CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le vieillissement rapide de sa population pose à la Chine un défi majeur tout à fait inédit. D’autres transformations importantes, démographiques, économiques et sociales, mettent à mal le modèle traditionnel de prise en charge des parents vieillissants par leurs enfants, alors que le pays n’a pas encore mis en place un système public de prise en charge des personnes âgées à proprement parler.

2En Chine, la prise en charge des aînés incombe traditionnellement à leurs enfants, en vertu de la très forte valeur accordée à la piété filiale. Ce modèle séculaire est aujourd’hui fragilisé par un certain nombre de mutations démographiques, économiques et sociétales, telles que la part croissante des familles d’enfants uniques, l’importance des migrations internes et les aspirations des nouvelles générations à une plus grande autonomie. Dans le même temps, le vieillissement particulièrement rapide de la population chinoise accroît le besoin de définir de nouveaux modes de prise en charge des aînés. Les réponses actuelles des pouvoirs publics au défi du vieillissement, comme les systèmes de retraite et les dispositifs de soutien aux personnes âgées dépendantes, sont encore très insuffisantes malgré certaines évolutions récentes.

La société chinoise face au phénomène du vieillissement

Un vieillissement de la population très rapide

3La Chine a connu en quarante ans une transition démographique particulièrement rapide, encore accélérée depuis les années 1990, marquée par la baisse de la mortalité et de la fécondité. En comparaison, ce phénomène s’est étalé sur plus de cent ans au Royaume-Uni, aux États-Unis ou dans les pays nordiques [1]. La baisse du taux de mortalité s’est amorcée dès le début des années 1960 pour atteindre un niveau durablement inférieur à 10 pour mille tandis que la fin de cette décennie marquait le début de la baisse de la fécondité associée à la politique de contrôle des naissances. La chute de la fécondité est particulièrement spectaculaire entre 1970 et 1979 et se poursuit ensuite avec la politique dite de l’enfant unique. Au début des années 1990, le niveau atteint est tel qu’il place la Chine sous le seuil du renouvellement des générations. En 2008, le niveau de fécondité est de 1,4 ou 1,5 enfant par femme. Pour autant, si la situation de la Chine paraissait exceptionnelle en 1979 au regard de son niveau de PIB par habitant, ce n’est plus le cas en 2005 (Collombet, 2014) : elle apparaît alors comparable aux pays asiatiques à revenus également intermédiaire, tant en matière de fécondité que d’espérance de vie à la naissance (Nations unies, 2011). En moyenne, celle-ci a en effet progressé de quatorze ans entre 1970 et 2010, pour atteindre 72,9 ans pour les hommes et 79 ans pour les femmes (Gonghuan Yang et al., 2013).

4Ainsi, depuis 2000, la Chine est considérée comme une société dite vieillissante, c’est-à-dire caractérisée par une part de personnes âgées de plus de 60 ans supérieure à 10 %. En 2013, les plus de 60 ans constituent ainsi 14,9 % de la population. Ils devraient représenter 25 % en 2030 et 33 % en 2050 (Cai et al., 2012), ce qui dès 2030 placerait la Chine au niveau de la moyenne de l’OCDE. Les plus de 80 ans, quant à eux, devraient voir leur nombre quintupler entre 2010 et 2050 en passant de 18 millions à 98 millions (Feng et al., 2012).

5Ce vieillissement s’accompagne d’une transition épidémiologique caractérisée par une forte augmentation de la prévalence des maladies chroniques, en particulier chez les personnes âgées, faisant évoluer considérablement les besoins de prise en charge en santé dans un temps court. Plus généralement, en 2013, près d’un tiers des personnes âgées estiment avoir une santé dégradée (Charls Research Team, 2013) : près de 4 sur 10 déclarent éprouver une difficulté pour mener seules les activités quotidiennes de base et 1 sur 4 avoir besoin d’une aide pour ces activités quotidiennes ; enfin, un tiers disent souffrir d’une douleur physique. Les problèmes de santé mentale sont également fortement présents : près de 40 % des personnes âgées (soit 74 millions) présenteraient de nombreux symptômes de dépression, tandis que les maladies cognitives gagnent en importance. De façon générale, les femmes âgées sont en plus mauvaise santé que les hommes âgés.

