CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les jeunes adultes se disent préoccupés par l’avenir du système de protection sociale, selon des études récentes sur les 18-30 ans. Ils expriment globalement une plus forte demande d’aide publique que leurs aînés, en particulier en faveur des plus démunis. Toutefois, au sein de cette classe d’âge hétérogène, composée d’étudiants, travailleurs (souvent précaires), chômeurs, cohabitants, etc. les opinions divergent sensiblement, plus en fonction des situations particulières que de l’âge.

2En Europe, les jeunes français ne se distinguent pas par leur optimisme (Peugny, 2011). Toutefois, l’appréciation que les jeunes adultes – ici définis comme la classe d’âge des 18-30 ans – portent en France sur leur situation présente, leur avenir ou l’état de la société en général traduit un certain optimisme par rapport aux autres classes d’âge. Ils expriment également un point de vue plus positif sur leur environnement social (Bigot, 2007 ; Amadieu et Clément, 2016).

3Néanmoins, les vagues 2014 à 2016 du Baromètre d’opinion de la Drees (voir encadré) montrent qu’un domaine au moins fait exception : le système de protection sociale. Les jeunes adultes entretiennent à son égard une attitude ambivalente : ils sont attachés à l’intervention de l’État mais attendent des réformes. Dans leur dossier de 2016, Sébastien Grobon et Mickaël Portela soulignent que les jeunes ne sont pas épargnés par la progression du discours qui qualifie de financièrement insoutenable le système de protection sociale actuel, bien au contraire (Grobon et Portela, 2016).

4La présente étude franchit un pas supplémentaire dans l’analyse des valeurs et des opinions des jeunes adultes. Elle indique qu’ils sont préoccupés de l’avenir du système de protection sociale, ce qui les conduit à vouloir en augmenter les financements et oriente plus fréquemment leurs arbitrages vers un ciblage des prestations en direction des personnes les plus modestes (première partie).

5Ces jeunes adultes ne constituent cependant pas un ensemble homogène. Cette classe d’âge est en effet celle où se joue ce que la sociologue Cécile Van de Velde appelle le « devenir adulte » (Van de Velde, 2008) : une période au cours de laquelle la plupart des individus débutent leur insertion sur le marché du travail et acquièrent leur autonomie résidentielle et leur indépendance financière. À la diversité des situations vécues (études ou activité, emploi stable ou chômage, de cadre ou d’ouvrier, logement indépendant ou vie chez les parents) correspondent des divergences d’opinion parfois sensibles (seconde partie). Elles dessinent, du point de vue du rapport au système de protection sociale, une image complexe de ce que « la jeunesse » veut dire.

Le Baromètre de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des Solidarités et de la Santé

Depuis 2000, le Baromètre d’opinion de la Drees suit chaque année l’opinion des Français sur la santé, la protection sociale ainsi que, depuis 2014, les inégalités et la cohésion sociale.
En 2014, 2015 puis 2016, plus de 3 000 personnes ont été interrogées en face-à-face d’octobre à décembre par l’Institut BVA à la demande de la Drees, constituant un échantillon cumulé de 9 070 personnes, dont 1 582 âgées de 18 à 30 ans.
Chacun de ces échantillons est représentatif de la population française métropolitaine âgée de 18 ans et plus. Ils sont construits selon la méthode des quotas, par sexe, âge, profession de la personne de référence, après stratification par région et catégorie d’agglomération.
Précautions d’interprétation des enquêtes d’opinion :
Les réponses à une enquête d’opinion sont sensibles à la formulation des questions ou à leur place dans le questionnaire. Elles permettent des comparaisons dans le temps et entre catégories de population, mais des différences trop faibles peuvent ne refléter que des imperfections de mesure, en particulier lorsque les analyses portent sur des catégories très minoritaires dans la population.
Enquêtes utilisées dans cet article :
  • Baromètre d’opinion de la Drees, 2014-2016.
  • Enquête emploi, 1982-2015, Insee.

