1Il existe deux manières de mesurer le niveau de pratique sportive. On peut partir des définitions institutionnelles du sport, selon lesquelles les seuls sportifs seraient les licenciés appartenant à un club. À ce titre, la population sportive s’élèverait aujourd’hui à environ 15 à 16 millions de personnes pour une population générale de près de 66 millions. Ou alors, on essaie, comme on le fait depuis les années 1970, de compter, en plus des licenciés, le nombre d’individus qui jouent régulièrement au football, courent les bois et les parcs, s’exténuent physiquement dans les salles de fitness, parcourent les sentiers de grande randonnée ou utilisent le vélo pour aller travailler, montent volontairement à pied les escaliers…, sans être licenciés dans une fédération quelconque et donc sans participer à des compétitions. Les enquêtes réalisées par l’Institut national des sports et de l’éducation physique (Insep) depuis 1985 ont pris ce parti [1].
Données générales
2Selon l’enquête 2010 (Lefèvre et Thiery, 2010), 47 millions de Français âgés de 15 à 75 ans déclarent avoir pratiqué une activité physique ou sportive (APS) au moins une fois au cours des douze derniers mois, soit 89 % de la population interrogée. L’augmentation est de 16 points par rapport à 1985. C’est bien la confirmation de la massification de la pratique des activités physiques et sportives. Ces dernières sont cependant accomplies de façon plus ou moins régulière, plus ou moins intense et plus ou moins assurée. La pratique peut être représentée par une pyramide avec, au sommet, les quelque 10 000 à 12 000 sportifs à temps plein, qu’ils soient des professionnels ou des athlètes soutenus par des fonds publics ; puis viennent 6 millions de compétiteurs et les 14 à 16 millions de personnes inscrites dans un club ou une association ; ils représentent une partie des 22 millions qui déclarent faire une activité plus d’une fois par semaine ; les 25 millions restants se répartissent entre ceux qui déclarent pratiquer une fois par semaine, uniquement pendant les vacances ou moins d’une fois par semaine. Ces différences dans l’intensité d’engagement traversent tous les sports : ainsi, 600 000 coureurs ou jog geurs, sur la dizaine de millions qui déclarent pratiquer cette activité, le font plus de trois fois par semaine [2].
Types d’activités pratiquées et motivations
3Les réponses à la question « Quelle(s) activité(s) avez-vous pratiquée(s) ? » amènent à constater une certaine diversification en la matière : plus de 200 dénominations ont été citées par les personnes interrogées, allant des différents jeux de boules jusqu’aux sports de glisse en passant par les sports collectifs ou les différentes manières de marcher (de la balade « hygiénique » au trekking).
4Les activités les plus populaires sont, dans l’ordre décroissant : les marches, la natation, le vélo, avec chacune plus de 17 millions de pratiquants, suivies par les différentes formes de course à pied, les jeux de boules, les différentes gymnastiques et les sports d’hiver. Dans ce classement, la première activité répondant à une partie des critères qui définissent le sport est le football, avec plus de 5 millions de pratiquants déclarés (dont près de 2 millions de licenciés), et la deuxième le tennis, avec 4 millions d’adeptes (pour un peu plus d’un million de licenciés).
5Chacun des sports ou familles de sports cités se décline selon les différentes modalités de la pratique : la gymnastique, sportive et compétitive, se distingue des différentes formes de gymnastique d’entretien ; en ce qui concerne les marches, effectuer du trekking dans le Hoggar n’est pas assimilable à une balade le dimanche en famille. Les profils des pratiquants sont eux aussi différents : les adeptes du trekking sont des adultes jeunes, dotés de diplômes et de revenus relativement élevés tandis que la balade concerne des tranches d’âge plus élevées appartenant aux catégories populaires.
6Deux objectifs dominent l’entrée dans la pratique sportive, selon les répondants. L’un est la recherche du bien-être et d’un équilibre personnel, l’autre l’affirmation de la sociabilité, notamment celle des liens familiaux ou amicaux. Le sport est ainsi une pratique sociale dont le cadre varie : la famille (sports d’hiver), la sociabilité juvénile (football ou VTT) ou féminine (gymnastiques). Ces attentes se situent loin devant la recherche de la performance ou de la compétition et encore plus devant celle du risque.
