CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La notion de discrimination fait partie de ces termes devant leur succès autant à leur connotation polémique qu’à leur polyvalence sémantique, même quand ils sont accompagnés par un adjectif censé en réduire l’imprécision. Issue d’un verbe qui n’a longtemps désigné que le fait de distinguer une chose d’une autre, elle a pourtant gagné une grande popularité en devenant une facilité langagière qui permet d’évoquer dans une certaine confusion des situations d’inégalité souvent peu comparables les unes aux autres.

2L’analyse de la discrimination par la sociologie [1] au début des années 2000 a permis de comprendre que toute inégalité ne constituait pas une discrimination, sans que soit tranchée la question, jugée centrale par les politistes, des conditions d’existence dans l’espace public de collectifs créés autour des revendications qu’elle inspirait. L’intérêt porté par deux sociologues du droit au traitement judiciaire d’un conflit prud’homal [2] apporte à cet égard d’intéressants éléments de réponse. Le conflit en question a opposé, pendant quatre ans, 848 cheminots majoritairement marocains à leur ancien employeur, la SNCF, à propos d’un traitement en matière de retraite qu’ils estimaient discriminatoire. Les chercheurs ont saisi simultanément le déroulement de l’action judiciaire visant à faire reconnaître le caractère discriminatoire d’une pratique et celui de la formation d’un groupe organisé réunissant ses victimes. Ce faisant, ils ont examiné tant la dynamique d’une situation qui aurait pu n’être perçue que comme un mauvais sort partagé que les conditions d’émergence du collectif qui s’est formé pour y répondre. Leur démarche s’est attachée à décrire un processus qu’ils qualifient de « fabrique organisationnelle des discriminations » dans et par les organisations et institutions politiques, telles que les administrations, les collectivités locales, les partis, les syndicats ou encore les associations.

3L’observation quasi ethnographique qu’ils rapportent des interactions, d’une part entre les plaignants eux-mêmes et, d’une autre, entre ceux-ci et les différents acteurs de l’action judiciaire, souligne le rôle joué par cette dernière dans la création d’une conscience collective qui s’est inscrite dans la durée.

4L’une des conclusions qui s’impose au terme de l’analyse des auteurs est que la notion sociologique de discrimination structurelle qu’ils ont adoptée rompt avec la perception commune de la discrimination pensée en termes individualistes et psychologiques. Ainsi, suggèrent-ils, la discrimination ne prendrait pas son origine dans les représentations des individus mais au-delà, dans l’organisation sociale et matérielle de la société.

Notes

  • [1]
    Laure Bereni et Vincent-Arnaud Chappe, 2011, « La discrimination, de la qualification juridique à l’outil sociologique », Politix, vol. 94, n° 2, p. 7-34.
  • [2]
    Vincent-Arnaud Chappe et Narguesse Keyhani, 2018, La fabrique d’un collectif judiciaire. La mobilisation des cheminots marocains contre les discriminations à la SNCF, Revue française de science politique, Presses de Sciences Po, vol. 68, n° 1, p. 7-29.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/11/2021
https://doi.org/10.3917/inso.203.0167
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