1L’opposition contenant/contenu chère à W.R. Bion se voit utilisée dans de nombreuses disciplines.
2En linguistique par exemple, le concept de contenant renvoie à la syntaxe et celui de contenus aux mots : sans syntaxe, les mots ne peuvent être organisés en phrases, mais sans vocabulaire, la syntaxe ne sert de rien.
3Dans le domaine cognitif, les contenus de pensée (sensations/perceptions, affects/émotions, fantasmes et idées/pensées) ont besoin de contenants de pensée pour pouvoir s’organiser, faute de quoi il ne saurait y avoir que confusion de pensée (B. Gibello, 1984).
4Cette opposition entre contenants et contenus s’avère donc fort heuristique et pas seulement dans le champ de la réflexion psychanalytique de W.R. Bion toujours ouverte sur les acquis scientifiques en général.
5Ceci étant, cette opposition ne renvoie pas seulement à un rapport d’inclusion plus ou moins statique (les contenus se trouvent à l’intérieur des contenants) mais à une relation dialectique, dynamique et fonctionnelle.
6Expliquons-nous en prenant l’exemple de la phrase.
7Si l’on prononce le signifiant « ver » de manière isolée, l’auditeur ne peut aucunement savoir si nous pensons aux mots « vert », « verre », « ver », « vers » ou « vair » par exemple.
8C’est seulement l’ensemble de la phrase qui permet de contextualiser le signifiant « ver » et de supprimer toute ambiguïté.
9Mais il y a plus : le style de l’énoncé apparaît comme le fruit de la dialectique entre contenant et contenu dans la mesure où l’on ne choisit pas le même type de phrase (contenant linguistique) pour un contenu scientifique ou amoureux et où, à l’inverse, le vocabulaire (contenu linguistique) dont le locuteur dispose influence en retour l’organisation de sa phrase.
10A. Ciccone (2001) a fait une présentation très éclairante de l’opposition contenant/contenu chez W. R. Bion :
En 1962, W. R. Bion a construit le modèle du « contenant-contenu » selon lequel l’expérience chaotique et confuse du bébé nécessite la présence d’un contenant qui puisse accueillir et transformer cette expérience, la détoxiquer.
Le contenu projeté est appareillé au contenant, à condition que ceux-ci entretiennent une relation que Bion qualifie de « commensale », chacun tirant profit de l’autre pour sa propre croissance.
Le « contenant-contenu » ainsi formé est ré-introjecté par le bébé et se développe jusqu’à devenir le propre appareil à penser du bébé.
Cette fonction de l’objet, cette fonction qu’accomplit l’objet – la mère – pour le bébé est appelée « fonction alpha », et elle constitue le premier pas dans l’activité de pensée.
Le bébé clive et projette une partie de sa personnalité en détresse dans l’objet, celui-ci contient cette expérience émotionnelle, cette partie de la personnalité du bébé expulsée, et dans la « rêverie » – la fonction alpha est tributaire de la « capacité de rêverie » – commence le processus de formation du symbole et de la pensée.
L’objet contenant transforme les éléments « bêta », éléments bruts projetés, en éléments « alpha », éléments disponibles pour la pensée (Ciccone, 2001).
12On voit donc comment la fonction contenante est une fonction « symbolisante », comme d’autres, dont R. Roussillon, par exemple, peuvent en parler aujourd’hui (1995). Ce qui contient, ce qui détoxique l’expérience, c’est le processus de symbolisation.
13Si le bébé ne rencontre pas un objet capable de réaliser ce travail, il ré-introjecte l’expérience d’un objet qui refuse les identifications projectives, autrement dit il ré-introjecte sa détresse augmentée des failles de l’objet ou de l’échec de l’objet, il ré-introjecte ce que W. R. Bion (1983) appelle une « terreur sans nom ».
14On voit comment la notion de fonction contenante suppose le processus « d’identification projective ».
15À travers ses conceptions de « contenant-contenu », de « fonction alpha », de « rêverie maternelle », W. R. Bion propose ainsi un modèle d’identification projective normale, non toxique, au service de la communication.
16Ajoutons pour conclure que si la mère offre sa fonction « conteneur » (contenance et transformation) en fonction de ce qu’elle est et des spécificités de sa relation avec cet enfant-là, le psychanalyste doit, quant à lui, offrir cette fonction à ses différents analysants et en tenant compte de leurs idiomes personnels, ce qui est évidemment plus ouvert et encore plus complexe.