CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Ce que la création en 1945 de la Sécurité sociale a apporté de nouveau n’est pas la protection des individus et des familles, des principes qui existaient depuis longtemps, mais l’élargissement de son champ et sa généralisation progressive à l’ensemble de la population française. Ce faisant, elle a fondé un modèle original et efficace de protection sociale que beaucoup, malgré les années passées et un certain nombre d’amendements, considèrent encore comme la clé de voûte du pacte social républicain.

2Après avoir été, pendant plusieurs siècles, du ressort presque exclusif des organisations religieuses, l’aide aux malades et aux déshérités a été complétée par un système de protection sociale mis en place à partir du XVIIe siècle par les communautés de métiers, connues depuis le Moyen Âge sous le nom de corporations. Celles-ci ajoutèrent à leur rôle disciplinaire traditionnel des fonctions d’aide et de secours au bénéfice de leurs membres. [*]

3L’abolition des corporations en 1791 avec la Loi Le Chapelier entraîna la disparition de ces mesures protectrices. Au XIXe siècle, celles-ci furent confiées par la loi Humann du 22 juin 1835 à des sociétés privées de secours mutuels dont les compétences restaient très limitées et le fonctionnement réglementé. L’adhésion à ces sociétés était libre et n’engageait que la responsabilité individuelle de chacun. La loi du 1er avril 1898 institua un système mutualiste libéral (Charte de la mutualité), en mettant fin au contrôle de l’administration sur les sociétés de secours mutuels. À partir de cette date, la Troisième République encouragea sans réserve le mouvement mutualiste auquel aucun domaine de la protection sociale ne fut plus interdit et qui put désormais intervenir en marge de l’État sans devoir pour cela entrer dans une logique lucrative.

4En même temps que se développait une offre mutualiste destinée aux classes moyennes, la puissance publique, inspirée de principes hygiénistes et soucieuse d’inscrire l’idéal républicain dans le quotidien, commença à proposer aux moins bien lotis une certaine protection contre la maladie et la grande pauvreté. Par la loi du 15 juillet 1893, l’État créa ainsi une assistance médicale gratuite pour tout citoyen malade et indigent et encouragea en 1898 les employeurs à contracter une assurance couvrant les risques liés aux accidents du travail dont leurs employés seraient victimes. En matière d’assurance-vieillesse, une loi de 1910 institua, pour les salariés du commerce et de l’industrie, un régime obligatoire qui inspira d’autres lois votées en 1928 et 1930 en vue de créer une assurance pour les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès au bénéfice des salariés titulaires d’un contrat de travail. L’adoption en 1932 d’un régime spécial pour les agriculteurs compléta un dispositif de protection sociale déjà assez large. Les années 1930 furent essentielles pour la politique familiale (cf. l’article de Virginie De Luca Barrusse). La loi Landry du 11 mars 1932 rendit obligatoires tant les sursalaires familiaux pour tous les salariés de l’industrie et du commerce ayant au moins deux enfants que l’adhésion des entreprises à une caisse de compensation, ancêtre du recouvrement de la Sécurité sociale. Les allocations familiales indépendantes du salaire et des entreprises furent créées par un décret-loi en 1938. Il ne manquait plus alors à la protection sociale qu’une cohérence institutionnelle et surtout un sens politique que les réformes de 1945 lui donnèrent.

Notes

  • [*]
    Dreyfus M., 2015, « La protection sociale libre et volontaire, notamment mutualiste, jusqu’aux années 1930 », Vie sociale, n° 10, p. 17-30.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/11/2015
https://doi.org/10.3917/inso.189.0020
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