CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les sanctions économiques telles que pratiquées aujourd’hui avaient déjà été soutenues par le président américain Woodrow Wilson qui, au vu du carnage de la Première Guerre mondiale, suggéra que ce type de mesures ne soit plus seulement employé pour affaiblir un adversaire potentiel avant le déclenchement d’un conflit mais plutôt dans une approche préventive, comme une stratégie pouvant permettre d’éviter la guerre. Pendant longtemps, les sanctions précédaient la guerre et visaient à affaiblir l’ennemi avant la bataille. Elles étaient alors issues de la pratique et des coutumes internationales [1]. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale qu’elles furent codifiées par le droit international public dans le cadre de la Société des nations (SDN), dont la Charte disposait, dans son article 16, que « si un membre de la Société recourt à la guerre [contrairement à ses engagements], il est ipso facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les autres [...]. Ceux-ci s’engagent à rompre avec lui toutes relations commerciales ou financières, à interdire tous rapports entre leurs nationaux et ceux de l’État en rupture du pacte et à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles ». L’article 41 de la Charte des Nations unies a repris cette logique. En revanche, les sanctions unilatérales sont condamnées par les Nations unies : « Aucun État ne peut appliquer ou encourager l’usage de mesures économiques, politiques ou de tout autre nature pour contraindre un autre État à subordonner l’exercice de ses droits souverains » [2], ce qui n’empêche pas leur utilisation, témoignant des imperfections du droit international. De même, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à laquelle adhèrent presque tous les pays du monde – et notamment la Chine et la Russie –, a pour rôle d’éviter les guerres commerciales.

2La sanction économique peut se définir comme une « mesure coercitive, imposée par un pays ou un groupe de pays à un autre pays, son gouvernement ou des entités individuelles dans le but de pousser à un changement de comportement ou de politique » [3]. Les sanctions peuvent être générales, comme dans le cas de l’Irak, ciblées ou sélectives, frappant uniquement certains produits en cause dans un différend commercial ou certains individus. Elles sont le fait d’un État (sanctions bilatérales) ou de plusieurs (sanctions multilatérales). Elles peuvent être commerciales et / ou financières, ces deux catégories se recoupant en grande partie dans la pratique, surtout lorsqu’elles sont d’application générale [4]. Les sanctions économiques s’inscrivent dans une logique de guerre économique stricto sensu, en ce que les pays initiateurs sont généralement prêts à subir eux-mêmes des conséquences économiques et financières, dans un jeu à somme doublement négative, du moins à court terme [5].

3La sanction est alors supposée créer une situation économique tellement dégradée qu’elle va conduire la population à faire pression sur les dirigeants. Dans ce contexte, la plupart des études et articles sur les sanctions s’interrogent sur leur efficacité pour en conclure le plus souvent à leur inefficacité [6]. Selon une approche différente, il importe de tenter de comprendre les liens et interactions entre mondialisation et sanctions économiques. Les deux processus apparaissent relativement contradictoires : la sanction freine le commerce, là où la mondialisation vise à le promouvoir. Qui plus est, elle peut être assimilée à une forme de protectionnisme, en partageant les mêmes travers : l’inégalité devant la sanction et l’ampleur des conséquences, les sanctions américaines ayant globalement plus de poids et de répercussions sur la mondialisation que d’éventuelles sanctions émises par un pays moins puissant économiquement et politiquement. Pour autant, la mondialisation comme les sanctions mettent en évidence des dynamiques d’intégration ou d’exclusion des pays dans les relations et les échanges internationaux. La mondialisation peut ainsi être un cadre qui pénalise la sanction en la rendant moins pertinente, puisqu’elle multiplie les contournements possibles. Le positionnement de la Chine a ainsi permis au Soudan de limiter l’impact des sanctions occidentales. À l’inverse, l’intégration croissante des pays dans la mondialisation amplifie les interdépendances et augmente le coût des sanctions. De ce point de vue, la mondialisation accroît les conséquences économiques de la sanction pour les pays sanctionnés. Ne peut-on interpréter ainsi les récentes tentatives d’apaisement de Cuba ou de la Russie ? Dans ce contexte, réinterroger l’efficacité des sanctions dans le cadre de la mondialisation peut permettre de donner des éléments de réponse quant à leur pertinence.

