CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le sport est une activité essentielle de la vie courante, comme loisir ou sous une forme plus compétitive. Il favorise l’accomplissement personnel et agit positivement sur la santé, s’il est pratiqué sans excès. Les différents acteurs du mouvement sportif se mobilisent pour promouvoir les différentes pratiques, libres ou encadrées. Au-delà de son rôle d’animation, le mouvement sportif est soucieux depuis ses origines de ses missions sociales, en particulier éducatives. Cette table ronde est l’occasion de les évoquer, en soulignant par exemple le rôle que peuvent jouer les clubs dans la réforme des rythmes scolaires, dans la lutte contre les discriminations ou pour contrer les effets négatifs de la marchandisation du spectacle sportif.

2Pour commencer, pourriez-vous présenter le projet éducatif et la mission sociale de chacune de vos organisations et ce qui fait leur spécificité ?

3Rolland Besson : La Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) est formellement née le 24 décembre 1934. Son origine est étroitement liée à celle du mouvement ouvrier. Au départ, l’ambition de la FSGT était de faire en sorte que le sport améliore la santé des ouvriers en cette époque de fortes migrations vers les régions industrielles, en luttant contre divers fléaux alors ravageurs, la tuberculose comme l’alcoolisme.

4La FSGT a inscrit dans ses statuts que le sport n’est pas une fin mais un moyen : moyen d’éducation, de rassemblement et de progression pour l’ensemble des pratiquants. Son objectif est de créer les conditions pour que les pratiquants deviennent les citoyens d’une société laïque et démocratique. Évidemment, la société a changé mais les valeurs sont les mêmes. Notre projet éducatif reste le sport pour tous et pour toutes, à tous les âges de la vie et dans tous les territoires. Pour nous, il y a plusieurs sports : celui que l’on pratique, celui que l’on regarde et celui que l’on consomme. Nous sommes en résistance contre la multiplication des institutions marchandes qui gèrent le sport et restons convaincus que le sport pour le plus grand nombre, à vocation éducative et sociale, doit se pratiquer dans un cadre associatif.

5Philippe Machu : Nous avons de nombreux points communs et, d’ailleurs, la FSGT et l’Ufolep ont instauré avant et après la Seconde Guerre des coopérations locales importantes pouvant aller jusqu’à la constitution de clubs communs. L’Union française des œuvres laïques d’éducation physique (Ufolep), née en 1928, est une création de la Ligue de l’enseignement, un grand mouvement d’éducation populaire qui a pour mission l’accompagnement de l’école publique en France depuis les lois Ferry de la fin du XIXe siècle, avec la création de bibliothèques et d’associations, les Amicales laïques, réunissant notamment enseignants et parents, pour développer des activités culturelles et sportives pour les jeunes, scolarisés ou non. La mission de l’Ufolep a ainsi été de permettre l’accès aux pratiques sportives de loisirs des jeunes avec une finalité éducative et citoyenne : notre fédération prône l’éducation par le sport, c’est-à-dire qu’elle entend faire du sportif un citoyen et du citoyen un sportif. Faire du sportif un citoyen, c’est l’amener à la pratique sportive la plus ouverte possible et à agir dans la cité, dans son quartier. Pour nous non plus, le sport n’est pas une fin mais un moyen : de socialisation, d’éducation et de développement des territoires. Le sport aujourd’hui diversifie ses potentialités en termes de cohésion sociale, de citoyenneté et de publics. Quand nous parlons d’éducation par le sport, il nous faut nous demander ce que nous appelons sport, qui nous voulons accompagner et vers quoi nous voulons les emmener. Pour nous, le sport devrait s’adresser à tous les publics tout au long de la vie. Mais vers quoi voulons-nous les conduire ? Vers la performance ? Vers le plaisir, le partage, l’échange, la compréhension ? Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes s’éloignent des activités sportives parce qu’ils les trouvent trop contraignantes. Ils veulent des pratiques plus ludiques, plus ouvertes plus accessibles, plus souples…

6Cela pose de vraies questions aux organisations du mouvement sportif que nous représentons. Rolland Besson parlait de l’association comme creuset de cette vie sportive. À l’Ufolep, nous avons un champ porté par les associations que l’on appelle « sport et éducation », qui gère les compétitions et pratiques sportives de tous les publics, et nous avons ouvert un autre champ, « sport et société », pour répondre à des demandes émergentes comme l’accompagnement des personnes âgées ainsi que de personnes atteintes de pathologies diverses, que l’association sportive traditionnelle ne sait pas prendre en charge. L’une des caractéristiques de l’Ufolep est d’essayer d’entendre les besoins de la société et de coorganiser des réponses. Nous sommes à un moment un peu particulier du développement du sport en France. On compte en effet seize millions de licenciés mais également seize millions de pratiquants autogérés ; il reste une bonne moitié de la population française qui n’a aucune pratique.

