1En lançant la campagne « École équitable », les acteurs français du commerce équitable se sont engagés dans un processus qui a déjà été largement poursuivi dans d’autres pays : par exemple, le Royaume-Uni compte 1 148 établissements certifiés, la Belgique 1 000, l’Allemagne 300, et le processus est engagé dans un bon nombre d’autres pays à travers le monde. Bien que des actions d’éducation et de sensibilisation au commerce équitable aient toujours été conduites par les organisations du commerce équitable, le besoin de réappropriation au niveau local par les consommateurs se fait sentir. Dans ce contexte, le mouvement international des territoires du commerce équitable, né en 2000 en Angleterre (Human et Crowther, 2011), invite à un nouvel ancrage local du mouvement. Il ne s’agit plus dès lors de certifier un produit ou une organisation, mais de mettre en valeur des territoires dans lesquels des instances locales diverses, telles que les mairies, les écoles, etc., participent à créer une dynamique d’engagement en faveur du commerce équitable. Dans la lignée des territoires du commerce équitable, et toujours dans l’optique de promouvoir la sensibilisation et l’action locales, le label Écoles de commerce équitable s’est développé.
2Ce texte est le témoignage des membres du premier jury « Écoles de commerce équitable » qui a donné un avis pour l’obtention du label et des membres des organisations qui soutiennent l’initiative. Le texte s’appuie donc à la fois sur les dossiers des établissements pour relever les difficultés rencontrées par ces derniers et l’évolution du processus de certification, ainsi que sur l’expérience en tant que membre de ce jury ou membre d’une organisation en lien avec l’initiative pour relater les enjeux majeurs de ce processus. L’objectif de ce document est de témoigner de ce nouveau mode de valorisation dans le cas de la France, et d’en tirer des leçons sur son caractère innovant et ses limites.
1. Naissance d’un mouvement
3En France, la certification Écoles de commerce équitable a vu le jour par le biais d’une initiative en Pays de la Loire promue par NORDSUD Agir pour le commerce équitable (NAPCE), un collectif d’associations et de particuliers bénévoles pour le développement du commerce équitable. En 2016, cette initiative est entrée dans une dynamique nationale soutenue par quatre organisations, dont la NAPCE ; l’association FairNESS, qui réunit une trentaine de chercheurs de différentes disciplines sur la thématique du commerce équitable et des échanges alternatifs ; la fédération Artisans du Monde (ADM), qui regroupe les boutiques associatives du réseau ADM ; la fédération Ingénieurs sans frontières, composée d’une trentaine d’associations qui sont notamment implantées dans des écoles d’ingénieurs françaises, mais aussi d’associations d’ingénieurs en activité. Il s’agit de valoriser une école (primaire, collège, lycée ou autres écoles post-baccalauréat) pour ses actions en faveur du commerce équitable grâce à l’attribution d’un label Écoles de commerce équitable [2]. Ce label a officiellement été lancé au niveau international en 2017 lors de la 11e conférence des « Villes et écoles de commerce équitable » se déroulant à Metz, où a été publiquement décerné le premier label à l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires (ENSAIA) de Nancy.
2. Une première phase fondée sur la certification externe
4Lors de la première phase du mouvement en France, en 2017-2018, le label Écoles de commerce équitable a été décerné à six établissements : l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires (ENSAIA, Nancy), le lycée Bel-Orme (Bordeaux), le lycée polyvalent d’Estournelles de Constant (La Flèche), le lycée Sainte-Marie de Saint-Sernin (Toulouse), le collège Le Vignet (Calvisson), le lycée Philippe-Lamour (Nîmes). Une dizaine d’établissements ont également fait connaître leur intérêt pour la démarche. Nous appuyons notre analyse sur la certification de ces six établissements, notre regard collectif faisant ressortir certains enjeux cruciaux de cette première phase.
5La certification dans le commerce équitable est loin d’être uniforme. Elle peut être soit le fait d’une certification de produits ou d’organisation par une tierce partie, soit celui d’une certification des organisations par les pairs, ou encore relever d’un mode de certification participatif (Balineau et al., 2012). Le label Écoles de commerce équitable s’appuie sur un triple processus de certification, inspiré de la garantie organisation de l’Organisation mondiale du commerce équitable (World Fair Trade Organization — WFTO) : une auto-évaluation, une évaluation par les pairs et une évaluation externe. Cependant, dans la première phase du processus, aucune école n’ayant de certification, l’évaluation des premiers dossiers a été réalisée uniquement par un jury externe.
6Nous présentons d’abord les critères de certification, puis nous reviendrons sur quelques difficultés auxquelles ont fait face les écoles pour être certifiées, avant d’analyser le nouveau processus de certification de la seconde phase.