Du rôle et de l’efficacité des sanctions dans la mondialisation

4John Maynard Keynes louait le potentiel pacificateur des sanctions économiques. En 1935, il défendait ainsi le principe de celles prises à l’encontre de l’Italie, réfutant l’argument selon lequel elles pourraient inciter Benito Mussolini à déclarer la guerre : un tel acte n’aurait pas relevé d’un calcul raisonnable. Après la Seconde Guerre mondiale, l’arme économique continua à être largement utilisée, avec un bilan toujours mitigé. Les exemples de Cuba ou de l’Irak montrent que l’arme économique n’est pas un instrument de coercition suffisant pour renverser un régime et qu’elle peut, au contraire, le renforcer, en nourrissant un sentiment d’agression injuste au sein de la population (« rally around the flag ») [7].

5De fait, si l’arme économique n’est pas rendue inefficace par la mondialisation, son utilisation « maximale » n’est simplement pas souhaitée par la majorité des gouvernements, de même qu’aucun conflit militaire entre grandes puissances n’est aujourd’hui envisagé. A priori, les sanctions économiques, parce qu’elles visent à freiner les flux commerciaux et financiers, sont en contradiction avec la mondialisation économique. Pour autant, cette dernière n’a pas conduit à la disparition ni même à une raréfaction des sanctions, bien au contraire. La sanction agit comme si les populations, de plus en plus hostiles à la guerre, avaient intégré la vision libérale des relations internationales, préférant sanctionner que punir. Partant de ce constat, des études récentes ne s’interrogent plus sur l’efficacité des sanctions en tant que telles mais sur leur efficacité dans un contexte de mondialisation [8]. La mondialisation économique et financière augmente ou diminue-t-elle les chances de succès des sanctions ? Les éléments de réponse restent contradictoires.

6Leur utilisation n’a cependant cessé de croître au cours des dernières années : ainsi de la Chine en 2012 à l’encontre du Japon, dans le cadre de conflits de souveraineté qui opposent les deux pays en mer de Chine. Chaque sanction est spécifique à un contexte économique, politique ou stratégique. Aussi, il est compliqué d’en établir la pertinence et d’en mesurer l’efficacité. De récentes études sur l’efficacité des sanctions ciblées [9] évoquent un niveau de réussite moyen d’environ 30 %. Toutefois, les résultats affinés sont plus nuancés : lorsqu’il s’agit de sanctions visant à contraindre un adversaire – en particulier non étatique – à modifier sa politique, leur efficacité tombe à 13 %, tandis qu’elle s’élève à un peu plus de 40 % si elles visent à empêcher de s’engager dans des activités proscrites par le droit international ou à désigner une cible enfreignant celui-ci. En 1990, Gary Clide Hufbauer, Jeffrey J. Schott et Kimberly Ann Elliott estimaient ainsi que le taux d’efficacité des sanctions économiques n’était que de 34 % [10]. Selon Robert A. Pape, il est probablement inférieur à 5 % et il reste même difficile d’établir un lien de cause à effet entre les changements survenus et les sanctions économiques (cas de l’Afrique du Sud de l’apartheid et de la Libye de Mouammar Kadhafi par exemple) [11].

7Il existe toutefois un biais à l’analyse sur l’efficacité des sanctions si leur objectif est, comme c’est souvent le cas, de faire plier un État sans avoir à entrer en conflit avec lui. D’une part, c’est en général parce que l’on ne souhaite pas un conflit armé que l’on impose des sanctions : le conflit n’a pas lieu plus par manque de volonté face aux risques inhérents que grâce aux sanctions. D’autre part, les sanctions économiques peuvent servir les intérêts des acteurs qu’elles visaient pourtant à affaiblir, soit en renforçant le sentiment national face à des sanctionneurs perçus comme des ennemis de la nation, soit en leur permettant des profits inattendus. En 2011, le Trésor américain révélait ainsi qu’en Iran, les gardiens de la révolution avaient su tirer profit du différentiel entre le taux de change officiel et le taux de change réel qui s’était creusé du fait des sanctions américaines. En outre, les retombées des sanctions peuvent être dévastatrices pour les populations civiles. Ce coût exorbitant n’implique pas, pour autant, que les sanctions atteignent leur but, les groupes d’opposition étant généralement fragilisés par la crise économique, laquelle renforce le secteur étatique au détriment de l’économie privée [12]. Les nombreuses protestations contre l’embargo imposé à l’Irak à partir de 1991, maintenu sous la pression américaine jusqu’en 2003, se fondaient sur le coût humain supposé important de ces mesures. Les sanctions économiques sont aussi potentiellement très coûteuses, tant pour les sanctionneurs que pour les sanctionnés, et les rétorsions peuvent être handicapantes pour le pays initiateur. Un accrochage entre la Chine et le Japon en septembre 2010 près des îles Senkaku / Diaoyutai entraîna un embargo de six mois sur les exportations de terres rares chinoises vers le Japon [13] ; les retombées furent lourdes pour l’industrie électronique japonaise, qui fut un temps paralysée.

