CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le football féminin est pratiqué depuis longtemps mais vit dans l’ombre médiatique de son homologue masculin. Toutefois, son développement s’est accéléré depuis une décennie grâce au nombre croissant de joueuses et aux résultats spectaculaires de l’équipe nationale dans les compétitions internationales. Pour évoquer ces transformations, la revue Informations sociales a réuni Laurence Prudhomme, historienne et enseignante d’éducation physique et sportive et Gaëtane Thiney, joueuse aux nombreuses sélections internationales, mais aussi chargée de mission à la Fédération française de football.

2Laurence Prudhomme, pouvez-vous retracer les grandes périodes de l’histoire du football féminin en France ?

3Laurence Prudhomme : Le football féminin apparaît en 1917, dans une société féminine de gymnastique parisienne, nommée Femina sport, créée en 1912 – et qui existe d’ailleurs encore aujourd’hui ! Les joueuses pratiquent d’abord entre elles puis contre des équipes scolaires masculines, avant la naissance d’un championnat en 1918-1919. Entre ces débuts il y a un siècle et aujourd’hui, le football féminin suit une progression irrégulière, avec une première phase de croissance de 1917 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Il traverse ensuite une période noire jusque dans les années 1960, où il réapparaît dans le cadre de fêtes de clubs ou de tournois masculins. Ce sont alors des clubs masculins qui cherchent à attirer le public avec le spectacle « folklorique » inédit d’un match entre deux équipes féminines. C’est le cas à Humbécourt en 1965, à Gerstheim en 1967 ou à Reims en 1968. Comme il y a suffisamment de joueuses motivées pour poursuivre l’aventure, le football féminin se développe ensuite progressivement.

4Il est d’abord pratiqué en marge des fédérations de football masculines, puisque d’abord l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) [1] puis la Fédération française de football (FFF), association créée en 1919, refusent d’intégrer le football féminin. Il se développe donc au sein de fédérations féminines, qui visent à favoriser la pratique par les femmes d’activités athlétiques et de sports collectifs comme le football, le basket, la « barette » (ancêtre du rugby), etc. Il faut attendre 1970 pour que le foot féminin soit intégré dans la Fédération française de football. Au niveau international, c’est également au cours des années 1970 que le football féminin est reconnu dans la plupart des pays où il est pratiqué. Les premières compétitions internationales se structurent également à cette période.

5Gaëtane Thiney, comment votre sport a-t-il évolué dans la période récente ?

6Gaëtane Thiney : La médiatisation est plus importante qu’à mes débuts mais c’est aussi le regard de la société qui a évolué. Je suis originaire de l’Aube, où j’ai commencé le football à cinq ans dans un contexte local particulier, très favorable. Je viens d’un petit village où Marinette Pichon [2], qui a une dizaine d’années de plus que moi, avait joué avant moi. Elle était la star de l’équipe de France à l’époque et c’est elle qui m’a donné envie de m’inscrire. Lorsque je suis arrivée, il était donc presque normal qu’une fille joue avec les garçons. C’est vers 14 ans que j’ai pris conscience de l’existence d’un football féminin, lorsqu’on m’a signifié que je n’avais plus le droit de jouer avec les garçons en club. Je suis alors partie dès 14 ans en première division, où j’ai continué à m’entraîner avec des garçons jusqu’à 17 ans. Mon parcours est atypique, puisque je suis actuellement la seule de l’équipe de France à ne pas être passée par un Pôle féminin de la FFF. Mon choix de ne pas intégrer le Pôle de Clairefontaine a donc eu pour conséquence que je suis restée avec les garçons même si, réglementairement, j’aurais dû jouer avec les filles. Lorsqu’en 2003 nous avons été championnes d’Europe des moins de 19 ans, les médias ne se sont pas intéressés à nous. Pas plus quand je suis arrivée en équipe de France A en 2007, et les stades étaient moyennement remplis, 5 000 à 6 000 personnes.