7Jean-Pierre Mougin : Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) est né le 22 février 1972 de la réunion du Comité olympique français et du Conseil national du sport, afin qu’une grande association nationale regroupe l’ensemble des composantes du mouvement sportif : fédérations olympiques comme non olympiques, affinitaires, scolaires et universitaires, chacune avec sa vision des choses. Le CNOSF milite aussi pour le sport encadré dans les associations et considère, lui aussi, le sport non pas comme une fin mais un moyen. Ces objectifs et valeurs sont présentés dans un document que nous venons d’éditer, le Projet du CNOSF pour le sport français, qui synthétise des échanges organisés pendant plusieurs mois dans l’ensemble des fédérations. Notre objectif est de passer d’une nation de sportifs à une nation sportive, c’est-à-dire intéressant l’ensemble de la population à la pratique sportive.

8Le sport est bien plus que du sport : il irrigue l’ensemble de la société, d’abord d’un point de vue économique. Selon les chiffrages, il représente au moins 40 milliards d’euros et 165 000 emplois directs et encore, sans compter toutes les retombées des manifestations sportives en France. On parle aussi beaucoup actuellement de sport-santé, qui inclut le sport en entreprise, le sport bien-être, lequel permet aux entreprises d’être plus productives. Au-delà, le sport implique la cohésion sociale, la solidarité et l’image de la France à l’étranger – le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a d’ailleurs nommé un ambassadeur du sport. Le sport est pluridimensionnel : il y a du sport loisir, du sport amateur, du sport professionnel, du sport de haut niveau. Toutes ces dimensions-là, le comité olympique a l’ambition de les regrouper, à travers la diversité de ses fédérations. Notre vocation est de réunir toutes ces tendances et de faire en sorte que le sport soit beaucoup plus reconnu comme une composante fondamentale de la société. Pour nous, c’est une activité d’intérêt général.

9Comment s’articulent l’action de vos fédérations et celle de l’Éducation nationale, notamment à travers l’éducation physique et sportive scolaire ? On parle beaucoup en ce moment de la réforme des rythmes éducatifs…

10R. B. : Certes, mais on parle de la réforme des rythmes scolaires alors que, fondamentalement, c’est de la réforme des rythmes de l’enfant dont il s’agit. Ce dérapage n’est pas seulement sémantique. Il faut distinguer le temps des apprentissages scolaires, celui des activités périscolaires et définir ce qui relève du domaine extrascolaire. Lorsque ces questions ont été abordées au niveau du projet éducatif territorial, des différences d’analyse, pour ne pas dire des oppositions conséquentes, se sont fait jour, se traduisant par des applications de la loi assez dissonantes. Le mouvement sportif doit être intégré au projet éducatif territorial mais sans être le palliatif des difficultés et des insuffisances qui peuvent exister par ailleurs. Nous considérons que le temps essentiel est le temps scolaire, qui est l’affaire de la communauté éducative et de personne d’autre. Pour le reste, il est nécessaire de co-construire un projet commun incluant tous les acteurs pertinents. Il faut s’interroger sérieusement sur le rôle des clubs sportifs locaux et ne pas les solliciter comme de simples prestataires de service. L’expérimentation des nouveaux rythmes éducatifs se poursuit, avec quelques aberrations dans la mise en œuvre, comme le regroupement de certaines activités sur le seul vendredi après-midi… Tous les cas de figure existent : des communes se reposent sur les associations, d’autres sur le personnel municipal ou bien sur des professionnels extérieurs. Cette situation souligne selon moi le rôle primordial du projet éducatif territorial qui doit consacrer un temps préalable à des études et des échanges pour une construction commune.