6Alors même que le nombre de personnes âgées augmente considérablement, les générations suivantes qui assureront leur prise en charge sont moins nombreuses. L’âge médian progresse fortement : passé de 24 ans en 1950 à 35 en 2010, il devrait atteindre près de 45 ans en 2050. Le ratio de dépendance (rapport entre le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans et celui des personnes âgées de 20 à 64 ans) devrait ainsi tripler entre 2010 et 2050, passant de 13 % à 45 % (Feng et al., 2012).

Un vieillissement particulièrement marqué dans les zones rurales

7La question du vieillissement est d’autant plus complexe que le processus est loin d’être homogène. Entre 2008 et 2030, la proportion de plus de 65 ans devrait passer de 9,35 % à 21,84 % dans les campagnes contre 6,94 % à 14,75 % dans les villes, soit un triplement de l’écart entre campagnes et villes. Il en sera de même pour les ratios de dépendance qui vont passer de 13,5 % à 34,4 % dans les campagnes et de 9 % à 21,1 %, dans les villes (Cai, 2012).

8Ces évolutions contrastées s’expliquent essentiellement par les migrations massives de ruraux vers les zones urbaines, pour des raisons économiques (voir l’article de Dumont G.-F.). Longtemps réglementé, l’exode rural a explosé dans les années 2000, pour atteindre le nombre de 145 millions d’émigrés ruraux en 2008 (Demurger, 2010). Près de la moitié de la population chinoise vit désormais en ville. Or, ces migrations accélèrent considérablement le vieillissement des zones rurales puisqu’elles concernent essentiellement de jeunes actifs : en 2007, 90 % de ces migrants ont moins de 45 ans et 37 % moins de 26 ans (Demurger, 2010).

Vieillissement rime souvent avec pauvreté

9Au niveau individuel, le grand âge est marqué par diverses inégalités. Les inégalités de santé sont relativement importantes et très défavorables aux femmes. Les inégalités de revenus caractérisant l’ensemble de la société chinoise sont également significatives en fin de vie et déterminent en partie l’accès aux soins de santé ou d’aide. Pour de très nombreux Chinois, la vieillesse est synonyme de pauvreté : selon l’OCDE, près de 27 % des personnes âgées et près de la moitié des personnes âgées célibataires percevraient un revenu inférieur à 50 % du revenu médian (OCDE, 2010). Il existe un dispositif de protection contre la pauvreté des âgés (dibao), mais il ne suffit pas : il n’atteindrait pas la moitié des âgés pauvres urbains, tout en ayant des critères de ressources et des niveaux de prestations très variables selon le territoire (Dorfman et al., 2013).

10Les situations de pauvreté sont donc plus fréquentes pour les ruraux âgés qui ont des conditions de vie plus difficiles qu’en ville. Dans les campagnes, la principale source de revenu reste le travail pour plus des deux tiers des personnes de 60-64 ans et pour encore un quart des 70-74 ans. Pour beaucoup, ce n’est ainsi qu’en cas d’invalidité importante que l’on cesse de travailler. Le fait de ne pas bénéficier d’une pension de retraite est un facteur important d’inégalité. En milieu rural, l’accès aux pensions de retraite reste limité et, lorsqu’il existe, les montants sont moins élevés. Les personnes âgées dépendent ainsi davantage du soutien familial qu’en ville. Toutefois, si la moitié des âgés urbains peuvent compter sur les pensions comme source de soutien principal, ce n’est le cas que d’un tiers des femmes (Dorfman et al., 2013). Par conséquent, le fait d’avoir ou non des enfants et le fait qu’ils vivent ou non à proximité deviennent des critères déterminants pour la qualité de vie au grand âge (OCDE, 2010).

