CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La France se distingue en Europe par un taux élevé de fécondité. Le doit-elle à sa politique familiale ? Bien qu’il soit difficile de le démontrer, la réponse est oui, mais pour une part très modeste. Au fil des décennies, la priorité est devenue le soutien de la conciliation travail-famille et les dispositifs se sont multipliés. Parmi eux, l’offre de services d’accueil des jeunes enfants est une condition particulièrement incitative dans la décision d’avoir un enfant.

2Cet article présente les principaux traits des politiques familiales pouvant influencer la fécondité en France. Il évoque la façon dont la conception des politiques s’est peu à peu détournée d’un objectif qui visait d’abord à soutenir la fécondité de façon centrale, pour chercher à favoriser la conciliation entre travail et vie familiale en maintenant une diversité de modes de conciliation. Il examine ensuite les difficultés que pose l’évaluation de l’effet de ces politiques sur la fécondité, avant de présenter les principaux enseignements des évaluations réalisées. Enfin, il met en lumière la complémentarité des formes d’aides et le rôle clé du développement des services d’accueil des jeunes enfants dans les différences de tendance du taux de fécondité des pays économiquement avancés.

Encourager les naissances : un objectif historique de la politique familiale

3Le natalisme correspond à la fois à une doctrine démographique et à un ensemble de mesures prises par un État pour favoriser l’accroissement de sa population en stimulant la natalité. Il fut longtemps l’une des motivations principales du déploiement des politiques familiales en France (Rosental, 2003). Aux craintes d’une « dé-population » causée par les pertes humaines de la guerre de 1870 puis des deux Guerres mondiales a succédé l’inquiétude face au vieillissement des populations. L’hypothèse est qu’un pays encourageant les familles nombreuses sera plus à même de faire face au vieillissement de la population, dont Robert Debré et Alfred Sauvy exposent les enjeux dès 1946 dans leur ouvrage Des Français pour la France. Aujourd’hui encore, le financement des retraites par répartition, que facilite une forte fécondité, est associé aux politiques familiales par les promoteurs du natalisme.

4Dans ce contexte, la France s’est dotée, au cours du temps, d’un système d’aides financières qui traite de façon relativement généreuse les familles en général et plus particulièrement les familles « nombreuses », c’est-à-dire avec trois enfants ou plus. Ainsi, les aides financières directes, comme les allégements fiscaux octroyés par le biais du quotient familial, croissent substantiellement pour un troisième enfant. Le but de ces aides est certes d’encourager les familles à avoir, au moins, un troisième enfant ; mais il est aussi, et aujourd’hui principalement, de réduire les inégalités de niveau de vie entre familles nombreuses, familles de taille plus réduite et familles sans enfant (Thévenon, 2009a).

5Par ailleurs, en réduisant le coût financier de l’enfant, les aides versées au titre de la famille doivent non seulement permettre aux ménages d’avoir le nombre d’enfants qu’ils désirent mais elles visent aussi à leur octroyer les ressources financières nécessaires pour leur permettre d’élever ces enfants dans des conditions satisfaisantes. Pour autant, en France, ces aides versées aux familles ne sont pas plus généreuses pour les ménages à revenu modeste que pour les autres, alors qu’elles le sont souvent dans les pays où elles font partie des aides sociales ayant une visée redistributive. Au contraire, le système français s’avère plus généreux pour les ménages du haut de la hiérarchie des revenus, si on additionne les aides financières versées par les prestations familiales et les exonérations d’impôt permises par le quotient familial. Cette particularité devrait être « corrigée » par l’abaissement des plafonds de l’aide fiscale prévu par la réforme de 2013.

Concilier travail et vie familiale : un « nouveau » levier pour favoriser la fécondité

6D’autres aides développées dans le cadre des politiques familiales revêtent une importance primordiale dans la décision d’avoir des enfants et pour son calendrier, parce qu’elles aident les parents, et de facto plus particulièrement les mères, à concilier travail et vie familiale. Elles atténuent ainsi le coût d’opportunité que représentent pour les mères les interruptions et les profils particuliers de carrière qu’induisent la naissance et la prise en charge d’enfants. Aussi les droits à congés parentaux, qui garantissent le retour à l’emploi et sont accompagnés d’un revenu de remplacement et d’un accès à des services d’accueil pour la petite enfance, peuvent-ils encourager la décision d’avoir un enfant [1].

