1Le constat est bien connu. L’univers des relations professionnelles, du conflit et de la négociation collective s’est profondément modifié au cours des trente dernières années. Dans de nombreux pays, les cadres d’action et de régulation issus de l’après-guerre se sont transformés. Souvent fondés sur l’intervention de l’État, ils donnaient lieu à un mode de régulation bien précis – la régulation politique – qui s’appuyait amplement sur la production de règles juridiques et sur le rôle du législateur. Face à cet état de fait, de nouvelles pratiques marquent les relations professionnelles. L’affirmation de l’entreprise comme lieu important de la négociation collective, l’essor de nombreux accords dérogatoires reflètent l’existence d’initiatives locales qui se développent parfois en marge du droit et façonnent un type de régulation spécifique – la régulation autonome [1] – qui prend de plus en plus de place. Ce sont ces diverses évolutions et leurs effets sur la négociation et le conflit social que ce texte se propose d’aborder en s’appuyant sur la littérature existante et sur certaines enquêtes de terrains [2]. Dans ce cadre, trois volets seront plus particulièrement concernés :
- l’emploi et les mutations du travail ;
- le contexte politique ;
- les nouvelles formes de conflictualités qui touchent, aujourd’hui, l’entreprise.
2Pour beaucoup, en effet, l’émergence de régulations autonomes au sein des relations professionnelles découle des changements qui ont marqué le monde du travail depuis les années 1970, et de leur influence sur la redéfinition de certains enjeux contractuels essentiels. Pourtant, peut-on réduire l’essor des régulations autonomes aux seuls registres qui relèvent de la relation d’emploi et des mutations du travail ? Dès la fin des années 1950, dans un ouvrage désormais classique, J. T. Dunlop insistait sur les effets de « contextes » et notamment du contexte politique dans le domaine des relations professionnelles [3]. L’analyse reste, selon nous, toujours aussi pertinente, surtout lorsqu’elle s’applique à des sociétés où le poids du législateur fut longtemps décisif et où les rôles respectifs des régulations politiques ou autonomes se sont, depuis, transformés. En effet – et il s’agit de l’une des hypothèses qui étayent ce texte, là où le droit a pu jouer un rôle capital, l’essor des régulations autonomes est d’autant plus éminent que les régulations politiques et centralisées connaissent un reflux plus ou moins fort, ce reflux étant lui-même lié à la redéfinition des modes d’intervention du pouvoir politique (et plus largement à la recomposition des rapports entre « État » et « société civile »). Considérées sous cet angle, les tendances qui remodèlent les relations professionnelles en France, mais aussi dans d’autres pays, ne renvoient pas seulement aux seuls enjeux de la négociation collective et à la production d’accords. En l’occurrence, d’autres traits sont en cause et de façon tout aussi capitale. Il en est ainsi de l’émergence de nouvelles mobilisations collectives ou de nouvelles configurations d’acteurs qui jouent sur les liens qu’entretient, désormais, le conflit aux systèmes de régulation et de production des règles au sein même du travail [4]. Dire le conflit en ces termes, c’est évoquer à l’évidence des aspects théoriques importants liés aux relations professionnelles ou à certaines approches des mouvements sociaux. C’est la raison pour laquelle la notion de conflit sera ici (re)mise en perspective afin de mieux la saisir dans ses implications actuelles. D’où un retour sur certains traits connus ou moins connus qui concernent, aujourd’hui, l’évolution des enjeux contractuels ou celle des régulations politiques. Un retour nécessaire pour mieux appréhender les rapports qui lient le conflit aux nouvelles régulations tout comme ce qui les caractérise désormais d’un point de vue théorique et empirique.
1. Mutations du travail, emploi et nouvelles régulations
3Face aux régulations politiques, la montée des régulations autonomes découle a priori de cadres économiques de plus en plus instables et dont l’instabilité même contredirait l’efficience de règles juridiques plutôt fondées sur des critères de permanence, de durée, de stabilité, voire de rigidité. Les changements intervenus dans l’entreprise, qu’ils concernent les technologies, l’organisation du travail ou l’agencement de compétences mobilisées dans la production, induiraient des évolutions de plus en plus heurtées et des conjonctures de plus en plus mouvantes (Boissonnat, 1995). Ponctués par des cycles toujours plus rapprochés et des modes d’obsolescence toujours plus rythmés, ils conduiraient souvent au reflux « des principaux repères qui étaient précédemment utilisés » (ibid., 88-89) afin de régler les rapports sociaux. En fait, en deçà des mouvements d’ensemble, les nouvelles formes de régulation qui touchent l’entreprise s’appuient sur deux registres :
- les modes de prescription du travail ;
- l’emploi et la relation d’emploi.
4Commentant l’une des principales enquêtes réalisées dans les années 1990, auprès de 60 000 salariés exerçant dans 35 branches professionnelles, Yves Lichtenberger constatait en effet « un renversement des formes de prescription du travail » : « Antérieurement plutôt poussé en amont par les modes opératoires et les normes techniques de conformité des produits et des process [le travail] est aujourd’hui plus souvent tiré en aval par l’attente du client et de l’usager et la qualité du service rendu » (Lichtenberger, 1998). Naturellement, un tel renversement de perspectives n’est jamais, au niveau local, sans conséquences sur l’action revendicative ou sur les « jeux » contractuels, comme le montrent d’autres études internationales ou monographiques. Dans de nombreux pays européens, les stratégies syndicales adoptent des aspects inédits comparés à ceux qui dominaient dans un passé encore proche. Les critères liés au marché (à son existence, à ses contraintes mais aussi à ses potentialités) prennent une importance accrue face à ceux, plus traditionnels, qui relèvent de la contestation (anti-capitaliste) ou de la défense des droits sociaux (Hyman, 1996). Et au sein de l’entreprise, « l’efficience productive est devenue l’un des enjeux de la régulation sociale » qui se substitue progressivement aux anciens compromis fordistes axés pour l’essentiel sur le salaire et la prestation de travail (Bélanger et Thuderoz, 1998).