Les sanctions contre la mondialisation

8Le caractère pacificateur du commerce international a souvent été rappelé par les tenants du libre-échange [14], la paix mondiale étant présentée comme l’une des retombées les plus importantes de la diffusion du libéralisme. C’est dans un souci d’éviter le recours à l’arme économique et de régler les différends commerciaux internationaux qu’a été fondé, en 1948, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), ancêtre de l’OMC. Il est à ce titre intéressant de noter que dans le cadre des sanctions économiques consécutives au conflit ukrainien, l’Union européenne (UE) et la Russie se menacent mutuellement d’un dépôt de plainte devant l’organe de règlements des différends de l’organisation. La prolifération des sanctions dans un contexte de mondialisation apparaît, de ce point de vue, comme un paradoxe. Qui plus est, le libre-échange est perçu par la pensée économique dominante comme un garant de l’équité des relations économiques internationales. Or, les sanctions économiques sont le plus souvent prononcées par des grandes puissances économiques : sur les trente dernières années, les États-Unis sont le pays qui en a imposé le plus grand nombre. Durant la guerre froide, déjà, les embargos et boycotts unilatéraux ont été l’un des outils privilégiés de la politique étrangère américaine. Washington est à l’origine de 50 % des cas entre 1954 et 1963, 70 % de 1964 à 1973 et près de 80 % dans les années 1980 [15]. Cela ne s’est pas arrêté avec la guerre froide et la mondialisation des marchés puisque plus de la moitié des sanctions imposées depuis 1918 ont été initiées entre 1993 et 1998. Près de 80 pays ont ainsi été sanctionnés par les États-Unis depuis vingt-cinq ans. Seul Washington est en mesure d’imposer l’extraterritorialité de ses lois, et donc des règles qu’elles fixent. De fait, la mondialisation des restrictions américaines au nom de la démocratie et des droits de l’homme entraîne ainsi de nombreuses restrictions aux flux commerciaux et financiers, entravant le processus de mondialisation.

9Ainsi, les sanctions économiques américaines à l’encontre des « rogue states » vont à l’encontre de la mondialisation en ce qu’elles imposent le strict respect de la politique étrangère américaine à toutes les entreprises du monde ayant des filiales aux États-Unis ou même des fournisseurs américains, ou étant cotées à Wall Street. L’affaire BNP Paribas, en 2014 [16], et les nombreuses autres qui ont précédé ont soulevé de nombreuses critiques contre l’impérialisme juridique américain, au service des intérêts économiques de Washington. Plusieurs milliards de dollars d’amendes ont ainsi été payés ces dernières années par des firmes européennes accusées de corruption ou de violation des sanctions économiques américaines, ou de pratiques contraires à la législation boursière. Selon le ministère français de l’Économie et des Finances, « les entreprises françaises qui ont des filiales ou des fournisseurs américains et qui envisagent de commercer avec des pays sous embargo américain [doivent] faire preuve d’une grande prudence et préalablement recourir aux services d’un avocat américain spécialisé pour identifier les restrictions éventuellement applicables » [17]. La sanction peut donc être assimilée à une forme de protectionnisme plus qu’à un outil politique. Elle est donc en contradiction avec l’esprit même de la mondialisation libérale et en fragilise les fondements.

