1Éditeur et publiciste inspiré, l’Américain Tim O’Reilly avait imaginé naguère la formule « Web 2.0 », aujourd’hui référence universelle ; c’est lui encore qui a proposé en 2011 l’expression « Governement as a plateform ». Celle-ci est devenue en France « l’État plateforme » dans le projet dirigé par Henri Verdier, entrepreneur et spécialiste du numérique, nommé en 2015 directeur interministériel du numérique et du système d’information de l’État. L’idée de départ était d’apporter à l’administration française un souffle de modernité en faisant profiter son image des incontournables transformations qu’elle connaissait avec les avancées de la numérisation de la société, même si celles-ci avaient pu paraître quelquefois hasardeuses ou hésitantes. Deux éléments furent particulièrement mis en avant : l’ouverture et le partage presque total des données disponibles et de leur traitement, connus sous le nom d’« Open Data », et la multiplication des petites entreprises débutantes, les « start-up », accompagnées d’une réputation flatteuse due à leur souplesse de fonctionnement, à leur capacité d’innovation et à la jeunesse créative de leurs animateurs.
2Alors que ce même mouvement avait alimenté outre-Atlantique des discussions théoriques assez vives entre les spécialistes de science politique, soucieux d’en explorer les conséquences sur le fonctionnement de la vie démocratique, ce débat a connu une portée plus modeste dans notre pays. Il a été alimenté par des réflexions de qualité dues, entre autres, à Jacques Chevallier [1] et à Gilles Jeannot [2], portant respectivement sur la transformation globale de l’administration et des services publics et sur les représentations et les pratiques qui président au projet d’État plateforme.
3L’analyse proposée par Pierre Mazet [3] se veut plus concrète. Elle s’intéresse à la transformation profonde de la relation à l’offre publique qui se joue pour l’usager, « entre rationalisation budgétaire et perspective d’un État plateforme ». Elle souligne l’existence d’effets mal maîtrisés de la dématérialisation des services publics en raison, d’abord, du décalage qui s’est créé entre la rapidité du développement des services et la relative lenteur d’acquisition par les usagers des compétences techniques nécessaires. Pour beaucoup, ce décalage a induit des difficultés d’accès aux processus et aux démarches. Si elle advenait, la disparition attendue des guichetiers, avec lesquels s’établissait un rapport relationnel structurant, pourrait se révéler une lourde erreur. Le citoyen n’aurait plus alors qu’un rapport à distance et désincarné avec l’administration, prémice d’une détérioration définitive de son rapport à l’État.
Notes
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[1]
Jacques Chevallier, Vers l’État-plateforme ?, Revue française d’administration publique, vol. 167, n° 3, 2018, p. 627-637, https://doi.org/10.3917/rfap.167.0627
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[2]
Gilles Jeannot, Vie et mort de l’État plateforme, Revue française d’administration publique, ENA, 2020, p. 165-180, https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2020-1-page-165.htm?ref=doi
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[3]
Pierre Mazet, Vers l’État plateforme. La dématérialisation de la relation administrative, La Vie des idées, 2 avril 2019, https://laviedesidees.fr/Vers-l-Etat-plateforme.html