CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le système de santé des États-Unis se distingue par son coût extrêmement élevé qui atteint en 2008, environ 16 % du PIB [1], pour des résultats sanitaires médiocres ; ainsi avec une espérance de vie sans incapacité de 70 ans (67,5 ans pour les hommes et 72,6 ans pour les femmes) les États-Unis se retrouvent-ils à la 24e place parmi les pays développés (OMS).

2Ce système se caractérise par l’importance du secteur privé tant dans la couverture assurantielle que dans les structures de soins. Il est extrêmement fragmenté et géré par une multiplicité d’organismes. Chaque assureur privé propose et gère, souvent directement, une série de plans de santé qui offrent généralement l’accès à des réseaux de soins particuliers. Par ailleurs, il ne repose ni sur une couverture universelle et obligatoire de la population ni sur un financement public généralisé. Plus de 46 millions d’Américains n’ont aucune assurance santé.

3La réforme du système de santé américain est actuellement au cœur de vifs débats et les orientations proposées par le président Obama sur la création d’une assurance maladie publique sont fortement contestées au sein même de son propre camp.

L’assurance maladie privée est prédominante

4L’assurance privée est toujours majoritaire dans la couverture de la population. Près de 6 personnes sur 10 ont une assurance proposée par l’employeur. Les salariés sont libres d’y adhérer ou non.

5Depuis les années 1980, les employeurs et les assurés ont été confrontés aux coûts croissants des assurances. L’exemple de General Motors illustre bien le coût excessif des primes réclamées par les assureurs. En 2007, l’entreprise a déboursé 4,6 milliards de dollars pour financer l’assurance de ses salariés, plus que le coût de l’acier. En 2008, le coût moyen d’une assurance santé collective, proposée par l’employeur, s’élevait à environ 12 700 dollars pour une famille de taille moyenne, ce qui équivalait au salaire minimum annuel d’une personne à plein temps [2]. À cela s’ajoutent des tickets modérateurs à la charge des assurés en hausse (environ 1 500 dollars en moyenne en 2006 pour une personne assurée par son entreprise contre 1 260 dollars en 2001 [3]). Il convient de souligner également l’insuffisance du niveau de couverture offerte par la plupart des Plans santé qui imposent une limite maximale de dépenses, des copaiements et des franchises de plus en plus importants.

Moins d’une personne sur trois bénéficie d’une assurance publique

6Institués dans les années 1960 dans le cadre de l’initiative « Great Society » du président Lyndon B. Johnson, Medicare et Medicaid sont des programmes d’assurance publics destinés aux personnes âgées, handicapées et aux familles pauvres. Environ 29 % de la population relèvent d’un programme gouvernemental.

7Un des problèmes majeurs de Medicare, seule assurance publique universelle, destinée aux personnes de plus de 65 ans et aux personnes handicapées, est l’augmentation très importante de son coût au cours de ces dernières années, qui fait craindre que le programme ne soit plus soutenable financièrement par la collectivité à moyen terme. La part de Medicare dans le PIB devrait quasiment doubler en un peu plus de vingt ans (de 3,2 % du PIB en 2007 à 6,3 % en 2030) [4].

8Le programme Medicaid, administré par les différents États et financé conjointement avec l’État fédéral, est une couverture maladie destinée aux familles à bas revenus et aux personnes handicapées, allocataires du revenu minimum SSI. Il est complété, depuis 1997, par le programme d’État SCHIP (State Children’s Health Insurance Program) pour les enfants pauvres mais ne relevant pas de Medicaid. Après le refus de George W. Bush de voter les crédits nécessaires à une reconduction et à un élargissement de SCHIP, malgré l’accord entre Républicains et Démocrates, le Congrès a enfin voté en février 2009 une extension de ce programme à 4 millions d’enfants appartenant à des familles modestes.

Plus de 46 millions de personnes ne disposent d’aucune assurance maladie

9En 2008, 46,3 millions de personnes, dont 7,3 millions avaient moins de 18 ans, ne disposaient d’aucune assurance santé [5]. Parmi elles, un quart aurait, en réalité, droit à une assurance dans le cadre des programmes Medicaid ou SCHIP mais ne la demande pas. Il est intéressant de noter que parmi cette population, environ 20 millions travaillent à temps plein mais déclarent n’avoir pas les moyens de financer une assurance santé.