Quand la mondialisation réduit l’efficacité des sanctions

10Dans un ouvrage à succès publié en 2005, Thomas Friedman expliquait que le monde devenait tellement interdépendant qu’une action dans un pays aurait des effets ressentis instantanément partout sur la planète [18]. Il en concluait que les conflits devenaient futiles puisque les dommages causés à l’économie seraient tels qu’ils annuleraient tout bénéfice potentiel, y compris pour l’État victorieux. En 1910, Norman Angell avançait déjà que la possibilité de guerre entre les grandes puissances était quasiment nulle du fait des liens économiques qui existaient entre elles [19]. Quatre ans plus tard, la Première Guerre mondiale mettait fin à cette période de mondialisation.

11Néanmoins, il n’est pas totalement irréaliste de penser que la mondialisation puisse réduire l’efficacité et, par conséquent, la pertinence des sanctions économiques. En multipliant les interdépendances économiques et les possibilités de flux commerciaux alternatifs à ceux bloqués par les sanctions économiques, la mondialisation semble jouer contre leur efficacité. Au XIXe siècle, déjà, le blocus continental napoléonien, s’il entraîna un effondrement des exportations britanniques, fut rapidement contourné par la contrebande et le développement de relations commerciales avec des pays situés hors de la sphère d’influence française. Plus récemment, les relations entre la Chine et l’Iran se sont considérablement resserrées du fait des sanctions américaines et européennes contre la République islamique, entraînant notamment de nombreux investissements chinois dans le secteur pétrolier iranien. De même, l’action de la Russie et de la Chine en Corée du Nord ou dans certains pays africains limite l’efficacité des sanctions occidentales. Par ailleurs, la division internationale des processus productifs rend l’option des sanctions entre grandes puissances économiques a priori très risquée. Quel pays significativement inséré dans l’économie mondiale prendrait le risque de rompre la chaîne de valeur dans laquelle sont impliquées des entreprises nationales et dont les coûts pour son économie s’avéreraient incalculables ?

12Les sanctions ne sont jamais sans conséquence pour les pays « sanctionneurs ». Les interdictions d’investir dans certains pays limitent les opportunités d’affaires pour les opérateurs économiques des pays initiateurs des sanctions, au grand dam de certaines entreprises qui souhaiteraient profiter du marché et des ressources naturelles des pays sanctionnés – comme l’Iran pour les firmes pétrolières américaines. La diplomatie coercitive des États-Unis a ainsi pu parfois être contraire aux intérêts économiques de ses firmes, notamment en Iran. Pendant la guerre froide, l’embargo céréalier américain à l’encontre de l’Union soviétique généra de grandes pertes dans le secteur agricole américain. Les exemples allant dans le même sens sont nombreux. Une illustration récente est l’affaire de la livraison des navires Mistral français à l’armée russe. L’embargo militaire décrété par les États-Unis et l’UE peut, à terme, détériorer la crédibilité de la France et fragiliser un pan de son industrie. La dépendance croissante des pays par rapport à certaines ressources naturelles peut même rendre les sanctions impossibles. Ainsi, l’impact des sanctions européennes à l’encontre de la Russie est aujourd’hui limité par la réticence de certains États membres, dépendants du gaz russe, induisant donc l’absence de consensus pour des mesures plus restrictives. Enfin, le risque est d’autant plus important que les sanctions peuvent susciter de coûteuses représailles. L’escalade dans les sanctions russes pourrait aller jusqu’à la limitation des exportations de gaz vers l’Europe et la fermeture du ciel sibérien aux compagnies occidentales, ce qui aurait des effets économiques dévastateurs pour beaucoup d’entreprises de l’UE. Ces considérations expliquent sans doute que le projet d’exclusion de la Russie de l’espace interbancaire européen, un temps évoqué, a finalement été abandonné.

13Les sanctions économiques ne semblent pouvoir être appliquées à plein que lorsque l’interruption des échanges avec le pays ciblé ne peut avoir de conséquences catastrophiques, à terme, pour les économies des pays initiateurs. Sauf en cas de véritable guerre, les gouvernements démocratiques occidentaux, dont l’objectif est de garantir un environnement permettant la croissance économique et le plein emploi, ne semblent pas pouvoir assumer la responsabilité d’un effondrement d’une partie de leur industrie ou d’une rupture d’approvisionnement en matières premières. La mondialisation, en amplifiant la dépendance au commerce mondial, tant au niveau des approvisionnements que des débouchés, limite le potentiel dissuasif de l’arme économique.

