CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Charles Fourier, le théoricien [*], Victor Considerant, son disciple, et Jean-Baptiste Godin, l’expérimentateur, sont les noms le plus souvent associés à ce qui a généralement été appelé « socialisme utopique », l’adjectif ayant un sens toutefois assez différent et surtout moins péjoratif qu’aujourd’hui. Il s’agit plutôt d’anticipations sociales audacieuses s’appuyant sur la critique de la vie des hommes à l’ère industrielle et visant à la rendre meilleure.

2Nourrie par des idéaux universalistes hérités de la période révolutionnaire et par un grand enthousiasme pour les progrès des connaissances scientifiques, l’utopie rêvée par Fourier (1772-1837) est celle d’une harmonie globale, une finalité qu’il présente comme un équivalent dans le domaine du passionnel, c’est-à-dire dans l’équilibre de la vie sociale, de ce que la découverte de la gravitation par Newton avait apporté à la connaissance de la structure de l’univers, un siècle auparavant.

3Dans le cadre de cette théorie dite de « l’attraction passionnée », l’univers serait en relation avec les passions humaines, dont il serait le reflet. De la même façon que les astres s’attirent et s’organisent en un équilibre cosmique, les êtres humains seraient attirés sélectivement par d’autres personnes, par certaines activités ou par certaines choses et l’organisation du monde social dans le respect de ces inclinations et affinités réciproques permettrait d’atteindre l’harmonie.

4L’identification des différents critères discriminants proposés par Fourier au terme d’une observation raisonnée des comportements et des caractères humains le conduit à distinguer douze passions fondamentales ; leurs variantes se combinent entre elles pour constituer un ensemble de 810 assemblages différents qu’il considère, quand ils sont réunis, comme constitutifs d’une microsociété idéale. Chacun de ces groupes de 1 620 personnes (810 hommes et 810 femmes), appelés « phalanges », serait installé dans une unité de vie et de production autosuffisante, le phalanstère, dont le fonctionnement obéit lui-même à des règles très précises et librement acceptées par ceux et celles qu’il concerne.

5Fourier voulait faire du genre humain une grande famille, ce terme n’étant utilisé sous sa plume qu’à titre rhétorique car en réalité l’institution sous sa forme traditionnelle faisait de sa part l’objet de critiques radicales en tant que lieu de subordination des femmes et des enfants. Et c’est sans doute dans sa dénonciation du mariage et dans sa proclamation du droit des femmes (« Les progrès sociaux, écrit-il, s’opèrent en raison des progrès des femmes vers la liberté ») que la pensée de Fourier, exprimée entre 1808 et 1835, est le plus actuelle. Très distancié à l’égard de la famille naturelle et des liens du sang, il recommandait également la création de crèches afin d’assurer la prime éducation et la socialisation des enfants en dehors de l’influence d’un couple parental au sein duquel s’impose la loi du patriarcat.

Notes

  • [*]
    Publiée entre 1806 et 1835, la bibliographie de Fourier comporte une douzaine de titres parmi lesquels Théories des quatre mouvements et des destinées générales, 1808, et Théorie de l’unité universelle, 4 volumes, Paris, 1822-1823.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/03/2017
https://doi.org/10.3917/inso.193.0023
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