CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Pascal Boniface—Pensez-vous que le conflit au Proche-Orient ait une importance particulière dans le débat politique français que n’ont pas d’autres conflits ?

2François Hollande – Il l’a, à l’évidence. Mais, il l’a toujours eue depuis son origine. Souvenons-nous du débat lors de la crise de Suez, de la polémique pendant la guerre des Six jours et de la position du général de Gaulle face à celle-ci. Rappelons-nous également de l’interprétation puis de l’attitude de Valery Giscard d’Estaing vis-à-vis d’Israël pendant son septennat, de la force des discours prononcés par François Mitterrand à la Knesset et des commentaires que ces paroles ont suscités [1] 1. Rappelons-nous enfin de ce qui s’est produit au moment de la guerre du Liban.

3Ce sujet a toujours été présent dans notre vie politique. La situation a néanmoins évolué : les caractéristiques de la population française ont changé, et l’intensité du débat s’est accrue à mesure que le conflit s’est lui-même prolongé. C’est ce qui explique un certain nombre de passions, de confrontations ou de manipulations.

4Est-il exact d’affirmer, comme certains observateurs le font, que le conflit au Proche-Orient a été « importé » dans l’Hexagone, et qu’il a des répercussions sur les équilibres sociaux ? À cet égard, ne risque-t-on pas de voir des communautés agir comme si elles se sentaient investies d’une mission par rapport à la situation sur place ?

5François Hollande – Je ne souhaite pas que l’on présente les choses de cette façon. Il y a effectivement dans notre société des populations qui, en raison de leur histoire, de leurs origines et parfois de leur religion, se sentent plus concernées que d’autres par la situation au Proche-Orient. Néanmoins, je me refuse à analyser la place qu’occupe ce conflit en France sur la base de critères religieux, ethniques ou communautaires. Nous pouvons avoir notre propre lecture de la situation indépendamment de nos histoires personnelles. Et l’approche des socialistes consiste précisément à se dégager de ces considérations pour adopter une position fondée sur des règles et des principes qui valent pour tous et partout.

6Cependant, les partis politiques en général, et le Parti socialiste (PS) en particulier, se voient reprocher par chacune des deux communautés — arabo-musulmane et juive — d’être sensibles aux arguments de l’autre et de céder à la logique communautaire. Que pensez-vous de ce double reproche qui vous est fait ?

7François Hollande – Je m’écarte complètement de cette approche comptable de la vie politique, et cela vaut pour ce sujet comme pour d’autres. Nous devons être capables de servir des principes de droit international et de faire prévaloir la justice, y compris dans des situations extrêmement complexes. Que nous soyons dans l’opposition ou dans la majorité, nous devons nous rendre utiles pour favoriser toutes les tentatives de paix et de réconciliation. Le PS a toujours joué son rôle à cet égard, notamment dans le processus d’Oslo et les suites de celui-ci. Je ne souhaite pas rompre avec cette logique qui peut néanmoins avoir un prix : celui de ne pas être suffisamment compris par un côté ou par l’autre. Cette approche du conflit est la seule démarche qui nous permette d’être conformes à notre idéal et, dans le même temps, d’être soucieux de trouver en Israël comme en Palestine des interlocuteurs qui nous respectent.

8Quelle est la position du PS sur la question israélo-palestinienne ?

9François Hollande – Notre position n’a pas changé au cours du temps. Depuis F. Mitterrand, nous avons toujours été des artisans du dialogue et du rapprochement et nous avons veillé à entretenir de bons rapports avec tous les acteurs Israéliens et Palestiniens. Nous avons appuyé toutes les initiatives d’où qu’elles viennent. Le PS a approuvé celle de Genève, et il n’a d’ailleurs pas été le seul. Nous sommes favorables à toute démarche allant dans le sens du retour au processus d’Oslo. Il y a aujourd’hui, en Israël et en Palestine, des signes positifs qui témoignent d’une volonté des dirigeants, israéliens comme palestiniens, de reprendre le chemin des négociations. Nous soutenons ces efforts.

10La communauté internationale, y compris l’ensemble des partis politiques français, est unanime sur le principe d’unÉtat d’Israël établi au sein de frontières reconnues et de l’instauration d’unÉtat palestinien viable. N’est-ce pas, entre autres, le calendrier et la détermination des protagonistes sur certains points de blocage qui posent parfois problème ?

11François Hollande – Oui, mais on le constate aujourd’hui : la raison peut l’emporter, au-delà des hommes et de leur itinéraire personnel. Ainsi, nous nous rendons compte que dans les conditions de la vie politique israélienne, c’est le gouvernement de Ariel Sharon avec Shimon Pérès qui peut retrouver le chemin de la paix.

12De la même manière, nous avions soutenu et favorisé le processus démocratique qui avait permis à Yasser Arafat, grâce à la tenue d’élections, d’être le représentant incontesté des Palestiniens. Y. Arafat disparu, c’est Mahmoud Abbas qui peut reprendre l’initiative. En définitive, il faut savoir se dégager des personnes et faire prévaloir l’intérêt général afin de régler le conflit israélo-palestinien.