Des relations intergénérationnelles qui se transforment

11Traditionnellement, la prise en charge des aînés au grand âge a été, en Chine, assurée par la famille, notamment par les enfants, en vertu du principe de piété filiale hérité des valeurs confucéennes dont la société chinoise est imprégnée, qui fut repris par le régime maoïste. Il convient de prendre soin des parents, de leur apporter en particulier des soins physiques à la maison lorsqu’ils sont âgés (« Xiao »), de leur témoigner respect et obéissance, de leur fournir un soutien financier, bref, de satisfaire en tous points les parents (Yuan, 2011). Cette obligation de soins des enfants envers les parents est inscrite dans la loi chinoise depuis 1950, qui prévoit la possibilité pour une personne âgée de réclamer un soutien financier à ses enfants. Depuis 2012, les enfants sont également tenus de rendre régulièrement visite à leurs parents, sous peine d’amende, voire de prison. Toutefois, depuis la fin des années 1980, ce système de prise en charge par la famille est mis à mal sous la conjonction de trois évolutions majeures : l’urbanisation, la modernisation de la société et la généralisation de la norme de l’enfant unique. L’urbanisation rapide s’est traduite par un éloignement géographique, même relatif, de nombreux enfants migrants, mais aussi par des conditions de logement en ville plus compliquées pour les familles (Collombet, 2014). La modernisation de la société a, quant à elle, fait émerger de nouvelles valeurs d’individualisme et une importance croissante accordée à la vie privée et personnelle (Ching Ying et al., 2002). Les générations nombreuses de baby-boomers tiennent en particulier à la séparation de résidence entre aînés et enfants (Peng Du, 2013). Enfin, la généralisation de la norme de l’enfant unique fragilise le soutien familial. Il est plus difficile d’assumer la prise en charge de quatre personnes âgées pour un couple de deux actifs ayant à charge leur propre enfant (structure dite « 4, 2, 1 »). À cela s’ajoute le surinvestissement dans l’enfant unique qui bouscule le modèle de piété filiale ascendante : les parents d’enfants uniques seraient ainsi davantage concernés par l’abandon dans leur grand âge (Gustafson et Baofeng, 2014).Ce nouveau contexte entraîne trois modifications majeures. D’une part, la pratique traditionnelle de la corésidence, qui permettait une prise en charge des aînés à domicile par les enfants, recule nettement depuis une vingtaine d’années (OCDE, 2010) : en milieu rural, la proportion de corésidence aurait reculé de 30 points de pourcentage entre 1991 et 2006 (Cai et al., 2012). Le nombre de personnes âgées qui vieillissent seules augmente donc, en particulier dans les zones rurales : en 2009, il y aurait 28 % de personnes âgées qui n’auraient aucun enfant habitant près d’eux (Peng Du, 2013). Cependant, la corésidence représenterait toujours globalement entre 40 à 50 % des situations familiales (Chen, 2011) ; en milieu rural, la moitié des personnes âgées ne partageant pas le même toit que leurs enfants aurait un enfant résidant dans le même village.

12D’autre part, le principe de prise en charge financière des enfants peut être plus difficile à mettre en œuvre dans la configuration de plus en plus courante du « 4, 2, 1 » [2]. Or, ce soutien familial est crucial pour nombre d’âgés : il représenterait la première source de revenus pour plus de la moitié des âgés ruraux et plus du tiers des âgés urbains (Cai et al., 2012). Le soutien financier se perpétue toutefois aujourd’hui, voire se renforce avec les migrations de travailleurs. Près de la moitié des personnes âgées auraient ainsi reçu, une fois dans l’année, des transferts d’un enfant éloigné géographiquement (Charls Research Team, 2013).

13Enfin, le principe de piété filiale se trouve redéfini par les jeunes générations. S’il n’est pas fondamentalement remis en cause, les jeunes l’envisagent davantage comme un principe de respect mutuel (Peng Du, 2013). Cela se traduit dans les faits par une modification des formes de transferts et de solidarités entre générations, en particulier descendantes. On observe ainsi une implication plus prononcée des aînés dans la prise en charge des petits-enfants, notamment lorsqu’il y a corésidence des trois générations, afin de soutenir l’activité professionnelle des mères sur le marché du travail (Chen et al., 2011). Par ailleurs, les jeunes couples souhaitent de plus en plus bénéficier d’un support extérieur formel pour les aider à prendre en charge leurs aînés.