7L’obtention du certificat « École équitable » repose sur la satisfaction de cinq objectifs :
- Objectif 1 : Voter une délibération au conseil d’administration du collège ou du lycée et mettre en place un comité de pilotage multi-acteurs.
- Objectif 2 : Sensibiliser/former au commerce équitable les jeunes, les agents et la communauté éducative.
- Objectif 3 : Acheter des produits issus du commerce équitable.
- Objectif 4 : Communiquer (en interne, en externe) sur les événements et engagements de l’établissement en faveur du commerce équitable.
- Objectif 5 : Favoriser des partenariats extérieurs et des jumelages autour du commerce équitable.
8Le premier objectif est indispensable pour obtenir le certificat. Les quatre autres sont des objectifs de progrès. Il s’agit donc moins d’évaluer s’ils sont parfaitement remplis que de s’interroger sur les efforts consentis pour avancer dans le sens de l’objectif visé. Il va donc de soi que les écoles qui ont obtenu le certificat ont répondu au premier objectif. Celui-ci ne semble d’ailleurs pas le plus délicat à réaliser, bien qu’il constitue un indicateur majeur de l’engagement dans le processus. La délibération ressort du processus interne et ne se trouve freinée que par des contraintes de temps et de disponibilité. Cependant, ce premier objectif n’exige pas uniquement une délibération au conseil d’administration de l’école. Il suppose aussi la mise en place d’un comité de pilotage multi-acteurs. Or, de ce point de vue, ce premier objectif fait sens avec le cinquième objectif. Les partenariats extérieurs tissés autour du projet de certificat permettent la réalisation de ce partenariat. Les associations locales et les boutiques de produits équitables jouent ici un rôle majeur. Dans les premiers dossiers évalués, les boutiques Artisans du Monde et Biocoop, ainsi que les associations comme Oxfam, apparaissent comme des acteurs clés. Ces organisations sont en effet ancrées localement en plus d’être insérées dans des réseaux nationaux et internationaux. Elles peuvent de ce fait constituer un relais pour ce qui est de l’information, mais aussi des produits qui vont être mis à disposition dans les écoles, comme de point d’ancrage pour faciliter d’autres partenariats avec l’extérieur. Elles peuvent participer aux synergies entre les jumelages plus classiques que font les écoles avec d’autres écoles en France ou ailleurs et les relations entre acteurs du commerce équitable sur différents territoires. Ces acteurs sont ainsi mobilisés pour développer des animations auprès des élèves sous forme de jeux, de petits-déjeuners, de stands avec des produits, etc.
9Un des points les plus délicats dans la constitution du partenariat multi-acteurs est certainement l’implication des collectivités publiques territoriales. Leur engagement est globalement faible. Or, elles jouent un rôle évidemment essentiel, notamment dans la capacité des écoles à progresser dans certains objectifs. Il est par exemple difficile d’évoluer dans l’introduction de produits équitables dans les écoles sans qu’un relais ne soit réalisé au niveau de la restauration scolaire, qui est du ressort de ces collectivités territoriales. Faute d’engagement de ces dernières, les achats de produits équitables se réduisent à des actes ponctuels sur lesquels les établissements scolaires ont prise. Les établissements proposent alors des stands ponctuels de produits équitables, avec l’animation d’un bénévole d’une association locale de commerce équitable, mais, au-delà de ces actions ponctuelles, la dynamique reste à consolider. Un mode d’action notable dans ce contexte est la sensibilisation du personnel de restauration scolaire. En effet, bien qu’ils n’aient eux-mêmes pas d’emprise sur les produits fournis par les collectivités territoriales, les membres du personnel peuvent, d’une part, participer à la pression en faveur de l’introduction de ces produits et, d’autre part, favoriser la sensibilisation des enfants lors des services de restauration. Cette limite souligne néanmoins un enjeu crucial, celui de la synergie entre les démarches de certification des écoles et celles des territoires comme les villes.
10Un domaine où les établissements ont plus de marge de manœuvre est la mise à disposition d’information, brochures de sensibilisation et livres sur le commerce équitable dans les centres de documentation. Il s’agit là d’un élément clé de la démarche de labellisation.
