1La Sécurité sociale, au regard de ses finalités et de son organisation, est au cœur des promesses de la « République, laïque, démocratique et sociale ». Trente-deux millions de personnes bénéficient directement ou indirectement des prestations ou services apportés par les caisses d’Allocations familiales. Ainsi, en s’adressant à près de la moitié de la population française, la branche Famille de la Sécurité sociale – l’ensemble formé par les Caf et leur caisse nationale – s’est naturellement mobilisée lorsque la République a été agressée par des actes terroristes.
2C’est en effet après les événements tragiques de janvier 2015 que les ministres en charge des Affaires sociales et des Familles ont, à l’occasion d’une réunion exceptionnelle de l’ensemble des présidents et directeurs des Caf, appelé la branche Famille à contribuer aux côtés des pouvoirs publics à la défense des valeurs de la République.
3Dans le prolongement de cette rencontre, les représentants des associations et fédérations nationales et des partenaires de la branche Famille ont été conviés, par le président et le directeur général de la Cnaf, à établir ensemble un nouveau référentiel permettant de garantir la promotion et la défense des valeurs de notre République, dans le cadre des activités bénéficiant des financements publics apportés par les Caf. La réaffirmation du principe fondamental de laïcité, principe constitutionnel au fondement du contrat social républicain ou, autrement dit dans notre domaine d’activité, du lien social, s’est immédiatement imposée.
La Charte de la laïcité, un texte de référence
4Conçue dans le cadre de travaux menés avec les administrateurs de la Cnaf, les partenaires de la Branche et avec l’avis éclairé de l’Observatoire national de la laïcité, la « Charte de la laïcité de la branche Famille avec ses partenaires » a été adoptée par le conseil d’administration de la Cnaf le 1er septembre 2015.
5Cette Charte est avant tout un texte de référence qui permet, dans le cadre des relations contractuelles entre les Caf et leurs partenaires, d’assurer une plus grande attention à la bonne utilisation des fonds consacrés à l’action sociale et familiale, en harmonie avec les valeurs de la République rappelées ci-dessus.
6La Charte n’est pas normative, dans la mesure où elle ne définit pas de règles strictes et opposables. Elle n’édicte ni interdits ni sanctions. Elle donne un cadre d’appréciation des demandes de financement et invite à la vigilance. Toutes ces caractéristiques font sa force et sa vertu. Elle avait été préalablement soumise à l’attention de l’Observatoire national de la Laïcité qui l’avait trouvée pertinente.
L’Observatoire national de la laïcité
L’implication de l’Observatoire national de la laïcité dans les travaux du comité de suivi de la Charte de la laïcité de la branche Famille est un gage de qualité essentiel pour ces travaux.
7Son préambule met en résonance la mission sociale des Caf avec les engagements de la République « laïque et sociale », en rappelant que « la branche Famille et ses partenaires, considérant que l’ignorance de l’autre, les injustices sociales et économiques et le non-respect de la dignité de la personne sont le terreau des tensions et replis identitaires, s’engagent par la présente charte à respecter les principes de la laïcité tels qu’ils résultent de l’histoire et des lois de la République ». En effet, « depuis soixante-dix ans, la Sécurité sociale incarne aussi [les] valeurs d’universalité, de solidarité, et d’égalité ». Pour la branche Famille et ses partenaires, la charte permet de « réaffirmer le principe de laïcité en demeurant attentifs aux pratiques de terrain, en vue de promouvoir une laïcité bien comprise et bien attentionnée. Élaborée avec eux, cette charte s’adresse aux partenaires mais tout autant aux allocataires qu’aux salariés de la branche Famille ».
8Suivent neuf articles, dont les cinq premiers reposent le cadre de la laïcité s’appliquant à la branche Famille et à ses partenaires : une référence commune ; un socle de citoyenneté ; la garantie de la liberté de conscience ; le respect de la dignité des personnes et de l’égal accès aux droits ; la garantie du libre arbitre et de la protection contre le prosélytisme. Son article 6 rappelle l’exigence de neutralité des services publics assurés par les Caf et la Cnaf. L’article 7 en précise les conséquences sur les partenaires de la branche Famille, en conformité avec le droit du travail. Enfin, les deux derniers articles proposent une pédagogie de la laïcité reposant sur la bienveillance et le partage.
9C’est donc délibérément que cette Charte est plus un référentiel qu’une source normative. À cet égard, on peut considérer qu’elle est, à la fois, une charte d’intentions, une charte d’attention (au sens d’« être attentif ») ainsi qu’une charte engageante, pour avancer ensemble (Cnaf, Caf, partenaires, salariés, bénévoles) et impulser une dynamique collective.