14Enfin, la mondialisation démultiplie les flux financiers et commerciaux, les rendant de facto plus complexes à identifier et, a fortiori, à contrôler. Le respect des sanctions économiques devient ainsi plus difficile à contrôler et les possibilités de les contourner, y compris pour des acteurs économiques originaires du pays les imposant, sont plus nombreuses. C’est d’ailleurs pour lutter contre cela que les États-Unis imposent de plus en plus souvent la règle si contestée de l’extraterritorialité, donnant aux autorités judiciaires américaines le droit de poursuivre toute violation de la sanction imposée par un acteur ayant directement ou indirectement des intérêts avec un citoyen américain.

15L’imposition de sanctions ciblées, même si elle est d’abord prévue pour limiter l’impact des sanctions sur les populations locales, peut aussi permettre de répondre à cette problématique de la difficulté de contrôle du respect des sanctions dans un monde global. En effet, il apparaît, surtout avec les moyens modernes d’information et de communication, plus simple de suivre des mouvements ciblés et portant sur des objets et des personnes relativement bien identifiés [20]. Il s’agit là de l’un des arguments de ceux qui défendent l’idée selon laquelle la mondialisation peut venir renforcer l’efficacité des sanctions économiques.

Quand la mondialisation renforce l’efficacité des sanctions

16Même si mondialisation et sanctions peuvent apparaître contradictoires, même si l’importance des interdépendances peut accroître le coût des sanctions et en rendre les résultats plus incertains, il est également possible de soutenir que, sous certaines conditions, la mondialisation peut accroître leur efficacité. En démultipliant les flux et les interdépendances, elle accroît les moyens d’actions. Le panel des sanctions possibles s’en trouve plus étendu, rendant les sanctions choisies potentiellement plus efficaces. H. Chingono, M. Hove et S. J. Danda suggèrent que grâce à la mondialisation, les embargos sur les armes ou sur certaines matières premières stratégiques peuvent réellement handicaper les préparatifs de guerre d’un pays à un moment donné [21]. À cette fin, la sanction doit conduire à isoler le pays sanctionné, à l’exclure du système économique international en rendant plus difficile son accès aux marchés. De ce point de vue, Akbar E. Torbat explique à partir du cas de l’Iran que certains types de sanctions, en particulier financières et / ou ciblées, peuvent être particulièrement efficaces, ainsi du gel des avoirs ou des interdictions de territoires et de voyages [22].

17Dans un contexte global, des alliances entre pays, fondées sur un intérêt commun, peuvent aussi renforcer l’impact de la sanction. Ces alliances, plus souvent informelles et non avouées que réelles, conduisent à pénaliser le pays sanctionné par différents canaux. À l’égard de la Russie, l’impact des sanctions européennes et américaines est ainsi aujourd’hui renforcé par la baisse du prix du pétrole, en grande partie instrumentalisée par l’Arabie saoudite. Néanmoins, le risque que cela ne déclenche une crise dans les pays émergents, voire une crise globale, n’est pas nul, démontrant si besoin que la prise en compte de la mondialisation lors de l’évaluation des sanctions est devenue fondamentale. Pour conclure, il apparaît donc difficile d’établir un lien unique entre l’efficacité des sanctions et la mondialisation, alors même que les interactions sont incontestables et incontournables.

