :[Durckheim], Émile"_ à son neveu, voir E. Durkheim, Lettres de Durkheim à Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, op. cit.
  • [32]
    Lettre à Meyerson _ex "Meyerson, Ignance"_ du 20 août 1925 (in Fournier _ex "Fournier, Marcel"_, op. cit., p. 532).
  • [33]
    Lettre de Bouglé _ex "Bouglé, Célestin"_ à Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ du 23 avril 1923 (Fonds Bouglé, Bibliothèque nationale).
  • [34]
    Lettre à Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ du 21 février 1923 (in Fournier _ex "Fournier, Marcel"_, op. cit., p. 483-484).
  • [35]
    Tous tomes confondus.
  • [36]
    D’après le décompte effectué par Nandan (voir Nandan Yash, The durkheimian school. A systematic and comprehensive bibliography, Greenwood _ex "Greenwood, Major"_ Press, 1977). Dans le même temps Bouglé _ex "Bouglé, Célestin"_ n’en livre que 20, Halbwachs 25, Simiand _ex "Simiand, François"_ 23, Davy 12. Aucun de ces auteurs ne publie de mémoire.
  • [37]
    « Divisions et proportions.. », op. cit., p. 200.
  • [38]
    Ibid., p. 178.
  • [39]
    Lettre à Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ du 18 novembre 1928 (in Fournier _ex "Fournier, Marcel"_, op. cit., p. 541).
  • [40]
    Lettre du 8 avril 1927 (ibid.).
  • [41]
    Lettre à Rosine Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ (in Fournier _ex "Fournier, Marcel"_, op. cit., p. 150).
  • [42]
    Il s’agit d’une communication présentée le 10 janvier 1924 à la Société de psychologie, publiée dans le Journal de psychologie normale et pathologique, en 1924, republié dans Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1985 (rééd.).
  • [43]
    « Essai sur le don », L’Année sociologique, deuxième série, 1923-1924, Paris, PUF, 1925, dans Sociologie et anthropologie, op. cit.
  • [44]
    Journal de psychologie normale et pathologique, 1926, dans Sociologie et anthropologie, op. cit.
  • [45]
    Annuaire de l’École pratique des hautes études, in Œuvres, t. 3, op. cit., p. 109-124.
  • [46]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ s’inspire en particulier d’archives laissées par Robert Hertz _ex "Hertz, Robert"_, qu’il a en grande estime, et qui était considéré comme un des meilleurs espoirs de la sociologie durkheimienne.
  • [47]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, « Divisions... », op. cit., p. 200-201.
  • [48]
    C’est là une partie du sous-titre du Fragment d’un plan de sociologie générale descriptive, Annales sociologiques, série A, fasc. 1, 1934, dans Œuvres, t. 3, p. 302-354.
  • [49]
    Ibid., p. 304.
  • [50]
    « Divisions... », p. 225.
  • [51]
    En italiques dans le texte.
  • [52]
    « Divisions... », p. 202-203.
  • [53]
    Ibid., p. 209.
  • [54]
    Ibid., p. 203.
  • [55]
    Ibid., p. 214.
  • [56]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, « Rapports réels et pratiques... », op. cit., p. 291.
  • [57]
    Ibid., p. 293.
  • [58]
    Ibid., p. 284.
  • [59]
    Rappelons qu’il s’agit du texte d’une allocution.
  • [60]
    Ibid., p. 294.
  • [61]
    Ibid.
  • [62]
    Ibid., p. 305.
  • [63]
    Ibid., p. 303.
  • [64]
    Ibid., p. 306.
  • [65]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, « Effet physique... », op. cit., p. 314-315.
  • [66]
    Ibid., p. 323.
  • [67]
    Ibid., p. 324.
  • [68]
    Ibid., p. 325.
  • [69]
    Ibid. On retrouve ici ce que Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ annonçait dans les Rapports sur le symbolisme, les psychoses, et l’instinct.
  • [70]
    Ibid., p. 329.
  • [71]
    Ibid., p. 322.
  • [72]
    « Parentés à plaisanteries », n. 7, p. 112.
  • [73]
    Ibid., p. 111-112.
  • [74]
    Ibid., p. 118.
  • [75]
    Ce qui n’est pas sans rappeler ce que Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ avait déjà mis en évidence dans son « Essai sur les variations saisonnières dans les société Eskimo », 1905, L’Année sociologique, 9, dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1985 (rééd.).
  • [76]
    « Parentés... », p. 119.
  • [77]
    « De plus nous sommes bien ici sur la frontière des faits connus sous le nom de potlatch », écrit Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ (ibid., p. 122).
  • [78]
    Ibid., p. 123.
  • [79]
    Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, Essai sur le don, op. cit., p. 274.
  • [80]
    Ibid., p. 276.
  • [81]
    Ibid., p. 150.
  • [82]
    Ibid., p. 151.
  • [83]
    Ibid.
  • [84]
    Ibid., p. 152-153.
  • [85]
    Ibid.
  • [86]
    Ibid., p. 276.
  • [87]
    Si intime que Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ va jusqu’à dire que de la sorte le comportement de l’homme sociable est plus lié à la conscience collective que le comportement individuel ne l’est à la conscience individuelle (Divisions, op. cit., p. 209 sq.).
  • [88]
    Essai sur le don, op. cit., p. 153.
  • [89]
    Ibid., p. 159.
  • [90]
    Ibid.
  • [91]
    Ibid., p. 161.
  • [92]
    Ibid., p. 162-163.
  • [93]
    Ibid., p. 163.
  • [94]
    Ibid., p. 153.
  • [95]
    Ibid., p. 258.
  • [96]
    Ibid., p. 275.
  • [97]
    Ibid., p. 275-276.
  • [98]
    Ibid., p. 276.
  • [99]
    Ibid., p. 276.
  • [100]
    Comme le rappelle Victor Karady _ex "Karady, Victor"_, « Naissance de l’ethnologie universitaire », L’Arc, numéro spécial, « Marcel Mauss _ex "Mauss, Marcel"_ », 1990, p. 33.
  • [101]
    Karady _ex "Karady, Victor"_, « Présentation de l’édition de l’édition », in M. Mauss _ex "Mauss, Marcel"_, Œuvres, t. 1, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. XIII.
  • [102]
    Pour plus de détails sur cette question, voir J.-Ch. Marcel, Le durkheimisme dans l’entre-deux-guerres, Paris, PUF, 2001.
Français

RéSUMé. — Cet article présente un bref panorama de la situation, tant institutionnelle qu’intellectuellle, de Mauss vers le milieu des années 1920. Écartelé entre sa nouvelle tâche de chef de file de l’École française de sociologie (il entreprend d’éditer les œuvres de durkheimiens disparus, s’est lancé dans la reparution de L’Année sociologique, deuxième série), et ses ambitions d’ethnologue (il œuvre à la création de l’Institut d’ethnologie où il enseigne), il écrit pourtant à ce moment des textes programmatiques capitaux, ainsi que quelques géniales illustrations de la nouvelle science de « l’homme total » qu’il entend développer, et en particulier L’Essai sur le don qui eut la postérité que l’on sait.

Jean-Christophe Marcel
Institut des sciences humaines appliquées,
Université de Paris IV - Sorbonne
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/08/2007
https://doi.org/10.3917/anso.041.0037
Pour citer cet article
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