14Face au défi actuel et à venir de la prise en charge des aînés, particulièrement aigu en Chine rurale, les réponses institutionnelles apparaissent encore insatisfaisantes et incapables de répondre à l’ampleur du problème. D’une part, le système des retraites n’est pas assez étendu pour répondre aux enjeux d’un vieillissement massif. D’autre part, ce dernier pose la question de l’extension du système de prise en charge spécifique pour les personnes âgées dépendantes, très peu développé à l’heure actuelle.

Des systèmes de retraite encore insuffisants

Des systèmes fragmentés incapables de répondre au défi des migrations du travail

15En raison de la forte décentralisation de sa gestion et de son financement, le système de pension se caractérise par son extrême fragmentation en fonction du statut professionnel du cotisant (notamment, fonctionnaire ou non), de la zone, rurale ou urbaine, dont il est issu et de sa région. En 2008, on compte ainsi près de mille régimes distincts. Schématiquement, quatre systèmes coexistent.

16? Les employés d’État et les fonctionnaires bénéficient historiquement d’un système avantageux. Leur retraite est financée par le budget de l’État, sans obligation de cotiser, avec des prestations supplémentaires liées aux fonctions et aux titres. Quarante millions de personnes sont couvertes par ce système [3].

17? Le deuxième système de retraite concerne les travailleurs urbains et a un caractère obligatoire pour toutes les entreprises des villes. Mis en place à la fin des années 1980, il a pris sa forme actuelle en 1997. Il couvrait environ 284 millions de personnes en 2011.

18? Le troisième système est celui du monde rural. Construit dès les années 1960, il est cependant longtemps resté peu développé. En 2009, une nouvelle assurance rurale volontaire (« Xin Nong Bao ») a été mise en place : elle combine une pension de base (après quinze ans de cotisation) et un compte individuel par capitalisation ; elle est surtout assortie d’une forte subvention de l’État pour inciter à adhérer au système ainsi que d’un soutien de l’État aux collectivités locales en fonction de leur niveau de richesse (Cai et al., 2012).

19? Un dernier système, créé en 2011, concerne les résidents des villes qui ne travaillent pas et qui ne sont donc pas couverts par le régime urbain obligatoire. Il repose sur le volontariat, sur le modèle de l’assurance rurale.

20Cette fragmentation importante des systèmes de retraite s’accompagne de fortes inégalités en termes de taux de cotisation et de droits à pension tout en fragilisant la fonction d’assurance du système, du fait de la faible mutualisation des risques entre régimes (Dorfman et al., 2013). Même si, pour atténuer les disparités intra-provinces, un système de mise en commun des recettes et des dépenses des provinces existe depuis 2007, il couvre encore trop inégalement le territoire pour garantir cette mutualisation des risques (OCDE, 2010). En outre, la fragmentation constitue l’un des principaux obstacles à la mobilité professionnelle, alors que la croissance économique rapide et les transformations socio-économiques en renforcent le besoin. En effet, cette mobilité n’a pas été accompagnée d’un système suffisant de portabilité des droits entre régimes différents. Depuis 2009, un système transitoire de portabilité existe pour les travailleurs urbains relevant du système de retraite urbain et qui sont mutés dans une autre province [4]. En 2010, une loi a bien reconnu le droit des migrants à transférer leurs droits sociaux mais, dans la pratique, la faible interopérabilité des agences sociales et des services locaux, dont le réseau est moins dense en milieu rural et dans les régions intérieures (Centre d’analyse stratégique, 2012), rendent délicates sa mise en œuvre.

Un taux de couverture incomplet et globalement bas

21La couverture retraite de la population reste globalement faible (20 % en 2008), ce qui apparaît relativement bas compte tenu du niveau de PIB chinois (Dorfman et al., 2013). Des réformes récentes ont néanmoins amélioré la couverture des ruraux, qui est ainsi passée de 12 à 30 % entre 2008 et 2011, soit de 50 à 130 millions de personnes assurées (Banque mondiale, 2012), tandis que 2,35 millions de personnes supplémentaires bénéficient, en tant que résidents, d’une retraite de base en ville. Les catégories de population qui ne sont pas couvertes par la retraite sont notamment les travailleurs migrants et les travailleurs des petites entreprises et du secteur informel. En 2010, un quart seulement des migrants cotiseraient ainsi à un régime retraite, contre 80 % des travailleurs ayant un hukou local (Dorfman et al., 2013). Cela s’expliquerait par les faibles incitations à cotiser pour les migrants du fait des lacunes du système de portabilité des droits, mais aussi par les réticences des employeurs à payer ces cotisations sociales. Cependant, des revendications des travailleurs migrants en matière d’assurance-maladie et de retraite ont commencé à émerger (Froissard 2011), comme en témoignent certaines grèves ces dernières années, comme à l’usine Winter Corp en 2010.