Notes

  • [1]
    Bernard Ferrand, « Quels fondements juridiques aux embargos et blocus aux confins des XXe et XXIe siècles », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 214, Presses universitaires de France, 2004, pp. 55-74.
  • [2]
    « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations unies », résolution 2625 (XXV), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies au cours de sa vingt-cinquième session, le 24 octobre 1970
  • [3]
    Hossein G. Askari, John Forrer, Hildy Teegen et Jiawen Yang, Economic Sanctions: Examining Their Philosophy and Efficacity, Westport, Praeger, 2003, p. 77.
  • [4]
    Voir Sylvie Matelly, « Le pouvoir économique des États-Unis face aux États voyous », in Barthélémy Courmont (dir.), Washington et les États voyous. Une stratégie plurielle ?, Paris, IRIS – Dalloz, 2003 p. 79.
  • [5]
    Voir Fanny Coulomb, « Pour une nouvelle conceptualisation de la guerre économique », in Jean-François Daguzan et Pascal Lorot (dir.), Guerre et économie, Paris, Ellipses, 2003, p. 38.
  • [6]
    Voir Gary Clide Hufbauer, Jeffrey J. Schott et Kimberly Ann Elliott, Economic Sanctions Reconsidered: History and Current Policy, Washington, Peterson Institute for International Economics, 1990 ; et Robert A. Pape, « Why economic sanctions do not work », International Security, vol. 22, n° 2, The MIT Press, automne 1997, pp. 90-136
  • [7]
    Zahir A. Quraeshi, Mushtaq Luqmani et Ugur Yavas, « Towards a framework for applying US economic sanctions », World Review of Entrepreneuship, Management and Sustainable Development, vol. 9, n° 1, 2013, pp. 114-130.
  • [8]
    Voir Heather Chingono, Mediel Hove et Steven James Danda, « Sanctions Effectiveness in a Globalized World », International Journal of Humanities and Social Science, vol. 3, n° 21, décembre 2013, pp. 307-318 ; Manuel De Deleon, The ineffectiveness of multilateral sanctions regimes under globalization: The case of Iraq, Thèse, International University of Florida, 2011 ; et Clayton Kaier, « Economic sanctions in a smaller world: Is globalisation increasing the precision and efficacy of foreign policy tools? », Elizabethtown College, 2012.
  • [9]
    Voir Targeted Sanctions Consortium, « Designing United Nations targeted sanctions. Evaluating impacts and effectiveness of UN targeted sanctions », The Graduate Institute – Watson Institute for International Studies, août 2012.
  • [10]
    Gary Clide Hufbauer, Jeffrey J. Schott et Kimberly Ann Elliott, op. cit.
  • [11]
    Robert A. Pape, « Why economic sanctions do not work », op. cit.
  • [12]
    Voir Susan Hannah Allen et David J. Lektzian, « Economic sanctions: A blunt instrument? », Journal of Peace Research, vol. 50, n° 1, 2012, pp. 121-135.
  • [13]
    La Chine bénéficie aujourd’hui d’un monopole à plus de 90 % sur la production de terres rares dans le monde.
  • [14]
    Voir par exemple John R. Oneal et Bruce M. Russett, « The Classical Liberals Were Right: Democracy, Interdependence and Conflict, 1950-1985 », International Studies Quarterly, vol. 41, n° 2, juin 1997, pp. 267-294.
  • [15]
    Daniel Sabbagh, « L’utilisation de l’arme économique dans la politique étrangère des États-Unis: cadre d’analyse et évolution », La Revue internationale et stratégique, n°24, IRIS, hiver 1996, p. 135.
  • [16]
    La banque est poursuivie par la justice américaine pour avoir réalisé des transactions en dollars avec des pays soumis à un embargo de la part des États-Unis.
  • [17]
    MINEFI – DREE/Trésor, « Les sanctions économiques américaines », Missions économiques, 24 janvier 2005.
  • [18]
    Thomas Friedman, The World is Flat 3.0: A Brief History of the Twenty-first Century, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2005.
  • [19]
    Norman Angell, The Great Illusion. A Study of the Relation of Military Power to National Advantage, LaVargne, Bottom of the Hill Publishing, 2012 (1910).
  • [20]
    Gary Clide Hufbauer et Kimberly Ann Elliott, « Same Song, Same Refrain? Economic Sanctions in the 1990’s », The American Economic Review, vol. 89, n° 2, mai 1999, pp. 403-408.
  • [21]
    Heather Chingono, Mediel Hove et Steven James Danda, op. cit.
  • [22]
    Akbar E. Torbat, « Impacts of the US Trade and Financial Sanctions on Iran », The World Economy, vol. 28, n° 3, mars 2005, pp. 407-434.
Fanny Coulomb
Maître de conférences en économie à Sciences Po Grenoble.
Sylvie Matelly
Professeur associée à l’École de management Léonard de Vinci (EMLV, Léonard de Vinci Pôle universitaire, Business Lab), et directrice de recherche à l’IRIS.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2015
https://doi.org/10.3917/ris.097.0101
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