CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Une femme d’une quarantaine d’années me raconta un jour l’histoire suivante. Elle avait été hospitalisée pour des examens médicaux. Le médecin la convoqua dans son bureau, la fit asseoir et lui annonça qu’elle avait un cancer du sein. Cette femme sensible et émotive s’effondra et se mit à pleurer. Le chirurgien lui dit alors qu’il n’était pas là pour entendre ses patients « pleurnicher » et l’invita un peu rudement à quitter son bureau. Cette histoire est tellement brutale qu’on peut espérer qu’elle ne s’est pas exactement passée comme ça. En revanche, ce qui est advenu ensuite ne fait pas de doute : depuis ce jour-là, cette femme n’est plus jamais arrivée à pleurer. Et, privée de l’expression de sa tristesse, elle a eu l’impression d’être privée de sa tristesse elle-même, à tel point qu’elle dit aujourd’hui avoir de la difficulté à reconnaître cette émotion lorsqu’elle l’éprouve.
Cette anecdote nous montre que la violence subie – et notamment cette forme de violence qui consiste à faire honte à quelqu’un de ses sentiments – peut engendrer l’inaffectivité. Mais il arrive parfois que cette inaffectivité s’accompagne d’émotions excessives et sans rapport avec les situations où elles se manifestent.
C’est ce que nous montre le film de Peter Kamowski intitulé Warrior. Une jeune recrue britannique est envoyée comme casque bleu en Bosnie au début du conflit, c’est-à-dire à un moment où la force internationale n’avait qu’une fonction d’observation et aucun pouvoir d’intervention…

Français

Les émotions sont un élément essentiel de la vie psychique et sociale, dont le bon fonctionnement est sous la dépendance des échanges précoces et des diverses situations rencontrées. Les traumatismes incitent notamment à mettre les émotions de côté pour réagir de la façon la plus rationnelle possible, et il peut en résulter plus tard un fonctionnement froid et distant dans beaucoup de situations dans lesquelles les émotions seraient importantes. Mais il y a aussi les émotions que nous nous interdisons d’éprouver parce que nous en avons un jour reçu l’ordre, et celles dont nous croyons qu’elles nous appartiennent en propre, alors qu’elles ont en réalité été introduites en nous comme un corps étranger.
Tout psychothérapeute peut être confronté un jour à ces diverses situations et doit donc apprendre à les gérer. L’humour est parfois un bon moyen.

  • émotions
  • humour
  • prescription (des émotions)
  • thérapie
  • traumatisme
Serge Tisseron
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Mis en ligne sur Cairn.info le 14/03/2022
https://doi.org/10.3917/jpe.023.0093
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