CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les femmes isolées, entendues comme les femmes qui se déclarent sans conjoint, connaissent un taux de non-emploi – définit comme la somme de la non-activité et du chômage – de 27% en 1997 selon les données fournies par l’enquête Emploi. Ce taux est supérieur de 5% à celui des hommes isolés et inférieur de 2% à celui des femmes en couple. Il importe de mieux appréhender les raisons d’une telle distanciation avec le marché du travail et de mieux comprendre les canaux par lesquels une action des pouvoirs publics serait de nature à changer cet état de fait.

2Dans une première partie, nous exhibons quelques relations de nature descriptive entre le non-emploi et quelques déterminants comme les facteurs socio-démographiques, les salaires, le revenu garanti en non-emploi, le différentiel de revenu entre emploi et non-emploi, la non-employabilité en raison de la trop faible productivité et du niveau du SMIC super brut, la difficulté de trouver du travail dans la branche ou dans la région. L’impact des possibilités de garde n’est pas étudié, faute d’accès à des données. Le nombre d’enfants est relié à une baisse du taux d’emploi, cependant que l’effet de l’âge adopte une forme parabolique avec un maximum de taux d’activité entre 30 et 50 ans. Ces relations doivent être maniées avec une certaine prudence, dans la mesure où l’âge et le nombre d’enfants sont corrélés avec beaucoup d’autres facteurs qui ont un impact sur l’emploi et en particulier les différents types de revenus, impôts et transferts. Il faut donc introduire les facteurs financiers et à cet égard, ce sont les femmes entre 40 et 50 ans qui bénéficient des revenus disponibles en cas de non-emploi les plus élevés, car elles cumulent les avantages sociaux liés au nombre d’enfants et des transferts privés ou des revenus d’épargne.

3Beaucoup de facteurs s’entremêlent et il est difficile de faire la part de chacun d’eux en raison de leur corrélation. Le recours à une analyse économétrique est donc indispensable et nous faisons état dans une deuxième partie des résultats d’une étude conduite au THEMA sur un échantillon de 3200 femmes célibataires de 20 à 60 ans suivies par l’enquête Emploi 1997 et l’enquête Revenus Fiscaux (1997). Il ressort de cette analyse que le meilleur modèle est un modèle qui sépare les raisons de la participation au marché du travail (nombre d’enfants, âge, incitations financières à rester chez soi ou à aller travailler) de celles qui expliquent que l’on ne trouve pas de travail, alors même que l’on désire en avoir un (non employabilité, important taux de chômage départemental). Le premier groupe de facteurs induit une probabilité de participation, tandis que le second groupe engendre une probabilité de non-échec sur le marché du travail. La probabilité d’emploi s’écrit comme le produit de ces deux probabilités.

4Les femmes isolées semblent fortement sensibles aux incitations monétaires dans leur relation à l’emploi. Du fait des réformes engagées sous la précédente législature, dont il est rappelé l’importance dans Hagneré et Trannoy (2001) (possibilité de cumul d’une activité rémunérée et d’un minima social, Prime pour l’emploi) et qui aboutissent dans certains cas comme celui de l’Apiste à un gain net de plus de 25% de revenu disponible pour une smicarde, les isolées devraient être plus désireuses de participer au marché du travail et donc, ceteris paribus, le non-emploi de cette catégorie devrait diminuer. Nos projections indiquent par exemple qu’un gain de 10% de revenu disponible en cas de reprise d’emploi serait susceptible d’augmenter la probabilité d’emploi de plus de 10 points.

QUELQUES EVIDENCES EMPIRIQUES

5Les données dont nous faisons état proviennent des enquêtes Emploi 1997-1998 couplée avec l’enquête Revenus Fiscaux 1997. Elles portent sur 3222 femmes isolées représentatives de 972 573 personnes dans la population. Le champ est constitué des femmes non-étudiantes ou non retraitées. En 1997, le taux de non-emploi [2] était de 27% chez les femmes isolées de 20 à 60 ans, alors qu’il n’est que de 22% chez les hommes isolés et de 29% chez les femmes en couple. Ces chiffres particulièrement élevés correspondent à une période où la France sortait d’une période de croissance molle depuis la guerre du Golfe.