Les projets de réforme du système de santé en débat

10Après l’échec retentissant du Plan Clinton pour le système de santé de 1993-1994, l’incapacité de l’État fédéral à promouvoir une vraie réforme a conduit différents États à chercher des solutions pour réduire le nombre de personnes non assurées, notamment en élargissant les conditions d’accès à Medicaid et à SCHIP. Le Massachusetts a été le premier État à avoir adopté une législation qui fournit une assurance maladie quasiment universelle à ses citoyens. Le texte, voté en avril 2006, a été adopté par un accord entre le parti démocrate et le parti républicain. C’est la première fois qu’obligation est faite aux employeurs de proposer une assurance santé à leurs salariés sous peine de pénalités.

11Cette réforme de l’assurance maladie a été au centre de la dernière campagne présidentielle. À cet égard, la crise subie par les classes moyennes a rendu encore plus nécessaire une modification importante du système actuel. Selon The American Journal of Medicine[6], plus de 60 % des faillites personnelles en 2007 ont pu être attribuées à des factures liées à des soins. De plus, la suppression par l’employeur de la couverture santé en cas de maladie grave du salarié serait monnaie courante puisqu’un quart des entreprises sacrifierait à ce genre de pratiques. Enfin, beaucoup des Plans santé imposent des plafonds de coûts.

Le projet initial de la Maison-Blanche

12Le projet initial du président Barack Obama prévoyait une suppression des discriminations à l’égard des personnes malades ou présentant des risques médicaux et la limitation des écarts de primes en fonction du sexe ou de l’âge. Il interdisait aux assureurs de supprimer la couverture aux personnes malades. Les participations financières des patients au coût des soins devaient être plafonnées. Par ailleurs, le projet prévoyait une nouvelle assurance publique mutualisée pour les personnes non assurées ou mal assurées, sans obligation d’adhésion. Les entreprises de plus de 50 salariés se voyaient dans l’obligation soit d’offrir une couverture santé à leurs salariés, soit de payer une taxe pour les aider à la financer.

13Ce projet n’était pas synonyme d’assurance universelle et, contrairement au Plan Clinton, il ne prévoyait pas de restructuration radicale du système en place. Toujours en opposition au projet Clinton, conçu sans aucune négociation avec les deux chambres du Congrès, Barack Obama a cherché à avoir une approche la plus largement consultative. C’est la raison pour laquelle il a laissé au Congrès le soin de rédiger le texte de la réforme, procédure non sans danger puisqu’il se voit contraint de faire des compromis et de négocier non seulement avec les Républicains, traditionnellement opposés à toute option publique, mais aussi avec certains Démocrates, au risque de dénaturer son projet. En effet, les Républicains ont mené une violente campagne contre la réforme proposée par le président Obama, axée sur le refus « d’une socialisation » du système et de la main mise de l’État fédéral sur l’assurance santé. Certains Démocrates conservateurs (les Blue Dogs) ont rejoint ce camp, de même que les assureurs. En revanche, la majorité des Démocrates pousse fortement en faveur de la création d’une assurance publique.

14Dans son discours devant les deux Chambres du Congrès le 9 septembre 2009, Barack Obama a tenté de rallier les Républicains à son projet en se montrant conciliant au sujet de l’option publique et en témoignant du désir de travailler avec eux : « Nous pourrions travailler ensemble pour répondre aux demandes légitimes que vous pourriez avoir sur ce projet... l’option publique n’est qu’une partie de mon plan. ». Cette position pragmatique apparaît réaliste dans le contexte politique actuel. En insistant sur le fait qu’il n’allait pas aggraver les déficits avec son plan de réforme, le président répondait aussi à ses adversaires les plus acharnés. Il s’engageait même à revenir devant le Congrès pour proposer de nouvelles coupes budgétaires si les économies proposées pour financer la réforme n’étaient pas suffisantes. En revanche, le président se montrait particulièrement ferme sur la nécessité d’imposer des règles pour empêcher les dérives des assureurs et insistait également sur l’obligation d’assurance maladie.