Des jeunes adultes plus favorables à un accroissement des recettes et au ciblage des politiques

Une plus forte demande d’aide publique

6Pendant la période 2014-2016, près d’un jeune adulte sur deux souhaiterait être soutenu davantage par les pouvoirs publics ; c’est un besoin également exprimé, un peu moins fortement, par quatre personnes âgées de plus de 30 ans sur dix (graphique 1) [1]. Cette spécificité des 18-30 ans concerne principalement ceux qui ont quitté le foyer parental : 51 % d’entre eux considèrent qu’ils devraient recevoir plus d’aide publique alors que seuls 45 % de ceux qui vivent chez leurs parents – et bénéficient donc d’une partie des ressources des autres membres du foyer – sont de cet avis.

Graphique 1

Proportions de personnes exprimant le besoin de recevoir davantage d’aide publique

Graphique 1

Proportions de personnes exprimant le besoin de recevoir davantage d’aide publique

Question posée : « Compte tenu de votre situation globale, du montant des aides publiques (RSA, allocations familiales, aides au logement) et du montant de vos impôts, vous considérez que : « Vous êtes suffisamment aidé(e) par les pouvoirs publics ou n’avez pas besoin d’être aidé(e) / Vous auriez besoin d’être aidé(e) davantage par les pouvoir publics ».
Lecture : 49 % des jeunes adultes considèrent qu’ils devraient recevoir plus d’aide de la part des pouvoirs publics.
Champ : Personnes résidant en France métropolitaine.
Source : Baromètre d’opinion de la Drees (2014, 2016).

7La différence entre les jeunes adultes et leurs aînés s’explique par les difficultés que connaissent les premiers à l’occasion de leur intégration au marché du travail. Les salariés précaires ou à temps partiel ainsi que les chômeurs sont plus nombreux chez les jeunes actifs que chez leurs aînés. Or, comme pour les plus de 30 ans, la majorité des jeunes salariés précaires ou à temps partiel et des chômeurs réclament davantage de soutien public (respectivement un sur deux et près de deux sur trois), ce qui n’est pas le cas des salariés en contrat à durée indéterminée et à temps plein (quatre sur dix).

8L’opinion générale des jeunes adultes à propos du système de protection sociale diffère également de celle de leurs aînés. Ils apparaissent plus favorables au statu quo quant à la part du revenu national qui doit être consacrée à la protection sociale (66 % des jeunes adultes, contre 59 % des plus de 30 ans) [2]. Cependant, ils se prononcent plus souvent en faveur d’une augmentation du degré d’intervention économique et sociale de l’État (49 % contre 41 %) [3]. Le souhait d’une hausse de l’intervention publique à coût global constant pourrait être attribué à une interaction entre effets de cycle de vie et de génération. Les situations individuelles des jeunes adultes se révèlent en effet relativement plus précaires que celles de leurs aînés. Les nouvelles générations, contrairement aux précédentes, ont en outre toujours vécu dans un contexte où le discours sur la défaillance économique et le poids du déficit récurrent du système de protection sociale était prédominant.

Une inquiétude quant au financement du système de protection sociale

9Les jeunes adultes semblent particulièrement inquiets de l’avenir du système de protection sociale, et penchent plus souvent que les plus de 30 ans pour un accroissement de son financement. Cette préoccupation se retrouve par exemple dans leurs réponses à des questions concernant l’évolution des cotisations patronales ou le financement des pensions de retraite.