11P. M. : Je reconnais de même les difficultés de mise en œuvre de ce très beau projet, qui représente pour la nation une occasion de se réapproprier son projet éducatif en mettant tous les acteurs autour de la table. Il y a dans la cité une foule de compétences diverses et variées qui pourraient contribuer à l’enrichissement de ce projet éducatif territorial afin d’en faire pour l’enfant un temps d’ouverture sur son environnement dans toutes ses dimensions. Nous avons été interpellés, comme d’autres, dans la mise en place de cette aventure-là, à trois niveaux en particulier. Au niveau de l’ingénierie et de la mobilisation des acteurs ; au niveau de la formation des acteurs – avec des outils de formation, tel le Certificat de qualification professionnelle (CQP) que nous avons mis au point avec la FSGT et la Fédération sportive et culturelle de France (FSCF), qui correspondent aux attentes d’un certain nombre d’acteurs associatifs ou territoriaux pour participer à l’encadrement de ces activités périscolaires ; enfin, au niveau de l’animation directe, laquelle est plus du ressort de l’association locale. Notre priorité, c’est la formation des personnels et la qualité du projet. Il faut qu’il y ait à cet égard une complémentarité entre ce qui se fait dans le temps scolaire et l’offre de la société civile. L’une des difficultés inattendues de la mise en œuvre des nouvelles activités périscolaires, outre celles évoquées, a concerné les animateurs de clubs. Dans ces nouveaux temps périscolaires, il ne leur est pas demandé de reproduire ce qu’ils font en club mais d’ouvrir les horizons des enfants en termes de culture, de pratique sportive, de relation à leur corps, aux autres, à l’environnement, etc. Cette réforme interroge ainsi les usages du sport dans le projet éducatif et le savoir-faire des personnes impliquées, bénévoles ou professionnelles.

12J.-P. M. : Le CNOSF soutient cette réforme. C’est une opportunité pour le mouvement sportif de s’impliquer dans le parcours sportif de l’enfant dès son plus jeune âge et de renforcer le lien entre nos associations sportives locales et l’Éducation nationale. Je partage le constat : l’opération a été très difficile à mener et l’a été à géographie variable. Chacun fait en fonction de ses contraintes, de ses particularités, de l’existence ou non d’associations locales, etc. Dans certains cas, cela fonctionne mais dans d’autres cela s’apparente davantage à une simple garderie. Il y a un problème financier : on a donné des responsabilités à l’école sans forcément mettre les moyens nécessaires. C’est une convention d’objectifs sans moyens. Toutefois c’est une opération qui va dans le bon sens. À nous, mouvement sportif, de prendre la place qu’on nous offre. En tout cas, cela crée une nouvelle dimension territoriale qui n’existait pas entre la commune, l’Éducation nationale et le mouvement sportif.

13Avez-vous des dispositifs particuliers pour aller à la rencontre des publics les plus éloignés des pratiques sportives ?

14R. B. : Il fut un temps où le sport codifié, y compris dans les fédérations affinitaires comme la FSGT, consistait à permettre à des individus, hommes et femmes de tous âges, de pratiquer la même chose que les autres, même s’ils n’avaient pas au départ les mêmes prédispositions ou les mêmes moyens, y compris culturels et financiers, d’y accéder. Progressivement, le sport pour tous est devenu tout autre chose. Par exemple, aujourd’hui, si on veut répondre aux critères d’attribution des subventions du Centre national pour le développement du sport (CNDS) [1], nous devons nous préoccuper de « publics cibles ». Ce terme aberrant a été remplacé aujourd’hui par l’expression « publics éloignés », qui désigne à la fois les femmes, les habitants des quartiers en difficulté, les personnes en situation de handicap… Nous avons dans notre projet fédéral un volet tourné vers les milieux populaires au sein duquel nous développons des coopérations, notamment avec des centres sociaux. Nous en sommes au stade expérimental mais déjà, nous mesurons combien cela remet en question l’architecture de nos brevets fédéraux, qui valide le niveau de formation des encadrants : la formation d’entraîneur sportif classique ne suffit plus pour intervenir auprès de ces publics. La formation de nos animateurs bénévoles a ainsi été revue dans tous nos clubs. Pour les personnes en situation de handicap, nous avons déposé le label des « pratiques partagées ». Depuis nos Assises internationales à Saint-Étienne en 2006, nous mettons en avant la pratique commune dans nos clubs de personnes en situation de handicap avec des personnes valides. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, nous organisions des pratiques partagées au quotidien sans le savoir ! Nous essayons de les généraliser en incitant nos clubs à s’y rallier. Il ne s’agit pas de concurrencer l’action de la Fédération française du sport adapté (FFSA) mais de la compléter, tout en ayant conscience que ce n’est pas possible pour tous les handicaps. Enfin, nous avons eu une action pionnière d’ouverture aux femmes de certaines pratiques comme le judo, le saut à la perche, le lancer du marteau…, à une époque, les années 1960-1970, où l’on nous taxait au mieux d’« aventuriers ». Nous rencontrons parfois des échecs. Mais, si on ne transforme pas la codification actuelle du sport, on ne fera jamais progresser le sport dans la société. Le sport a d’abord été conçu par des élites et pour mettre les seuls vainqueurs en avant. Au dos des maillots que nous distribuons chaque année aux champions fédéraux, il est inscrit : « L’adversaire d’aujourd’hui est l’ami qui me fera progresser demain ».