Les cadres de la pratique sportive
7Ces données traduisent la perte du monopole des fédérations sportives sur les nouvelles modalités de pratique. Si le nombre de licences délivrées par les fédérations a bien augmenté entre 1950 et 2012, passant en soixante ans de 2 à 16 millions, le nombre global de pratiquants augmentait plus vite que celui des licenciés. On considérait en 1985 qu’un pratiquant sur deux avait une pratique non institutionnalisée ; aujourd’hui, ce rapport serait plus proche de trois sur quatre.
8Les lieux de pratique déclarés illustrent cette distance à l’institution sportive. Plus de la moitié des activités sont en effet effectuées dans un cadre naturel ou dans des espaces aménagés en plein air, comme les parcs ou les parcours de santé, contre un quart dans des installations spécialisées. Les sports les plus populaires n’impliquant pas de formation technique particulière, sauf pour la minorité de compétiteurs, ils ne nécessitent pas l’appartenance à un club alors que c’est le cas de l’équitation, du judo ou du rugby. Toutefois, les gymnastiques ou la danse sont pratiquées au sein d’une association par près de 80 % de leurs adeptes, proches ainsi des pourcentages des pratiquant-e-s d’arts martiaux ou des rugby(wo)men.
9Chez les plus de 45 ans, la progression de l’activité a été soutenue par le souci de santé et de bien-être et la sociabilité familiale ou amicale. Les attentes de ces nouvelles populations physiquement actives n’ont pas trouvé leur place dans les structures fédérales qui demeurent orientées vers la pratique compétitive.
Un accès au sport socialement réparti
10Les facteurs explicatifs de la croissance de la pratique sportive sont bien connus : réduction du temps de travail et augmentation du pouvoir d’achat, allongement de la scolarité, politiques publiques d’équipement ou encore innovations technologiques.
11Mais si la démocratisation des activités physiques et sportives est incontestable, elle ne doit pas pour autant faire oublier les inégalités qui subsistent en la matière. Ainsi, l’écart de participation entre hommes et femmes s’est réduit depuis 1985 avec des taux passant respectivement de 71 % et 77 % à l’intérieur de chacun de ces deux groupes à 87 % et 91 %. Mais il subsiste des domaines masculins (football, rugby) et des activités majoritairement féminines (gymnastiques, danse). De plus, les jeunes filles des milieux populaires quittent précocement l’activité sportive, dès quatorze ans le plus souvent. Si ce décrochage est à mettre en lien avec l’entrée de certaines dans des filières scolaires courtes, ses conséquences sur la pratique sportive sont plus importantes pour elles que pour leurs homologues masculins. De façon générale, une implication plus forte dans la vie domestique de leur famille, la préparation à l’entrée dans le monde du travail ainsi que les représentations sociales ou culturelles de ce qui leur convient sont les obstacles à la pratique sportive des jeunes filles. Celles-ci donnent ainsi à voir une autre figure du groupe des non-pratiquant-e-s, où les femmes urbaines ou suburbaines des milieux populaires rejoignent les populations les plus âgées parmi les ruraux. Tous les groupes sociaux marchent, nagent ou pédalent, mais d’une manière et avec une intensité différentes selon le sexe, l’âge, le niveau d’étude ou le revenu. Le diplôme et le revenu, autrement dit le statut socio-économique, font varier en taille et en variété l’éventail d’activités des individus. Certaines restent des marqueurs sociaux forts en étant liées à l’âge – le handball, le judo, les sports de glisse ou la danse sont des sports de jeunes – ou au statut socio-économique – la voile, le golf, les sports d’hiver, le tennis et la marche sportive, comme la randonnée en montagne ou le trekking, apparaissent en haut du palmarès des groupes qui affichent les revenus les plus élevés ou le plus haut niveau de diplôme, car ils impliquent du matériel, un droit d’entrée élevé dans un club et la possibilité de partir ou de profiter de ses vacances.
12Ce n’est pas l’existence d’autres centres d’intérêt qui empêche de pratiquer davantage mais plutôt l’absence des moyens économiques ou culturels nécessaires. Faire du sport n’empêche pas de lire, d’aller au cinéma ou de sortir. Pourtant, l’absence de pratique sportive va souvent de pair avec une faible fréquentation des livres, des cinémas et des sorties de façon générale ainsi qu’une plus grande consommation de spectacles télévisuels (Ministère des Sports, 2002, 2005) [3].