22Par ailleurs, les niveaux de prestation garantis restent faibles au regard du niveau de développement économique atteint par la Chine (OCDE, 2010). Les disparités de niveaux sont très fortes entre systèmes rural et urbain (taux de remplacement garanti de 25 % de pension pour le système rural contre 59 % pour le système urbain), avec une faiblesse notoire de la part forfaitaire de la pension rurale. De plus, ces niveaux de prestations se dégradent depuis 2000, avec des niveaux en deçà de ceux prévus à l’instauration des dispositifs (OCDE, 2010). Entre 2000 et 2009, le taux de remplacement aurait ainsi chuté de 100 à 65 % pour le secteur public et de 70 à 45 % dans le privé (Banque mondiale, 2012). (Notons que ces niveaux faibles de prestation encourageraient les comportements d’épargne de précaution, peu compatibles avec l’ambition des pouvoirs publics de rééquilibrer le modèle de croissance en s’appuyant davantage sur la consommation intérieure.)

Un problème de financement dans les années à venir

23Enfin, le régime de pensions chinois va se trouver confronté à des problèmes de soutenabilité financière à moyen et long terme. Le déficit prévisionnel cumulé entre 2002 et 2075 est estimé à près de 95 % du PIB de 2001 (Banque mondiale, 2012).

24Ce problème de soutenabilité financière est récurrent depuis sa mise en place. Les cotisations versées sur les comptes individuels ont été utilisées par certaines provinces pour les pensions mises en paiement au lieu d’être investies (OCDE, 2010). Ce phénomène est celui dit des « comptes vides », lesquels représentaient 1 700 milliards de yuans en 2011, soit presque 90 % de la somme totale des comptes individuels [5]. En outre, les engagements pris auprès des personnes entrées dans le système il y a longtemps, notamment en termes de cotisations et de niveaux de prestations particulièrement avantageux (concernant les fonctionnaires, les employés du secteur public ou les retraités urbains), représenteraient aujourd’hui entre 82 et 130 % du PIB (Banque mondiale, 2012). Enfin, les taux de cotisations sociales sont déjà particulièrement élevés, même par rapport aux pays de l’OCDE (28 % du salaire moyen, dont 20 points de cotisation patronale et 8 de cotisations salariales pour les urbains), ce qui laisse peu de marge de manœuvre pour les augmenter.

25D’autre part, des problèmes plus récents contribuent également à fragiliser la soutenabilité financière du système. Il s’agit en particulier de l’extension prévue de la couverture aux ruraux ainsi que de l’âge de départ à la retraite, qui apparaît aujourd’hui relativement bas par rapport aux gains récents en termes d’espérance de vie (cet âge est fixé à 60 ans pour les hommes et à 50 ans pour les femmes, ou 55 ans pour celles qui occupaient un poste à responsabilité). Selon l’OCDE notamment, un relèvement de cet âge de départ permettrait d’accroître la viabilité du système (OCDE, 2010).

26Actuellement, au regard des nombreuses difficultés générées par l’architecture globale du système de retraite en Chine, plusieurs instances internationales (Banque mondiale, OCDE) plaident pour des réformes d’envergure du système, notamment pour le simplifier et faire converger la multiplicité des régimes existants.

Une prise en charge publique des aînés dépendants qui reste à inventer

27Le besoin de prise en charge des personnes âgées dépendantes est en rapide progression. Trente-trois millions de Chinois de plus de 60 ans éprouveraient des limitations dans leurs activités quotidiennes et un tiers d’entre eux ont un besoin d’assistance (Feng et al., 2012). Or, aucun système alternatif à la prise en charge familiale traditionnelle n’est encore véritablement structuré [6]. Cela pose un double problème, d’ordre organisationnel et financier. Sur le plan organisationnel, les pouvoirs publics font face à un défi majeur : répondre à des besoins très importants en termes de quantité et spécifiques en qualité.

