CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Qu’il s’agisse d’une pratique destinée à booster les ventes ou bien d’un dommage collatéral lié à la sophistication croissante des appareils ménagers, l’usure prématurée ou la panne précoce des objets du quotidien sont devenues un fait auquel la sociologie économique a donné un nom dès les années 1930 aux États-Unis, l’« obsolescence programmée », alors porteur d’espoirs de réduction du chômage. Aujourd’hui, c’est le point de vue du consommateur qui prend le dessus et l’on dénonce souvent comme une stratégie mercantile la fiabilité limitée des biens – même si l’on continue d’en remplacer certains par des modèles dont le seul mérite est d’être « plus récents ». L’homo œconomicus est un être paradoxal !

2 La réparation des objets a longtemps soutenu l’activité de maints petits prestataires qui proposaient leurs services dans le cadre d’une économie artisanale modeste, alors plus centrée sur la subsistance que sur la consommation, pour réparer, rafistoler, restaurer, rapiècer, repriser, raccommoder, ravauder, rempailler, rétamer, rectifier, dépanner, bricoler…, bref remettre en marche tout ce qui demandait à l’être. Ces précieux artisans alliaient souvent avec bonheur habileté, savoir-faire – souvent disparus – et imagination pour redonner vie aux choses cassées et les rendre à leur usage. Les talents de ces auxiliaires minuscules du quotidien constituaient parfois une sorte de marque d’appartenance traditionnelle à des communautés et participaient en même temps à leur intégration en fournissant des services appréciés par l’ensemble de la société.

3 Dans un monde qui commence à prendre conscience de la rareté des matières premières et de l’impérieuse nécessité de réduire drastiquement le gaspillage, la lutte contre l’obsolescence s’est parée d’une tenue officielle : désormais le droit de la consommation contient des dispositions imposant aux constructeurs non seulement d’assurer pendant un certain nombre d’années la fourniture de pièces détachées mais aussi d’attribuer à leurs produits un « coefficient de réparabilité », censé informer l’acheteur sur la confiance qu’il peut lui accorder.

4 Le combat mobilise aussi, et surtout, les énergies de « petites gens ». On ne compte plus les ateliers qui, dans le cadre d’associations culturelles ou caritatives, promeuvent des pratiques sociales alternatives comme le recyclage et la réparation. Toutefois, si permettre aux habitants de remettre en état leurs appareils dans un esprit de convivialité est une activité créatrice de lien social, les acteurs de ce mouvement ont d’autres ambitions [1]. Dans beaucoup de « Repair-cafés », l’accent est mis sur les valeurs du refus du gaspillage et du non-épuisement des ressources naturelles – « Réparer au lieu de jeter », dit une affiche sur la porte de l’un d’eux. Le discours promeut la réduction des déchets dont le traitement et le recyclage sont écologiquement coûteux tandis que les pratiques s’étendent à la transmission des savoir-faire et à l’apprentissage, en vertu de l’aphorisme bien connu : il est plus utile d’apprendre à pêcher à un être humain que de lui donner un poisson.

Notes

  • [1]
    Institut de formation et de recherche en éducation à l’environnement (Ifrée), 2015, Accompagner le changement de comportement chez l’adulte dans la prévention des déchets, Les Livrets de l’Ifrée, n°7, en ligne, consulté le 17/03/2022. http://grainelr.org/sites/default/files/livret_n_7.pdf
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/09/2022
https://doi.org/10.3917/inso.206.0064
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