CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les footballeurs de l’équipe de France, après la « grève des Bleus » en Afrique du Sud en 2010, ont fait l’objet d’attaques d’une rare violence de la part des faiseurs d’opinion, journalistes en tête. Si cette disqualification s’explique par l’implantation structurellement faible du football en France, elle n’en est pas moins une stigmatisation du groupe social que représenteraient les joueurs professionnels, celui des jeunes de banlieue issus de l’immigration postcoloniale.

2Dans notre ouvrage consacré à la grève des Bleus au Mondial en Afrique du Sud (Beaud et Guimard, 2011), nous avons tenté de montrer comment un regard sociologique permettait de sortir des logiques de condamnation morale et de stigmatisation des joueurs qui ont alors si fortement prévalu dans les mois suivant la « grève du bus », ce sociodrame qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Nous sommes aussi convaincu que la période allant du 20 juin 2010 (grève de Knysna) au 19 novembre 2013, jour de la victoire inespérée – et rédemptrice – de la France contre l’Ukraine lors du match retour des barrages qualificatifs au Mondial brésilien, a vu se dérouler un processus d’« hystérie collective » autour des Bleus en particulier et des footballeurs professionnels français en général. On peut dire sans emphase que, lors de ce long moment historique – plus de trois ans – de disqualification sociale des Bleus, et plus largement de la figure du footballeur professionnel français, s’est joué un nouvel épisode, majeur, d’une lutte symbolique : sur fond de profonde dépression économique et morale dans le pays, les « faiseurs d’opinion » dans le champ médiatique (éditorialistes, chroniqueurs et autres intellectuels organiques des mass media qui leur prêtent allégeance) et dans le champ politique s’en sont pris, avec une hargne et une violence peu communes – en tout cas jamais atteintes de la part des classes dominantes – aux « footballeurs grévistes ». Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre qu’à travers eux, ceux qui étaient visés étaient en réalité les jeunes des banlieues françaises d’aujourd’hui – ceux que l’on appelle, dans le langage courant, « les (jeunes) Arabes et Noirs » (antillais et enfants d’immigrés africains ici confondus). Le parallélisme avec « l’émeute de papier », analysée par Gérard Mauger (2006) concernant les émeutes de 2005 en banlieue parisienne, est à cet égard saisissant : lors de cette longue période de « Bleus Bashing », le sociologue avait devant lui une sorte de laboratoire social, et plus exactement un cas « chimiquement pur » de stigmatisation par les médias dominants d’un groupe étroit, les joueurs de foot, « trop payés » et « idiots culturels » et, par ricochet, du groupe social dont ils auraient été les représentants, celui des jeunes de banlieue.

3Ce processus de stigmatisation des Bleus mérite examen car il est à nos yeux un symptôme des maux qui « travaillent » en profondeur la société française contemporaine : ségrégation spatiale et sociale, décrochement multiforme des classes populaires, déshérence d’une fraction des jeunes de cité, crainte du déclassement, etc. Il illustre aussi de manière exemplaire comment certains essayistes réactionnaires ont pu se saisir de l’objet football pour y projeter leurs obsessions et phobies sur l’immigration ou la jeunesse qui en est issue.

4Dans cet article, nous souhaitons défendre deux idées. La première est que ces « affaires » récentes autour des Bleus exigent, pour être un peu plus intelligibles, d’être inscrites, d’une part, dans le temps long du football français et, d’autre part, dans le temps court des transformations, profondes et récentes, du football professionnel européen depuis l’arrêt Bosman [1] de 1995.