7La Coupe du monde de 2011 a été un déclic. Il n’y avait cet été-là aucune autre grande compétition sportive internationale, ni pour le football masculin ni dans d’autres sports. Dans ce contexte de « vide », nous nous sommes retrouvées trois fois en Une du journal L’Équipe. Je précise que la Coupe du monde se déroulait en Allemagne où le football féminin est un sport phare : les stades étaient pleins et nous avons joué devant 56 000 personnes. Les moyens déployés par les télévisions ont permis de mettre en valeur le jeu et la technique des joueuses, d’en faire un spectacle attractif, ce qui d’habitude était réservé aux compétitions masculines.

8Toutes ces circonstances et notre quatrième place ont fait que nous avons eu un choc à notre retour. Lorsque nous avons été reçues chez notre équipementier sur les Champs-Élysées, l’attroupement était tel qu’il a fallu une intervention du service de sécurité pour que nous puissions sortir dans de bonnes conditions…

9Nous avons ensuite été qualifiées pour les Jeux olympiques de 2012. Les médias ont continué à nous suivre et certaines joueuses, dont je fais partie, ont été dans une certaine mesure « starifiées ». C’est à cette époque que la FFF a négocié des droits de retransmission à la télévision de la 1ère division féminine. Leur montant est sans rapport avec celui du football masculin. Mais c’est le fait d’être diffusées qui est important.

10Au niveau des clubs, dans quelles régions ce sport s’est-il implanté ?

11L. P. : Le football féminin est d’abord très parisien lors de sa naissance en 1917 et dans les années 1920. À son apogée, en 1923, il y a 18 équipes parisiennes. Les joueuses font de la propagande pour les activités physiques, notamment pour la gymnastique puis les sports athlétiques, et des équipes se créent à Reims, Rouen, Lille, Toulouse, Marseille, même si la pratique reste fortement concentrée autour de Paris. Concernant la renaissance du football féminin dans les années 1960, il existe deux foyers essentiels de réapparition : l’Alsace et la région rémoise. Le stade de Reims, dont l’équipe masculine est alors dominante et très populaire, contribue à la diffusion du football féminin. Par la suite celui-ci se développe dans toute la France, quoique moins en Bretagne et en Corse.

12Le développement de ce sport chez les femmes n’a-t-il pas été freiné par des discours et des règlements différents de ceux concernant les hommes ?

13L. P. : D’emblée, le football féminin a été accueilli avec méfiance. Dans les décennies 1920-1930, les réticences et l’hostilité provenaient des milieux sportifs du football mais aussi des médecins ou encore des éducateurs. Dans les années 1960-1970, ce sont les mêmes griefs qui ressurgissent. Le football est accusé de viriliser les femmes, de les enlaidir… On a critiqué les « garçonnes » pendant la première phase et les « garçons manqués » dans la seconde.

14Dans l’entre-deux-guerres, de nombreux médecins et éducateurs prétendent que ce sport entraînerait un risque de stérilité. Dans la deuxième période, le discours s’est un peu déplacé sur la maternité, les médecins interdisant la pratique du football durant toute la durée de la grossesse.

15Les règlements sont donc adoucis et édulcorés pour les femmes, alors considérées comme faibles et fragiles. Les mêmes adaptations réglementaires se répètent d’une période à l’autre. Les matchs sont réduits à 60 minutes au lieu de 90 et le terrain est plus petit. Jusqu’en 1989, les joueuses ne pouvaient jouer qu’avec le ballon de taille « n° 4 » utilisés par les jeunes, plus petit et plus léger que le « n° 5 », utilisé par les hommes adultes. Les contacts et les « charges » sont interdits tandis qu’on permet aux joueuses de se protéger la poitrine avec les mains. Les hommes qui se sont exprimés sur le foot féminin ont accordé beaucoup d’importance à cette partie du corps féminin et sa protection. Les joueuses des années 1960 rapportent qu’on les incitait à porter des prothèses protectrices.