7Parallèlement au déploiement de ces aides, la fécondité française se caractérise sur le long terme par une baisse assez modérée du nombre moyen d’enfants par femme depuis les générations nées à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette évolution dissimule néanmoins des différences significatives selon la taille des familles : le nombre de femmes ayant 3 enfants ou plus au cours de leur vie procréative a ainsi significativement diminué au bénéfice principal des familles de deux enfants (voir graphique 1).

Graphique 1

Proportion de femmes en fonction de leur nombre d’enfants

Graphique 1

Proportion de femmes en fonction de leur nombre d’enfants

Source : Toulemon et al., 2008.

8Toutefois, la proportion de femmes avec trois enfants ou plus demeure sensiblement plus élevée en France (et dans d’autres pays où la fécondité est relativement élevée) que dans les pays où la fécondité est basse. La proportion de femmes demeurant sans enfant au cours de leur vie procréative reste quant à elle comparativement faible en France. Au total, l’entrée en parentalité comme l’élargissement de la taille de la descendance à deux enfants ou plus demeurent plus fréquents en France comparativement aux autres pays européens (Breton et Prioux, 2005 ; Thévenon, 2011).

9Ces tendances singulières sont dues à plusieurs facteurs dont il est très difficile de démêler les liens. Un enfant, comme valeur et finalité, est certainement essentiel pour un grand nombre de ménages. Le nombre d’enfants idéalement « désirés » est élevé en France comparativement aux autres pays européens. La prégnance de cet idéal se mesure aussi par l’absence d’impact visible des périodes de récession économique sur les taux de fécondité en France [2]. Alors que l’indice de confiance des ménages suit très précisément les cycles de l’activité économique, aucune incidence significative ne se lit sur les comportements des futurs parents. En France, la fécondité se maintient à un niveau élevé, malgré le pessimisme et le manque de confiance en l’avenir et dans les institutions que montrent très souvent les enquêtes d’opinion. Enfin, le déploiement ancien et continu de politiques d’aides aux familles et de protection de l’enfant exprime un attachement collectif durable aux valeurs familiales.

Évaluer l’effet des politiques sur la fécondité : un exercice difficile

10Dans ce contexte, comment connaître plus précisément, la contribution des politiques à la fécondité ? L’évaluation de l’effet des aides n’est pas une tâche aisée ; par ailleurs, la littérature disponible sur le cas français invite à tirer des conclusions nuancées en raison de la modestie des effets mesurés. La difficulté de l’exercice tient à plusieurs facteurs qui rendent la démarche d’évaluation partielle ou inopérante. Partielle, car on s’attache souvent à ne considérer que l’effet d’une mesure particulière, sans prendre en compte son interaction éventuelle avec d’autres mesures avec lesquelles elle forme, ou non, un système cohérent, ni les effets de contexte qui peuvent modifier son influence. De ce fait, les analyses disponibles ont tendance à se focaliser sur une mesure particulière, au risque d’avoir un pouvoir de généralisation très limité [3] ; ou bien elles considèrent une somme de mesures, en agrégeant par exemple toutes les aides financières dont peuvent bénéficier certains ménages. Dans ce cas, l’effet propre de chaque mesure n’est pas toujours identifiable. Les analyses comparatives, quant à elles, peuvent permettre d’identifier les variations de contexte susceptibles de modifier l’effet de mesures données sur la fécondité.