5Du point de vue des stratégies et des revendications syndicales, l’influence toujours plus poussée des critères de productivité sur les relations professionnelles implique un trait précis. En fait, la productivité ne prend ici un sens que si elle renvoie à l’emploi (et à la défense de l’emploi). Dès les années 1970, l’emploi s’imposait déjà fréquemment dans les débats sociaux ou sur le terrain des conflits du travail (Adam et Reynaud, 1978). Dans une situation régie par un chômage étendu et une croissance affaiblie, il tend à définir de nouveaux équilibres dans les espaces de la négociation collective et de la revendication. C’est ce que montrent amplement les pratiques liées à l’un des thèmes majeurs de l’évolution des acquis sociaux dans l’entreprise au XXe siècle, à savoir la baisse du temps de travail. En l’occurrence, les compromis qui s’édifient instituent alors un type d’échange bien particulier. Comme l’explique Jacques Freyssinet, la réduction de la durée du travail devient aux yeux des syndicats ou de certains partis politiques l’un des instruments de la politique de l’emploi, tandis que le patronat revendique dans le même temps « la diversification et la flexibilisation des temps de travail comme l’un des moyens nécessaires pour assurer la compétitivité dans les nouvelles conditions de la concurrence » (Freyssinet, 2001, 40-41) [5]. Depuis, la situation est restée quasiment analogue dans beaucoup de pays, mais l’influence de l’emploi sur les relations professionnelles déborde amplement le domaine du temps de travail et d’autres thèmes sont concernés par elle. C’est le cas de l’organisation des tâches, des salaires, de la mobilité, des tendances contradictoires qui touchent les qualifications ou les métiers [6], de la gestion des compétences (Richebé, 2002), etc. Pour certains auteurs, l’emploi est ainsi devenu un « équivalent général » tant du point de vue contractuel que du point de vue revendicatif [7].
6À l’évidence, l’empreinte de l’emploi sur les relations professionnelles contribue largement aux évolutions qui touchent de nombreux compromis sociaux. Hier, ces derniers se fondaient sur la légitimité de normes techniques liées à la conformité du produit et qui modelaient « prestation du travail, qualifications et salaires ». Aujourd’hui, leur assise devient plus erratique au regard des mutations de l’entreprise ou de l’emploi, et dans des contextes instables, elle laisse plus de place à des initiatives locales et donc à des régulations de moins en moins centralisées, à des régulations plus autonomes. Ainsi, les analyses théoriques (ou empiriques) qui justifient la montée des régulations autonomes par le rôle qu’assume désormais le thème de l’emploi dans les nouveaux compromis sociaux demeurent tout à fait pertinentes et convaincantes. Mais elles le seraient d’autant plus, selon nous, si l’essor des régulations autonomes était plus souvent rapporté aux évolutions qui touchent l’action du législateur et les régulations politiques. Pour Dunlop – on l’a vu –, l’environnement politique peut, à sa manière et pour une large part, éclairer le fonctionnement des relations professionnelles. En effet « la structure du pouvoir » des contextes politiques qui agissent dans une société donnée influe à divers titres sur les « relations entre les acteurs du système » [8]. En ce sens, un « détour » par le « politique » tout comme la prise en compte de traits plus sociétaux nous semblent ici nécessaires voire indispensables, et pour cause. D’une part, parce que les régulations autonomes jouent, dans la sphère des relations professionnelles, un rôle d’autant plus important que les régulations politiques produites par l’État deviennent moins efficientes (cf. supra). De l’autre, parce que leur essor et leur impact renvoient, par-delà la négociation ou le contenu des accords collectifs, au conflit lui-même (et, comme on le verra plus loin, à son rapport de plus en plus direct à la production des règles).
2. Un jeu hybride : régulations politiques et régulations autonomes
7Diverses analyses évoquent la dépréciation des régulations qui découlent de l’intervention de l’État mais elles le font souvent à partir d’approches et de problématiques fort divergentes.
2 . 1. Globalisation ou différenciation ?
8Nombreux sont aujourd’hui les écrits pour lesquels le reflux des régulations politiques serait dû à la mondialisation et aux « effets de globalisation » qu’elle entraîne [9]. Les processus économiques et financiers qui s’exercent au niveau mondial impliqueraient ainsi la mise en cause du pouvoir politique et de l’État-nation, et ce surtout dans des sociétés bien typées : celles ayant connu un État-providence influent dont l’un des rôles essentiels au sein des relations professionnelles fut d’assumer de façon tutélaire la protection des salariés, l’unification de la concurrence et la reproduction d’un ordre public social [10]. La thèse est largement répandue. Elle constitue une sorte de « lieu commun » repris par beaucoup, aujourd’hui. Elle structure de multiples débats sociaux, militants ou scientifiques, et on la retrouve dans des approches et des disciplines très diverses, qu’il s’agisse de l’économie, des sciences sociales ou de la science politique. Pierre Muller, l’un des meilleurs spécialistes de la théorie de l’action publique, écrit ainsi : « Les attentes à l’égard du gouvernement sont d’autant plus hautes que la capacité de régulation de ce même gouvernement est durement mise en cause par un certain nombre de transformations des conditions de l’action publique, à commencer par la globalisation » (Muller, 1999). Que la globalisation et ses divers effets jouent ici un rôle important, c’est l’évidence même. Mais elle est loin d’en former l’unique cause, ni même la cause essentielle sauf à donner aux aspects économiques qui la caractérisent une importance injustifiée.