16Existe-t-il un lien entre la médiatisation du football féminin et sa professionnalisation ?

17G. T. : La professionnalisation concerne peu de clubs : Lyon et le Paris Saint-Germain, ainsi que Montpellier dans une moindre mesure. Le premier dirigeant de club masculin professionnel à miser sur une équipe féminine est ainsi Louis Nicollin à Montpellier, autour des années 2000. Puis, toujours bien avant la Coupe du monde 2011, le dirigeant de l’Olympique lyonnais (OL) Jean-Michel Aulas a décidé à son tour de créer une équipe féminine et d’y investir fortement, en intégrant le FC Lyon qui était jusque-là une équipe autonome.

18Cette évolution économique a soulevé des problèmes juridiques, car le championnat reste amateur et, dans la plupart des clubs, on ne peut compter que sur la prise en charge des frais de déplacement et quelques primes de matches. Pour que les joueuses puissent avoir un salaire en tant que footballeuses et que des transferts soient possibles, les instances ont étendu au foot féminin le « contrat fédéral » [3], comme il en existe dans des clubs masculins de niveau national et de CFA [4]. Lyon a alors pu proposer ces contrats à des joueuses américaines, suédoises, venues de championnats professionnels… L’OL a remporté la coupe d’Europe en 2011, attirant l’intérêt des médias, et trois mois plus tard débutait la Coupe du monde en Allemagne.

19En soi, on peut parler aussi de professionnalisation dans la manière de se préparer, avec notamment une préparation physique de haut niveau. La qualité de jeu s’en ressent.

20Le football est-il différent lorsqu’il est pratiqué par les femmes et par les hommes ?

21G. T. : Non. La seule différence est physique. D’abord parce qu’en moyenne les femmes ne sont pas aussi rapides ou puissantes que les hommes. Cette différence est aussi liée à l’évolution de notre sport : la qualité et l’intensité de la préparation physique sont encore récentes et limitées par le statut amateur. La qualité actuelle du foot féminin est liée à son histoire. Aujourd’hui, les joueuses qui arrivent au haut niveau sont formées à partir de la seconde, vers 15 ans, dans les sept Pôles espoirs féminins. Depuis 1998, date de création du premier Pôle féminin, on forme de nombreuses joueuses à la pratique du haut niveau, une vingtaine par centre.

22Le foot féminin a quarante ans de retard sur le masculin dans la structuration et la qualité d’entraînement mais, grâce à l’expérience des hommes, nous sommes en train de le rattraper rapidement. Dans les années à venir, la qualité de jeu va continuer à s’améliorer, car plus de joueuses auront bénéficié de la formation française, qui est l’une des meilleures au monde.

23Progressivement, la fédération se met en mesure d’accueillir les jeunes femmes qui recherchent cette formation de haut niveau. Aujourd’hui, pour les garçons, la préformation commence dans des Pôles dès 12 ans contre 15 ans pour les filles : ce retard-là n’est pas encore comblé. L’une des explications est que les joueuses ne sont pas suffisamment nombreuses aujourd’hui pour justifier une préformation. Entre 12 et 15 ans, elles sont donc encadrées dans les clubs, d’ailleurs de mieux en mieux.

24L. P. : Par ailleurs, il existe des sections sport-études acceptant de jeunes footballeuses. La première a été créée en 1991 et d’autres ont suivi à partir de 2000 dans le cadre du plan de développement du foot féminin lancé par la fédération.

25G. T. : Des partenariats sont également noués avec l’Union nationale du sport scolaire pour que le football féminin progresse à l’école. Être associé à la création d’une section sport-études est une solution idéale pour un club, même si c’est plus compliqué en région parisienne en raison du faible nombre d’internats. Mais c’est une formule qui a l’avantage d’offrir une formation proche du domicile familial.

26Est-il plus facile aujourd’hui pour une fille de s’inscrire au football ?