15P. M. : Pour aller vers les publics qui ne viennent pas spontanément dans nos clubs, nous essayons d’adapter les pratiques à ces derniers. Il s’agit aussi de nouer des partenariats nouveaux. Nous travaillons ainsi de plus en plus avec des organismes sociaux : la Caisse nationale d’Assurance vieillesse, par exemple, des mutuelles, des associations spécialisées dans l’accompagnement de pathologies diverses, des pôles de prévention cardio-vasculaire, des entreprises, etc. La pratique sportive dépasse largement les seules fédérations sportives. Nous nous tournons vers le tourisme social, qui recourt beaucoup au sport pour animer ses villages de vacances, de même que les fédérations d’éducation populaire pour construire leur projet éducatif. Nous cherchons ainsi à adapter nos outils pour aller vers ces publics et ces partenaires nouveaux : avec le plurisport par exemple, qui met l’accent sur le plaisir et la diversité en organisant une rotation sur diverses disciplines avec la même licence. Du point de vue des structures, nous recherchons de nouvelles solutions, qui se trouvent sans doute du côté des systèmes coopératifs, de type Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), afin d’associer au projet non seulement les initiateurs mais aussi les partenaires, que ce soient des collectivités territoriales, des organismes sociaux ainsi que les publics eux-mêmes.

16J.-P. M. : Dans le projet du Comité olympique pour le sport français figure l’objectif de « favoriser l’accès aux pratiques sportives de tous et à tous les âges de la vie ». Le CNDS doit continuer à alimenter les activités sportives au niveau local en aidant les associations à aller vers les publics les plus éloignés de l’activité sportive. Nous avons défini trois axes de travail. Le premier concerne les activités nouvelles (sports de glisse, aériens, de nature, de rue…). Les fédérations ont la volonté de faire en sorte que leurs adeptes pratiquent sous leur bannière, de manière organisée et sécurisée. Le deuxième axe cherche à promouvoir les différentes disciplines sportives existantes, ce à quoi s’emploie chaque fédération unisport. Les bons résultats sportifs des Français, lors des championnats du monde ou des jeux Olympiques, créent un engouement vers les disciplines qu’ils représentent. Le troisième axe est l’opération « Sentez-vous sport ! », qui en est à sa cinquième année, que nous organisons en partenariat avec les fédérations nationales. Elle se déroule pendant une semaine complète, avec un volet scolaire, un volet universitaire, un volet entreprise et le sport pour tous lors du week-end de clôture. En septembre 2014, nous avons accueilli six millions de pratiquants sur plus de 6 500 sites sur le territoire, grâce aux Comités départementaux olympiques et sportifs (CDOS) et aux Comités régionaux olympiques et sportifs (Cros), aux ligues et aux comités départementaux des fédérations. À Toulouse, par exemple, plus de soixante activités différentes étaient proposées cette année pour faire connaître le sport à tous.

17Dans quelle mesure la compétition a-t-elle une portée éducative ? Et quelles sont éventuellement les limites de celle-ci ?