Le football français : un sport tardivement populaire

5La singularité historique du football, d’origine aristocratique (Dunning, 2010), est bien d’avoir connu très rapidement, dans des sociétés aussi différentes que l’Angleterre (berceau de ce sport), l’Allemagne ou le Brésil, des formes massives d’appropriation par les milieux populaires. C’est ainsi que la logique de distinction sociale a joué à plein dans la diffusion des sports aux XIXe et XXe siècles. Tandis que le football se diffusait du haut en bas de la société et se popularisait, les pratiquants de la première heure, appartenant aux « hautes classes », le délaissaient rapidement pour se reconvertir dans des sports plus « distinctifs » : c’est, par exemple, toute l’histoire de l’autonomisation du rugby en Angleterre et de son appropriation par les classes dominantes. En Angleterre, le football est dès la fin du XIXe siècle un sport massivement populaire. Le foot professionnel apparu très tôt (1885) est investi par les jeunes ouvriers qui y voient tout de suite un moyen d’échapper à l’usine ou à la mine. Le style de jeu, rugueux et sans fioritures (le fameux « kick and rush »), correspond aux valeurs viriles de la classe ouvrière anglaise qui, aujourd’hui, continue dans les stades à applaudir un beau geste défensif.

6Le football français n’a pas pu, lui, s’appuyer sur une classe ouvrière puissante et urbanisée comme en Angleterre et en Allemagne (Beaud et Noiriel, 1990). En outre, comme sport populaire, il a longtemps été concurrencé par le cyclisme (le Tour de France a été créé en 1904) et la boxe. Il naît plus tard (1932), et doit en partie sa mise en place à de grandes entreprises privées, comme Peugeot à Sochaux ou Casino à Saint-Étienne. Consolidé dans les régions ouvrières, il a pu être utilisé comme contre-feu aux luttes et revendications ouvrières après la Seconde Guerre mondiale (comme dans le cas de Houillères du bassin minier de Lens (Fontaine, 2010). On comprend alors que le mouvement ouvrier organisé en a, en parallèle, constitué un sport « travailliste » (Ksiss, 2002). Ainsi, le football en France, du fait des modalités particulières de la formation de la classe ouvrière, n’a pas été constitutif d’une culture ouvrière.

7Cette lente acclimatation du football dans notre pays a eu des conséquences structurelles qui le distinguent des autres grands pays européens : moindre puissance économique des clubs professionnels, taille plus petite des stades et faible assistance moyenne aux matchs, nombre restreint d’« abonnés » (comme les socios en Espagne), maintien tardif de clubs pros dans des petites villes (comme Auxerre), quasi-inexistence de derbys dans les grandes villes, lesquels pimentent l’actualité du foot (il existe un seul club pro à Paris, PSG, contre six à Londres, deux à Manchester, Liverpool, Milan, Turin, Rome, Madrid, Barcelone…), etc. Ces faiblesses structurelles du football français ont été un temps masquées par la réussite de la politique de formation mise en place dans les années 1970. Celle-ci a permis la création de centres de formation, d’abord sous l’égide de la Direction technique nationale de la FFF (Institut national de football : INF Vichy, INF Clairefontaine), ensuite dans les clubs professionnels de première division. La réussite de la formation à la française dans les années 1980 a eu, à moyen terme, des effets en termes sportifs à travers l’élévation du rang moyen du championnat de football français : le cinquième en Europe (derrière l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, pays solidement installés en tête du classement) si l’on considère les performances des équipes en Ligue des Champions [2].

