1Le principal document d’identité du citoyen chinois porte le nom de hukou, terme composé de deux sinogrammes signifiant respectivement « foyer » et « résident ». C’est sur lui que repose le système d’état civil du pays depuis l’établissement de la République en 1949 mais il s’inscrit dans la continuité d’une tradition ancienne de l’Empire, consistant à distinguer entre les populations urbaines et rurales. Pour être la pièce d’identité officielle d’un pays unifié, il n’est pourtant pas unique dans sa forme puisqu’il introduit une distinction radicale entre les citoyens selon leur lieu d’habitation.
2Le hukou tient le rôle classique de carte d’identité mais également celui de livret de famille, fonctions auxquelles s’ajoute celle de « passeport intérieur » : il indique le lieu de résidence officiel d’une personne, classée rurale ou urbaine, et permet ainsi de de suivre le déplacement des Chinois entre les 22 provinces et les 5 régions autonomes que compte le pays. Les familles rurales (60 % de la population) et les familles urbaines ont en effet des statuts juridiques inégalitaires concernant la politique démographique qui leur est appliquée, l’accès au logement, aux soins médicaux et à l’école, les tickets de rationnement alimentaire, la priorité à l’emploi, voire le mariage.
3La distinction introduite n’est pas seulement une catégorisation démographique entre les ruraux et les urbains mais aussi, et surtout, le fondement du contrôle des déplacements des personnes, lequel constitue une exigence dans le cadre d’une politique de développement économique qui reste très directive dans un pays pourtant séduit par l’économie de marché.
4En permettant de réguler les flux de circulation entre les zones industrialisées et les zones totalement rurales, le hukou a contribué à la création d’une catégorie sociale nouvelle, les travailleurs migrants. Même si cette main-d’œuvre peu qualifiée venue des campagnes pour servir l’industrie apparaît comme composée de citoyens de seconde classe dans les villes, elle constitue la force vive de la croissance chinoise.
5Aujourd’hui, bien que l’existence de statuts différents soit reconnue, y compris par les élites au pouvoir, comme contraire à l’esprit d’une constitution qui stipule l’égalité des citoyens devant la loi, ce système dual reste en vigueur. Aux yeux des dirigeants, les critiques dont il est l’objet au nom des principes ne l’emportent pas sur les avantages qu’il présente pour gérer le développement et cette institution à deux vitesses n’a jamais été vraiment menacée de disparition. Les réformes très habilement conduites dont elle a fait l’objet depuis plus de vingt ans ont visé avant tout à l’adapter pour mieux la maintenir, le hukou conservant ses fonctions essentielles de contrôle de l’urbanisation et de division du corps social.
6En restant un instrument fondamental de gestion du développement et de contrôle social, le hukou constitue toujours la clé de voûte d’un régime autoritaire dont il sert les deux priorités : maintenir la stabilité sociale et un fort taux de croissance. Comme l’a rappelé à plusieurs reprises le ministère chinois de la Sécurité publique, le hukou joue un rôle trop important pour qu’il puisse être aboli.