9En fait, l’apport des thèses les plus communément admises à propos de la mondialisation et des États-nations traditionnels se fragilise face à tout une série d’hypothèses, de constats et de postulats qui se dégagent de certains travaux. Dans les rapports entre « régulations politiques » et « régulations autonomes », les ruptures d’équilibre les plus anciennes sont ainsi apparues bien avant que les effets liés à la mondialisation soient ceux que l’on constate aujourd’hui. De façon principale, elles relèvent d’évolutions – sociopolitiques plus qu’économiques – qui avaient déjà marqué la plupart des pays développés et les régulations qui les structuraient. Dans ce contexte, la mondialisation constitue un facteur qui contribue – simplement ? – à renforcer certaines des grandes tendances (sociétales) à l’œuvre dans ces pays et qui lui préexistaient depuis de longues années, parfois (cf. infra). Autrement dit, elle accentue des « effets de causes » qui lui sont souvent étrangères et qui découlent, à l’origine, des mutations propres aux sociétés elles-mêmes. Ainsi, plus que dans les mécanismes économiques ou financiers du marché mondial, c’est bien dans les transformations endogènes des sociétés qu’il faut lire les ruptures apparues au sein des régulations existantes. Ici, le changement social (endogène) précède dans le temps les incidences somme toute récentes de la « globalisation des échanges économiques » sur l’univers de la production des règles et des régulations. C’est, notamment, ce qui ressort d’écrits importants parmi lesquels on peut évoquer – entre autres – ceux de Jean-Daniel Reynaud ou de Niklas Luhmann.
10Face à une société comme la société française et dans une période où celle-ci restait encore régie par des structures de pouvoirs propres à l’État-nation traditionnel, Jean-Daniel Reynaud insistait déjà sur certaines mutations, cruciales en l’occurrence. Pour lui, les « limites d’une régulation centralisée » comme celles de l’ « effectivité du droit » relevaient souvent de l’évidence dans des domaines aussi divers que l’immigration, la sécurité du travail, etc. (Reynaud, 1989, 179-180, notamment). Fondés sur une approche différente, les travaux de Niklas Luhmann aboutissaient, dès la fin des années 1970, à des constats analogues. Là aussi étaient mis en relief des évolutions qui s’éloignaient des modes d’organisation sociale basée sur des « systèmes » plus ou moins centralisés (Luhmann, 1982) [11]. Les sociétés modernes sont ainsi marquées par des processus de différenciation et une autonomie des sphères d’action et de valeurs qui mettent en cause bien des legs du passé [12]. En leur sein, les modes de différenciation qui modèlent les rapports sociaux qui s’édifient à divers niveaux, conduisent au passage d’un ordre hiérarchique et « global » à un ordre aléatoire constitué de sphères toujours plus spécifiques et autonomes. Les sociétés deviennent de plus en plus composites, segmentées, différenciées. Les travaux et les écrits qui s’attachent à de tels thèmes peuvent, à l’évidence, s’appliquer à des changements sociaux qui se situent « au long cours », voire sur la « longue durée historique ». Ils revêtent toutefois un intérêt plus immédiat dès lors qu’on les réfère à des contextes post-fordiens et aux régulations qu’ils génèrent. Dans ces contextes, en effet, les processus de segmentation sociale connaissent un essor accru et une croissance accélérée du point de vue des statuts d’emplois, des modes d’organisation du travail, de la gestion des compétences, etc.
11Ainsi, le mouvement des sociétés modernes vers plus de différenciation contredit les principes d’unification et d’intégration [13] qui spécifiaient certaines formes de régulation politique et impliquaient l’existence de « systèmes de sens à caractère global » [14]. De ce fait, il contribue à mettre en cause dans divers pays, l’une des références essentielles qui fondait hier les relations professionnelles, à savoir l’action du législateur liée à de tels principes. À l’évidence, avec l’action du législateur, c’est aussi l’intervention du « politique » qui est mise en question. Aujourd’hui, les rationalités (politiques) dont l’empreinte marquait l’univers démocratique de l’après-guerre, perdent de leur substance et de leur efficacité. Qu’elles relèvent des partis ou de l’État, elles s’appliquaient alors à des domaines étendus. Leur influence ne se limitait pas à la codification des attentes et des demandes sociales portées, en l’occurrence, par les mobilisations collectives au sein des relations professionnelles. Dans le champ politique, l’action des partis ou de l’État visait à organiser, à ordonner et à hiérarchiser les attentes et les demandes sociales afin de leur donner une cohérence programmatique (le programme des partis), ou une cohérence budgétaire dans l’action gouvernementale (Offe, 1985 ; Lallement, 1999). La gestion de la société et des rapports sociaux laissait ainsi une large place à la régulation politique. La primauté de celle-ci sur d’autres formes de régulation était alors indéniable. Or, c’est bien ce modèle d’action qui s’incarnait souvent dans la législation, qui est aujourd’hui profondément touché par les métamorphoses des sociétés modernes, par l’existence de sociétés de plus en plus segmentées. En effet, les diverses rationalités politiques qui avaient fait la preuve de leur efficacité étaient d’autant plus actives qu’elles agissaient dans un cadre centralisé [15], ce qui est moins évident désormais. D’où de nouveaux rapports entre les diverses formes de régulations – régulations politiques et régulations autonomes –, et au sein des relations professionnelles de nouveaux rapports entre le droit et la négociation.
