1C’est en tant qu’élu municipal chargé des sports que je présente ici les enjeux et principaux résultats d’une enquête réalisée à la demande de la mairie du 19e arrondissement de Paris sur la relation entre les pratiques sportives et la cohésion sociale. Cette enquête est le fruit d’une étroite collaboration entre des acteurs publics et des chercheurs : d’un côté, outre les services municipaux de l’arrondissement, la direction de la Jeunesse et des Sports (DJS) et la direction de la Politique de la Ville et Intégration (DPVI) de la Ville de Paris (cofinanceurs de l’étude) et, de l’autre, les sociologues du laboratoire Violences Identités politiques et Sport (VIPS) de l’université Rennes 2, retenus à la suite d’un appel à projet. Son objectif était de « permettre à la Mairie du 19e de disposer d’un outil de mise en relation et de dialogue avec les acteurs impliqués dans la mise en œuvre de projets d’animation, de prévention et d’insertion des jeunes et plus largement des habitants par les activités sportives » (Sempé et al., 2014).
Contexte et enjeux
2Le 19e arrondissement (180 000 habitants environ) est l’un des plus jeunes de Paris : 25 % de sa population a moins de 25 ans et 32 % entre 20 et 39 ans (Insee, 2008). C’est aussi l’un des plus populaires et les moins riches de la capitale : il compte 40 % de logements sociaux et trois « quartiers prioritaires » [1], le taux de chômage des jeunes y dépasse 20 % et 30,5 % des foyers sont monoparentaux.
3La municipalité s’efforce de développer une politique sportive locale adaptée à ce contexte socio-économique particulier. Convaincus que le sport « ne se réduit pas à un ensemble de techniques à maîtriser » mais « se conçoit comme un élément de la culture et de la vie sociale » [2], nous voulons qu’il permette l’émancipation des citoyens. Cette conception est cependant confrontée à la réalité d’un monde associatif bien souvent davantage intéressé par l’obtention de créneaux pour pratiquer et de subventions que par la volonté d’œuvrer et de participer à un projet sportif et social commun.
4Les acteurs du mouvement sportif conçoivent-ils l’insertion par le sport comme une conséquence « naturelle » de tout projet sportif ou bien se retrouvent-ils, malgré eux, sollicités par les institutions en tant que « clubs bons à tout faire » [3] ? Nous avons choisi d’évaluer, en nous appuyant sur une expertise sociologique, les pratiques de nos interlocuteurs de terrain afin de questionner l’idée reçue, propre au monde politique, selon laquelle le sport aurait la capacité de pacifier de façon automatique le climat social dans les quartiers prioritaires. Nous avons essayé de vérifier si, et de comprendre comment, les pratiques sportives participent à la cohésion sociale, en choisissant d’écarter les cas de réussites individuelles et en nous focalisant sur l’analyse des difficultés d’intégration socioprofessionnelle des jeunes de nos quartiers.
Méthodologie et analyses
5L’étude, qui a duré huit mois, comportait quatre objectifs majeurs : tout d’abord, identifier les structures associatives sportives et sociosportives qui proposaient des projets adaptés aux quartiers prioritaires ; puis chercher à évaluer la qualité de ces projets au regard des moyens mobilisés avant de réfléchir, dans un troisième temps, aux conditions de la mise en synergie de ces initiatives. Enfin, tout en menant ce travail, les chercheurs avaient également pour mission de créer les conditions d’une construction collective visant à élaborer un Projet sportif d’arrondissement.
6En préalable a été mis sur pied un Groupe de pilotage (GP), composé de membres de la DJS et de la DPVI, de la mairie de Paris et de la mairie du 19e ainsi que de chercheurs du laboratoire VIPS pour définir les priorités et les actions à mener. Un cercle a également rassemblé une douzaine de structures, représentatives des différents types d’intervenants œuvrant sur des sites, terrains d’éducation physique et gymnases situés dans les quartiers prioritaires de l’arrondissement.
7Les chercheurs se sont appuyés sur des observations de terrain, des entretiens individuels et collectifs et les résultats d’un questionnaire diffusé par voie électronique.
8Les entretiens individuels et l’observation des pratiques et des actions des pratiquants sportifs se sont révélés constituer le moyen le plus pertinent pour réaliser un état des lieux concordant. Cent quinze personnes ont été interrogées individuellement : 18 membres d’associations sportives, 3 membres de fondations, 6 membres d’associations de prévention, 10 responsables et 5 éducateurs/animateurs de la DJS, 3 membres de la délégation Politique de la Ville et Intégration, 3 responsables institutionnels, 5 responsables politiques et 62 usagers.