10Quarante-quatre pour cent des 18-30 ans se prononcent ainsi pour une hausse des cotisations payées par les entreprises, soit 8 points de plus que les plus de 30 ans (36 %). À propos du système de retraite, ils soutiennent plus souvent l’augmentation des cotisations que leurs aînés (28 % contre 22 %). Les jeunes adultes choisissent aussi plus souvent des options qui tendent à alléger les charges qui reposent sur le système public de retraite : près de six sur dix sont favorables à la mise en place de compléments d’assurance ou d’épargne individuelle au système de retraite par répartition, une option soutenue par quatre personnes sur dix dans le reste de la population. Les 18-30 ans approuvent en outre plus souvent que leurs aînés l’idée que le passage à la retraite devrait s’accompagner d’une baisse notable des revenus (68 % contre 59 % des non-retraités de plus de 30 ans).

Des jeunes plus disposés à cibler la couverture sociale sur les plus démunis

11Les jeunes adultes sont plus nombreux que leurs aînés à soutenir un ciblage de la couverture sociale en direction des plus démunis, alors que cette position est marginale chez les plus de 30 ans (sauf pour les allocations familiales).

12Les écarts avec les plus de 30 ans s’élèvent à près de 10 points de pourcentage ou représentent des rapports qui varient du simple au double, selon la dimension retenue (Graphique 2). C’est en effet le cas tant pour les prestations maladie (12 % des 18-30 ans sont favorables à un ciblage sur les personnes qui n’ont pas les moyens de s’en sortir seuls contre 6 % des plus de 30 ans) que pour les allocations chômage (20 % contre 12 %), les allocations familiales (40 % contre 32 %) ou encore les pensions de retraite, quoique l’ampleur du soutien à cette option soit nettement moindre (7 % contre 4 %).

Graphique 2

Personnes souhaitant un ciblage des prestations sociales sur les plus démunis

Graphique 2

Personnes souhaitant un ciblage des prestations sociales sur les plus démunis

Question posée : « À votre avis, l’assurance maladie / les retraites / les allocations familiales / les allocations chômage devraient-elles bénéficier (…) uniquement à ceux qui cotisent / uniquement à ceux qui ne peuvent pas ou n’ont pas les moyens de s’en sortir seuls / à tous sans distinction de catégorie sociale et de statut professionnel (chômeurs, salariés du secteur privé, fonctionnaires, agriculteurs, commerçants, etc.) ».
Lecture : 20 % des jeunes adultes pensent que les allocations chômage devraient bénéficier uniquement à ceux qui ne peuvent pas ou n’ont pas les moyens de s’en sortir seuls.
Champ : Personnes résidant en France métropolitaine.
Source : Baromètre d’opinion de la Drees (2014, 2016).

13D’après le Baromètre d’opinion de la Drees, les jeunes adultes font plus souvent preuve d’optimisme pour leur avenir que les plus de 30 ans (68 % contre 53 %). Cependant, une partie d’entre eux appréhende peut-être une trajectoire personnelle plus difficile ou incertaine que ce que ce dernier résultat laisse entendre, avec un risque sensible d’intégrer durablement ce groupe des personnes « qui ne peuvent pas s’en sortir seules » [4]. Ces résultats sont un indice supplémentaire d’un doute à propos des capacités du système de protection sociale à faire face aux problèmes sociaux à venir. Mais il est probable également que le moindre volume de leurs cotisations passées les conduisent à préférer choisir le ciblage en fonction du niveau de vie plutôt que la réponse qui met en avant le seul critère des cotisations versées.

14Soulignons néanmoins que l’option d’un ciblage des prestations sur les personnes les plus pauvres, plutôt que sur les seuls cotisants ou que des prestations universelles, reste toutefois minoritaire, y compris parmi les jeunes adultes. La majorité d’entre eux – comme des plus de 30 ans – se prononcent en faveur d’une protection maladie et de retraites universelles. Dans le cas des allocations familiales ou des allocations chômage, aucune option n’obtient de majorité nette.

Un horizon plus lointain dans un avenir incertain ?

15En résumé, les jeunes adultes expriment une demande de soutien public supérieure à celle de leurs aînés et se montrent plus sceptiques quant à la possibilité de conserver un système de retraite fondé sur la seule répartition.