2 . 2. Des processus hybrides de production des règles
12Le droit ne s’impose plus forcément, et en l’état, aux partenaires sociaux dans l’entreprise. Il ne régit plus aussi fréquemment les contours et le contenu des accords collectifs. Il peut même découler de la négociation comme l’atteste la récente loi sur la formation professionnelle ou, mieux encore, celle sur le travail de nuit des femmes qui s’est inspirée de tout une série d’accords dérogatoires conclus localement, dans l’industrie et les services, tout au long des années 1990. De la même façon, le droit ne répond plus toujours à des logiques d’accumulation de règles impératives. Impliquant au niveau local de très nombreuses négociations, les lois Aubry sur les « 35 heures » ont – à leur manière et pour mieux s’imposer – renforcé des processus de mise en cause de certains pans du droit social. Il en est ainsi, notamment, du statut des heures supplémentaires, contredit par des procédures toujours plus poussées d’annualisation du temps de travail ; de l’unité du SMIC, avec les modalités d’application différenciée dans le temps des « 35 heures » ; ou de la représentativité des accords signés, avec le recours éventuel au référendum d’entreprise. En fait, en France comme dans beaucoup de pays européens, la fonction normative du droit est devenue (plus souvent) supplétive ou dispositive (Supiot, 1999) – voire plus incitative selon le modèle anglo-saxon [16]. Certes, dans bien des cas, le droit perdure et ses capacités d’imposition de certaines règles – les règles d’encadrement, par exemple – demeurent. Mais les anciens rapports qu’il entretenait à l’initiative locale se sont modifiés surtout dans des sociétés au mode de fonctionnement classiquement centralisé (Supiot, 2001). Plus qu’à une opposition tranchée entre le droit et les régulations autonomes qui se définissent surtout au niveau local, on est plutôt désormais en présence de processus hybrides. Le droit ne s’efface pas face aux contraintes issues des nouveaux compromis sociaux et des principes d’échange et de flexibilité qu’ils recèlent. Il « gère » ces derniers et par ce fait, il devient lui-même plus flexible (Groux, 1999, 44). De l’hybridation des règles juridiques et de l’initiative locale, découlent des jeux de régulation qui mobilisent les acteurs dans l’entreprise (privée mais aussi... publique) [17]. À l’évidence, de tels processus d’hybridation ne vont pas sans rappeler ce que Michel Lallement nomme les « gouvernances de l’emploi » (Lallement, op. cité). Mais leur analyse renvoie aussi à d’autres traits et à des aspects importants de l’univers des relations professionnelles. Aujourd’hui, en effet, les conflits sociaux prennent souvent un « nouveau sens » en exerçant, dans certaines conditions, de nouvelles fonctions face aux diverses régulations qui concernent l’entreprise.
3. Les métamorphoses du conflit social
13Issues des mutations du travail et de l’emploi, renforcées par l’évolution du « politique » et le reflux des régulations centrales, les régulations autonomes (ou locales) façonnent aussi l’action collective. Les mobilisations massives qui correspondaient, hier, à la primauté des régulations politiques laissent de plus en plus la place à de nouvelles formes d’action collective plus éparses, plus éclatées. Mais surtout, les régulations autonomes génèrent de nouvelles configurations d’acteurs qui les confortent en retour, tout en débordant le monde de l’entreprise (voire – on le verra – celui de son environnement économique immédiat, le marché).
3 . 1. La fin du lieu clos « capital-travail »
14Aujourd’hui, le conflit dans l’entreprise ne se résume plus à des rapports qui se poseraient uniquement en termes de « face-à-face ». Il implique souvent une pluralité d’acteurs – des acteurs toujours plus nombreux, des « acteurs en conflits » – dont l’action influence, à divers titres et degrés, les relations professionnelles et la négociation collective.
15Au XIXe siècle, l’usine constituait une sorte de modèle historique, une matrice sociale (et agonistique) assez typique et qui se perpétuera encore longtemps par la suite. Le conflit y restait façonné par un rapport particulier, celui qui lie et qui oppose dans le même temps le capital et le travail [18]. À l’évidence, évoquer le travail en ces termes ne renvoie pas seulement aux discours qui nourrissaient – pour les utopistes, les réformistes ou les révolutionnaires – des projets de transformation sociale et politique. Très tôt, une mutation majeure affecte le monde de l’économie capitaliste. Celle-ci passe d’une organisation axée sur la demande à des pratiques qui privilégient « l’acte de production ». Le travail se constitue comme un « agir social » de premier ordre et la figure du producteur domine. Le système de l’entreprise se transforme en profondeur et les logiques d’action qui l’accompagnent aussi. L’entrepreneur ne vise plus seulement à adapter sa stratégie industrielle aux aléas de la demande. Son but est désormais de l’initier, voire de la façonner dans ses rythmes comme dans ses contenus (Verley, 1997). Avec le fordisme, la tendance s’accentue. L’usine fordienne forme un lieu « où les échanges avec l’extérieur sont circonscrits et maîtrisés et (ou) les états (sont) prédictibles au sens probabiliste » (Jocou et Meyer, 1996) [19]. Le modèle qu’elle façonnait renvoyait plus encore à la primauté de la production (et donc du producteur) face au marché. Dans ce contexte, le travail et les salariés occupaient une position stratégique et centrale au sein des conflits et des litiges qui traversaient l’entreprise. Le rapport qui les liait à l’employeur inspirait, de façon essentielle, le contenu des compromis sociaux qui étaient mis en œuvre et qui étaient d’autant plus manifestes qu’ils restaient, dans beaucoup de pays, souvent régis par le droit et les régulations politiques. Il s’agit là de contextes bien connus où « keynésianime » et « fordisme » demeuraient plus ou moins imbriqués, de contextes « keynésiano-fordiens ».