28D’une part, la construction d’établissements dédiés est une piste développée depuis quelques années par les pouvoirs publics. Ainsi, au cours du 11e plan quinquennal (2005-2010), le nombre de places en maison de retraite a augmenté de 62 %, et le 12e plan (2011-2015) a fixé un objectif ambitieux en matière de taux de couverture, consistant à passer de 1,8 à 4 % le taux de personnes âgées pouvant être accueillies. Aujourd’hui cependant, l’offre est globalement très restreinte : moins de 2 % de personnes âgées dépendantes ont accès aux 40 000 établissements que comptait la Chine en 2011, soit un peu plus de trois millions de lits. Malgré cela, le taux d’occupation des lits existants reste faible (50 % en moyenne) : au-delà de la question du coût d’accès, jouent également les fortes réticences des Chinois âgés à se tourner vers une prise en charge institutionnelle (jusqu’aux années 1990, celle-ci concernait essentiellement les personnes les plus démunies et sans enfant et est encore très stigmatisante. Seuls 20 % des urbains et 17 % des ruraux seraient ainsi prêts à vivre en maison de retraite pour leurs vieux jours) [7].

29D’autre part, des mesures, encore timides, sont prises pour organiser l’accompagnement du maintien à domicile, lequel présenterait, selon certains auteurs, l’avantage d’être plus conforme aux valeurs confucéennes (Feng et al., 2012). Au cours du 11e plan, la moitié des communautés urbaines et 80 % des villages ont créé des services aux personnes âgées, tandis que le 12e plan prévoit, d’ici à 2015, la mise en place de réseaux de services de soutien à domicile dans toutes les villes, dans 80 % des petites villes rurales et dans la moitié des villages. Dans la pratique, les réalisations sont ténues et très disparates d’un territoire à l’autre, certaines grandes villes ayant investi plus tôt que d’autres ces questions, comme Pékin par exemple [8]. Au quotidien, la prise en charge est organisée essentiellement par la famille ou à défaut, dans les zones rurales, par la communauté qui va sans doute être amenée à jouer un rôle majeur dans les années à venir. En matière de qualité de l’offre, un autre défi est celui de la formation du personnel qui intervient auprès des aînés, à domicile ou en institution – où seulement 20 000 employées sur 300 000 auraient reçu une formation (Wei Li, 2008). Le premier institut de formation a été créé en 2008 [9]. Quant au problème du financement, il reste entier : atteindre les objectifs fixés dans les plans nationaux supposerait notamment d’attirer les capitaux privés [10]. Pour l’heure, les inégalités d’accès aux structures ou aux dispositifs existants, en termes de soins de santé et/ou d’accompagnement, sont avant tout déterminées par les capacités de paiement des personnes âgées dépendantes ou de leurs familles. Dans la plupart des villes, les structures sont coûteuses et leur accès reste limité aux plus aisés, à l’exception des personnes âgées pauvres et sans famille, qui bénéficient de l’aide du gouvernement.

30***

31Confrontée à des mutations socio-économiques de grande ampleur qui remettent largement en cause le principe de prise en charge traditionnelle des aînés par les enfants, alors que le système de retraite comme les maigres dispositifs de prise en charge de la dépendance ne sont pas en mesure de répondre aux besoins, la Chine se trouve à un tournant. On note une prise de conscience grandissante dans la classe politique chinoise, comme en témoignent les objectifs du 12e plan quinquennal en matière de prise en charge. En outre, le système de retraite actuel est perçu, par un nombre croissant de décideurs politiques, comme un frein au développement économique du pays, ce qui pourrait laisser augurer des réformes importantes dans les années à venir.