13Pensez-vous, comme on l’entend souvent et parfois même de la bouche des militants socialistes, que la direction du PS soit plus sensible aux arguments du gouvernement israélien alors que la base, engagée dans des actions de solidarité avec les Palestiniens, est, quant à elle, plus sensible aux revendications palestiniennes ?

14François Hollande – Au sein du PS, dont chacun connaît le fonctionnement démocratique à travers le vote militant, une distorsion entre la base et la direction n’est possible ni sur cette question ni sur une autre. Il peut exister des différends sur un point précis, mais c’est vrai à tous les niveaux du parti. Les débats qui ont lieu au PS sont ceux qui traversent l’ensemble de la société française. Toutefois, un certain nombre de principes nous unissent. Tout d’abord, nous condamnons le terrorisme et nous refusons l’usage illégitime de la force. Nous souhaitons également l’existence d’un État israélien vivant en sécurité aux côtés d’un État palestinien de plein droit. Nous pensons enfin que le principe du droit international doit prévaloir et que la seule issue possible doit provenir du dialogue. Il y a un consensus très large au sein du PS sur ces principes.

15Avez-vous constaté un changement dans l’opinion des militants socialistes et, plus généralement, de la société française sur ce conflit au cours de ces dernières années ?

16François Hollande – Avec les accords d’Oslo, un vent d’espoir s’était levé. Et la société française dans toute sa diversité y adhérait pleinement. Nous pensions qu’après tant d’épreuves, les Israéliens allaient enfin pouvoir vivre en paix et les Palestiniens accéder à un État. L’échec des accords de paix, un moment entrevus, a provoqué une grande déception. Il a été tentant d’imputer la responsabilité de cet échec sur les Palestiniens ou sur les Israéliens, autrement dit sur Y. Arafat ou sur Ehoud Barak, alors que la responsabilité revenait à la communauté internationale qui n’a pas su saisir cette opportunité pour « imposer » la paix aux protagonistes. La France, plus que d’autres pays, aurait dû peser de tout son poids, et je ne suis pas certain que le chef de l’État ait eu cette volonté. La déception qui s’en est suivie a laissé la place aux procès d’intention adressés aux uns et aux autres. Mais cet épisode est à présent terminé. Nous retrouvons une amorce de dialogue et d’actes de bonne volonté à la disparition de Y. Arafat. Les Palestiniens l’ont surmonté avec grande responsabilité et A. Sharon a su courageusement se distancer des « faucons » de la droite israélienne et de l’extrême droite. Le rôle du PS — à sa modeste place aujourd’hui, mais peut-être demain aux responsabilités — est de donner sa chance au processus en s’écartant de tout préjugé.

17La presse vous paraît-elle remplir sa mission d’information en toute impartialité sur ce conflit ? Les citoyens français sont-ils bien informés ?

18François Hollande – Cette remarque n’est pas valable uniquement pour le Proche-Orient, mais il est vrai que la presse, comme d’ailleurs les responsables politiques, parle trop peu du Proche-Orient, sauf — hélas — dans les moments les plus tragiques. La vie ordinaire des Palestiniens, avec son cortège de privations et de contraintes, n’est pas suffisamment décrite, comme celle des Israéliens obligés d’intégrer à tout instant la menace terroriste. Aussi, le sentiment peut-il s’installer d’une indifférence ou d’un oubli, voire d’une indulgence à l’égard des uns ou des autres d’actes inadmissibles. Mais le devoir de toute formation politique ne consiste pas à stigmatiser les uns pour exonérer les autres, ni à faire des procès, mais plutôt à fixer des principes, trouver des solutions, arrêter une position, etc. Bref, à se rendre utile.

19Que pensez-vous des propos tenus par Roger Cukierman lors du dernier dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) mettant en cause la politique étrangère de la France en affirmant qu’elle pouvait être contraire à la lutte contre l’antisémitisme ? Ces propos sont-ils dangereux ? N’y a-t-il pas un risque de communautarisation de la vie politique française ?

20François Hollande – R. Cukierman dispose comme il l’entend de sa liberté d’expression. J’imagine qu’il reflète l’opinion de l’institution qu’il préside. Ce n’est pas à moi d’en juger. Un gouvernement doit écouter, mais écouter ne signifie pas suivre. Pour ce qui concerne le PS, sa politique n’est pas déterminée sous la pression de telle ou telle institution.

21À l’instar du CRIF, pourrait-on un jour voir la création d’un conseil représentatif des institutions musulmanes ?

22François Hollande – Si c’est le cas, les mêmes règles doivent être appliquées. Jusqu’à récemment, la représentante de la Palestine en France, Leïla Shahid, et de nombreux ambassadeurs de pays arabes étaient invités aux dîners du CRIF, et quelques-uns d’entre eux y participent encore. Je considère que c’est un bel exemple de fraternité et d’écoute. Si d’autres formes de représentation ont les mêmes pratiques et le même esprit, alors les mêmes usages devront être respectés, et je me rendrai bien volontiers à leurs invitations.