18J.-P. M. : Tous les jours, des scandales éclaboussent le sport de haut niveau. Même si cela ne concerne qu’une petite partie des sportifs, c’est ce qui marque les esprits. Nous combattons vigoureusement ces pratiques, avec le CIO, les fédérations internationales et les ministères concernés. La lutte antidopage est ainsi en train de porter ses fruits. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : derrière ces résultats, il y a des enjeux financiers énormes, voire de la corruption. Malgré tout, le sport véhicule de belles images, des modèles que les jeunes peuvent avoir envie d’imiter. Il ne faut pas opposer le sport de haut niveau avec le sport de masse. Ce sont deux composantes qui ne vont pas l’une sans l’autre. La réussite sportive est importante pour l’image du pays. Aujourd’hui on dit que la France est quatrième ou cinquième nation sportive, et nous pouvons en être fiers.

19P. M. : La compétition peut être éducative parce qu’elle demande la maîtrise de techniques et de stratégies, l’intégration et le respect des règles. La liberté et la créativité ont souvent besoin d’un cadre. Les règles de la compétition étant posées, chacun peut ensuite s’exprimer et aller le plus loin possible dans ce cadre. Je ne vais pas revenir sur tout ce qui existe en termes de tricherie, de dopage, de corruption, etc. C’est infernal. Cela étant, tous les sports ne sont pas également touchés car l’argent n’y circule pas également. Il faut arriver à articuler compétition et coopération. Si compétition veut dire terrasser son adversaire, je dis : « Halte au feu ! » Nous ne sommes pas dans un combat international, et pourtant on demande souvent aux sportifs de porter, au-delà du jeu, l’image d’une nation, ses intérêts économiques, voire son honneur. On exacerbe des tensions culturelles et nationales alors que la rencontre sportive devrait être un temps de pacification. De telles aberrations sont cultivées par les médias qui semblent avoir besoin de cela pour vendre. Il y a encore beaucoup à faire pour que le sport dans la compétition – mais une compétition raisonnable – soit un vecteur de rencontres, d’échanges culturels, etc. Pour reprendre une formule de Bernard Jeu, « aucune médaille ne vaut la santé d’un enfant ». Or on a tous des exemples de jeunes qu’on a portés au plus haut niveau, au détriment de leur santé et de leur avenir. Ils sont dans la lumière pendant un ou deux ans et ensuite, on les oublie complètement.

20J.-P. M. : Il faut aussi éduquer les parents, très importants dans la vie sportive de leurs enfants. J’en vois parfois au bord des terrains qui giflent leur enfant parce qu’il n’a pas gagné…

21R. B. : La compétition peut exister à tous les niveaux de la pratique sportive à partir du moment où elle est pensée comme un moment où l’on révèle les progrès des individus par rapport aux apprentissages qu’ils ont reçus. La compétition n’est pas l’élimination mais, d’abord, le rapport de l’individu à sa propre pratique sportive. Ensuite, la compétition est un moment de confrontation, obligatoirement, et ce qui doit primer n’est pas la victoire mais le respect des autres. De mon point de vue, il n’y a rien de plus beau quand, à l’issue d’une course, le vainqueur se retourne vers ses poursuivants et que tous se congratulent. Le sport est à l’image de la société : il en a les travers mais aussi la beauté. La compétition qui pousse vers le plus haut niveau est un élément de progrès humain essentiel. Le sport est recherche et création, pas seulement en matière de produits dopants, mais aussi de techniques corporelles et de technologie. Un seul exemple en athlétisme : l’évolution des matériaux dont sont composées les perches, du bambou au carbone, qui s’est accompagnée d’une transformation des techniques de saut. On en est toujours à se demander à quelles conditions la compétition peut être éducative, consituer un facteur de progrès pour tout le monde et un facteur de dépassement permanent pour soi et les autres. Nous avons innové à la FSGT en lançant, par exemple, le football à sept autoarbitré. Les joueurs s’arbitrent eux-mêmes et, pour éviter les conflits, on a supprimé le tacle et le hors-jeu. Dans ces conditions, le plaisir et la technique prennent le pas sur l’enjeu.

22Quels autres dispositifs peuvent concrètement empêcher que l’enjeu ne prenne le pas sur le jeu ?

23R. B. : En cyclisme sur piste, vous avez la course par élimination. Vous faites partir les coureurs pour douze tours et, à la fin de chacun, le dernier est éliminé. Cette manière de courir valorise ainsi la technique et la stratégie de course.