L’absence de « culture de football » et la sourde hostilité des intellectuels

8En Angleterre, comme l’a écrit l’historien britannique Eric Hobsbawm, le football a aidé à « métamorphoser la culture ouvrière en une culture nationale ». En France, cela n’a pas été le cas ; la matrice politique s’est révélée davantage décisive dans le processus de développement du football, en raison notamment de la relative déficience identificatrice des clubs professionnels. Conséquence : la mémoire du football français reste à construire [3]. Il n’est donc pas faux de considérer qu’il n’existe pas en France de véritable culture de football, à la différence d’autres pays européens ou du Brésil. Dans ce dernier pays, le football est constitué, de longue date, comme un objet ayant une dignité intellectuelle à part entière, donnant régulièrement lieu à des débats dans le milieu des sciences sociales. Roberto da Matta, célèbre anthropologue brésilien, dans ses « Notes sur le futebol » (Le Débat, 1982), avait bien mis en évidence cette place centrale du football dans la culture brésilienne : « Loin en effet de voir le futebol comme une activité qui contraste avec les activités et les intérêts de la société globale, je crois indispensable de montrer comment le futebol pratiqué, vécu, discuté, théorisé est une des manières qu’a la société brésilienne de se comprendre elle-même et de se laisser comprendre ». Le cas brésilien fait apparaître de manière frappante la différence avec la société française dont les principes de légitimité culturelle sont fixés, enracinés et institutionnalisés (dans l’école notamment) depuis des siècles. Parmi nos gloires intellectuelles et littéraires, seul le gardien de foot que fut Albert Camus dans sa jeunesse algéroise peut être appelé à la rescousse pour contrer l’absence historique de ce sport chez les intellectuels, à la différence du cyclisme (Antoine Blondin) ou du rugby (Jean Lacouture). Mais il est frappant que Camus, ce féru de ballon rond, jusqu’au bout fervent supporter du Racing de Paris (Lenzini, 2013), n’ait jamais véritablement écrit sur sa passion sportive.

9Jusqu’en 1998 et la victoire des Bleus au Mondial en France, qui a constitué une véritable rupture historique en la matière, on peut même dire, sans grand risque d’erreur, que le football était perçu par la plupart des lettrés et autres détenteurs de capital culturel (enseignants, artistes, cadres supérieurs du public, journalistes) comme fondamentalement illégitime : comme pratique et, plus encore, comme objet d’étude [4]. Pour les fractions intellectuelles des classes moyennes et supérieures, mais aussi pour les générations déjà socialement et politiquement construites avant 1998, l’hostilité vis-à-vis du « foot » était forte ; elle le reste aujourd’hui. Elle peut même aller jusqu’à la détestation (hautement proclamée) et laisser cours à des manifestations débridées d’ethnocentrisme de classe. D’où une question légitime : pourquoi les mécanismes classiques d’autocensure d’expression publique ne se mettent-ils pas en marche dès qu’on parle de ce sport ? Pourquoi se permet-on de « se lâcher » si facilement dès qu’on écrit sur ce sujet ? Pour une raison simple, selon nous : le rapport au football engage tout un rapport à la culture mais aussi au « populaire ». Parler du football, c’est toujours, d’une manière ou d’une autre, avoir à l’horizon – ou en ligne de mire – les classes populaires et devoir se situer dans l’espace des sports (lui-même éminemment connotant socialement). Car, comme le rappellent Charles Suaud et Jean-Michel Faure, dont les analyses sociologiques ont été pionnières en la matière, « parler de foot professionnel national exige que l’on sache la place occupée par ce sport dans le système des sports de chaque pays, qui se mesure à la composition sociale de ses pratiquants, au degré d’intérêt qui lui est socialement porté comme spectacle et à la manière selon laquelle il se trouve chargé de valeurs sportives, mais aussi identitaires, politiques ou même religieuses » (Faure et Suaud, 1994).

10Il faut toutefois convenir qu’il y a bien eu en France, dans l’histoire des rapports entre football et « intellectuels » (au sens large du terme, qui comprend non seulement les universitaires mais aussi les journalistes et autres faiseurs d’opinion), un « avant » et un « après » Coupe du monde de 1998. Avec la victoire des Bleus, on a vu apparaître une génération de diplômés, notamment passés par l’université ou les grandes écoles (écoles de commerce et d’ingénieurs, instituts d’études politiques…) qui ne vivent plus leur intérêt pour le foot comme une passion honteuse, à cacher de leurs camarades de promotion.