6L’une des originalités de l’étude est de ne pas instituer de distinction entre l’inactivité et le chômage. Selon la terminologie habituelle, le chômeur est celui qui cherche mais ne trouve pas l’emploi, alors que l’inactif ne cherche pas d’emploi. Comme nous n’avons pas d’indication sur l’intensité de la recherche, certains chômeurs peuvent ne pas être très assidus dans leur recherche d’emploi, et donc être très semblables à des inactifs, qui pour certains d’entre eux sont d’anciens chercheurs d’emploi ayant arrêtés de chercher un emploi, découragés soit parce que la quête d’une emploi s’est révélée trop difficile, soit parce que les emplois offerts n’étaient pas suffisamment rémunérateurs.

Figure 1

Profil par âge du non-emploi

Figure 1
Figure 1 Profil par âge du non-emploi 1 inactives 0,9 chômeuses 0,8 0,7 0,6 0,5 employées0,4 0,3 0,2 0,1 0 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 Age

Profil par âge du non-emploi

7Si la politique économique modifie les conditions financières à la reprise d’un emploi, l’inactif peut redevenir chercheur d’emploi ou vice-versa. La perméabilité entre les deux catégories autorise donc à ignorer cette distinction et à fondre l’inactivité et le chômage dans une catégorie, le non-emploi.

8A cet égard, la Figure 1 permet de rendre compte du profil par âge du non-emploi qui présente un profil en U renversé. Plus de 50% des femmes isolées ont un emploi entre 23 et 59 ans. Une substitution se produit entre le chômage et l’inactivité sur le cycle de vie professionnelle. Passé l’âge de 25 ans, les femmes isolées sans-emploi se déclarent plutôt chômeuses qu’inactives et passé 43 ans, la proportion d’inactives dans le non-emploi augmente pour être prédominant après 50 ans. L’inactivité est donc un phénomène du début de la vie active, avant 25 ans et après 50 ans. Le chômage présente une certaine permanence, même s’il touche beaucoup plus les personnes jeunes. Au total, ce graphique vient appuyer l’idée que l’inactivité n’est que du chômage découragé, puisque une jeune femme se déclare plutôt chômeuse et l’âge venant, inactive.

9Le taux d’emploi à temps partiel est en moyenne de 18%. Il affecte un profil par âge en forme de U avec des pointes particulièrement fortes en début de vie active, dans la période 20-25 ans eten fin de vie active dans la période 58-60 ans. Le travail à temps partiel constitue donc en quelque sorte un sas, un palier entre le temps plein et l’inactivité.

Figure 2

Profil par âge du temps partiel

Figure 2
Figure 2 Profil par âge du temps partiel %temps partiel 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0 20 25 30 35 40 45 50 55 60 Age

Profil par âge du temps partiel

10L’âge semble donc jouer un rôle certain sur le taux de non-emploi. Mais l’âge est généralement corrélé à la présence d’enfants. Ainsi, il importe de croiser ces deux facteurs afin d’essayer d’appréhender l’impact marginal de chacun d’eux. Le troisième graphique en trois dimensions, permet de visualiser de tels effets croisés et marginaux. Il apparaît que le nombre d’enfants exerce un effet dépressif sur l’emploi féminin et en particulier les taux d’emploi s’effondrent à partir du troisième enfant pour fluctuer entre 10 et 20%. L’effet marginal de l’âge est plus complexe. Le taux d’activité des célibataires sans enfants est presque continûment décroissant en fonction de l’âge. Toutefois le rôle de l’âge en présence d’enfants adopte une forme parabolique, en U renversé, avec un plateau d’activité élevé entre 35 et 45 ans encadré par des taux beaucoup plus faibles dans la première et la dernière décennie de vie active.

Figure 3

Le taux d’emploi en fonction du nombre d’enfants et de l’âge

Figure 3
Figure 3 Le taux d’emploi en fonction du nombre d’enfants et de l’âge 0,9 0,8 0,7 0,8-0,9 0,6 0,7-0,8 0,6-0,7 0,5 0,5-0,6 0,4 0,4-0,5 0,3-0,4 0,3 0,2-0,3 0,1-0,2 0,2 0-0,1 0 0,1 1 0 2 50-60 3 40-50 30-40 20-30

Le taux d’emploi en fonction du nombre d’enfants et de l’âge

11Il serait instructif d’étudier l’impact des possibilités de garde sur la probabilité de non-emploi et nous renvoyons ici à l’article de Choné, Le Blanc et Robert-Bobée (2002) qui ont montré qu’elles ne peuvent pas être négligées. Après avoir analysé le rôle des caractéristiques démographiques, nous en venons à des variables strictement économiques.