9Par ailleurs, lors des quatre entretiens collectifs, les participants ont été invités à débattre sur les thématiques proposées par le GP : l’insertion par le sport, le sport féminin, le sport pour tous et la sécurité sur et autour des équipements sportifs. Lors de la première rencontre-débat, chaque intervenant a eu la possibilité de définir ce qu’est l’« insertion » dans ses propres termes. Ces entretiens collectifs ont permis de confronter les points de vue, de les mettre en commun et, in fine, de lancer la concertation. Ils nous ont aussi permis d’avoir une meilleure connaissance des réalités de terrain. La méthode de l’intervention sociologique mise en place a consisté à accompagner la réflexion et les prises de positions des inter v enants. Pour les acteurs présents, il s’agissait de « comprendre dans quel monde social ils évoluent, d’en comprendre les tensions et à partir d’échanges permettant l’expression des points de vue, d’aboutir à des solutions pragmatiques lorsque les différents points de vue sont source de conflits ou de défauts de fonctionnement » (Sempé et al., 2014).
10Au cours de la première rencontre de présentation de l’étude, les représentants du mouvement sportif ont manifesté une certaine méfiance vis-à-vis du politique. La démarche municipale était perçue par eux comme une forme de contrôle de leur activité (Gori, 2012, p. 22), dont témoignent leurs nombreuses questions et l’expression d’inquiétudes portant sur la forme que prendraient les interviews ainsi que sur l’utilisation de l’étude, sa publication et son exploitation.
11Au terme de leur enquête, les chercheurs, mettant en relation discours et pratiques, ont élaboré un schéma d’« espace d’insertion par le sport » qui servira de base à notre réflexion municipale. Ils ont exposé les résultats de leur étude à tous les participants afin que ceux-ci puissent se positionner, reconnaître et assumer leur rôle et celui des autres. Ils ont ensuite représenté, sur un schéma reprenant le concept sociologique de désaffiliation proposé par Robert Castel (1995), la position de chaque structure (clubs historiques fédéraux, associations sportives à vocation sociale, fondations, filière sportive de la Ville et clubs de préventions) en fonction de deux critères croisés avec deux variables (Figure 1 p.36). Les deux critères de répartition choisis sont le public auquel ces structures s’adressent et la forme de sport (loisir/compétition) qu’elles proposent et les deux variables, la situation de la structure sur le plan de l’insertion (désaffiliée/intégrée) et son approche du sport (loisir/compétition). Cette représentation de l’espace d’insertion par le sport a ainsi donné lieu à une typologie quaternaire des structures.
Configuration des structures en convention dans l’espace d’insertion par le sport dans le 19e arrondissement de Paris

Configuration des structures en convention dans l’espace d’insertion par le sport dans le 19e arrondissement de Paris
12La Ville de Paris a établi des « conventions d’objectifs » assorties de subventions de fonctionnement, avec des clubs et associations dont les projets et activités sont en adéquation avec ses propres priorités et ses enjeux. L’un de ces objectifs a une visée sociale. Alors qu’il est communément admis que les « clubs historiques fédéraux » [4] favorisent l’insertion des jeunes, la représentation de l’« espace d’insertion par le sport » montre qu’en réalité, ces clubs s’adressent à un public plutôt intégré et mettent l’accent sur l’aspect compétitif du sport. Ce constat fait écho au rapport 2013 de la Cour des comptes (2013, p. 66), qui a montré que deux tiers des subventions destinées au « sport pour tous » ne jouent pas un rôle de levier efficace pour développer la pratique des publics éloignés du sport. Notre étude semble valider cette réalité au niveau local et nous invite — parmi d’autres enseignements — à reformuler une partie des conventions avec nos clubs partenaires.
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14En donnant carte blanche aux chercheurs pendant leur travail de recherche et d’analyse, nous avons consciemment pris le risque d’exposer nos pratiques et nos approches politiques dans notre « gestion » du fait sportif dans le 19e arrondissement. Nous avons ensuite pris en considération les recommandations qui nous ont été faites en vue, entre autres, d’améliorer la qualité et la gestion de nos équipements, de valoriser nos agents d’accueil et de maîtrise ainsi que d’affiner les logiques d’attribution des créneaux et les conventions d’objectifs. Cette démarche sociologique a permis de nous questionner sur la spécificité des logiques internes de chaque structure ayant pour outil d’action la pratique sportive. Ce souci de remise en question, partagé par les différentes institutions et structures concernées, nous semble favorable à une évolution de notre projet sportif municipal. L’étude aura donc conforté notre volonté de le développer en veillant à associer le plus possible les structures et le mouvement sportif de l’arrondissement, notamment en organisant des « Assises locales du sport ».
Notes
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[1]
Selon la redéfinition de la géographie des quartiers de la politique de la Ville entreprise par la Loi Lamy en 2013.
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[2]
Projet sportif d’arrondissement 2013-2014, direction de la Jeunesse et des Sports, Mairie de Paris.
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[3]
Ferran J., « Le club sportif de demain, un club”bon à tout faire” », cité par Marina Honta, Union nationale des clubs universitaires, Un autre club sportif pour le XXI e siècle, 2010.
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[4]
Adhérents à l’Office du mouvement sportif (OMS), spécialistes d’une seule discipline et présents depuis longtemps dans l’arrondissement, ils proposent des licences payantes à leurs nombreux licenciés.