16Tout se passe donc comme si les jeunes, plus favorables au maintien de la part du revenu national dédié au système de protection sociale mais aussi à l’augmentation des cotisations sociales et au ciblage des prestations maladie, famille, chômage et des pensions de retraite sur les plus modestes, appréhendaient une dégradation de leur situation sociale ou doutaient de la capacité du système à assurer à l’avenir des prestations suffisantes pour faire face à la pauvreté.

17D’après le Baromètre d’opinion de la Drees, si les jeunes sont plus optimistes à propos de leur destin personnel, ils sont en effet aussi très pessimistes à propos de l’évolution de la pauvreté ou des inégalités dans la société française, et tout aussi préoccupés à propos du logement, du chômage ou de la pauvreté. L’horizon à l’aune duquel ils fondent leur jugement étant probablement plus éloigné que celui de leurs aînés, les jeunes adultes d’aujourd’hui sont peut-être d’autant plus incertains de pouvoir bénéficier du système de protection sociale lorsqu’ils en auront besoin.

L’hétérogénéité des rapports des jeunes adultes au système de protection sociale

18Les jeunes adultes constituent un groupe socialement très hétérogène. Du point de vue du statut d’activité, le profil des 18-30 ans interrogés est très spécifique : les inactifs (26 % sont en cours d’études) ou les chômeurs (22 %) y sont nombreux. Parmi les jeunes adultes qui occupent un emploi salarié, la part de ceux qui ont un emploi précaire ou à temps partiel est nettement supérieure à celle qu’on observe dans le reste de la population (41 % contre 26 %). Enfin, 32 % des jeunes adultes – appelés ici « cohabitants » – vivent au domicile parental, une situation rare dans le reste de la population [5].

19Les différences d’opinion entre les jeunes adultes et leurs aînés ne constituent donc pas nécessairement des différences « générationnelles » en tant que telles, mais sont plutôt liées au cycle de vie et à la spécificité sociale de cette tranche d’âge. D’ailleurs, en ce qui concerne le système de protection sociale, les étudiants et les cohabitants forment deux sous-groupes aux opinions souvent spécifiques tandis que les jeunes actifs se rapprochent fréquemment davantage des plus de 30 ans.

Les étudiants : moins d’attentes vis-à-vis des pouvoirs publics ?

20Les étudiants sont moins souvent demandeurs de plus d’aide publique que les jeunes chômeurs et les jeunes salariés précaires ou à temps partiel (respectivement 39 % contre 53 % et 64 %). Leur opinion se rapproche bien davantage de celle des 18-30 ans qui occupent un emploi en CDI et à temps plein (41 %) (graphique 1, p. 146). Cette convergence entre deux groupes aux caractéristiques apparemment très différentes peut s’expliquer par le fait que les étudiants sont les jeunes qui bénéficient le plus de transferts familiaux mais aussi de transferts publics. Les aides publiques directement versées aux étudiants sont certes plus faibles en France que dans d’autres pays européens, mais ils bénéficient toutefois d’importants transferts par le biais du financement public de l’enseignement supérieur.

21Les étudiants se distinguent néanmoins par le jugement qu’ils portent sur le niveau général de protection sociale assuré par le système actuel : 85 % d’entre eux le jugent suffisant, contre 73 % des autres jeunes adultes et 76 % des plus de 30 ans. Ils se prononcent également davantage en faveur du statu quo à propos de la part du revenu national alloué à la protection sociale (72 % considèrent qu’elle est « normale » contre 62 % à 65 % des autres jeunes, et 59 % des plus de 30 ans). On retrouve une attitude comparable quant au degré d’intervention de l’État en matière économique et sociale, puisque quatre étudiants sur dix jugent qu’elle correspond à « ce qu’il faut », contre un quart des autres catégories étudiées [6].