27L. P. : Il y a encore quelques années, le premier problème était le faible nombre de clubs. Cela explique notamment que de nombreuses footballeuses ont débuté ce sport assez tard, après avoir pratiqué l’athlétisme par exemple. Mais il existe une autre cause, à un niveau plus profond : des réticences, voire des interdits familiaux, font que spontanément les filles ne s’inscrivent pas au foot. Elles vont plus facilement vers le basket, l’athlétisme ou même le hand-ball. C’est probablement un peu moins vrai aujourd’hui avec la multiplication des clubs.

28G. T. : La société évolue. Les critiques contre les « garçons manqués » que vous avez évoquées, je les ai entendues moi aussi mais, de plus en plus, le foot est aussi perçu comme un sport pour les filles. Auparavant, une fille devait se battre pour pratiquer un sport, s’affirmer en accentuant peut-être des traits masculins ; à présent, n’importe quelle fille peut pratiquer sans se poser ces questions.

29L. P. : Je crois effectivement qu’il existait un besoin d’être « comme les hommes », donc de faire comme eux, de jouer du vrai football et pas un succédané. Lorsque que je jouais en club, j’ai entendu des partenaires plaisanter en disant « Tu t’es déguisée en femme aujourd’hui », à propos d’une équipière maquillée. Un jour, un journaliste avait voulu nous faire poser de manière différente pour une photo d’équipe. La réaction a été immédiate : « Nous voulons être photographiées comme les garçons », c’est-à-dire comme dans toutes les photos d’équipes : sur deux rangs, le premier accroupi devant le deuxième debout.

30G. T. : J’aurais du mal à expliquer pour quelles raisons les joueuses se présentent de manière plus féminine aujourd’hui. Peut-être est-ce une demande implicite de la société. Les équipements ont évolué en ce sens eux aussi. Par exemple, les maillots avec lesquels j’ai débuté ne ressemblaient à rien ; ils sont maintenant beaucoup plus cintrés. Aujourd’hui, il est devenu important que l’équipe de France féminine produise une belle image. Cette dimension esthétique permet aussi à des spectateurs d’accrocher à notre sport. C’est plus lié au sport en lui-même qu’au sexe des joueurs, je ne pense pas que le football féminin soit plus technique ni plus beau à regarder que le masculin. D’ailleurs, on nous complimente sur le fair-play, le fait que nous ne nous roulons pas par terre à chaque contact. Mais peut-être que là aussi nous avons quarante ans de retard. Rien ne dit que ce ne sera pas le cas dans quelques années… On peut faire la même réflexion concernant l’argent. La grande différence avec le football masculin est économique. Le comportement des footballeurs est souvent critiqué, tandis que nous autres joueuses aurions un comportement « sain » vis-à-vis de l’argent. Mais si l’on donnait 200 000 euros à des filles de 12 ans pour signer dans un club, et qu’ensuite on leur donnait 40 000 euros par mois, comment réagiraient-elles ? Si nous subissions la même pression économique médiatique et politique que les hommes, nous aurions sans doute des comportements similaires. Aujourd’hui, les comparaisons ne sont pas possibles car les situations sont incomparables.

31Dans votre pratique d’enseignante d’éducation physique et sportive, comment abordez-vous la différence entre les filles et les garçons ?

32L. P. : Je ne vois pas de différence dans l’enseignement selon le sexe des élèves. C’est le fait qu’ils soient débutants ou aient déjà une expérience qui va modifier mon enseignement. Or on donne plus facilement un ballon à un garçon, même bébé, qu’à une fille. C’est ce qui explique qu’à l’âge scolaire les différences de pratique se sont déjà creusées entre filles et garçons.

33Cela provoque aussi de l’autocensure chez beaucoup de filles, même chez celles qui savent bien jouer. Dans la cour du collège, ce sont essentiellement les garçons qui jouent au foot, avec une forte concurrence entre eux. C’est pourquoi j’ai organisé par exemple un match 100 % féminin où les élèves affrontaient les professeures, de différentes disciplines. Comme c’était le premier match du collège entre adultes et élèves, cela en a fait une attraction. Le regard de certains garçons a évolué aussi après être allés voir un match de l’OL féminin.

