1L’une des faiblesses récurrentes des études sociales réside dans la difficulté d’y intégrer une dimension temporelle. En effet, elles échouent souvent à rendre compte de la dynamique des situations individuelles, par essence évolutives et surtout complexes en raison du très grand nombre de facteurs de différentes natures qui les caractérisent et des interactions que ceux-ci entretiennent entre eux. Aussi précises et fidèles qu’elles puissent être, les représentations « instantanées » d’un phénomène ne traduisent l’état de celui-ci qu’à un moment donné et laissent une place trop importante à l’hypothèse et à l’interprétation pour rendre compte des changements qui se sont produits entre chacune d’elles. Il fallait donc, comme le cinématographe avait succédé à la photographie sans la condamner à disparaître, inventer le moyen d’importer le mouvement dans les études sociales.

2La méthode des cohortes consiste à suivre dans la durée un échantillon de personnes appartenant à une même génération et partageant la même problématique. Expérimenté dès la fin de la Seconde Guerre mondiale au Royaume-Uni, le développement des cohortes est plus récent en France. La première enquête de ce type en population générale est le projet Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) [*], mis en place sur le terrain en mars 2011 sous l’égide de l’Institut national des études démographiques (Ined) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), avec le soutien des pouvoirs publics et de différentes administrations, dont la Cnaf. Elfe a pour objet d’observer pendant une quinzaine d’années un groupe de 20 000 enfants à partir de leur naissance (et même, pour certains d’entre eux, de leur vie intra-utérine) jusqu’à l’adolescence, afin de comprendre comment leur environnement, dans tous les sens du terme, affecte leur développement, leur santé, leur socialisation ou leur parcours scolaire.

3Les trajectoires des enfants de la cohorte sont repérées et séquencées à travers des événements clés et analysées par l’étude des mouvements d’entrée et de sortie dans une situation : entrée dans et sortie de la pauvreté, passage de l’enfance à l’adolescence, survenue d’événements familiaux… Ce travail s’annonce ambitieux car les observations qui l’alimentent sont fréquentes et diverses, mobilisant nombre de spécialistes de toutes les disciplines des sciences sociales, comme la médecine, en particulier pédiatrique. De nombreux travaux fondées sur l’enquête Elfe sont déjà disponibles [**].