Notes

  • [1]
    Uhlenberg, 2009, cité par Cai, 2012.
  • [2]
    Selon un sondage du China Youth Daily, près de 68 % des jeunes se plaindraient de cette situation ; cité par Peng Du, 2013.
  • [3]
    Une réforme a été lancée en 2008 dans cinq régions pilotes (Shanxi, Shanghai, Zhejiang, Guangdong, Chongqing) qui vise à remettre en cause ce système. Voir GIP SPSI, 2010.
  • [4]
    Voir http://193.134.194.37/fre/Observatory/Country-Profiles/Regions/Asia-and-the-Pacific/China-The-People-s-Republic/Reforms/New-stipulations-on-pension-portability-adopted
  • [5]
    Selon un rapport de l’Académie des sciences sociales de Chine, cité par Boullenois, 2012.
  • [6]
    D’après KPMG (2013), il n’existe à ce jour en Chine aucun système de prise en charge de la dépendance structuré à proprement parler.
  • [7]
    Enquête auprès de 20 000 personnes âgées, (Jing-Ann Chou, 2010)
  • [8]
    Entre 2006 et 2010, le nombre de lits à Pékin a ainsi quasiment doublé pour dépasser 67 000 et l’objectif est d’en créer 10 000 supplémentaires d’ici à 2020. Une prime de 100 yuans par mois pour les personnes de plus de 80 ans a également été instaurée pour soutenir l’accès aux services à domicile. Voir Cheng et al., 2012.
  • [9]
    Hualing Training and Exchange Center on Ageing, voir Giacalone, 2010.
  • [10]
    China’s Long-Term Care Strategy for the Elderly, octobre 2011, Zhang Yanxia, EAI Background Brief n° 668.
Français

Le modèle traditionnel de prise en charge des aînés en Chine, reposant sur la piété filiale, est aujourd’hui fragilisé par un certain nombre de mutations : la part croissante de familles d’enfants uniques, les migrations internes importantes et l’aspiration de la part des nouvelles générations à une plus grande autonomie. Pour faire face à un vieillissement rapide, particulièrement dans les zones rurales, la Chine doit donc développer rapidement et massivement un système public de prise en charge. Malgré le développement récent des retraites, le niveau de couverture qu’elles assurent reste insuffisant, tandis que l’aide aux personnes âgées dépendantes est encore limitée, que ce soit à domicile ou en établissement.