24P. M. : Dans le sport motocycliste dont je viens, il existe aujourd’hui des règles très strictes dans les épreuves du championnat du monde encadrant le comportement des pilotes. La direction de course réagit immédiatement en cas de geste anti-sportif – un pilote qui coupe une trajectoire à un autre par exemple –, car tout est enregistré en temps réel.

25P. M. : Nous comptons également pour notre part plus d’une centaine de clubs qui pratiquent le football à sept en autoarbitrage, et cette approche est étendue à d’autres pratiques, comme le judo ou le handball. Dans ce dernier sport, nous avons fait l’expérience de points fair-play, attribués à la fin du match et qui s’ajoutent au résultat. Enfin, il existe des pratiques intéressantes, mais encore peu développées en France, comme le korfbal [2], qui se joue avec des équipes mixtes et sans contact.

26Quel regard portez-vous sur le spectacle sportif, et quelle est selon vous sa portée éducative ?

27J.-P. M. : L’hypermédiatisation du sport a des effets pervers. Aujourd’hui, presque toutes les fédérations internationales engagent des promoteurs pour leurs championnats du monde ou continentaux et les médias influent sur les règles techniques de discipline pour les rendre plus spectaculaires. C’est un effet néfaste de l’excès d’argent qui circule dans certains sports, et de l’enjeu que cela représente pour les chaînes et annonceurs.

28P. M. : Le spectacle sportif peut conduire à des exagérations, des dérives, etc. Cela exacerbe le chauvinisme : par exemple, aujourd’hui, on voit rarement un public applaudir les belles actions des équipes adverses. Il y a aussi un travers énorme dans le traitement médiatique de certains sports comme le football aujourd’hui : on en a fait un sport individuel et non plus collectif. On n’explicite plus les grandes phases de jeu mais on montre les « exploits » des seules vedettes. Cela influe sur les comportements des plus jeunes qui veulent briller plutôt que s’appuyer sur leur équipe. Dans notre démarche éducative, nous avons aussi l’objectif de former des spectateurs sportifs. Parce qu’apprécier de belles phases de jeu, de beaux gestes techniques relève d’une culture sportive et participe au respect mutuel.

29R. B : Le spectacle sportif, aujourd’hui, est formaté pour la télévision. Or, pour moi, le spectacle sportif se déroule d’abord dans le stade. Dans un stade, vous avez des supporters qui, par leurs chants et comportements, sont aussi porteurs des cultures locales.

30P. M. : Le spectacle sportif occupe aujourd’hui beaucoup de place dans les médias et, par suite, dans la conscience de nos concitoyens. « Donnez-leur du pain et des jeux », disait-on dans la Rome antique… La formule reste d’actualité, à la différence que les empereurs romains ont été remplacés par des pouvoirs financiers.

Notes

  • [1]
    Le Centre national pour le développement du sport (CNDS) est un établissement public national créé en 2006 et placé sous la tutelle du ministre des Sports qui associe mouvement sportif et collectivités territoriales pour soutenir notamment la pratique sportive du plus grand nombre, l’équipement sportif sur tout le territoire et promouvoir le sport français au niveau international.
  • [2]
    Le korfbal est un sport créé en 1902 par un entraîneur néerlandais, dont le nom signifie littéralement « balle au panier ». C’est un dérivé du basket-ball qui se joue à huit contre huit, mêlant garçons et filles et sans contact.
Table ronde avec
Rolland Besson
Ancien entraîneur d’athlétisme à l’Union sportive Vigneux et ancien entraîneur de football, Rolland Besson a pratiqué ces sports au niveau régional. Il préside le comité olympique et sportif de l’Essonne depuis 1989 et copréside la fédération sportive et gymnique du Travail (FSGT) avec Lydia Martins.
Table ronde avec
Philippe Machu
Président de L’Union française des Œuvres laïques d’Éducation physique (Ufolep), il est membre de l’assemblée générale du Comité national olympique et sportif français.
Table ronde avec
Jean-Pierre Mougin
Vice président délégué du comité national olympique sportif français (CNOSF) en charge de l’emploi, de la formation et de la qualification, il est membre du bureau exécutif de la fédération française de Motocyclisme, conseiller du Président. De 1996 à 2002, il a présidé de l’union européenne de Motocyclisme. Il est membre du Conseil d’Administration du CNOSF depuis 1993.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/06/2015
https://doi.org/10.3917/inso.187.0087
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