L’étude de la mise en œuvre des contrats à impact social (CIS) montre l’intérêt de ce mécanisme pour le financement de l’action sociale ainsi que son rôle préventif. Ce partenariat tripartite associe des acteurs publics, des porteurs de projet issus du secteur social et des investisseurs. Si le programme atteint ses objectifs, ces derniers sont rémunérés par l’État, lequel réalise ainsi des économies en s’évitant des dépenses ultérieures plus importantes.
1Les Social Impact Bonds, « Contrats à impact social » (CIS) en français, sont des partenariats multipartites qui impliquent des acteurs privés et sont conçus pour financer des activités d’action sociale réputées pour être non rentables. Par le biais de ce mécanisme, des investisseurs privés préfinancent des porteurs de projets issus du secteur social afin de pouvoir tester de nouveaux modèles d’intervention. L’État, quant à lui, rembourse les investisseurs, avec en supplément un rendement prédéterminé, si et seulement si des résultats prédéfinis sont atteints. L’originalité du CIS par rapport à d’autres mécanismes de financement est que le montant remboursé aux investisseurs en cas de succès correspond à une fraction de l’économie budgétaire réalisée par l’État grâce à l’atteinte des objectifs.
2Depuis le premier projet pilote mené en 2010 au Royaume-Uni, dans la prison de Peterborough, le concept de CIS a suscité beaucoup d’intérêt mais aussi beaucoup de questionnements. Si de multiples initiatives ont émergé à travers le monde, peu ont vu le jour en Europe continentale. Et ce au grand dam d’un grand nombre d’acteurs du secteur social porteurs de projets innovants à finalité sociale mais peu rentables qui, par conséquent, peinent à sécuriser les financements suffisants pour pouvoir les déployer.
3Dans ce contexte, Martine Pinville, secrétaire d’État en charge de l’Économie sociale et solidaire (ESS) de 2015 à 2017, a décidé de promouvoir le développement de contrats à impact social. À son initiative, des appels à projets ont été lancés à partir de mars 2016. La démarche d’expérimentation semble pertinente car, sous l’effet de l’accentuation des pressions budgétaires et d’une demande de services sociaux toujours croissante, le gouvernement français, comme la plupart des gouvernements européens, doit plus que jamais développer sa capacité d’innovation pour répondre de manière efficace aux défis sociaux. Les CIS peuvent apporter une réponse crédible en contribuant à repenser radicalement la manière dont les services sociaux sont proposés et à libérer le potentiel d’innovation du secteur social.
4En 2014, l’Agence bruxelloise pour l’emploi avait été pionnière en lançant le premier CIS en Europe continentale autour de l’intégration professionnelle de publics fragilisés, avec le soutien du gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale. Cet article s’appuie sur cette expérience belge pour mener une réflexion sur l’usage et la pertinence des CIS en France ainsi que sur les conditions de leur succès. Il est structuré en trois parties. La première présente le fonctionnement, les critères de succès et les avantages théoriques du modèle CIS [1] ; la deuxième discute l’application de ces critères au cas concret du premier CIS en Belgique sur l’insertion professionnelle de jeunes fragilisés [2] ; enfin, la troisième esquisse quelques pistes pour le développement et l’utilisation de ces nouveaux modes de financement de l’action sociale.
Conditions de mise en œuvre et avantages théoriques
Le mécanisme du CIS
5Un contrat à impact social est un mécanisme multipartite de partenariat financier via lequel des investisseurs privés préfinancent un programme social innovant qui présente un intérêt pour un gouvernement mandataire. Si au terme de ce programme les résultats se révèlent positifs, le gouvernement rembourse aux investisseurs leur investissement initial, assorti d’un rendement pour compenser le risque financier qu’ils ont pris. Si les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous, les investisseurs encourent le risque de ne pas recouvrir leur investissement initial.
6Un CIS étant un mécanisme de paiement lié aux résultats, il ne s’agit donc pas d’une obligation au sens financier du terme, comme pourrait le faire croire la terminologie anglo-saxonne.
Les parties prenantes
7Comme illustré dans la figure ci-dessous, plusieurs parties participent au mécanisme : des acteurs du secteur public, des acteurs du secteur privé et des acteurs issus du secteur social. Le partenaire public (en général un ministère ou une collectivité territoriale) est le payeur final et joue un rôle central dans le mécanisme. Il définit la problématique sociale cible, sélectionne un programme social innovant proposé par un porteur de projet et fixe les objectifs en termes d’impact social à atteindre. Il s’engage également à rémunérer les investisseurs sociaux si les objectifs prédéfinis sont atteints à l’issue du contrat.