10Cette charte, qui n’a évidemment pas vocation à tout régler, s’articule avec les autres outils et textes normatifs qui fondent l’intervention sociale des Caf à destination des enfants, des jeunes et des familles et en précisent les activités éligibles à leur financement [1], dans le cadre de référence donné par la Loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Celle-ci précise dans son article 2 que « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte », même si son application fait l’objet d’un statut dérogatoire dans les départements d’Alsace et de Moselle, du fait du régime concordataire encore en vigueur, et dans certains départements d’Outre-mer [2].
Une application collégiale
11Un comité consultatif et de suivi a été mis en place pour veiller à la bonne application de la Charte. Présidé par le directeur général de la Cnaf, et le président du conseil d’administration (CA) de la Cnaf, il est composé d’une cinquantaine de membres, représentants du CA de la Cnaf et des directeurs de Caf, des grandes associations ou fédérations d’associations partenaires de la branche Famille, des administrations des domaines sociaux et de la Jeunesse. Sont associés, en tant que personnalités qualifiées, Jean Gaereminck, conseiller d’État, et un représentant de l’Observatoire national de la laïcité.
12Le comité consultatif et de suivi de la Charte comprend un comité restreint à vocation opérationnelle. Composé d’une dizaine de membres, celui-ci est chargé d’examiner, sous la présidence de M. Gaereminck, les cas les plus délicats soumis par les Caf. Ses avis argumentés ont essentiellement porté jusqu’à présent sur des demandes de financement d’activités (accueil de jeunes enfants et séjours de vacances), proposées par des organisations explicitement religieuses ou philosophiques. Empruntant la méthode chère au Conseil d’État du « faisceau d’indices » [3], le comité cherche à évaluer systématiquement la réalité de l’égalité d’accès et de l’ouverture des activités en cause à tous les publics, quels que soient leur origine, leur conviction ou leur sexe, ainsi que la réalité de la mixité des publics accueillis.
Apprécier les cas de mise en cause prosélytes de la laïcité
13Nonobstant le caractère éminemment religieux de certaines organisations, des avis favorables au financement ont été prononcés lorsque les conditions d’ouverture, d’alternatives aux « moments spirituels » étaient effectivement proposées. À l’inverse, des refus motivés ont été suggérés lorsque les conditions d’accès ou les activités pratiquées ne semblaient absolument pas garantir la mixité, la diversité des origines ou des alternatives crédibles à des activités manifestement prosélytes.
14Ce sont moins des considérations en lien direct avec la laïcité, au sens républicain du terme (séparation des Églises et de l’État, respect absolu de la liberté de conscience, libre exercice des cultes…), que celles référant aux fondamentaux de l’action sociale des Caf qui servent le plus souvent au fondement des avis proposés : ouverture, égalité, mixité, garanties pédagogiques et émancipatrices vis-à-vis des enfants et des jeunes. Le principe de neutralité opposable aux services publics n’est en général pas mobilisé dans les cas étudiés, car les acteurs concernés par ces litiges (associations essentiellement) ne sont pas dépositaires de missions de service public. Les avis motivés du comité restreint de suivi de la Charte, bien sûr portés à la connaissance du comité plénier, sont avant tout destinés aux Caf à l’origine des demandes, qui restent maîtresses des décisions à prendre vis-à-vis de leurs partenaires. Si les avis ainsi exprimés n’ont pas vocation à être rendus publics, leurs motivations sont diffusées au réseau des Caf et de leurs partenaires associés à la démarche.
15La doctrine du comité du suivi de la Charte de la laïcité se construit progressivement et il est assez probable qu’elle se renforce rapidement, au gré des dossiers que les Caf lui soumettront. Notons que ce type de démarche juridique à la fois collégiale et opérationnelle n’est pas isolé. S’appuyant sur les contributions de l’Observatoire national de la laïcité, de nombreuses initiatives se sont développées, tels la Charte de la laïcité à l’école, le Vademecum de la laïcité de l’Association des maires de France (AMF) ou encore la Charte de la laïcité dans la fonction publique.
Notes
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[1]
Arrêté du 3 octobre 2001 relatif à l’action sociale des caisses d’Allocations familiales, Journal officiel de la République française, n° 236 du 11 octobre 2001 page 15978, texte n° 13.
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[2]
L’Alsace et la Moselle étaient sous administration allemande en 1905, lors de la mise en œuvre de la loi de séparation des Églises et de l’État. À leur retour dans le « giron national » en 1918, ces départements ont bénéficié d’un régime juridique dérogatoire, relatif entre autres au financement des cultes catholique, protestant et hébraïque, à l’image du Concordat de 1801 qui prévalait partout en France avant l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne en 1870. Ces règles sont encore en vigueur aujourd’hui. Les départements de la Guyane et de Mayotte, pour d’autres raisons historiques, disposent également d’un régime dérogatoire à la séparation de la Loi de 1905.
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[3]
Par faisceau d’indices, on entend un ensemble d’indices qui, pris isolément, ne suffisent pas à apporter une preuve mais qui, pris ensemble, constituent cette preuve.