Jeunes footballeurs de cité et journalistes : conflit professionnel et rapport de classes

11Lors de la période allant de la grève du bus à la victoire de la France contre l’Ukraine, les Bleus n’ont cessé d’être l’objet d’articles de presse ou de reportages télévisés « à charge ». Ils semblaient cumuler une série de tares sociales rédhibitoires : peu diplômés pour la plupart, souvent maladroits ou mal à l’aise dans leur expression orale, adeptes d’un mode de vie tapageur (voitures de course, montres et vêtements de marque, etc.), signant là leur forfait de parfaits « nouveaux riches ». Sans compter qu’ils perçoivent des salaires de PDG de Cac 40 ou de traders de la City. Mais on ne comprend pas cette fixation négative sur les Bleus et les footballeurs professionnels si on fait l’économie de l’analyse des rapports professionnels entre joueurs et journalistes de football.

12Le comportement des Bleus durant la partie sombre de l’ère Domenech (2006-2010) pouvait effectivement heurter, voire choquer, les journalistes de football. Ceux-ci pouvaient fréquemment leur reprocher d’arriver en retard au rendez-vous (ou de les « oublier »), de répondre de manière laconique ou ironique aux journalistes, de se montrer même parfois à la limite de la politesse, etc. Ce comportement des joueurs à l’égard des journalistes illustrait à sa manière ce que les experts du football ont coutume d’appeler la République des joueurs, à savoir l’inversion du rapport salarial entre joueurs et clubs ou staff des Bleus. Cette forme de prise de pouvoir des joueurs a suscité de manière structurelle l’ire des commentateurs autorisés qui y ont vu bien souvent une aberration, une inversion insensée de l’ordre social. De quel droit les plus « durs » parmi les joueurs – avec leurs études écourtées ou avortées, leur faible niveau de langage, leur « accent de cité », etc. – se permettaient-ils de tenir tête à des journalistes vedettes ? Comment pouvaient-ils oser braver cet interdit ? D’ailleurs, les altercations entre joueurs et journalistes sont fréquemment relatées par ces derniers et peuvent faire la « une » de l’actualité sportive plusieurs jours durant.

13Du côté des joueurs, une des principales raisons qui sous-tendent cette animosité est à chercher dans leur sentiment, rarement exprimé en tant que tel (car non dicible ouvertement), d’être méprisés par les journalistes. De fait, les plus médiatiques d’entre ceux-ci, profitant de leur forte exposition, n’hésitent pas à moquer ouvertement les manières fautives de parler des footballeurs ou leurs manières limitées d’argumenter et ne se privent pas d’émettre, dans leurs commentaires en direct, des jugements sociaux sur leurs personnes.

14On peut ainsi analyser les prises de parole de certains joueurs contre les journalistes comme l’expression d’une rébellion sociale contre le mépris de classe dont eux et leurs collègues de travail se sentaient victimes de la part de certains journalistes, une manière de dire stop au Bleus Bashing si en vogue un moment dans certaines salles de rédaction. Une manière de protester contre cette manière récurrente d’être considérés comme sous-éduqués ou sous-développés intellectuellement. De fait, avec la montée en puissance du foot-business et l’envolée des montants des transfert et des salaires des joueurs, l’idée s’est imposée dans le milieu journalistique et dans l’opinion publique que les footballeurs étaient des sportifs de haut niveau « à faible QI », à l’opposé par exemple de ces sportifs vertueux que sont les nageurs, les handballeurs ou les athlètes. Récemment, à l’occasion de l’éclosion d’un jeune talent (Allan Saint-Maximin, 17 ans) de l’équipe de SaintÉtienne, un portrait intéressant du journal L’Équipe lui était consacré [5]. On y apprend qu’il est né à Châtenay-Malabry, le deuxième d’une famille de trois enfants, que son père est guyanais (chauffeur dans l’administration) et sa mère guadeloupéenne (directrice d’école à Meudon). Sa mère s’est sentie obligée de préciser au journaliste que son fils est « doté d’un QI de 145 », comme pour prévenir tout amalgame avec la figure du joueur de cité réputé « écervelé ».

