CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Battre la monnaie a longtemps été, au même titre que rendre la justice ou employer la force armée, l’un des droits attachés à la seule souveraineté des États. La situation a beaucoup changé ces dernières décennies : d’abord avec l’apparition en Europe de l’euro en 2002, une monnaie communautaire unique remplaçant celles de dix-neuf pays pour près de 300 millions d’individus, puis avec la reconnaissance des monnaies locales complémentaires par la loi de 2014 relative à l’économie sociale et solidaire en France et, enfin, avec l’apparition de monnaies électroniques sur Internet.

2Certaines de ces crypto-monnaies ont une validité universelle et circulent presque sans contrôle. C’est le cas du fameux bitcoin créé en 2009, du monero sécurisé, privé et intraçable selon ses promoteurs, apparu en 2014, ou encore du très récent Zcash, qui ont non seulement rendu caduc le concept de « monnaie sonnante et trébuchante » mais aussi définitivement aboli la relation toute théorique qui était censée exister entre la monnaie et la richesse nationale.

3Les monnaies locales [*], quant à elles, ont été imaginées à partir d’exemples autrichiens, allemands ou français nés dans les années 1930 à la suite de la Grande Dépression. On en recense aujourd’hui plus de 2 500 dans le monde, dont plus de quatre cents en Grande-Bretagne et près d’une cinquantaine en France. Les monnaies locales ont une zone de validité restreinte, de la taille d’un canton à celle d’une région. Si elles ne peuvent pas servir aussi largement que la monnaie officielle, elles séduisent beaucoup de consommateurs locaux soucieux d’adopter un comportement économique non consumériste et responsable. Ni billets de Monopoly ni monnaie de singe, ces MLCC (Monnaies locales complémentaires et citoyennes) se caractérisent par des valeurs qui ne sont pas seulement comptables mais surtout sociales et éthiques. C’est le cas du Sol (pour « Solidarité »), lancé en 2007 par plusieurs structures bancaires et adopté sous des noms différents dans une dizaine de villes françaises ; les monnaies du réseau Sol permettent avec souplesse et opportunité de soutenir les activités locales, créer du lien social, lancer des initiatives et inventer une économie différente qui refuse la compétition, les profits ou la croissance commerciale.

4Toutes les monnaies locales ne sont pas inspirées par les mêmes valeurs. Ainsi, les « barters » sont des initiatives d’entreprises industrielles locales dépourvues d’aspirations sociales et éthiques et visant principalement à permettre à leurs utilisateurs de se faire des crédits mutuels sans passer par les banques.

5Face à ce type de récupération et afin de mettre les choses au clair, le réseau des MLCC a récemment rappelé les principes qui distinguent les monnaies qu’il reconnaît : la gouvernance démocratique, l’éthique dans l’économie et l’appropriation citoyenne de l’outil monétaire.

Notes

  • [*]
    9 juin 2016, Les monnaies locales. Réinventer la monnaie, Les Dossiers d’Alternatives économiques, n° 6.
    Philippe Derudder, Gap, éd. Yves Michel, 2014, Les monnaies locales complémentaires : pourquoi, comment ?
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/10/2019
https://doi.org/10.3917/inso.199.0114
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...