I mean Negative Capability, that is, when a man is capable of being in uncertainties, mysteries, doubts, without any irritable reaching after fact and reason [1].
1Comment cette réflexion résonne-t-elle, aujourd’hui, dans la pratique de la cure ?
2Dans le décours d’une séance ?…
3Qu’attend-il (elle) cet « autre » étendu ou assis, près de moi ? Une vérité, l’espoir de toucher la source d’une souffrance cachée, au fond de son être ? Il (elle) sait, bien sûr, qu’il (elle) peut dire ou penser, librement, sans être jugé(e) ni critiqué(e).
4Mais la machine complexe et souterraine qui se met en place se glisse entre les mots, cherche à inscrire en moi, avec autant de prudence que d’insistance, les fragments émergents de son malheur. D’une posture à l’autre, d’un souffle à la surprise d’une tonalité inhabituelle, je m’installe à l’écoute, attentif. Je sais, je sens, qu’une infinité de messages invisibles circulent, noyés dans la brume de nos inconscients respectifs. Se laisser effacer, sans trop d’angoisse, porté par ce voile tissé d’une vérité encore inaccessible. Effacer les récifs du passé récent, les théories qui s’accrochent à certaines phrases, les noter peut-être, comme le marcheur voit les pierres qui jalonnent son chemin. Le temps de la séance, trace une voie, un souffle, espace créateur ouvrant sur une connaissance possible. Une émotion me traverse, particulière. Elle fait écho avec d’autres, momentanément sorties de mon champ d’attention, venues d’autres séances. Elles s’associent, s’interrogent, une image surgit, création mutuelle, produite dans l’entre-deux du transfert. En quoi me parle-elle, de moi ou de l’autre ? De l’autre à travers moi. Je l’observe, un tri s’opère, une partie m’appartient sans doute, mais une autre m’est étrangère… Peut-être vais-je parler de cette image, tenter d’apprécier l’effet qu’elle produit, ou je la mettrai au travail, pour une interprétation à venir… Je ne sais pas encore… attendre que les éléments s’emboîtent… Attendre le « fait choisi »…
5Bion nous encourage à tourner, à chaque séance, telle une nouvelle page ouvrant « sur ce vide papier que la blancheur défend » (Mallarmé, 2011, p. 22). Comme le poète, l’analyste se tient sur le fil entre inconscience et conscience, cherche à maintenir l’ouverture, la plus libre possible des théories ou des concepts qui facilitent certes le passage mais invalident créativité et croissance psychique. Bion nous invite à cette rêverie partagée, s’aidant de l’appui des formes mathématiques, sans doute plus proches de la capacité négative que le langage saturé d’une « pénombre de signifiants »….
6L’insaturé, l’incomplétude, moteurs de notre nécessaire humilité d’analyste, mais aussi souci d’être attentif à ce qui émerge de soi et l’autre… Porte ouverte sur l’observation psychanalytique, mais aussi sur celle des bébés, décrite par Esther Bick, racines vivantes de la formation analytique…
Notes
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[1]
22. « Je parle de la capacité négative, c’est-à-dire quand un homme est capable d’être dans les incertitudes, des mystères, des doutes, sans être dans une recherche irritée des faits et des raisons. »