16À l’évidence avec les mécanismes les plus récents qui « tirent le travail en aval par l’attente du client et la qualité du service rendu », la donne s’est considérablement modifiée. Le « face-à-face » plus ou moins direct qui caractérisait les rapports entre le travail et le capital a beaucoup perdu en pertinence et en réalité. Aujourd’hui, ces derniers s’inscrivent dans des contextes de régulations où interviennent à divers niveaux des acteurs multiples, chacun d’eux visant selon ses intérêts à influer sur les règles existantes, à les mettre en cause, à les réformer où à les compléter.
3 . 1.. Du marché à l’environnement : nouvelles formes d’actions collectives et pluralité d’acteurs
17La pression élevée des contraintes du marché sur les relations professionnelles et sur la production est aussi influencée (et affermie) par de nouvelles configurations d’acteurs. Dans les rapports qui lient l’entreprise et le marché interviennent ainsi, et de façon parfois intensive, des groupes d’actionnaires – petits ou grands –, des associations de consommateurs ou des organisations d’obédience diverse qui militent pour un nouveau type de développement. L’influence du marché sur la production joue dès lors, et de manière étendue, sur des registres singuliers de l’action collective. Elle entraîne de nouvelles formes d’organisations et de mobilisations qui se définissent par rapport à l’entreprise tout en la débordant. Mais l’essor de mobilisations toujours plus diverses est d’autant plus manifeste qu’il ne se limite plus forcément, dans les contextes présents, au seul fait du marché, et ce malgré son importance. Il concerne aussi, et de plus en plus souvent, d’autres domaines qui relèvent de la confrontation de l’entreprise à des « questions plus générales de société » et qui impliquent l’émergence d’autres modes d’actions collectives.
18En d’autres termes, les mobilisations qui découlent de l’influence du marché sur la production et sur les règles du travail ne sont nullement exclusives. Elles se doublent d’autres mobilisations qui relèvent, pour leur part, du lien de l’entreprise à son environnement (écologique ou territorial). L’intervention de l’actionnaire et ses effets sur les salaires ou l’emploi, l’action des consommateurs face au produit, la mobilisation d’ONG [20] sur des questions d’éthique économique... s’agrègent ainsi à d’autres formes d’engagements. Par exemple, l’action des écologistes à propos des risques industriels ou celle des collectivités territoriales sur l’emploi et l’économie locale. D’où une pluralité d’acteurs toujours plus manifeste et des modes d’action toujours plus divers. Du « lobby » à la pétition, de la délégation à la manifestation, de la mobilisation des médias et de l’opinion, du groupe de pression à des actions parfois illicites [21], c’est bien toute une série de pratiques protestataires ou d’influence qui agissent sur l’entreprise et ses divers contextes [22]. Dès lors, le « face-à-face : capital-travail », voire ce qui reste du triptyque classique qui s’exerce au niveau national et qui implique l’État, les syndicats et l’entreprise ne suffisent plus à rendre compte des conflits et des litiges qui concernent, à divers titres, le monde de la production. Au sein de celui-ci ou dans son environnement, les sources de conflits se développent avec vigueur, tout comme les initiatives et les mobilisations collectives qui s’y rapportent. L’introduction de l’épargne salariale dans l’entreprise a ainsi généré de nouveaux litiges entre les employeurs et les syndicats qui se sont vus attribuer des capacités de négociation nouvelles en la matière [23], mais aussi entre les syndicats et des associations de salariés-actionnaires qui contestent, ici, leur légitimité. À Toulouse, les lendemains de la catastrophe d’AZF ont opposé des syndicats pour lesquels la priorité restait la sauvegarde des emplois locaux et les défenseurs de l’environnement pour lesquels la référence essentielle relevait de la sécurité publique. De tels exemples pourraient être multipliés à l’envi, et ce dans des combinaisons bien plus complexes.
19Ainsi, les nouvelles formes de l’action collective ne marquent pas seulement la vie économique ou l’univers du consommateur. Elles entraînent aussi des mobilisations multiples qui percutent le monde des conflits sociaux et des négociations et en modifient la donne. Elles affectent les modalités d’arbitrage entre employeurs et salariés qu’elles rendent, à bien des égards, plus difficiles, tout comme elles rendent plus précaire le traitement des conflits qu’elles impliquent par les régulations politiques traditionnelles, et pour cause. Face à la pluralité des mobilisations et des demandes (sociales ou autres) qui leur servent d’assises, face à la croissance parfois exponentielle des conflits qu’elles génèrent, on est quasiment en présence d’un contexte qui relève de ce que Jean-Daniel Reynaud nommait la « pléistocratie » (1973) : un contexte régi par des effets de « congestion de pouvoir et d’encombrement de la décision » (de la décision politique confrontée à des acteurs, des conflits et des mouvements diversifiés, parfois à l’extrême).