34Cela signifie-t-il que des actions spécifiques auprès des filles sont nécessaires pour augmenter le nombre de pratiquantes ?

35G. T. : Nous manquons encore de recul sur les évolutions récentes. Il est nécessaire de mettre en place un observatoire de la pratique, ce qui prend du temps. Aujourd’hui, avoir plus de pratiquantes passe par le développement du haut niveau et par la capacité à accueillir des jeunes en masse. Un manque reste à combler pour les filles qui préféreraient jouer avec d’autres filles. Aujourd’hui les garçons ne s’inscrivent pas pour découvrir la pratique, ils n’en ont pas besoin, mais pour la compétition. C’en est même problématique, nous essayons d’enrayer cette tendance chez les petits, c’est très regrettable que le moindre match de U9 prenne des allures de Coupe du monde…

36Le football est un sport très populaire et il doit rester éducatif. Les tout jeunes joueurs ne rêvent que de devenir footballeurs professionnels, alors que beaucoup de filles voudraient tout simplement jouer, pour s’amuser avec leurs copines et leurs copains. La difficulté pour la fédération est d’avoir une offre qui réponde à ces deux types de demande, de loisir et de compétition. Nous devons être en mesure de créer des écoles où les filles peuvent jouer avec les filles sans objectif de compétition et peut-être que des garçons viendront jouer avec elles. La fédération aide les clubs à se doter d’équipements adaptés lorsque ceux-ci manquent et, lorsqu’ils existent, à se doter d’un encadrement de qualité.

37La dérive de l’ultra-compétition chez les jeunes découle de la pression des parents mais parfois aussi de l’encadrement. La fédération travaille à faire émerger des projets de club et met fortement l’accent sur la formation des éducateurs. Cela passe aussi par une action auprès des présidents de club. Beaucoup de chantiers sont actuellement ouverts sur tous ces sujets.

38S’agit-il aussi d’éducatrices ?

39G. T. : Un important plan de féminisation est en cours depuis 2012 à tous les niveaux de la fédération. Il est conduit par la secrétaire générale de la FFF, Brigitte Henriques. L’un des axes porte sur les instances dirigeantes, un autre sur les encadrants, les éducateurs et, bien entendu, les pratiquants. La fédération est sur la bonne voie sur ce terrain, avec le soutien du ministère des Sports pour lequel c’est une priorité. Ainsi, pendant deux ans, j’ai eu en charge la promotion du football auprès d’élèves de primaire, en partenariat avec l’Union sportive de l’enseignement du premier degré (Usep) et l’Éducation nationale. L’opération s’appuyait sur l’équipe de France féminine et sur ses valeurs en s’adressant aux élèves des deux sexes. Beaucoup de classes ont participé, avec enthousiasme.

40À l’origine du projet, il y a le constat que le foot n’est plus pratiqué à l’école primaire. Pour prendre une image, les enseignants en avaient assez des lunettes cassées… Notre opération, déclinée également au collège et au lycée, consistait à associer un cycle de pratique du football à la réalisation d’une vidéo libre. Les lauréats ont passé une journée avec nous à Clairefontaine, car l’opération était orientée vers les jeux Olympiques 2012 auxquels nous participions. Le projet est renouvelé par la Direction technique nationale. Elle sera orientée chaque année vers l’événement de l’année qui suit : en 2015 l’Euro 2016 masculin, en 2016 l’Euro féminin 2017, les grands rendez-vous des femmes et des hommes étant décalés d’un an.

41Quels sont à vos yeux les défis actuels du football féminin ?