Parties prenantes au mécanisme de CIS

Parties prenantes au mécanisme de CIS
8Les investisseurs sociaux (particuliers, fondations, investisseurs institutionnels) préfinancent le programme traitant la problématique sociale définie par le partenaire public. En échange, si le programme atteint ses objectifs, ils seront remboursés par le payeur final et obtiendront un rendement en fonction du degré de succès, plafonné à un niveau maximum prévu dans les accords contractuels. Si les objectifs ne sont pas atteints, ces investisseurs perdent leur investissement.
9Le porteur de projet (association, entreprise sociale, etc.) fournit ses services selon les accords contractuels. Il bénéficie aussi du préfinancement et de l’implication des investisseurs sociaux en matière de gouvernance, de planification et de reporting. Enfin, l’évaluateur indépendant (institut de recherche, agence externe, etc.) évalue les résultats du programme social selon des indicateurs et une méthodologie préétablis prévus par le contrat ; son rapport d’évaluation servira de base à la décision de remboursement par le partenaire public.
Conditions d’applicabilité
10Pour bénéficier d’un financement par CIS, l’intervention sociale mise en œuvre par le porteur de projet doit répondre à plusieurs conditions. Premièrement, elle doit générer des gains économiques pour l’État liés à la prévention d’une problématique sociale coûteuse. Il s’agit là d’une condition nécessaire pour que l’État puisse, en cas de succès de l’intervention et de remboursement des investisseurs sociaux, récupérer de manière indirecte les coûts du programme social. Si cette condition est remplie, la mise en place d’un CIS devient une opération « gagnante-gagnante » pour l’État : si l’intervention échoue à produire des résultats, l’État n’engage pas de dépenses car le financement de l’intervention incombe aux investisseurs privés ; si elle atteint ses résultats, l’État rembourse les investisseurs mais les gains de prévention sont supérieurs aux montants remboursés.
11Une deuxième condition concerne la mesurabilité des résultats. En effet, un mécanisme de CIS ne peut être mis en œuvre que si les résultats de l’intervention peuvent être facilement mesurés grâce à des indicateurs simples, sans changer la nature de l’intervention ni mettre à risque les populations cibles.
12Troisièmement, la population cible de l’intervention doit pouvoir être clairement définie par quelques paramètres statistiques simples. Cela permet de définir un groupe de comparaison pour mesurer de manière statistiquement robuste l’impact de l’intervention sur la population cible.
13Une quatrième et dernière condition porte sur le délai entre le moment où l’intervention est mise en œuvre et le moment où elle produit les résultats escomptés. Il faut que ce délai soit raisonnable pour qu’un lien causal entre l’intervention et les résultats puisse être établi.
Avantages du mécanisme
14De manière théorique, le mécanisme CIS décrit ci-dessus présente plusieurs avantages, mis en lumière par la littérature [3]. Nous en retenons cinq :
- Externaliser le risque de financement de l’innovation sociale. Grâce au CIS, le partenaire public n’est amené à rembourser les investisseurs sociaux que si les résultats prédéfinis sont atteints. Le risque induit par l’absence de résultats est donc entièrement supporté par l’investisseur social, et non pas par les citoyens ni par la collectivité. Cette externalisation du risque financier permet de stimuler l’expérimentation et l’innovation sociale en rendant possibles des projets sociaux innovants qui n’auraient pas obtenu un financement classique au vu de leur profil de risque.
- Apporter des moyens financiers complémentaires au tiers secteur. Le mécanisme fournit un complément de financement aux porteurs de projet qui désirent tester des interventions innovantes. Grâce aux CIS, dont la durée moyenne est de trois à sept ans, les opérateurs bénéficient d’une source de financement pluriannuelle stable et peuvent se consacrer à la réalisation de leur objet social, plutôt que de devoir régulièrement chercher des financements à court terme.