3 . 2. Actions collectives et production de règles
20Dans des cadres d’action marqués par le reflux des régulations politiques, le lien entre les nouvelles mobilisations collectives et les processus de régulations autonomes qui touchaient déjà l’entreprise à cause des mutations du travail et de l’emploi renvoie en outre à un fait éminent. Il est d’autant plus fort que l’influence des mobilisations concernées porte d’abord sur un enjeu précis : les règles – les règles du travail et de la production, les règles économiques, les règles juridiques ou conventionnelles [24] – et les régulations qui leur correspondent. Mais ici, l’action sur les règles présente un caractère particulier. Elle se déroule dans un contexte typé par une pluralité d’acteurs qui implique des rapports de rivalité et de concurrence entre eux, chacun voulant, au mieux de ses intérêts, influer sur les « règles du jeu ». D’où de nombreuses initiatives qui visent à imposer – « à imposer pour elles-mêmes » – des règles très disparates, singulières et spécifiques qui se contredisent et génèrent des conflits tout aussi nombreux. Les conflits (ouverts ou non) qui opposent syndicats et actionnaires ou les luttes menées par les écologistes face à AZF se situent selon des enjeux liés à des règles – règles de salaires ou de rétribution, règles de sécurité ou de production, etc. – et impliquent des stratégies appropriées [25].
21Dans d’autres circonstances, l’action des syndicats sur l’emploi produit souvent des effets analogues. Aujourd’hui, celle-ci tente parfois de concilier « flexibilité de l’emploi » et « garanties individuelles ou collectives ». C’est dans ce cadre que s’inscrivent des thèmes comme « l’emploi durable » ou « la sécurité sociale professionnelle » [26]. Pour les syndicats, l’enjeu est de définir diverses modalités qui se lient souvent entre elles comme le droit à la formation « tout au long de la vie », les aides à la mobilité, la gestion paritaire des emplois précaires à l’échelle des territoires locaux, les congés parentaux ou civiques, le réaménagement industriel des régions, la redéfinition du statut de certains emplois, celle de normes liées à la protection des chômeurs et bien d’autres modalités encore. Mais surtout, il s’agit de modalités qui restent très concrètement sous-tendues et régies par toute une série de règles, des règles de fonctionnement, des règles d’organisation, des règles de contrôle, des règles de financement, des règles de compétences entre les parties concernées, des règles d’évaluation, etc. C’est dire l’importance que prennent, en l’occurrence, le jeu et les systèmes de règles en cause tout comme les mobilisations qui s’y réfèrent. En effet, ce contexte induit – là encore – l’action de multiples acteurs publics et privés en vue d’intervenir sur l’emploi, et ce en fonction d’intérêts, d’enjeux, de représentations et de compétences souvent distincts, voire opposés. D’où toute une série d’agencements et de hiérarchisation de règles que définit chaque acteur et qui souvent constituent autant de systèmes de classement et d’action, étrangers les uns par rapport aux autres.
22Ainsi, l’action des acteurs sur les règles du travail ou de l’économie est moins que jamais univoque. Elle se déroule dans un cadre où ce qui se définit comme autant de « conflits de règles » s’avère, en outre, d’autant plus patent que ceux-ci ne concernent plus seulement les règles existantes, qu’il s’agisse de règles de contenu, d’encadrement ou de procédures. Ils peuvent aussi concerner les processus de production et de création de règles nouvelles. Souvent, en effet, les multiples mobilisations d’acteurs qu’ils entraînent, s’exercent dans des contextes d’entreprise mouvants et ambivalents, jamais définitifs, ni parfois très durables (cf. supra) et qui comme tels impliquent une mise en cause quasi incessante des divers systèmes de règles existantes [27]. Dès lors, l’action sur les règles des « acteurs en conflits » agit dans des contextes où les règles sont tout à la fois contestées et redéfinies. Et dans ce cadre, elle devient elle-même source de contestation et de redéfinition des règles concernées. Ainsi les conflits de règles – toujours plus polymorphes – sont simultanément « conflit sur les règles » et « conflit entre règles » [28] promus par des acteurs qui en toute diversité, selon leurs intérêts propres et singuliers, se dotent de moyens matériels ou symboliques afin d’agir à divers titres ou degrés, de façon directe ou non, sur les régulations anciennes ou nouvelles qui touchent l’entreprise. D’où en résumé, des configurations d’acteurs plus complexes, l’affirmation d’intérêts disparates, l’essor d’enjeux disséminés, des mobilisations éparses, soient autant de traits qui façonnent les nouveaux conflits sociaux qui se définissent à propos des règles et des régulations propres à l’entreprise.
3 . 3. Les « effectivités normatives »
23Par-delà son ancrage dans la réalité des multiples contextes qui « travaillent » l’entreprise, le lien entre « conflits » et « régulations » entraîne toute une série de constats mais aussi d’hypothèses et de définitions qui (re)questionnent, à leur manière, l’approche du conflit. En d’autres termes, ce lien a pour effet de redéfinir la notion de conflit social ou celle de mobilisation collective et oblige, en ce sens, à se référer aux paradigmes qui les concernent comme à certains traits théoriques. Par rapport à l’action collective et plus particulièrement à l’action syndicale, la question de l’efficience du conflit sur les règles se pose désormais, et dans bien des cas avec insistance. Elle renvoie à une autre notion : celle de l’effectivité, l’effectivité du conflit et de la mobilisation.
