CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Dans L’Épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance (Heinich, 1999), j’avais entrepris de comprendre comment se gèrent les « écarts de grandeur » entre les personnes, en prenant pour terrain de recherche une situation où ils sont particulièrement visibles, soudains et spectaculaires : l’attribution d’un prix littéraire, qui apporte à son bénéficiaire la notoriété, la reconnaissance du talent, et la richesse.
L’enquête avait montré que, bien que désirable, l’attribution par autrui d’une « grandeur » supérieure peut s’avérer difficile à vivre, voire désastreuse – bien que ses effets ne puissent se réduire, loin de là, au cas extrême d’un écrivain tombé dans une dépression durable après l’attribution du prix Goncourt. Premièrement, en effet, un changement brutal de statut, même s’il est éminemment positif, introduit un bouleversement du sentiment d’identité, voire une incohérence difficile à vivre entre ces trois moments de l’identité que sont l’« auto-perception », la « représentation » et la « désignation » par autrui. Ces éventuelles discordances ne peuvent qu’être aggravées, en outre, par la rupture de la continuité temporelle dans le cours de l’existence.
Deuxièmement, ce soudain accès à une forme de grandeur entraîne ou avive des réactions d’envie de la part des pairs, des proches ou des contemporains : phénomène dont l’enquête anthropologique a montré la quasi-universalité et l’importance dans la plupart des cultures, en même temps que la dénégation dont elle fait régulièrement l’objet…

Français

Résumé

À partir d’un entretien réalisé avec Philippe Sollers sur la façon dont il a vécu l’obtention du prix Médicis, cet article se propose de dégager les conditions d’une forme particulière d’identité d’auteur : celle qui consiste à construire et à maintenir, dans sa personne autant que dans son œuvre, une position « avant-gardiste », c’est-à-dire à la fois décentrée et (de plus en plus) promise à la centralité. Dans cette perspective, la « reconnaissance » que constitue un prix est une expérience forcément problématique, en tant qu’elle contredit la nécessaire marginalité de l’écrivain. Au-delà de ce paradoxe, propre à la condition moderne de l’auteur et de l’artiste, c’est toute la problématique de la reconnaissance qui se trouve posée, obligeant à interroger les raisons mêmes pour lesquelles elle est longtemps restée si peu traitée par la sociologie de l’art et, plus généralement, par les sciences sociales.

Nathalie Heinich [*]
  • [*]
    Sociologue, CNRS.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/04/2009
https://doi.org/10.3917/rips.018.0071
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