CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 « L’Affaire du siècle » est le nom d’une action lancée en septembre 2018 par quatre associations françaises [1], inspirées par des exemples étrangers, en vue de poursuivre l’État français en justice pour « carence fautive ». Elles invoquaient son inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique, les engagements pris en 2015 à la suite de l’accord de Paris sur la réduction des gaz à effet de serre n’ayant pas été respectés.

2 Fortes des plus de deux millions de signatures recueillies par leur pétition et insatisfaites des réponses données par le gouvernement aux questions qu’elles lui avaient posées dans un mémoire d’une quarantaine de pages, les associations ont déposé en mars 2019 un recours auprès du tribunal administratif. Celui-ci a d’abord reconnu la faute de l’État – déjà condamné en 2020, dans un dossier annexe, à une astreinte de dix millions d’euros par semestre – puis, dans une décision du 14 octobre 2021 saluée victorieusement par les militants pour la protection du climat, il a ordonné au Premier Ministre de prendre avant la fin de l’année 2022 toutes les mesures utiles pour réparer le préjudice.

3 Il a été abondamment souligné que cette action judiciaire ne constituait pas une plainte contre le gouvernement mais une injonction adressée « à la justice administrative chargée de juger au quotidien les activités de l’administration française, donc de l’État ». Beaucoup de commentateurs se sont étonnés d’un recours à la justice qui n’intervenait pas, comme c’est souvent le cas, au même titre que d’autres formes de mobilisation dans le cadre d’un combat militant, mais comme objet principal de ce combat.

4 Cette démarche n’est pas nouvelle. Bien que le droit soit couramment suspecté d’être un outil au service exclusif du pouvoir et développé par lui pour la défense de ses seuls intérêts, il a été utilisé pour soutenir des actions militantes dans divers domaines, comme les droits humains, les inégalités d’accès des citoyens aux droits sociaux ou la défense de causes collectives diverses. L’histoire du recours au droit par des groupes qui parfois le contestent radicalement a alimenté en France la réflexion d’historiens et de sociologues du droit, analystes d’un courant américain qui s’est penché sur les relations entre droit et politique. Pionnière dans ce champ, la juriste Danièle Lochak [2] a ouvert une voie dans laquelle s’est ensuite engagée la sociologue Liora Israël, dont le dernier ouvrage fait l’objet d’une recension [3].

5 Le recours en justice, jusqu’ici moyen accessoire dans la lutte, tend à constituer le fondement et l’apprentissage des formes collectives de défense et d’utilisation du procès, facilitant ainsi la sensibilisation du public à une cause.

Notes

  • [1]
    Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France.
  • [2]
    Lochak D., 2016, Les usages militants du droit, Revue des droits de l’Homme, n° 10, en ligne : https://revdh.revues.org/2178
  • [3]
    Jacques Chevallier, recension du livre de Liora Israël, À la gauche du droit. Mobilisations politiques du droit et de la justice en France (1968-1981), 2020, Éditions de l’EHESS, sur le blog Chemins Publics, 20 avril 2021.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/09/2022
https://doi.org/10.3917/inso.206.0084
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