CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Émile Zola et Victor Hugo [1] dominent le roman social, genre littéraire qui s’attache, en évoquant leurs conditions de vie et leurs difficultés, à exprimer les croyances et les valeurs partagées au sein des classes populaires et paysannes.

2Si la mémoire populaire privilégie ces deux auteurs par rapport à Stendhal, Flaubert et Maupassant, ou encore Balzac et George Sand, c’est sans doute parce que leur engagement personnel dans les affaires publiques a marqué l’Histoire — Hugo a exercé d’importantes fonctions politiques et Zola s’est impliqué dans l’affaire Dreyfus. Faut-il pour autant voir en eux des « défenseurs du peuple », voire plus, comme le suggère quelquefois leur légende ?

3De plusieurs personnages issus du peuple, Hugo a certes fait des modèles : Jean Valjean, ancien bagnard devenu un bourgeois respectable et généreux ; Quasimodo, laid, malade et misérable, amoureux sans espoir ; le valet Ruy Blas, voix entravée du peuple, ou encore Aïrolo, le vagabond voleur dans la pièce très politique « Mangeront-ils ? ». Toutefois, c’est par son action et surtout par les mots qu’Hugo est un ami du peuple. Sa prise de conscience sociale, issue de ses expériences comme les journées de juin 1848, s’exprime dans son inoubliable discours sur la misère prononcé à l’Assemblée en juillet 1849 : « Je ne suis pas de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et affirment qu’on peut détruire la misère ». Restent également admirés les personnages des Misérables, les vers du célèbre poème Au peuple de 1853 et des formules passées à la postérité, « Le peuple seul a l’instinct du génie » ou « Hier vous n’étiez qu’une foule, Vous êtes un peuple aujourd’hui ! ». Cent ans plus tard, Louis Chevalier, professeur au Collège de France, n’hésitera pas à s’appuyer sur les récits d’Hugo pour développer son analyse de la question sociale au XIXe siècle [2].

4À la sensibilité de Victor Hugo s’oppose le naturalisme de Zola [3] qui, au nom de la recherche de la réalité, cherche à traiter le sujet social avec l’objectivité prônée par Auguste Comte ou Claude Bernard. Il invitait à lire comme une « histoire naturelle » Les Rougon-Macquart, somme de vingt romans publiés entre 1871 et 1893 afin, disait-il, d’étudier sur cinq générations l’influence du milieu sur l’homme. Mais son regard est souvent moralisateur et déterministe. Autant que le courage dont il a fait preuve, l’œuvre de Zola repose sur son art accompli du récit et ses choix d’écrivain, tel son respect du langage de ses personnages, fût-il argotique. Mais son parti pris objectiviste ne suscite pas cette empathie pour les personnages, qui transporte les lecteurs de Victor Hugo.

Notes

Pierre Grelley
Mis en ligne sur Cairn.info le 09/11/2018
https://doi.org/10.3917/inso.196.0027
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