42G. T. : J’espère que dans dix ans les joueuses seront aussi bien dotées que nous aujourd’hui ; nous avons vraiment un grand confort. Mais j’espère aussi que nous conserverons la maturité actuelle, il faut rester vigilants. J’ai des sponsors mais je garde conscience du prix de chaque chose, j’ai conscience que ce sont des privilèges. Avec les joueuses de ma génération, nous avons un rôle à jouer ; nous avons vécu l’amélioration de notre situation matérielle mais nous devons transmettre aux nouvelles joueuses nos valeurs. J’ai toujours fait le choix de rester joueuse amatrice malgré des sollicitations pour devenir professionnelle, et d’avoir un autre métier. Il ne faudrait pas que les jeunes joueuses s’imaginent qu’être footballeuse, c’est automatiquement évoluer dans le confort qui est le nôtre. La réalité est différente, l’immense majorité vient jouer au football pour rien. Parmi les 200 ou 300 jeunes filles qui vont sortir des Pôles espoir, une ou deux seulement atteindront nos conditions privilégiées. Nous devons nous préoccuper des 298 autres, qui ne rêvent que de ça. Nous devons les amener au très haut niveau, tout en leur faisant comprendre qu’elles devront avoir un autre travail. Nous devons éviter qu’une jeune de 20 ans à qui on propose un contrat de 1 500 euros par mois arrête ses études du jour au lendemain. Si elle se blesse, elle n’aura plus rien. Les clubs doivent les accompagner pour qu’elles se forment, s’éduquent en tant que personnes et pas seulement comme joueuses.

43Pour transmettre ces valeurs, faut-il s’adresser également aux parents ?

44G. T. : La fédération se penche sérieusement sur la question. Concernant les petits, il y a des chartes à construire. Le Programme éducatif fédéral mis en place par la FFF en 2014 s’adresse à aux parents et aux enseignants et pas simplement aux jeunes et aux entraîneurs [5]. Le rôle des parents y est beaucoup évoqué. La Ligue du football amateur a aussi énormément travaillé sur le rôle des parents. Les enfants s’approprient souvent les rêves que les parents ont pour eux.

Notes

  • [1]
    L’USFSA est une fédération omnisports créée en 1887, régissant une vingtaine de pratiques sportives dont le football.
  • [2]
    Marinette Pichon a été joueuse de football professionnelle, sélectionnée au sein de l’équipe de France entre 1994 et 2007 (112 sélections, 81 buts).
  • [3]
    Le contrat fédéral permet la rémunération financière de footballeurs non professionnels pour les clubs de la 3e à la 6e division.
  • [4]
    Pour le football professionnel masculin, les championnats « National » et « CFA » (acronyme de Championnat de football amateur) correspondent respectivement à la 3e et la 4e division.
  • [5]
    Le Programme éducatif fédéral de la FFF est disponible à l’adresse suivante :
    http://www.fff.fr/actualites/144081-552593-lancement-du-programme-educatif-federal
Entretien avec
Laurence Prudhomme
Laurence Prudhomme, docteure en Sciences du sport, est professeure d’EPS au Collège Clément Marot à Lyon. Championne de France universitaire en 1993 et championne de France de football de Nationale 1B en 1995, elle est l’auteure de Ces dames du ballon rond. Histoire du football féminin en France au XXe siècle, thèse soutenue en 2002 et publiée chez l’Harmattan en 2003. Elle collabore à plusieurs publications sur l’histoire du sport féminin. Diplomée de l’École nationale de cirque de Montréal en 2013, elle poursuit actuellement ses recherches sur l’enseignement des arts du cirque.
Entretien avec
Gaëtane Thiney
Gaëtane Thiney est joueuse de football au sein du Football club féminin Juvisy Essonne depuis 2008. Elle est l’une des cadres de l’équipe de France, où elle est régulièrement appelée depuis 2007 (115 sélections, 51 buts). Elle évolue au poste de milieu offensif en club, mais peut aussi se placer attaquante, comme en sélection. Elle est conseillère technique nationale au sein de la Fédération française de football, où elle est en charge du développement de la pratique chez les plus jeunes (8-10 ans). Elle est consultante pour la radio et la télévision.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/06/2015
https://doi.org/10.3917/inso.187.0119
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Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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