13Si l’intégration signifie pour un individu qu’il peut circuler entre différents univers sociaux, et si l’on considère que le sport participe à la dynamique d’intégration, force est de constater que l’épaisseur du portefeuille d’activités favorisera ou non la multiplication des expériences nécessaires à une intégration réussie. Ainsi, au concept du sport comme moyen d’intégration vient s’opposer la proposition inverse : il faut être intégré pour faire du sport, c’est-à-dire posséder plusieurs attributs sociaux tels qu’un revenu régulier (et un emploi en CDI plutôt qu’à temps partiel), la fréquentation la plus longue possible du système scolaire, le fait d’avoir des parents qui font du sport et, pour les jeunes filles, une mère sportive.
Une croissance en panne ?
14On peut penser, si l’on fait abstraction de ceux qui ne pratiquent pas du tout, qu’on a atteint pour une majorité une limite ou un équilibre de l’activité physique et sportive. Parmi ceux qui pratiquent une activité, 56 % ne souhaitent pas en faire davantage. Cette donnée issue de l’enquête 2000 nécessiterait d’être revue à la lumière des évolutions économiques de la dernière décennie, même si les activités les plus populaires sont aussi les moins coûteuses.
15Deux constats peuvent être faits qui illustrent le changement de statut des activités physiques et sportives dans la société. L’un peut être vu comme positif, c’est l’allongement de la durée de vie sportive ; l’autre comme négatif : on note un éventuel déclin de la pratique physique et sportive chez les jeunes.
16La pratique sportive demeure certes toujours associée à la jeunesse et au statut d’élève ou d’étudiant. Parmi les 15-29 ans, 94 % ont pratiqué une activité physique ou sportive, 55 % des licencié-e-s des fédérations ont moins de 20 ans et la moitié des participant-e-s à des compétitions a entre 15 et 30 ans. Toutefois leur part n’a pas changé depuis quinze ans. La croissance de la pratique sportive entre 1985 et 2010 est due à l’allongement de la période de pratique. Les personnes âgées de plus de 50 ans participaient à 59 % en 1985 ; c’est maintenant 84 % de ces tranches d’âge qui déclarent pratiquer une APS. Ce constat d’une augmentation de la pratique grâce à son allongement dans le temps de la vie est d’autant plus troublant qu’une enquête menée en 2002 (Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, 2004) auprès des jeunes de 12 à 17 ans évalue à 69 % le taux de pratiquants parmi eux [4]. Relevons aussi que les différentes fédérations constatent un important turn-over parmi leurs jeunes adhérents et que se pose la question de la concurrence entre le sport et d’autres formes de loisir, les études et la sociabilité avec ses pairs. La concurrence des jeux vidéo n’est pas seulement une tarte à la crème médiatique : ceux-ci également reposent sur la convivialité, supposent, pour y faire bonne figure, un entraînement sérieux et comportent une dimension compétitive.
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18Si la démocratisation du sport est incontestable, les obstacles socio-économiques à la participation aux activités physiques et sportives restent forts : plus le diplôme et les revenus sont élevés, plus la pratique est forte. De même, la différence entre hommes et femmes est constante, amplifiée par les facteurs de revenus. L’existence de poches d’absence de pratiques interroge d’autant plus que les forces qui avaient porté la croissance de la pratique (investissement public et stabilité de l’emploi) sont en crise.
Note
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[1]
Cet article est une synthèse des résultats des enquêtes réalisées par le ministère des Sports et de l’Insep depuis 1985, la plus récente datant de 2010. L’objectif était de donner une idée la plus complète possible de la palette des activités physiques et sportives qui pouvaient être pratiquées dans la société française. On pourra compléter par les publications de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (Inpes).
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[2]
Ces estimations peuvent être mises en rapport avec les enquêtes de l’Inpes qui estiment qu’en France, à peine la moitié des personnes ont une activité physique entraînant des bénéfices pour la santé.
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[3]
Ces remarques rejoignent les constats faits à propos des pratiques culturelles. Voir Philippe Coulangeon, Pierre-Michel Menger et Ionela Roharik, « Les Loisirs des actifs : un reflet de la stratification sociale », Économie et Statistique, n° 352-353, 2002.
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[4]
La méthodologie utilisée dans l’enquête peut expliquer cet écart.