15Cette image sociale sans cesse ressassée reste fort prégnante dans l’opinion publique (il suffit de lire les nombreux commentaires des lecteurs à propos des articles de la presse quotidienne en ligne sur les footballeurs) mais aussi chez les journalistes. En témoigne encore cette scène qui se déroule le samedi 23 novembre 2013 sur les écrans de la chaîne TNT L’Equipe 21, juste après la victoire de la France contre l’Ukraine. Une jeune journaliste de cette chaîne interroge Philippe Tournon (« chef de presse » des Bleus) sur les ressorts de cette victoire inespérée et en vient vite à le questionner sur le fameux « comportement » de ces joueurs. L’invité, qui connaît bien la psychologie de ces joueurs pour les côtoyer au plus près depuis des années, cherche à relativiser et à dédramatiser. La journaliste, fort peu satisfaite de cette réponse totalement à contre-courant de ce qui se dit sur les Bleus depuis Knysna, se veut impertinente et ose la question suivante : « Ils sont quand même un peu “têtes à claques”, non ? », laissant alors pantois son interlocuteur.

16* * *

17Cette condamnation morale et symbolique des joueurs était un « beau symptôme », pourrait-on dire, qui nécessite, pour en comprendre la signification, d’aller voir du côté de la « psychanalyse sociale ». Quel en était le motif caché ? Pourquoi les médias et les commentateurs s’en sont-ils pris de manière obsessionnelle, après Knysna, aux joueurs français les plus « discréditables » – par leur couleur de peau, leur religion, leurs stigmates de classe (dont en premier lieu le langage), leur origine « de cité » (à ce titre, un livre entier serait à écrire sur le cas de Franck Ribéry, cible facile et privilégiée de tous les humoristes de l’Hexagone) ? Le fond de l’affaire renvoie, nous semble-t-il, à une profonde transformation du rapport de ces intermédiaires culturels que sont les journalistes aux jeunes de milieu populaire que sont majoritairement les footballeurs aujourd’hui. On pourrait dire que les formes d’autocensure pour parler des « enfants du peuple » ont vacillé après les émeutes de 2005 – moment historique où les jeunes de cité sont devenus les nouvelles classes dangereuses, où Nicolas Sarkozy a officialisé le terme de « racailles » pour les désigner – et ont en quelque sorte cédé après Knysna. Bien des commentateurs du football se sont ensuite sentis autorisés à prononcer, à propos des joueurs, de véritables « jugements de classe », en toute impunité, sans que personne ne vienne leur chercher querelle ni les contester.

18Au fond, la question posée en filigrane dans ces jugements sociaux sur les Bleus était aussi celle de leur légitimité à porter le maillot national et à représenter le pays. Le soupçon qui a été sans cesse instillé était celui de leur non-appartenance au « Nous » national et, plus largement, celui de l’illégitimité des jeunes issus de l’immigration postcoloniale à prendre leur place dans la société française contemporaine. Sur ce plan, les polémiques soulevées par la binationalité d’un nombre croissant de jeunes internationaux n’ont fait que renforcer, paradoxalement, les injonctions pesant sur eux à se définir « français » le plus vite possible [6]. Enfin, ajoutons que, durant ce qui n’aura peut-être été qu’une parenthèse historique (2010-2013), ce procès instruit – uniquement à charge – contre les joueurs l’a été sans aucune mise en perspective ni questionnement du système (économique, social, culturel et surtout médiatique) dans lequel prenaient sens ces fameux « comportements ». Or c’est la fonction même des sciences sociales que de donner du sens à ce qui se passe sous l’écume des choses.