Bibliographie

  • Banque mondiale, 2012, China 2030: Building a Modern, Harmonious, and Creative High-Income Society, Washington, DC.
  • Boullenois C., 2012, « En Chine aussi, retarder la retraite », China Analysis. Les Nouvelles de Chine, Asia Centre, n° 40, décembre, p. 37-41.
  • Cai F., Giles J., O’Keefe P. et Wang D., 2012, The Elderly and Old Age Support in Rural China. Challenges and Prospects, Banque mondiale, Washington, DC.
  • Centre d’analyse stratégique, 2012, « Droit du travail et protection des travailleurs dans les pays émergents », La Note d’analyse, n° 301, novembre, Travail Emploi, Annexe 2 : La Chine.
  • Charls Research Team, 2013, Challenges of Population Aging in China: Evidence from the National Baseline Survey, China Health and Retirement Longitudinal Study (Charls).
  • En ligneChen F., Liu G. et Mair C., 2011, « Intergenerational Ties in Context: Grandparents Caring for Grandchildren in China », Social Forces, vol. 90, n° 2, p. 571–594.
  • En ligneCheng Y., Rosenberg M. W., Wang W., Yang L. et Li H., 2012, « Access to residential care in Beijing, China: making the decision to relocate to a residential care facility », Ageing and Society, n° 32.
  • En ligneChing Ying Ng A., Phillips D. et Keng-mun Lee W., 2002, « Persistence and challenges to filial piety and informal support of older persons in a modern Chinese society: A case study in Tuen Mun, Hong Kong », Journal of Aging Studies, n° 16, Pergamon.
  • Collombet C., 2014, « Chine : de la politique de l’enfant unique à une politique familiale ? », Revue de droit sanitaire et social, janvier-février.
  • Demurger S., 2010, « Les migrants ruraux : en marge des villes, un pont avec les campagnes », Perspectives chinoises, 2010/4, « Les migrants ruraux ».
  • Dorfman M., Holzmann R., O’Keefe P., Wang D., Sin Y. et Hinz R., 2013, China’s Pension System: A Vision, Washington, DC, Banque mondiale.
  • En ligneFeng Z., Liu C., Guan X. et Mor V., 2012, « China’s Rapidly Aging Population Creates Policy Challenges In Shaping A Viable Long-Term Care System », Health Affairs, vol. 31, n° 12, p. 2764-2773.
  • Froissard C., 2011, « La radicalisation des actions collectives chez les travailleurs migrants et ses conséquences politiques », Chronique internationale de l’Ires, n° 128, janvier.
  • Giacalone J., 2010, Long-Term Care as a Threat to China’s Economic Growth, American Society of Business and Behavioral Sciences (ASBBS), 17e conférence annuelle, Las Vegas, février.
  • GIP SPSI, 2010, Système chinois d’assurance vieillesse, Note du ministère chinois des Ressources humaines et de la Sécurité sociale, Groupement d’intérêt public – Santé et protection sociale internationale (GIP SPSI), septembre.
  • Gustafson K. et Baofeng H., 2014, « Elderly Care and the One-Child Policy: Concerns, Expectations and Preparations for Elderly Life in a Rural Chinese Township », Journal of Cross-Cultural Gerontology, janvier.
  • En ligneJing-Ann Chou R., 2010, « Willingness to live in eldercare institutions among older adults in urban and rural China », Ageing and Society, vol. 30, n° 4, p. 583-608, 2010.
  • KPMG, 2013, An uncertain age: Reimagining long term care in the 21st century, KPMG International.
  • Nations unies, 2011, Perspectives démographiques mondiales : la révision de 2010, Département des affaires économiques et sociales, Division de la Population, New York.
  • OCDE, 2010, Études économiques de l’OCDE, n° 6.
  • En lignePeng Du, 2013, « Intergenerational solidarity and old-age support for the social inclusion of elders in Mainland China: the changing roles of family and government », Ageing and Society, n° 33.
  • Wang Z., 2011, « Régime de sécurité sociale des travailleurs migrants en Chine », Revue internationale du travail, vol. 50, n° 1-2.
  • Wei Li, 2008, Recommendations for the development of China’s old-age service institutions, 31 décembre.
  • En ligneWu B., Carter M. W., Goins R. T. et Cheng C., 2005, « Emerging Services for Community Based Long-Term Care in Urban China: a systematic analysis of Shanghai’s community-based agencies », Journal of Aging and Social Policy, vol. 17, n° 4, p. 37-60.
  • En ligneYang G., Wang Y., Zeng Y., F Gao G., Liang X., Zhou M., Wan X., Yu S., Jiang Y., Naghav M.i, Vos T., Wang H., Lopez A. et Murray C., 2013, « Rapid health transition in China, 1990–2010: findings from the Global Burden of Disease Study 2010 », The Lancet, n° 381, p. 1987–2015.
  • Yuan L., 2011, « China’s Population Policy, Aging, Gender, and Sustainability », Journal of Research on Women and Gender, vol. 3, Symposium Issue.
Catherine Collombet
Diplômée de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S) et titulaire d’un DEA d’économie des ressources humaines et des politiques sociales de Paris I, elle est sous-directrice au sein de la mission des relations européennes, internationales et de coopération de la Cnaf. Elle est également chargée de mission à France stratégie (ancien Commissariat général à la stratégie et à la prospective). Spécialiste de la protection sociale en Europe et dans le monde, elle a notamment publié « La protection sociale dans les Brics », Note d’analyse du Cas, n? 300, novembre 2012, et « La protection sociale en Amérique latine », Document de travail, Commissariat général à la stratégie et à la prospective, juillet 2013.
avec la collaboration de 
Virginie Gimbert
Docteure en sociologie, normalienne (ENS de Cachan), elle est chargée de mission à France stratégie (ancien Commissariat général à la stratégie et à la prospective). Experte sur les questions de santé, de prise en charge de la dépendance et de vieillissement, elle a en particulier coordonné le rapport « Les défis de l’accompagnement du grand âge, Perspectives internationales » (rapport pour le Premier ministre, 2011, La Documentation française, Paris, avec Guillaume Malochet).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/12/2014
https://doi.org/10.3917/inso.185.0056
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...