- Monétiser les gains financiers liés à la prévention de problématiques sociales. Un CIS se centre sur des problématiques sociales dont la résolution ex ante peut générer des économies significatives pour la puissance publique. En cas de réussite, les interventions préventives financées par des CIS génèrent des économies budgétaires pour l’État, notamment en évitant l’engagement de dépenses d’urgence coûteuses. Le remboursement du CIS, rendement compris, en cas de succès est calculé de façon à toujours être inférieur aux économies générées par le programme social. En d’autres termes, le CIS est un mécanisme qui permet de valoriser financièrement le travail de prévention effectué par les acteurs du tiers secteur.
- Valoriser l’évaluation de l’efficacité des politiques sociales. Les CIS placent l’évaluation rigoureuse de l’impact des politiques en matière sociale au cœur de la décision d’allocation du budget. À plus long terme, la culture du résultat promue par les CIS pourrait accélérer la transformation culturelle au sein du secteur public français.
- Intégrer des acteurs du tiers secteur, du secteur privé et du secteur public dans une logique collaborative. Les CIS rassemblent des partenaires aux compétences complémentaires : partenaire public, investisseur social et acteur du tiers secteur. Le mécanisme les inscrit dans une dynamique collaborative et aligne leurs intérêts autour d’objectifs communs, tout en donnant à chaque partie l’opportunité d’offrir au partenariat le meilleur de ses compétences.
L’expérience bruxelloise d’insertion professionnelle de jeunes migrants
La problématique de l’insertion professionnelle à Bruxelles
15Les attentats terroristes qui ont frappé Bruxelles en 2016 ont mis en lumière un problème social persistant et croissant en Belgique : les jeunes dont les familles viennent d’autres parties du monde ont souvent du mal à trouver une place dans le tissu social et économique local. Leur sentiment d’isolement est particulièrement aigu lorsqu’ils essaient d’intégrer le marché du travail. Selon un rapport récent de la Commission européenne, parmi les 28 pays de l’Union européenne, la Belgique présente le deuxième plus important écart d’emploi entre résidents nationaux et non européens. Dans les quartiers de Bruxelles et d’autres grandes villes belges qui abritent de nombreux jeunes peu qualifiés issus de l’immigration, les taux de chômage varient de 60 à 70 %. Ces quartiers sont devenus des terrains propices au désespoir économique.
16De plus, à l’instar de nombreux pays européens, la Belgique a connu récemment une vague de migration sans précédent. Depuis l’été 2015, entre 20 000 et 30 000 réfugiés sont arrivés en Belgique, la plupart d’entre eux venant de pays ravagés par la guerre comme la Syrie. Les jeunes représentent une grande partie de ces nouveaux arrivants.
17Améliorer l’intégration socio-économique des jeunes adultes issus de l’immigration est donc devenu un objectif économique, politique et sécuritaire de premier plan pour le gouvernement belge.
« Duo For A Job », le premier mécanisme de Social Impact Bonds en Europe continentale
18Pour faire face à ce défi, l’office régional bruxellois de l’emploi, Actiris, a lancé dès 2014 un appel à projets pour financer, par le mécanisme du contrat à impact social, un programme innovant d’insertion professionnelle pour des jeunes demandeurs d’emploi (âgés de moins de 30 ans) issus de l’immigration dans la région bruxelloise.
19Actiris a sélectionné une association sans but lucratif (ASBL), « Duo for a Job », pour mener à bien son projet de réinsertion. L’intervention de Duo for a Job consiste en un coaching interculturel et intergénérationnel associant de jeunes travailleurs migrants et des Belges plus âgés qui leur servent de mentors. La période de mentorat officielle dure une demi-année, mais certains participants développent des amitiés qui durent au-delà du programme. En travaillant avec des mentors belges, les jeunes migrants de Bruxelles acquièrent de l’expérience et la maîtrise du français ou du néerlandais, et ont accès à des réseaux professionnels locaux.
20Dans ce cadre, un groupe d’investisseurs sociaux a accepté de financer le programme de Duo for a Job pour une durée de trois ans. Au terme du contrat, l’Observatoire bruxellois de l’emploi évaluera les résultats du programme, en comparant la proportion de jeunes migrants du programme ayant intégré le marché du travail avec succès avec la métrique équivalente au sein d’un groupe de contrôle. Celui-ci est composé de migrants qui présentent des caractéristiques démographiques similaires et n’ont pas été inscrits à Duo for a Job.