22Les étudiants se distinguent également du reste de la population – et des jeunes salariés en particulier – par leur tendance à souhaiter que le Smic soit maintenu au niveau actuel plutôt qu’augmenté ou diminué (ce qui est une option marginale quelle que soit la tranche d’âge) : c’est le cas de 26 % d’entre eux contre 18 % des jeunes disposant d’un emploi précaire ou à temps partiel, et 11 % à 14 % des autres catégories étudiées (jeunes en CDI à temps plein, jeunes chômeurs, personnes de plus de 30 ans).

23Les réponses des étudiants indiquent néanmoins une forte appréhension quant aux conditions dans lesquelles ils s’inséreront sur le marché du travail. Ils sont en effet ceux qui souhaiteraient le plus fréquemment voir les allocations chômage réservées aux personnes « qui ne peuvent pas s’en sortir seules » : c’est le cas de 28 % d’entre eux, tandis que 15 % à 17 % des autres jeunes adultes – y compris les jeunes chômeurs – et 12 % des plus de 30 ans sont de cet avis. Seuls 36 % des étudiants se déclarent en faveur d’une restriction de ces allocations aux seuls cotisants, contre 43 % des jeunes chômeurs, la moitié des jeunes qui disposent d’un emploi, même précaire ou à temps partiel [7], et 40 % des plus de 30 ans.

Les cohabitants : des opinions parfois plus proches de celles des générations précédentes

24Les réponses des jeunes adultes qui vivent chez leurs parents divergent elles aussi de celles des autres 18-30 ans, à propos des rôles familiaux ou du système de retraite. Elles semblent marquées par l’intensité des liens matériels et symboliques que les cohabitants entretiennent avec leurs parents. Ils se révèlent, par exemple, nettement plus favorables à la garde des enfants par les grands-parents que ceux qui ont quitté le domicile parental (43 % contre 29 %).

25Comme leurs aînés, ils se prononcent moins souvent en faveur de l’égalité des aménagements du temps de travail entre mères et pères que les jeunes adultes ayant quitté le domicile parental : dans ce domaine, l’égalité est soutenue par 67 % des cohabitants et 60 % des plus de 30 ans contre 75 % de ceux qui n’habitent plus chez leurs parents [8].

26En dehors des questions familiales, les cohabitants se démarquent des autres jeunes en ce qui concerne les retraites. Ils s’opposent plus souvent à une diminution des revenus lors du passage à la retraite, ce qui peut s’expliquer par la plus grande proximité avec leurs parents, souvent des actifs en fin de carrière ou de jeunes retraités, pour lesquels une baisse du revenu constitue un problème à la fois plus immédiat et plus aisément quantifiable.

Les jeunes travailleurs : des réponses similaires à celles de l’ensemble du monde du travail

27Au-delà de ces points de vue propres à des situations temporaires caractéristiques de la jeunesse, l’hétérogénéité des parcours et des conditions de vie des jeunes salariés se traduit également par des prises de position divergentes à l’égard du système de protection sociale. C’est ce que montre la comparaison entre les opinions émises par les cadres supérieurs, professions libérales et professions intermédiaires et celles exprimées par les ouvriers et employés [9].

28Des écarts importants apparaissent à propos de l’appréciation du niveau de protection garanti par le système de protection sociale : un jeune ouvrier ou employé sur trois le juge insuffisant, une opinion partagée par seulement un cadre ou profession intermédiaire sur cinq. De la même façon, 18 % d’entre eux estiment que la part du revenu national consacré à la protection sociale est insuffisante, contre seulement 8 % des cadres et professions intermédiaires. Au contraire, 25 % des jeunes cadres et professions intermédiaires qualifient cette part d’excessive (18 % des ouvriers et employés).