Les facteurs économiques observables du non-emploi

12Les principaux facteurs que nous passons en revue sont les suivants :

  • le revenu disponible garanti en non-emploi,
  • les salaires qui conditionnent le différentiel de revenu disponible entre emploi et non-emploi,
  • la non-employabilité en raison de la trop faible productivité et du SMIC.

13Penchons nous d’abord sur les deux premiers qui ont trait aux incitations financières à retrouver un travail.

14Dans le graphique suivant, transparaît l’influence croisée de l’âge et du nombre d’enfants sur le revenu en cas d’inactivité. Le revenu disponible est clairement croissant en fonction de l’âge et en particulier, certaines valeurs élevées apparaissent pour les femmes âgées de 50 à 60 ans en raison du montant élevé de certaines pensions de reversion ou de certaines pensions alimentaires, ces dernières dues à la présence d’enfants à charge. Ceci concerne de petits effectifs mais la décroissance du taux d’emploi dans la dernière tranche d’âge décennale que nous avons observé précédemment trouve là une explication économique. La croissance du revenu disponible en fonction du nombre d’enfants est également manifeste, mais nous retrouvons une relation qui pour des âges relativement jeunes serait bien approximée par une parabole. Un troisième facteur joue en effet qui ne peut être représenté, il s’agit de l’âge des enfants. Il est probable que les familles de trois enfants comprennent des enfants d’un âge plus élevé en moyenne que celui des familles de deux enfants. L’âge des enfants est l’une des caractéristiques qui joue un rôle dans le montant de l’allocation Parent isolé (l’API).

Figure 4

Revenu disponible mensuel en FF pour les personnes en non-emploi en fonction de l’âge et du nombre d’enfants

Figure 4
Figure 4 Revenu disponible mensuel en FF pour les personnes en non-emploi en fonction de l’âge et du nombre d’enfants 50000 45000 40000 35000 30000 45000-50000 40000-45000 25000 35000-40000 30000-35000 20000 25000-30000 20000-25000 15000 15000-20000 10000-15000 10000 5000-10000 5000 0-5000 0 3 50-60 2 40-50 1 30-40 0 20-30

Revenu disponible mensuel en FF pour les personnes en non-emploi en fonction de l’âge et du nombre d’enfants

15Il convient maintenant de regarder l’autre terme de l’alternative lorsqu’une personne envisage de reprendre un travail, à savoir le niveau de salaire auquel elle peut postuler compte tenu de son niveau de diplôme et de son expérience qui est approchée ici par son âge. Les femmes sont classées en 9 catégories suivant le niveau du diplôme le plus élevé obtenu. La catégorie de diplôme numérotée 0 correspond aux sans diplômes, la catégorie 1 aux CEP, la catégorie 2 aux CAP-BEP, la catégorie 3 aux BEPC, la quatrième au titulaires du Bac général, la cinquième catégorie aux titulaires du baccalauréat professionnel, et les trois dernières catégories aux diplômés de l’enseignement supérieur, du premier cycle, du second et du troisième cycle.

16La figure 5 permet de visualiser la hiérarchie des salaires qui n’est pas toujours croissante en fonction du diplôme, la valorisation du Bac Professionnel étant, suivant l’âge, supérieure ou inférieure à la valorisation attachée au Bac Général. En réalité, on pourrait presque regrouper les diplômes en trois groupes, à une extrémité du spectre, les sans diplômés et les titulaires du certificat d’études primaires, à l’autre extrémité les diplômés de l’enseignement supérieur, et entre les deux les autres diplômés. Le premier groupe est assez nettement décroché. Par contre, la valorisation attachée à un cycle de l’enseignement supérieur apparaît comme très forte, en particulier dans sa liaison avec l’ancienneté, il s’agit d’un investissement sur tout le cycle de vie qui se révèle particulièrement rentable pour les diplômés d’un troisième cycle dans la dernière décennie de la vie active. Ce fort rendement du diplôme avec l’âge est l’une spécificités des diplômés de l’enseignement supérieur, les diplômés de l’enseignement secondaire progressant très modérément avec l’ancienneté. En resumé, on constate un effet croisé du diplôme et de l’expérience : plus le diplôme est élevé et plus les gains liés à l’ancienneté sont élevés.