24L’effectivité d’une mobilisation collective peut être définie comme l’inscription de son action dans les compromis sociaux qui s’édifient à divers niveaux. Ainsi, dire la montée des régulations autonomes dans l’entreprise moderne, c’est dire la capacité des « acteurs en conflits » à inscrire dans les faits et la durée, leur influence sur les divers mécanismes de régulation et sur les règles qu’ils contribuent à transformer voire à créer. Dans ce cadre, les critères les plus traditionnels de l’action syndicale ne reflètent plus l’ampleur réelle de leur mobilisation et de ses effets. Dans les rapports qui les lient (et les opposent) à d’autres acteurs – publics ou privés –, ils doivent se doter de nouvelles capacités d’action et de persuasion afin de donner à leur mobilisation face aux règles, une crédibilité et une efficacité plus importantes.
25L’inscription des mobilisations collectives dans les compromis sociaux qui régissent l’entreprise, transforme ainsi la relation des premières à ce qui est institué dans les « règles du jeu ». Les notions de conviction ou d’engagement ne suffisent plus pour caractériser les nouvelles formes de l’action collective. Et il en est de même de leur capacité à la dénonciation et à la protestation. Désormais, l’essentiel pour les mobilisations collectives est de dépasser le seul registre protestataire – sans forcément le nier, bien sûr – afin de marquer de leur sceau les systèmes de règles qui agissent dans les contextes propres à l’entreprise et aux relations professionnelles. Dans ce cadre, les paradigmes les plus reconnus qui spécifient les mobilisations collectives deviennent plus fragiles (Klandermans et al., 1988 ; Mac Adam et al., 1997) [29]. Impliquant la mobilisation des ressources, la dynamique interne des mouvements, les réseaux sociaux, la construction des identités collectives ou les opportunités politiques qui marquent ou entourent l’action collective, ils demeurent à l’évidence pertinents pour l’analyse des conditions de la mobilisation, de son envol et de sa mise en œuvre [30]. Mais ils ne permettent pas véritablement de situer l’influence et l’empreinte des mobilisations collectives sur les systèmes de normes et de règles qui régissent l’entreprise, et donc leur aptitude à traduire dans le « réel » le résultat de leur action. C’est ici que peut intervenir la notion d’ « effectivité normative ». Celle-ci, rappelons-le, implique que les « acteurs en conflits » puissent se doter d’un rôle particulier : celui d’agir pour transformer leurs revendications en règles – en règles autonomes, coutumières, contractuelles ou en règles de droit, selon les circonstances – afin qu’elles s’imposent à d’autres acteurs publics et privés.
26L’effectivité normative joue, de ce fait, sur la définition des normes et des règles. Elle inscrit les résultats de l’action collective dans des processus durables qui tranchent avec le caractère éphémère de certaines mobilisations dont l’action sur les règles reste marginale et qui demeurent souvent minoritaires. Elle refaçonne les contours et les contenus de nombreuses actions collectives apparues dans les vingt dernières années. Dans les mobilisations collectives, elle implique ainsi des ressources nouvelles ou singulières, ressources intellectuelles et cognitives, capacités d’expertise et nouveaux référentiels [31], afin d’agir sur les règles autonomes (ou non) et donc sur les conduites et les représentations sociales.
27Certes, le « redéploiement théorique » de l’approche du conflit par le biais de l’effectivité normative ne s’applique pas de la même manière à la totalité des contextes ou des forces qui agissent dans les relations professionnelles. Surtout, lorsqu’il s’agit de forces syndicales. L’effectivité des conflits sur les règles et les régulations suppose des modalités précises. Elle implique deux conditions particulières et qui ne sont pas forcément liées. Elle est d’autant plus patente lorsque les syndicats connaissent une institutionnalisation poussée ou lorsque leur présence auprès des salariés et dans l’entreprise s’avère importante. Reste que la notion d’effectivité normative renvoie à des tendances en cours et qui, en s’affirmant plus ou moins rapidement selon les pays, transforment les liens qui existaient entre le conflit, la négociation et la régulation sociale. D’où peut-être une mise en question de certains des aspects de la théorie des relations professionnelles et la nécessité de revisiter la notion d’ « autonomie du système ».
Notes
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[1]
Sur la notion de régulation dans ses diverses acceptions (voir, entre autres, Reynaud, 1989).
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[2]
Tout en se voulant un texte de synthèse, cet article s’appuie en effet sur des enquêtes de terrains menées par d’autres ou par nous-mêmes, auprès d’entreprises et de syndicats, en France ou en Europe, et qui ont donné lieu à des publications diverses (cf. bibliographie ou références dans le texte).
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[3]
Dunlop, 1993 ; voir aussi Sellier, 1976, 91-92.
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[4]
Bien évidemment, le terme de conflit est pris ici dans un sens très général et s’applique à tout une série de pratiques, de litiges et de désaccords qui s’expriment au sein des entreprises par des voies très diverses (cf. infra).
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[5]
Voir aussi Freyssinet, 1997.
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[6]
À propos des métiers et de leur évolution dans les organisations modernes (voir Piotet, 2002).