21Si le taux d’emploi des participants à Duo for a Job est d’au moins 10 % supérieur à celui du groupe de contrôle, les autorités publiques rembourseront les investisseurs sociaux. En plus du remboursement de leur investissement initial, les investisseurs pourront toucher un rendement variant de 3 à 7 % en fonction du degré de réussite du programme. Comme nous l’avons dit, le remboursement aux investisseurs est calculé de façon à être toujours inférieur aux économies que l’État réalise grâce au programme. Ainsi, l’État percevra plus de recettes fiscales et fera une économie significative en matière de dépenses sociales.
22En revanche, si le programme ne parvient pas à atteindre son objectif d’augmenter le taux d’emploi chez les participants, le gouvernement ne devra rien rembourser aux investisseurs. En d’autres termes, le mécanisme CIS est une proposition « gagnante-gagnante » : le contrat d’impact social donne à Duo for a Job la possibilité de construire les références de son programme tout en éliminant le risque financier pour le partenaire public.
23À ce jour, selon des données encore partielles, Duo for a Job a organisé un coaching pour plus de 300 jeunes migrants à Bruxelles. 44 % de ces participants ont trouvé un emploi à long terme durant les six mois de leur mentorat, un chiffre deux fois plus élevé que le taux de placement à six mois pour les autres membres de cette population. Bien qu’ils soient provisoires, ces résultats tendent à valider à la fois la pertinence du mécanisme CIS pour tester de nouveaux programmes et la conviction des fondateurs de Duo for a Job que c’est un déficit de capital social, plutôt qu’un manque de compétences ou de motivation, qui explique le faible taux de participation des jeunes migrants au marché du travail.
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Perspectives pour le développement des CIS
25Le cas belge de Duo For A Job donne un éclairage intéressant sur les possibilités des contrats à impact social : des acteurs issus du monde public, privé et associatif ont collaboré dans une dynamique positive et constructive et de nouvelles réponses ont été apportées à une problématique sociale majeure. Cette expérience a aussi permis aux acteurs étatiques de structurer une réflexion et définir de nouvelles pratiques en matière d’évaluation de l’action publique.
26Ces résultats ont pu être atteints grâce à un strict respect des conditions de réussite des CIS dans la construction du mécanisme contractuel entre les parties. En particulier, un travail analytique conséquent a été réalisé pour déterminer les gains économiques liés à la réinsertion professionnelle. Les montants remboursés par l’État aux investisseurs en cas de succès ont été calibrés sur cette base, de façon à éviter que l’État ne rembourse un montant supérieur aux gains de prévention réalisés. De façon similaire, une attention particulière a été apportée à la conception de la méthodologie d’évaluation pour définir, sur la base de critères simples, une population cible et un groupe de contrôle. À l’issue du programme, la même rigueur sera requise dans l’évaluation pour s’assurer de mesurer l’impact réellement lié à l’intervention du programme financé par CIS.
27À la lumière de l’expérience menée en Belgique, il apparaît que les CIS représentent un outil intéressant de mobilisation des ressources du secteur privé pour libérer le potentiel d’innovation du secteur associatif et, ainsi, renforcer l’efficacité de l’action publique en matière sociale. D’autres expérimentations dans le monde tendent à présenter des résultats similaires [4]. En outre, et même s’ils ont vocation à rester marginaux dans le financement de l’action sociale, les CIS présentent l’intérêt de favoriser un changement de perception du financement de programmes sociaux : le financement d’un programme social par ce biais n’est plus considéré comme une dépense à charge du budget de l’État mais plutôt comme un investissement nécessaire pour prévenir des dépenses ultérieures plus importantes.
Notes
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[1]
La première partie est basée sur une contribution de l’auteur, en collaboration avec Marie-Élodie Basy, « Contrats à impact social – Quelles balises et quel potentiel en France pour un modèle de financement innovant du tiers-secteur ? », in Économie sociale et solidaire et État. À la recherche d’un partenariat pour l’action, sous la direction de Jean-Claude Barbier, Comité pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2017, p. 83-98.
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[2]
La seconde partie reprend des éléments d’une contribution de l’auteur, en collaboration avec Matthieu Le Grelle et Frédéric Simonart (Dermine et al., 2016).
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[3]
Voir par exemple les études théoriques de Jeffrey B. Liebman.
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[4]
Voir par exemple le rapport publié par Brookings Institution (Gustafsson-Wright et al., 2015).