Notes

  • [1]
    Jean-Marc Bosman est un joueur belge qui a contesté en justice, en 1990, le système de transferts en vigueur en Europe, notamment l’existence de quotas. Chaque équipe de club n’avait droit sur la feuille de match qu’à un certain quota de joueurs étrangers (en France, c’était trois). L’arrêt de la Cour de justice européenne (1995) a supprimé cette mesure protectionniste longtemps en vigueur dans les championnats européens. Désormais, il peut y avoir 100 % de joueurs étrangers dans une équipe de club européen. Le marché du travail est « libre ».
  • [2]
    Les experts de la chose footballistique rappellent à juste titre que, juste avant l’arrêt Bosman de 1995, le football français de club s’était hissé, grâce à de bons résultats dans les matchs de coupe d’Europe, à la deuxième place européenne. La libéralisation du marché du travail des footballeurs a eu pour effet de pénaliser durement le football de club français, faute de pouvoir s’appuyer sur de grands clubs à forte structure économique et à potentiel capitalistique.
  • [3]
    Il n’est pas anodin que dans les Lieux de mémoire, la grande œuvre dirigée par Pierre Nora (1992), aucun article ne soit consacré au football alors qu’il en existe un sur le « Tour de France ».
  • [4]
    Cette prévention à l’égard du football identifié comme un sport populaire (« le plus populaire des sports populaires ») traverse les clivages politiques et reste très forte à gauche, les groupes proches des différents pôles de la gauche militante tendant à avoir une vision critique des sports professionnels. Ce n’est pas un hasard si la revue Mouvements a donné à un récent numéro sur le sujet le titre suivant : « Peut-on aimer le football ? », n° 78, été 2014).
  • [5]
    L’Équipe, 2 octobre 2014.
  • [6]
    Pour les enfants nés de parents de nationalités différentes européennes, la binationalité est à l’inverse largement valorisée et présentée comme une richesse.
Français

De la grève des joueurs de l’équipe de France de football en Afrique du Sud (le 20 juin 2010 à Knysna) au match retour des Bleus contre l’Ukraine (le 19 novembre 2013), les footballeurs tricolores, et plus largement l’ensemble des footballeurs professionnels, ont été l’objet, en France, d’une condamnation morale aussi constante que virulente. Comment en rendre compte ? D’une part, en étudiant sur la longue durée la spécificité du football dans l’espace des sports français et, d’autre part, en analysant la nature des rapports professionnels. Ces « rapports de classe » ont opposé au cours de cette période des footballeurs, élevés dans les banlieues paupérisées de la France des années 1990/2000, et des journalistes sportifs de plus en plus diplômés, mais subissant aussi la concurrence croissante dans la presse contemporaine.

Bibliographie

  • Beaud S. et Guimard P., 2011, Traîtres à la nation ? Un autre regard sur la grève des Bleus en Afrique du Sud, Paris, La Découverte.
  • En ligneBeaud S. et Noiriel G., 1990, « L’immigration dans le football », Vingtième siècle, n° 26, p. 83-96.
  • En ligneDunning E., 2010, « Approche figurationnelle du sport moderne. Réflexions sur le football, la violence et la civilisation », Vingtième siècle, n° 106, p. 177-191.
  • En ligneFaure J.-M. et Suaud C., 1994, « Les enjeux du football », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 103, p. 3-6.
  • Fontaine M., 2010, Le Racing Club de Lens et les « Gueules noires », essai d’histoire sociale, Paris, éd. Les Indes savantes.
  • Ksiss N., 2002, « Le mouvement ouvrier balle au pied, culture populaire et propagande politique : l’exemple du football travailliste en région parisienne (1908-1940) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 88, en ligne : http://chrhc.revues.org/1592
  • Lenzini J., 2013, Les derniers jours de la vie d’Albert Camus, Babel-Actes Sud.
  • Mauger G., 2006, Les émeutes de 2005. Une révolte protopolitique, Belle-combe-en-Bauges, éd. Le Croquant.
  • Nora P., 1992, Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, trois tomes, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », tome 3, « Les France. »
Stéphane Beaud
Sociologue
Professeur de science politique à l’université de Paris Ouest Nanterre et responsable de l’équipe Enquêtes terrains théories du centre Maurice Halbwachs. Après avoir effectué, avec Michel Pialoux, un long travail ethnographique sur le monde ouvrier, il travaille depuis plusieurs années sur les transformations du football professionnel français.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/06/2015
https://doi.org/10.3917/inso.187.0110
Pour citer cet article
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