1Le monde du travail social n’a pas échappé au basculement dans l’ère numérique qu’ont connu à peu près tous les secteurs de l’activité humaine dans les sociétés avancées. Cependant, l’accompagnement de ses acteurs vers ces nouvelles pratiques n’a pas été considéré comme prioritaire, ce qui génère encore aujourd’hui des difficultés tant pour les travailleurs sociaux que pour les usagers. C’est ce que montre une étude [*] réalisée sur la base de 32 entretiens individuels et collectifs avec des responsables de structures et des intervenants sociaux de terrain, dans des villes de tailles et de situations géographiques différentes.
2Le numérique est désormais bien entré dans les métiers de l’action sociale, même si des écarts subsistent selon les différents champs d’accompagnement : budget, accès aux droits, insertion socio professionnelle, logement, hébergement d’urgence, accueil ponctuel. L’accès aux ressources numérisées est presque unanimement salué comme une avancée positive par les travailleurs sociaux. Internet facilite un nombre grandissant de démarches et donne accès à des services nouveaux et innovants, améliorant le quotidien des professionnels et des usagers. La grande majorité des personnes interrogées se reconnaît une réelle appétence pour ces services qui viennent utilement compléter leur boîte à outils professionnelle ; 83 % estiment le numérique indispensable dans leur pratique professionnelle et 58 % qu’il est indispensable dans le parcours d’un usager.
3Des inflexions nettes sont toutefois apportées à ce satisfecit. Elles concernent surtout l’absence de procédure systématique de détection des problèmes numériques des usagers (en équipement et connexion) et l’absence de formation initiale des futurs intervenants sociaux à ces enjeux, comme au numérique en général d’ailleurs. La quasi-totalité des travailleurs sociaux sont autodidactes en la matière et seuls 30 % d’entre eux estiment être en mesure de diriger un usager ayant des lacunes numériques vers un acteur proposant une formation adaptée.
4Les usagers, appartenant à des segments de la population culturellement en difficulté sont, eux, assez souvent déroutés par les procédures à maîtriser, qui « vont trop vite » et « ne laissent pas de trace ». On constate ainsi une diminution de l’autonomie de l’usager dans sa relation aux services publics et dans l’accès à ses droits. Ainsi, l’intervenant doit bien souvent, par souci d’efficacité ou pour ne pas perdre un temps dont, souvent, il ne dispose pas, « faire à la place des personnes », ce qui va à l’encontre de sa mission première et bouleverse parfois son éthique professionnelle.
Notes
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[*]
Le numérique au sein de l’Action sociale dans un contexte de dématérialisation. Politiques d’établissements, pratiques des professionnels et accompagnement au numérique des usagers, étude réalisée de février à mai 2015 par Yves-Marie Davenel, Connexions solidaires, Fondation Emmaüs, avril 2016, http://www.les-cahiers-connexions-solidaires.fr/wp-content/uploads/2016/04/%C3%89tude_Le-num%C3%A9rique-au-sein-de-lAction-Sociale-dans-un-contexte-de-d%C3%A9mat%C3%A9rialisation.pdf