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[7]
« La défense de l’emploi rassemble (...) des individus aux statuts multiples et aux intérêts divergents. Elle se justifie, selon la quasi-totalité (des) interlocuteurs syndicaux, comme une défense collective où le bienfait attaché à l’état supérieur (conserver son emploi), pour lequel tout salarié possède une égale chance et droit d’accès, s’accompagne d’un éventuel sacrifice collectif » (Bélanger, Thuderoz, op. cit., 485).
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[8]
Même si elle ne les détermine pas (forcément) de façon directe (Dunlop, in Sellier, 1976, 92).
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[9]
Le terme de « mondialisation » est surtout utilisé en France alors que celui de « globalisation » l’est plus souvent ailleurs et pas seulement dans les pays anglo-saxons. Pour des raisons de commodité de langage, on emploiera indifféremment ici les deux notions.
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[10]
Cf. aussi Freyssinet, 2001, op. cit.
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[11]
Voir aussi Luhmann, 1995. Dans son analyse sur les mutations des sociétés, Luhmann accorde une attention centrale aux notions de systèmes et de sous-systèmes sociaux. Le texte présent concerne plutôt d’autres instances ou activités sociales, à l’instar des stratégies d’acteurs ou des mobilisations collectives (cf. infra).
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[12]
La notion de différenciation est prise ici dans un sens bien distinct de celui qu’ont pu lui donner dans le contexte d’une sociologie naissante certains auteurs comme Herbert Spencer (1820-1903). S’inspirant d’une approche organiciste, celui-ci a pu souligner l’existence de réels processus de diversification et de spécialisation qui touchaient des segments entiers de la société, tout en concevant, entre ces derniers, des relations d’interdépendance plus ou moins fortes : d’où, la (re)constitution d’une sorte de « totalité organique ». Or, selon nous, l’autonomie des sphères d’action et de valeurs joue, dans les sociétés modernes, un rôle essentiel dans l’analyse des modes de régulation, un rôle qui l’emporte sur tout autre trait. En d’autres termes, il est question ici de se référer à un principe majeur, le principe d’autonomie qui concerne beaucoup de sphères sociales dont celle des relations professionnelles, plus qu’à des notions qui renvoient à des « totalités » d’ordres variés ou à des faits plus ou moins globaux (cf. infra, également).
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[13]
Sur la mise en cause du principe d’intégration et de ses effets sur l’action publique, voir Duran, (1999).
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[14]
Pour reprendre une formule de Vincent Simoulin (2003).
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[15]
Un cadre centralisé dont l’une des figures historiques fût « l’État-nation à la française », celui-ci donnant lieu durant les « trente glorieuses » à la constitution d’une sorte de « bloc social » liant syndicats et entreprises au pouvoir politique (Groux, 1998).
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[16]
Cf. les transformations actuelles qui touchent le « capitalisme rhénan » et les réformes de l’entreprise allemande. Ou en Italie, la priorité donnée à la négociation collective face à la loi pour ce qui concerne l’aménagement (et la réduction) du temps de travail.
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[17]
Dans les entreprises publiques où l’on observe parfois « que le management remplace le droit comme mode principal de légitimation » (Rouban, 2001). Voir aussi à propos de ces entreprises ou de celles relevant en partie de l’État (Tixier, 2002 ; Damesin, 2002).
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[18]
On ne reviendra pas ici sur les thèses anciennes et bien connues d’Alain Touraine au sujet des différentes phases de l’évolution de la conscience ouvrière (Touraine, 1966).
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[19]
Image réputée et attribuée à Ford : pour le constructeur automobile, le client gardait toujours la liberté de choisir la couleur de son véhicule à condition ... que ce soit le noir.
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[20]
« Organisations non gouvernementales ».
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[21]
Occupations de bâtiments publics, blocages de péages...
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[22]
Naturellement, les modes traditionnels de l’action syndicale – la grève et la manifestation, notamment – ne sont plus forcément parmi les plus efficaces face à d’autres types de pratiques et de mobilisations comme le lobbying des actionnaires ou la médiatisation de certaines actions menées par des ONG...
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[23]
Suite au vote de la récente loi Fabius.
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[24]
Par commodité de langage, nous utiliserons surtout dans les pages qui suivent la formule : « les règles du travail et/ou les règles économiques », pour désigner l’ensemble des règles concernées.
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[25]
Des stratégies de contestation mais aussi de redéfinition des règles en vigueur (cf. infra).
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[26]
Il s’agit là de notions respectivement reprises en France, par la CFDT et la CGT. À propos des nouvelles modalités de l’emploi, voir aussi Gazier (2003).
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[27]
En d’autres termes, les conflits de règles sont d’autant plus nombreux qu’ils interviennent dans des contextes en mouvement.
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[28]
Voire « conflit entre systèmes de règles » à propos duquel Renaud Damesin a rédigé un texte très éclairant concernant la Poste et France-Telecom (Damesin, op. cit.).
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[29]
Voir aussi Balme, Chabanet et Wright, 2002.
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[30]
Sur ces traits divers, voir aussi les textes réunis par François Chazel, 1993.
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[31]
On emprunte ici le terme de « référentiel » à Pierre Muller. Le référentiel renvoie à « la construction d’une représentation, d’une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. C’est en référence à cette image cognitive que les acteurs (organisent) leur perception du système, confrontent leurs solutions et définissent leurs propositions d’action (...) » (Muller, 1990, 42-43).