29Les différences s’accroissent lorsque la question se place sur le terrain de la situation personnelle des enquêtés, puisque près de trois cadres ou professions intermédiaires sur dix estiment qu’ils devraient être davantage aidés par les pouvoirs publics, tandis que ce besoin est exprimé par 57 % des jeunes ouvriers et employés. Par ailleurs, 37 % des jeunes ouvriers et employés refusent toute baisse de revenu lors du passage à la retraite, une position partagée par 22 % des jeunes cadres et professions intermédiaires.

30Ces différences sont analogues à celles qu’on observe parmi les salariés âgés de plus de 30 ans. En d’autres termes, il n’y a pas de différence entre les opinions des jeunes adultes et celles des plus de 30 ans parmi les ouvriers ou les cadres et professions intermédiaires. D’une façon générale, la plupart des différences d’opinion entre les jeunes adultes et leurs aînés décrites dans cet article peuvent être interprétées comme des différences liées au cycle de vie, et non comme des divergences « générationnelles » proprement dites.

31***

32Les opinions des jeunes adultes sur le système de protection sociale semblent donc marquées par une appréhension des difficultés d’intégration au marché du travail et par l’incertitude quant à la capacité du système à leur assurer un niveau de protection suffisant lorsque le besoin s’en fera sentir.

33La différence entre les attitudes et les opinions des jeunes adultes et celles de leurs aînés paraît néanmoins être essentiellement due aux situations sociales particulières qui caractérisent cette période du cycle de vie (étudiants, cohabitants) et aux particularités du marché du travail des jeunes adultes (précarité et chômage plus importants).

34La surexposition des jeunes aux formes précaires d’emploi n’est pas nouvelle : en 1982, 17 % des 15-24 ans en emploi travaillaient dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, en intérim ou en apprentissage (Insee, Enquête emploi) alors que c’était le cas de seulement 3 % de l’ensemble des personnes en emploi. Pour tous, la part représentée par ces emplois a fortement augmenté : en 2015, elle a atteint 11 % pour l’ensemble des classes d’âge et 54 % des 15-24 ans en emploi.

35Si, en se généralisant, la précarité de l’emploi tendait à perdurer et devenait un trait structurant du marché de l’emploi des jeunes générations, ces différences d’attitudes et d’opinions liées au cycle de vie pourraient se cristalliser en une disparité générationnelle distinguant les points de vue exprimés par les personnes nées après les années 1980 de ceux de leurs aînés.

Notes

  • [1]
    La classe d’âge retenue ici pour délimiter le groupe des jeunes adultes (18-30 ans) est plus étendue que celle des 18-24 ans couramment utilisée dans les travaux de l’Insee. Ce choix ne s’explique pas seulement par la nécessité de disposer d’un nombre d’individus suffisants pour pouvoir produire des analyses fiables. Depuis plusieurs années, les travaux menés en sociologie sur les métamorphoses de la jeunesse tendent à remettre en cause le seuil de standard de 25 ans. L’allongement de la durée des études associé au recul de l’acquisition d’un emploi stable fait que, par bien des aspects, à 25 ans, les ouvriers comme les cadres n’ont pas achevé leur transition vers l’âge adulte. Chaque étape de cette transition devient de plus en plus réversible.
    La diversité des profils rassemblés au sein de la classe d’âge des 18-30 ans présente en outre de sérieux avantages pour comprendre les différences observées entre les réponses des jeunes adultes et celles de leurs aînés. Cette variété permet de distinguer la dimension générationnelle des effets liés au cycle de vie et de mieux tenir compte de l’impact de la situation matérielle dans laquelle ces jeunes s’inscrivent.
  • [2]
    Question posée : « La France consacre environ le tiers du revenu national au financement de la protection sociale. Considérez-vous que c’est : Excessif / Normal / Insuffisant ».
  • [3]
    Question posée : « Pensez-vous qu’il y a trop d’intervention de l’État en matière économique et sociale, juste ce qu’il faut ou pas assez ? ».
  • [4]
    Une des explications peut résider dans la crainte du chômage, plus répandue chez les jeunes adultes que chez les plus de 30 ans, même si on ne compare que les personnes en emploi (54 % contre 48 %). Si on tient compte de l’ensemble des actifs, l’écart passe de 6 à 10 points (60 % contre 50 %).
  • [5]
    Ces chiffres détaillent les caractéristiques des jeunes adultes interrogés dans les vagues 2014 et 2016 du Baromètre d’opinion de la Drees.
  • [6]
    Ils sont également nettement plus nombreux à ne pas se prononcer à propos de l’opportunité d’une baisse des prestations en échange de baisses d’impôts ou de cotisations (11 % à 19 % selon les prestations).
  • [7]
    Les jeunes chômeurs sont en revanche les plus nombreux à se prononcer pour un ciblage en direction des plus pauvres des prestations maladie (18 % contre 6 % chez les plus de 30 ans et près de 10 % chez les autres jeunes) et des retraites (11 % contre 4 à 6 % pour les autres groupes).
  • [8]
    La comparaison restreinte aux jeunes adultes sans enfant à charge aboutit à des résultats similaires.
  • [9]
    Cette comparaison porte sur les personnes en emploi.
Français

Les jeunes adultes expriment globalement un point de vue plus optimiste que leurs aînés sur leur situation, leur avenir ou sur la société. Ils semblent toutefois particulièrement préoccupés par l’avenir du système de protection sociale et souhaitent plus souvent qu’il cible les personnes les plus modestes ou que son financement soit accru.
La plupart des différences entre les opinions des jeunes adultes et celles de leurs aînés paraissent néanmoins reposer sur les situations sociales particulières qui caractérisent la jeunesse (études, cohabitation...), notamment du point de vue de leur place au sein du marché du travail (précarité, chômage...). À la diversité des situations vécues par les jeunes adultes correspondent ainsi des divergences d’opinion dessinant une image complexe de ce que « la jeunesse » veut dire.

Bibliographie

  • En ligneAmadieu T. et Clément C., 2016, Passage à l’âge adulte et sentiments d’injustice, Agora débats/jeunesses, vol. 3, n° 74, p. 7-24.
  • En ligneBigot R., 2007, Évolution des valeurs des jeunes entre 1979 et 2006, Horizons stratégiques, vol. 2, n° 4, p. 8-29.
  • Grobon S. et Portela M., 2016, Les valeurs des jeunes adultes, leur perception de l’avenir et de la protection sociale, Les Dossiers de la Drees, n° 3, p. 1-105.
  • En lignePeugny C., 2011, Les jeunesses européennes, leurs difficultés et leur perception de l’avenir : une tentative de comparaison, Informations sociales, n° 165-166, p. 50-59.
  • En ligneVan de Velde C., 2008, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris, Presses universitaires de France (Puf).
Adrien Papuchon
Responsable du Baromètre d’opinion de la direction de la Recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques au sein du ministère des Affaires sociales et de la Santé. Docteur en sociologie au sein de l’Institut d’études politiques de Paris, sa thèse était intitulée « Les transferts intergénérationnels des parents à leurs descendants en Europe : la solidarité comme mécanisme de (re)production des inégalités ». Il est l’auteur, avec Céline Grislain-Letrémy, en 2017, de « La diminution du soutien aux transferts universels en France : les conceptions du système de protection sociale ébranlées par la crise de 2008 ? », Revue française des affaires sociales, n˚ 1, p. 205-229 ; en 2017, de « Rôles sociaux des femmes et des hommes : l’idée persistante d’une vocation maternelle des femmes », Femmes et hommes – L’égalité en question, coll. « Insee références », Paris, 2017, p. 81-96 ; « Les transferts familiaux vers les jeunes adultes en temps de crise : le charme discret de l’injustice distributive », Revue française des affaires sociales, n˚ 1, p. 120-143.
Mis en ligne sur Cairn.info le 09/11/2018
https://doi.org/10.3917/inso.196.0144
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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