CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La pistache à Lyon, la quetsche à Metz, l’ardoise à Angers, le piaf à Paris, le galet à Vinon-sur-Verdon et à Fécamp, tous sont une seule et même chose : l’unité de valeur qui sert de monnaie pour les transactions au sein des Systèmes d’échange locaux (Sel). « Le Sel est un système alternatif construit à côté du système d’échange économique dominant », explique Annie Lasorne, de Millau, qui en crée un à chaque fois qu’elle déménage [1]. Sans utiliser d’argent, les membres de ces réseaux échangent des biens, des services et des savoirs en se mettant d’accord sur leur valeur en unités. Ils se disent motivés par la recherche d’une vie à la fois plus sobre en termes de consommation et plus conviviale et solidaire.

2Apparus dans les années 1990 en France, les Sel sont aujourd’hui plus de six cents, plus ou moins importants et actifs. La majorité sont des associations et adhèrent à la Charte des Sel, signant leur appartenance à une même éthique des échanges (entre autres, les services ne doivent pas concurrencer l’exercice professionnel d’une activité).

3Les Sel s’inscrivent dans la longue tradition d’utopie révolutionnaire du XIXe siècle, analyse Smaïn Laacher [2], et la volonté d’inverser les liens de subordination entre l’économie et le politique. Leur filiation plus récente est celle des mouvements contestataires, alternatifs et écologistes des années 1970. Ils interrogent de nombreuses pratiques, telles, selon lui, « l’intérêt, le crédit, la circulation monétaire, les principes d’équivalence entre les services et les biens ».

4Ainsi, en règle générale « une heure vaut une heure », qu’il s’agisse de laver les carreaux, tailler une haie ou expliquer l’expertise comptable. « C’est un principe auquel tout le monde est très attaché chez nous », précise Sigrid, membre du Sel de Clamart depuis 2012 [3]. Grande voyageuse sans voiture, elle gagne ses « petits pois » en offrant sa place de parking et les dépense pour se faire conduire à l’aéroport…

5Chacun et chacune étant à égalité, quels que soient ses âge, sexe, origine, capital scolaire, profession…, les Sel sont des espaces de mixité sociale et intergénérationnelle, d’éducation populaire et d’inclusion. Cette hétérogénéité est une richesse qu’il convient toutefois de savoir entretenir – les échecs existent.

6En ces temps de crise, les Sel ont le vent en poupe. De nombreux liens se tissent avec d’autres acteurs territoriaux – ainsi, à Pessac, le Sel accueille les livraisons des paniers Amap. Un réseau Inter-Sel se développe, y compris dans certaines entreprises et à l’international ; la Route des Sels permet d’être hébergé-e chez des Sélistes en France, en Guadeloupe et au Canada… Pour Sigrid, « la société est en train de changer et nous expérimentons des façons de faire et d’établir des relations qui pourront être très utiles ».

Notes

Léa Rochford
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/10/2019
https://doi.org/10.3917/inso.199.0105
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