23Il est parfois demandé d’établir des règles juridiques permettant de pénaliser la critique d’Israël au motif que cette pratique développerait l’antisémitisme. Que pensezvous de ce genre de proposition que l’on entend de plus en plus ?

24François Hollande – La liberté d’expression trouve sa limite lorsque, au-delà du pays que l’on critique, que ce soit Israël ou tout autre pays, c’est une population ou une religion qui est visée en tant que telle. Il faut distinguer la critique, qui peut parfois être vive à l’égard des dirigeants d’un pays, de l’atteinte à la dignité de la population qui le compose. Pour prendre un exemple, dire que les dirigeants actuels des États-Unis sont unilatéralistes est une chose, dire que le peuple américain est impérialiste en est une autre.

25Cette limite doit-elle nécessairement passer par la loi ?

26François Hollande – Il y a aujourd’hui une recrudescence de propos racistes et antisémites qui doit être sévèrement condamnée. De même, nul ne peut nier certaines dérives. La loi est parfois difficile à mettre en oeuvre et, de ce fait, on ne peut pas tout « judiciariser ». Toutefois, lorsqu’un acte raciste ou antisémite est avéré, même s’il est exprimé d’une manière indirecte, à savoir s’en prendre au gouvernement de tel pays pour attaquer sa population ou une religion, il doit être caractérisé et proscrit.

27Si le processus de paix actuel venait à achopper, comme cela a malheureusement déjà été le cas par le passé, quelles mesures pourraient prendre les partis politiques français pour éviter que la poursuite des affrontements au Proche-Orient n’ait des répercussions sur notre pays ? Si toutefois vous êtes d’accord avec le fait que, depuis quatre ans, les Français vivent ce conflit de façon plus douloureuse qu’auparavant.

28François Hollande – Le conflit, à force de durer, crée des douleurs profondes qu’il faut mesurer. Et il ne servirait à rien de les nier, au prétexte qu’elles renvoient à des liens que bon nombre de nos concitoyens ont avec le Proche-Orient. La République n’ignore pas les différences et les diversités. Ce principe étant posé, les forces politiques doivent convaincre l’ensemble des citoyens français que la France choisit librement sa ligne de conduite. En somme, la meilleure façon de nous rassembler est de donner confiance dans la politique étrangère que nous menons.

29La façon de débattre de ce sujet au sein du PS vous paraît-elle convenable ? Existe-t-il des divisions, voire des réajustements en fonction du contexte ?

30François Hollande – Nous avons adopté un texte qui rassemble tous les socialistes sur la même position et il est devenu une référence acceptée par tous. Par ailleurs, je souhaite poursuivre le débat sur ce sujet. Je préfère que nous en parlions davantage pour bien montrer l’importance que nous y attachons et les initiatives que nous devons prendre dans la région. Nous devons marquer davantage notre solidarité avec les populations concernées.

31Deux interprétations s’affrontent à l’égard du dénouement de ce conflit. Pour certains, une résolution définitive serait souhaitable,mais cela ne changerait pas fondamentalement la donne régionale. Pour d’autres, ce conflit est, au-delà de son importance stratégique mineure, un conflit clé par rapport à l’ensemble du Proche-Orient et ses équilibres. Qu’en pensez-vous ?

32François Hollande – Ce conflit n’est jamais resté régional, il a toujours débordé au-delà même du Proche-Orient, et son impact pèse même sur l’équilibre du monde. Tirons-en toutes les conséquences. Cela suppose que la communauté internationale et l’Europe s’investissent avec beaucoup plus d’énergie pour instaurer la paix. C’est un enjeu essentiel. Ce doit être le premier sujet de mobilisation internationale.

33(Propos recueillis par Pascal Boniface le 21 février 2005)

Notes

  • [1]
    NdlR — Le 4 mars 1982, à l’occasion d’un voyage en Israël, François Mitterrand prononce un discours qualifié d’« historique » à la Knesset, le Parlement israélien. Voir : Pascal Boniface, Didier Billion (sous la dir.), Les défis du monde arabe, Paris, IRIS/PUF, 2004, p. 223.
Français

Résumé

Le débat sur le conflit au Proche-Orient a toujours été présent dans la vie politique française. Seulement aujourd’hui, il s’est intensifié et il est vécu plus passionnément par une partie de la population française. Le Parti socialiste (PS), uni derrière des principes tels que la condamnation du terrorisme et la défense du droit international, souhaite donner sa chance au dialogue et profiter du vent de paix qui semble souffler sur la région, loin des récriminations et des accusations qui appartiennent désormais au passé.

François Hollande
Premier secrétaire du PS
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2007
https://doi.org/10.3917/ris.058.0025
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