11Enfin, si les premiers dossiers ont fait apparaître une volonté de s’engager dans le processus « École équitable » pour un certain nombre d’établissements scolaires, la question de l’engagement de l’institution plutôt que celui des personnes se pose. En effet, le vote d’une délibération en faveur du commerce équitable au sein des établissements constitue certes un acte institutionnel, mais les implications de cet engagement, d’un point de vue pratique, sur la poursuite des objectifs de sensibilisation et de communication (objectifs 2 et 4) repose en grande partie sur le dynamisme d’une ou de quelques personnes particulières. Le processus est souvent porté par un ou une enseignante, avec une classe. Or, bien évidemment, à terme la rotation des élèves comme l’investissement nécessaire de la part de l’enseignant(e) peut s’avérer un frein à la dynamique de progrès du processus. Pour l’enseignant(e), le sentiment de devoir chaque année tout reprendre à zéro est un risque non négligeable de découragement. L’enjeu est clairement de mettre en œuvre au sein des établissements des facilités institutionnelles qui soulignent l’investissement de ces derniers au-delà de leur personnel ; la rotation des élèves comme celle des enseignant(e)s devenant moins un frein au processus de progrès qu’un fait intégré à la logique d’engagement des établissements.
3. Une seconde phase marquée par l’auto-évaluation et l’évaluation par les pairs
12Le mécanisme de certification de la première phase, opéré par un jury externe, était certes indispensable, mais présente la limite de constituer une sorte de « sanction » externe qui peut, d’une part, décourager les bonnes volontés, et qui, d’autre part, ne constitue pas un mécanisme d’aide dans l’engagement. La seconde phase lancée fin 2018 s’est, pour cette raison, appuyée sur un processus de certification à trois niveaux. Ce mécanisme de certification à trois niveaux constitue un point fort du processus. Le premier niveau est une auto-évaluation. Chaque établissement désireux de se lancer dans le processus dispose d’une grille d’auto-évaluation (téléchargeable sur le site officiel de la campagne) qui lui permet de connaître les critères à remplir et de se positionner vis-à-vis de ces critères. Par ailleurs, dans cette seconde phase du mouvement, une évaluation graduée a été introduite. Chaque objectif est en effet aligné sur un niveau d’engagement, et bien sûr le niveau d’engagement global reflète la situation d’engagement sur les différents objectifs. Les objectifs pour obtenir la certification restent les mêmes que dans la première phase. L’engagement sur chaque objectif, comme l’engagement global, se décline en trois degrés qui sont représentés par des grains de café. L’établissement peut soumettre sa candidature quand il estime être prêt. À noter que la graduation du niveau d’engagement permet aux établissements de s’engager dans le processus sans pour autant devoir atteindre un niveau d’engagement considérable. Ils peuvent ainsi obtenir un label avec un niveau d’engagement 1 (sur 3). Cette graduation facilite l’investissement des établissements sans leur en demander « trop » dès le départ. Et on peut espérer qu’une fois le premier pas franchi, un second sera fait.
13Le second niveau d’évaluation est l’évaluation par les pairs. Il s’agit d’une étape cruciale du processus qui devra probablement être pensée comme un moyen de tisser un réseau d’école autour de l’engagement dans le commerce équitable, avec partage de démarches, de bonnes pratiques et de solutions aux blocages. De la sorte, l’étape du jury externe, troisième niveau, ne viendra plus comme une « sanction » — le processus étant globalement satisfait grâce au partage de pratiques au sein du réseau des écoles — mais plutôt comme une garantie officielle externe destinée à fournir un gage de sérieux à l’extérieur des établissements.
14Cette seconde phase n’a pas seulement consisté à modifier les règles d’évaluation, elle a aussi concerné la labellisation d’écoles primaires et d’universités, alors que la première phase n’avait concerné quasiment que des collèges et lycées. Outre le lycée agricole Bonne-Terre (Pézenas, 34), la première école primaire a été labellisée. Il s’agit de l’école primaire de La Rouvière (La Rouvière, 30). Deux universités se sont également engagées dans le processus, l’université Clermont-Auvergne (UCA), avec son UFR Langues, Cultures et Communication, et l’université Nice Côte d’Azur, à travers son Institut d’administration des entreprises (IAE).
4. De nouvelles perspectives
15Les initiatives d’écoles du commerce équitable sont amenées à se développer. Cependant, aucune recherche n’a été entamée à notre connaissance sur l’impact qu’elles produisent sur les enfants et les jeunes scolarisés. Pourtant, le retour des enseignants semble très positif en termes de motivation et de cohésion des groupes-classes. Des évaluations d’impact seront menées à partir de 2020, notamment à travers le projet « Fair Future » sur l’éducation au commerce équitable – porté par Commerce Équitable France – et le projet Erasmus européen « Being 21 » – porté par le lycée Bel-Orme –, et devraient appuyer l’intérêt de la démarche pour les écoles.
16Pour plus d’informations :
https://www.label-ecoles-equitable.fr/ (consulté en juillet 2019).
Notes
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[1]
Ce texte est signé par les membres du premier jury du label Écoles de commerce équitable.
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[2]
Le processus a été soutenu financièrement par une bourse ECSINOV d’Educasol (Plate-forme française d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale), qui récompense l’innovation en matière d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale.