CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La « féminisation des migrations » est souvent présentée comme une tendance majeure de la mondialisation. Certes, parmi les migrants dans la plupart des pays de l’OCDE, les femmes sont plus nombreuses que les hommes depuis l’an 2000. Toutefois cela ne veut pas dire qu’hier, seuls les hommes migraient mais, plutôt, que les migrantes ont longtemps été ignorées à la fois par les recherches sur les migrations et par celles sur les femmes. Le travail de chercheuses issues de l’immigration a beaucoup contribué à sortir les femmes migrantes de l’ombre, comme en témoigne le dossier que leur consacre la revue Hommes et Migrations[*].

2La sociologue Mirjana Morokvasic rappelle que lorsque la France entreprit en 1861 le premier comptage des étrangers, les femmes étaient 42 % du total et que leur part n’a jamais été inférieure à 40 % dans les pays classiques d’immigration tout au long du XXe siècle, y compris pendant la période où l’Europe recourut massivement à une main-d’œuvre immigrée masculine.

3Selon une autre idée reçue, les femmes migreraient aujourd’hui plus souvent qu’autrefois pour travailler. Or si les migrations familiales restent majoritaires dans la plupart des vieux pays européens d’immigration, les femmes ont toujours également migré pour des raisons économiques. Cette autonomie est longtemps restée invisible à cause du stéréotype qui ne les voyait que comme dépendantes des hommes, explique la sociologue, déplorant l’absence de recherches sur l’entrepreneuriat et l’accès à l’emploi des migrantes. Elle souligne l’importance, pour la construction de leur visibilité dans l’espace public, des mouvements de travailleuses immigrées, qui font périodiquement l’actualité en France depuis la lutte des « sans-papières » dans les années 1990.

4L’auteure montre enfin que l’intérêt nouveau pour les immigrées se focalise sur leurs « problèmes sociaux ». Dans le débat politique, les médias, la littérature et le cinéma, elles sont traitées essentiellement à travers le prisme des violences diverses dont elles seraient victimes : la traite, le voile islamique, l’esclavage domestique, la polygamie, les mariages forcés…

5L’action publique n’échappe pas à cette tendance. « Les femmes migrantes sont devenues une priorité des politiques d’intégration en France mais le gain de visibilité offert s’accompagne du renforcement des clichés sur ces femmes, perçues comme isolées et soumises », écrit Camille Gourdeau, doctorante en socio-anthropologie. Dans son enquête sur la mise en place du Contrat d’accueil et d’intégration (CAI) conclu entre l’État et les étrangers admis au séjour, elle a constaté que la formation civique dispensée aux signataires du CAI, qui porte sur l’histoire, les institutions et les valeurs de la République, accorde une très large place à l’égalité entre les hommes et les femmes. À ses yeux, cette insistance fait de l’égalité entre les sexes un « trait culturel venant marquer la frontière entre “eux” et “nous” ».

Notes

  • [*]
    Ak Akyo F., Manço A. et Morokvasic M. (coord.), 2015, Femmes et migrations, Hommes et migrations, n° 1311.
Léa Rochford
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/07/2017
https://doi.org/10.3917/inso.194.0037
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...