Figure 5

Le salaire annuel en FF en fonction de l’âge et du niveau de diplôme

Figure 5
Figure 5 Le salaire annuel en FF en fonction de l’âge et du niveau de diplôme 250000 200000 150000 200000-250000 150000-200000 100000-150000 50000-100000 100000 0-50000 8 50000 7 6 5 4 0 3 50-602 40-50 30-401 20-300

Le salaire annuel en FF en fonction de l’âge et du niveau de diplôme

17Les revenus salariaux combinés aux différentes aides conditionnent le revenu disponible en position d’emploi qui est représenté en fonction de l’âge et du nombre d’enfants dans la figure 6. La comparaison avec le graphique 4 est éclairante et elle témoigne que le différentiel est d’autant plus fort que la femme est jeune et a peu d’enfants. L’impossibilité de percevoir un revenu minimum d’insertion en dessous de 25 ans rentre en ligne de compte ainsi que le fait que les jeunes femmes sont en moyenne plus diplômées que leurs aînées.

18Après avoir abordé la question des incitations à retrouver un emploi, il faut évoquer le point de vue symétrique du côté de la demande de travail, c’est-à-dire l’intérêt financier pour une entreprise d’embaucher une personne. Quelle que soit la théorie ou la pratique à laquelle on se réfère, une entreprise n’embauchera pas une personne supplémentaire si elle lui coûte plus qu’elle ne lui rapporte. On en déduit qu’une personne embauchée doit permettre de dégager des recettes supplémentaires supérieures au coût du SMIC. Les personnes qui ont une productivité inférieure ne peuvent, en théorie, être embauchées.

19Les données de l’enquête Emploi enregistrent cependant des emplois avec un salaire horaire inférieur à celui du SMIC, en particulier chez les personnes employées à temps partiel. En pratique, le couperet du SMIC n’est donc pas automatique et des personnes qui ont une productivité inférieure au coût du SMIC peuvent se voir proposer un emploi. Le graphique 1 estime la probabilité de trouver un emploi, sachant que l’on dispose d’une productivité inférieure au SMIC. La comparaison entre l’estimation opérée sur un échantillon de femmes isolées et d’hommes isolés tourne à l’avantage des femmes. En raison de l’importance des occupations à temps partiel chez les femmes, une femme dont la productivité n’est que de 75% du SMIC a 6 chances sur 10 de se voir proposer un emploi, alors qu’un homme n’en a que 4 chances sur 10.

Figure 6

Revenu disponible mensuel en FF pour les personnes en emploi en fonction de l’âge et du nombre d’enfants

Figure 6
Figure 6 Revenu disponible mensuel en FF pour les personnes en emploi en fonction de l’âge et du nombre d’enfants 90000 80000 70000 60000 80000-90000 70000-80000 50000 60000-70000 50000-60000 40000 40000-50000 30000 30000-40000 20000-30000 20000 10000-20000 0-10000 10000 3 0 2 50-60 140-50 030-40 20-30

Revenu disponible mensuel en FF pour les personnes en emploi en fonction de l’âge et du nombre d’enfants

Graphique 1

Probabilité d’être employée pour une productivité inférieure au coût du SMIC [3]

Graphique 1
Graphique 1 Probabilité d’être employée pour une productivité inférieure au coût du SMIC1 1 0.8 0.6 0 .4 Hom m es Fem m es 0.2 0 0 0.25 0.5 0.75 1 1.25 1.5 1.75 2 Productivité / SM IC

Probabilité d’être employée pour une productivité inférieure au coût du SMIC [3]

20Nous anticipons en fait déjà sur la deuxième partie qui rend compte des résultats de l’estimation d’un certain nombre de modèles économétriques.

RESULTATS D’UN MODELE ECONOMETRIQUE [4]

21Les facteurs dont il a été fait état plus haut sont tous corrélés entre eux. Il est donc difficile de faire la part de chacun d’eux dans le non-emploi. Pour attribuer une part du non-emploi à chacun d’eux, il faut raisonner toutes choses égales par ailleurs, statistiquement parlant. Il est donc fondamental d’avoir de la variabilité statistique pour observer des personnes qui possèdent un attribut sans posséder les autres. La présentation de l’échantillon précède celle des résultats.

L’échantillon

22Afin de fournir un élément de comparaison, nous confrontons les données de l’échantillon sur les femmes isolées à celles de l’échantillon sur les hommes isolés. Les femmes isolées sont en moyenne plus âgées que les hommes isolés mais leur revenu en cas de non-emploi, en tenant compte de la taille familiale (Revenu par unité de consommation), est un peu supérieur à celui des hommes. Elles ont, en moyenne, moins d’un enfant vivant avec elles, alors que les hommes célibataires habitent pratiquement seuls.

