1Jusqu’aux débuts de la Deuxième République, l’expression « marchand de sommeil » désignait un simple hôtelier. L’acception péjorative qu’elle a prise aujourd’hui est liée à l’apparition de comportements abusifs de la part de propriétaires lorsque se manifesta le besoin de loger en milieu urbain des travailleurs désertant les campagnes pour constituer la main-d’œuvre dont l’industrie naissante avait besoin. La rareté des ressources disponibles en logement et la relative nouveauté du besoin ont conduit à des situations dont beaucoup de romans naturalistes de la fin du XIXe siècle ont décrit le caractère scandaleux. Mais la loi de l’offre et de la demande s’exerçant avec rigueur, les locaux insalubres trouvèrent des preneurs par nécessité. La seule réprobation morale se révélant impuissante à combattre l’exploitation des locataires par les propriétaires et les dangers sanitaires qu’entraînait le fait de vivre dans des taudis, ce fut au droit que revint la tâche de définir ce qui devait être considéré comme des conditions acceptables de logement et de sanctionner ceux qui y contreviendraient.
2La première tentative pour y parvenir prend corps avec la loi du 13 avril 1850 sur le logement insalubre. Ce texte qui était le fruit de très nombreux compromis ne proposait qu’une définition minimale et imprécise de l’insalubrité et s’appliquait davantage à organiser les conditions administratives de son application. Le droit actuel, qui repose sur le Code de la santé publique, s’est attaché à donner un contenu plus complet à la notion de logement insalubre, devenue celle de « locaux impropres à l’habitation », qui ajoute, au critère d’insalubrité, l’exigence de conformité avec la dignité humaine. La loi du 25 mars 2009 distingue ainsi, selon un principe de gradation, l’habitat indigne (dangereux pour la santé ou mettant en danger l’intégrité physique de ses habitants) et l’habitat très dégradé (condition appréciée au moyen d’une grille d’évaluation), chacun de ces deux états relevant de critères matériels objectifs.
3Lorsqu’ils ont à se prononcer sur de telles situations de mal-logement, les tribunaux administratifs et correctionnels s’attachent à fonder leurs décisions sur des éléments matériels relatifs à l’état ou au statut du logement, à l’existence d’une situation de vulnérabilité ou de faiblesse chez le locataire mais, aussi (article 225-14 du Code pénal) sur un élément moral qui est l’intentionnalité du bailleur ou, plus simplement, sa connaissance personnelle de l’état du logement loué.
4La législation (article L.1331-22 du Code de la santé publique) dispose par ailleurs qu’il est interdit de mettre à disposition aux fins d’habitation des locaux qui ne sont pas destinés à cet objet : « les caves, sous-sol, combles, pièces dépourvues d’ouvertures sur l’extérieur et autres locaux par nature impropres à l’habitation ». Mais ce texte n’ayant jamais été complété par des décrets d’application, de nombreux contentieux ont porté sur la définition précise de chacun de ces termes. Les juges ont donc dû affiner leur appréciation des éléments quantitatifs et qualitatifs nécessaires à une condamnation, au fil de leur seule jurisprudence.
5Aujourd’hui, en dépit du flou législatif dans lequel la question se trouve toujours, des condamnations à de lourdes amendes et à des peines d’emprisonnement de plusieurs années sont quelquefois prononcées à l’encontre des « marchands de sommeil ».