Des projets rédigés par les Commissions du Congrès

15Le projet de réforme de la santé a franchi une étape importante, le 13 octobre 2009, avec le vote par la Commission des finances du Sénat du projet de compromis rédigé par le sénateur démocrate du Montana, Max Baucus. Ce projet prévoit la mise en place de « coopératives » à but non lucratif qui fourniraient une série de Plans d’assurance sélectionnés, et éventuellement subventionnés pour les familles à revenus modestes. Si l’option publique est clairement exclue, à la différence des autres projets approuvés par les quatre autres Commissions du Congrès, le point important est qu’il impose, en quelque sorte, une obligation pour les employeurs soit de financer une assurance à leurs salariés, soit de verser une taxe par salarié. Les petits employeurs bénéficieraient de crédits d’impôts. Le fait que le projet de la Commission des finances rejette l’idée d’une assurance gouvernementale le rend beaucoup plus acceptable pour les acteurs les plus influents du secteur de la santé : les gros employeurs, les hôpitaux et surtout les assureurs qui redoutent l’intervention du gouvernement mais souhaitent une extension de la couverture maladie à la majorité de la population [7]. Un autre point à mettre à l’actif du projet Baucus est son coût nettement moins élevé que les options votées par les autres Commissions. Les dépenses seraient évaluées à 500 milliards. Or le coût de la réforme du système de santé est un élément clé des débats et les différents camps en présence n’hésitent pas à se renvoyer des chiffrages des mesures proposées, parfois peu crédibles. Lors de son intervention au Congrès en septembre, Barak Obama a, pour sa part, insisté également sur les effets positifs pour l’économie d’une réforme élargissant la couverture médicale à l’ensemble de la population.

16La position du président Obama est rendue d’autant plus difficile que chacun des camps en présence a pris des positions extrêmes, une grande partie des Démocrates s’arc-boutant sur l’option publique, rejetée absolument par la majeure partie des Républicains et tous les assureurs privés qui n’hésitent pas à influencer les débats à coup de dollars sonnants et trébuchants. Les Républicains les plus conservateurs ont mis au point une technique très éprouvée de conférences organisées dans tous les États, véritables lieux de désinformation du public (les Town Hall meetings) où les arguments les plus fallacieux sont jetés en pâture à un public prêt à les accepter. Pour sa part, la plus grande association de médecins, l’American Medical Association, n’a pas hésité à rappeler sa position en faveur d’une réforme par voie de publicité dans la presse. Dans son communiqué, si elle se déclare en faveur d’une couverture médicale pour tous les Américains, proposée dans le cadre du marché, elle n’en exprime pas moins sa méfiance vis-à-vis de l’intervention des assureurs ou du gouvernement dans l’exercice de la pratique médicale.

17Dans le camp démocrate, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants et Harry Reid, sénateur du Nevada et leader de la majorité démocrate au Sénat, s’emploient actuellement à refondre l’ensemble des projets du Congrès en un seul qui remettrait l’option d’une assurance gouvernementale au centre de la refonte du système de santé. Le sénateur Harry Reid a toutefois atténué cette proposition en prévoyant la possibilité pour les États fédérés, à titre de compromis, de ne pas offrir d’assurance publique (opt-out). Dès l’annonce de ce projet, la seule sénatrice républicaine qui ait voté en faveur d’une réforme, Olympia J. Snowe, s’est déclarée déçue par une telle position dans la mesure où elle ne soutenait l’idée d’une intervention publique qu’en cas de défaillance des assureurs privés (opt out vs trigger). Pour les sénateurs démocrates « modérés », Harry Reid a choisi une option risquée, qu’ils ne seront peut-être pas en mesure de soutenir lors du vote final.

18S’il apparaît clair que le président Obama préfère l’introduction d’un Plan d’assurance santé public, il serait prêt à accepter une réforme qui ne comporterait pas cette option mais imposerait aux assureurs une régulation stricte du marché pour proposer aux Américains une assurance maladie à prix raisonnables. Le président n’ignore pas que cette réforme pèsera lourd lors des prochaines échéances électorales de 2010 et que tout échec le fragiliserait fortement pour l’avenir. Prudent, il laisse donc à la manœuvre les leaders démocrates du Congrès et ne se prononcera qu’au vu du projet final.

Notes

  • [1]
    Fiscal 2010 Budget.
  • [2]
    Kaiser Family Foundation, Employer Health Benefits Survey 2008.
  • [3]
    Center for Financing, Access and Cost Trends, Agency for Healthcare Research and Quality, Medical Expenditure Panel Survey, 2001-2006.
  • [4]
    Congressional Budget Office, janvier 2009.
  • [5]
    US Census Bureau, Housing and Household Economic Statistics Division, Health Insurance Coverage 2008.
  • [6]
    The American Journal of Medicine, vol. 122, no 8, août 2009.
  • [7]
    John K. Iglehart, dans The New England Journal of Medicine, 29 septembre 2009.
Sylvie Cohu
Chargées de mission sur les dossiers internationaux au ministère de la Santé et des Sports (DREES)
Diane Lequet-Slama
Chargées de mission sur les dossiers internationaux au ministère de la Santé et des Sports (DREES)
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/02/2010
https://doi.org/10.3917/ris.076.0121
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