Tableau 1

Statistiques descriptives

Tableau 1
Tableau 1 Statistiques descriptives Femmes Hommes Moyenne Freq Moyenne Freq Age 42.28 39.93 Revenu d'inactivité / u.c. 39197 38316 Enfants <3ans 0.047 0.002 Enfants >3ans et <6ans 0.067 0.006 Enfants >6ans 0.47 0.08 Enfants 0.74 0.127 sans diplôme - CEP 31.80% 28.80% BEPC 8.56% 6.12% CAP-BEP 23.19% 28.50% BAC PRO 5.38% 6.83% BAC 7.57% 4.82% SUP cycle 1 6.67% 9.57% SUP cycle 2 12.77% 6.38% SUP cycle 3 4.06% 9.51%

Statistiques descriptives

23Sur la génération étudiée, elles ont encore un déficit de qualification relativement aux hommes, 3 points de plus de non-diplômées ou diplômées du certificat d’études primaires et 2 points de moins de diplômées de l’enseignement supérieur.

Le meilleur modèle

24Le modèle qui s’ajuste le mieux aux données explique 48% de la variance (52% de la variance de la variable muette présentant les modalités 0 en cas de non-emploi et 1 en cas d’emploi reste inexpliquée). Ceci peut paraître faible mais sur données microéconomiques, le résultat est assez satisfaisant.

25Ce modèle sépare :

  • les raisons de la participation au marché du travail (nombre d’enfants, âge, incitations financières à aller travailler plutôt qu’à rester chez soi) qui définit une Probabilité de participation ;
  • de celles qui expliquent que l’on ne trouve pas de travail, alors que l’on désire en avoir un (non employabilité du au coût du SMIC, important taux de chômage départemental, difficultés de conjoncture). Ce deuxième facteur est synthétisé par une Probabilité de non-échec sur le marché du travail.

26Le modèle traduit une complémentarité stricte entre causes du non-emploi, dans le sens que la probabilité de trouver un emploi s’écrit comme le produit des deux probabilités de trouver un emploi, soit :
La Probabilité d’emploi = Probabilité de participation x Probabilité de non-échec.

27Ainsi, la probabilité d’emploi ne peut être plus élevée que la plus élevée des deux probabilités. Si, par exemple, la probabilité de non-échec est égale à 50%, la probabilité d’emploi ne peut être supérieure à 50%.

Les raisons de la participation

28Si on s’intéresse maintenant à la première des deux probabilités, celle de participer, il apparaît alors les faits suivants.

29Sont très significatifs

  • Le revenu disponible de non-emploi (négatif).
  • Le revenu disponible en cas d’emploi (positif).

30Sont significatifs

  • Âge et l’âge au carré (négatif).
  • L’enfant de moins de 3 ans qui diminue la probabilité de participer de 13 points.
  • L’handicap qui diminue cette probabilité de 53 points.

31Ne sont pas significatifs

  • L’enfant entre 3 et 6 ans.
  • L’enfant de plus de 6 ans.

32Ce dernier résultat est a priori surprenant. Une explication tient dans la possibilité de garde offerte par l’école maternelle et l’école élémentaire.

33Le graphique suivant permet de mesurer l’impact « pur » de l’âge sur la probabilité de participer, qui est décroissant dès l’âge de 30 ans, lorsque l’on tient compte du nombre d’enfants et des variables d’incitations financières. On peut alors mesurer la différence entre l’effet pur et l’effet bruité obtenu dans la première partie.

Figure 7

Effet estimé de l’âge sur la probabilité de participer

Figure 7
Figure 7 Effet estimé de l’âge sur la probabilité de participer 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 Série2 0,3 0,2 0,1 0 0 20 40 60 80

Effet estimé de l’âge sur la probabilité de participer

34Il nous reste à présenter les prédictions du modèle quant aux effets d’un changement de politique économique, en matière d’incitations financières à reprendre un emploi.

Une mesure de l’impact d’un changement de politique économique

35Nous considérons deux cas types suivant que la femme isolée de 30 ans, sans enfant, qui touche du RMI et de l’allocation logement et qui habite la région parisienne, a une productivité égale ou inférieure au SMIC (0,8 SMIC). On veut alors simuler l’impact de deux réformes, la première augmente de 10% le montant du revenu disponible d’activité, par exemple à travers une aide du type de la Prime pour l’Emploi, tandis que la seconde augmente de 10% le RMI. La première fait sens suite aux réformes engagées entre 1998 et 2001, voir Hagneré et Trannoy (2001). La seconde question a un caractère prospectif. Les variations des probabilités d’emploi sont retracées dans le tableau ci-dessous.

