1En France, la notion de « care », qui renvoie à l’idée d’une attention, particulière et généralisée, de chacun envers les autres, est entrée dans le champ du discours politique à partir de 2010. Elle avait déjà été évoquée dans le monde du travail social depuis la fin des années 1970, en particulier dans le secteur de la petite enfance où elle avait fait son apparition sous son avatar de « bientraitance ». Alors définie en négatif par référence au concept de maltraitance, elle visait essentiellement à promouvoir une attitude éthique dans le cadre de l’action sociale et médico-sociale, qu’elle cherchait à enrichir de valeurs de liberté, de justice, de solidarité et de respect de la dignité.

2On attribue généralement la maternité du terme « care » à Carol Gilligan, psychologue sociale, et à Joan Tronto [*], professeur de science politique. Emprunté à un courant de réflexion américain aux racines plurielles, il a d’abord suscité de la curiosité en raison de sa difficulté à être traduit dans notre langue ; puis de l’étonnement à mesure qu’on découvrait sa complexité et qu’on le distinguait, à juste titre, des fades notions de charité, de compassion ou de bienveillance qui qualifient généralement l’attention portée à autrui dans le monde occidental.

3Si l’on accepte de le libérer de sa gangue de bons sentiments, le care traduit une attitude nouvelle vis-à-vis de l’attention qui doit être socialement portée à ceux des citoyens qui connaissent des difficultés ponctuelles ou permanentes. Il étend le souci de l’autre au-delà des situations d’exception comme le soin infirmier, par exemple, pour en faire le fondement de relations sociales s’articulant autour de la dépendance et de la vulnérabilité qui sont considérées comme des traits consubstantiels à la condition humaine et non des effets d’accidents de la vie.

4Dans une rapide recherche sur les travaux philosophiques pouvant passer pour généalogiques de la notion de care, une chercheure attachée à l’université de Toulouse [1] a pu invoquer des pensées aussi diverses que celles d’Aristote, Kant, Merleau-Ponty, Heidegger, Ricœur et Levinas, afin de soutenir l’idée que la bientraitance, qui s’enracine dans des principes larges, est bien l’enjeu d’une société tout entière, un enjeu d’humanité. Une telle éthique se démarque ainsi radicalement des valeurs libérales d’individualisme et de concurrence compétitive culturellement assimilées au « sexe fort » qui ont majoritairement cours en Occident.

5Au-delà d’une généralisation de la sensibilité aux maux d’autrui [2], c’est donc à un renversement d’une conception essentiellement marchande de ce qui soutient le lien social qu’invite la réflexion sur le care.