Tableau 2

Impact des incitations financières sur les probabilités de participer au marché du travail

Tableau 2
Tableau 2 Impact des incitations financières sur les probabilités de participer au marché du travail SMICARDE 0.8 SMICARDE SITUATION en 1997 Probabilité de participation 70,8% 51,3% Probabilité de non échec 97,7% 62,7% Probabilité d’emploi 69,1% 32,2% EFFET ?REVENU DISPONIBLE 10% Probabilité de participation 81,7% 65,1% ? Probabilité d’emploi 10,6 % 8,6% EFFET ? RMI 10% Probabilité de participation 64,5% 45,8% ? Probabilité d’emploi-6,1% -3 ,45%

Impact des incitations financières sur les probabilités de participer au marché du travail

36Chez les smicardes, le gain de probabilité suite à la première réforme est de l’ordre de 10%, ce qui est considérable. Lorsqu’on examine maintenant le retour à l’emploi d’une femme qui a une productivité inférieure au SMIC, l’augmentation est un peu plus faible, de l’ordre de 8%. Nous pouvons conclure qu’un changement dans les conditions financières qui président à la reprise d’un emploi est de nature à augmenter d’une manière substantielle le taux d’emploi. On obtient les résultats qualitatifs inverses concernant une hausse du RMI. La contraction de la probabilité d’emploi est de plus faible ampleur mais elle est loin d’être négligeable.

37Deux enseignements principaux se dégagent de cette étude. En premier lieu, les femmes isolées semblent fortement sensibles aux incitations monétaires dans leur relation à l’emploi. Laroque et Salanié, dans une série de travaux cités en référence, trouvent également des résultats qualitatifs de ce type mais avec un ordre de grandeur atténué. Du fait des réformes engagées sous la précédente législature (voir Hagneré et Trannoy (2001) pour une tentative de bilan), les femmes isolées devraient être plus désireuses de participer au marché du travail et donc, ceteris paribus, le non-emploi de cette catégorie devrait diminuer. En second lieu, il apparaît que l’amélioration du taux d’emploi de cette catégorie nécessite que, d’une manière simultanée, le désir de participation augmente et les possibilités d’emploi s’accroissent. Depuis 2001, on assiste à un retournement conjoncturel et donc la deuxième condition n’est malheureusement pas satisfaite. Il faudra attendre la sortie de crise pour que les gains d’incitations monétaires à la reprise d’emploi engrangés sous la précédente législature produisent tous leurs effets.

Notes

  • [1]
    Cet article, préparé pour le Colloque « Femmes et travail en Europe » qui s’est tenu à Cergy le 20 et 21 mars 2003 synthétise des travaux réalisés dans le cadre du THEMA et qui sont cités en référence. Je remercie Cyrille Hagneré pour son aide dans la préparation des différentes figures apparaissant dans ce texte.
  • [2]
    Les enquêtes Emploi constituent la base de données à partir de laquelle l’INSEE construit ses statistiques sur l’emploi.
  • [3]
    Cette figure provient de Hagneré et alii (2003).
  • [4]
    Voir pour de plus amples détails, et en particulier la méthode d’estimation, on se reportera à Hagneré, Picard, Van der Straeten et Trannoy 2003.

RÉFÉRENCES

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  • HAGNERE C., PICARD N., TRANNOY A., VAN DER STRAETEN K. (2002), La Prime pour l’emploi est-elle optimale ? Economie Publique, Etudes et Recherches, vol.11, pp.15-45.
  • HAGNERE C., N. PICARD, VAN DER STRAETEN K.,
  • TRANNOY A. (2003), L’importance des incitations financières dans l’obtention d’un emploi est-elle surestimée ? à paraître dans Economie et Prévision.
  • LAROQUE G., SALANIE B. (2002), Temps partiel féminin et incitations financières à l’emploi, Revue Economique, vol.53, pp.1127-1147.
  • LAROQUE G., SALANIE B. (2003), Institutions et emploi, Les femmes et le marché du travail en France, Economica, Paris.
  • En ligneLAROQUE G., SALANIE B. (2000), Une décomposition du non-emploi en France, Economie et Statistique, n° 331, pp.47-66.
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