11Un autre facteur rend difficile une évaluation de l’impact des politiques familiales sur la fécondité : le fait que la décision d’avoir un enfant soit, le plus souvent, planifiée. Cette décision s’inscrit dans une temporalité longue, au cours de laquelle l’effet des politiques peut mettre du temps à se dessiner. Ce processus implique d’abord la formation d’une intention plus ou moins déterminée d’avoir un enfant, que divers facteurs peuvent amener à réaliser ou non. Ces facteurs incluent la satisfaction de conditions préalables à la naissance d’enfants, comme le fait d’être en couple stable, d’avoir un emploi stable lui aussi, etc. ; certaines de ces conditions peuvent être l’objet de négociations plus ou moins longues au sein des couples. Un paramètre important pour la réalisation des intentions de fécondité semble être la confiance des futurs parents concernant la maîtrise des conséquences de leur décision d’avoir un enfant (Ajzen et Klobas, 2013). La réalisation de l’intention implique la phase de conception, qui est elle-même un processus pouvant prendre du temps, avant la naissance de l’enfant, laquelle est la donnée observable pour le démographe. Les politiques – et plus largement le contexte institutionnel – agissent sur les différents paramètres de décision et aux différents stades du processus reliant l’intention d’avoir un enfant à sa réalisation. L’effet de la législation n’est toutefois pas toujours directement perceptible dans la période considérée par les évaluations. Le risque est alors de n’identifier que les effets d’aubaine qui seront les premiers à se manifester et de minorer les vrais changements de comportements qui se manifestent à plus long terme.

12Les effets d’une politique sont d’autant plus longs à se manifester que son impact n’est sensible qu’après une période donnée qui aura permis aux ménages d’en éprouver la réalité, la durabilité et la stabilité. Ces trois paramètres sont particulièrement importants dans le cas de la fécondité, décision de long terme et irréversible. La stabilité des politiques familiales est alors certainement un paramètre essentiel pour la confiance des ménages. Enfin, autre difficulté, certaines mesures n’auront d’effet sur la fécondité que de façon indirecte, c’est-à-dire conséquemment ou en lien à leur effet sur le comportement d’activité. La temporalité à l’horizon de laquelle est évalué l’effet d’une politique est donc un paramètre qui conditionne l’ampleur des effets détectables.

13Une ultime difficulté tient au périmètre des mesures à prendre en compte, qui n’est pas aisé à circonscrire. Paradoxalement, les mesures introduites avec un objectif explicite de soutien à la fécondité montrent un effet assez limité, alors que celles qui soutiennent la conciliation entre travail et vie familiale ou qui améliorent les conditions de vie, sans faire du soutien à la fécondité leur objectif premier, semblent avoir un effet plus tangible sur la fécondité.

14Ces précautions d’usage formulées, il est alors possible de faire le bilan des rares études de l’influence des politiques familiales sur la fécondité en France. Elles évaluent des aspects distincts des politiques familiales. Nous commençons par celles qui traitent l’effet des incitations financières, prises dans leur ensemble, ou qui ciblent une mesure particulière, comme l’effet du quotient familial au troisième enfant ou de l’Allocation parentale d’éducation (APE) [4].

Un effet avéré mais limité des aides financières

15En estimant l’impact sur la fécondité des transferts financiers en direction des familles non liés au travail, Olivia Ekert (1986) mesura la première l’effet du cumul des allocations familiales, du complément familial et des allocations logement au cours des années 1970. Ces prestations ont eu un effet réel non négligeable mais limité, de l’ordre de + 0,2 enfant par femme. L’auteur estime alors qu’une compensation intégrale du coût de l’enfant par des prestations aurait suscité une hausse du taux de fécondité limitée à 0,3 enfant par femme. L’effet du système socio-fiscal sur les comportements d’emploi et de fécondité peut être estimé par un modèle de microsimulation (Laroque et Salanié, 2004, 2005, 2008). Il permet de tenir compte d’une part, des interactions entre les comportements d’activité et de fécondité des mères, et d’autre part des interactions pouvant exister entre les différentes prestations et mesures du système sociofiscal. Toutefois, les résultats dépendent très fortement des hypothèses retenues pour modéliser les comportements, comme le montrent les différences importantes, voire les contradictions, des résultats obtenus par ces auteurs dans les trois versions successives de leur travail. L’influence des transferts financiers sur la fécondité semble relativement faible. Aussi, une réduction du coût de l’enfant de près d’un quart grâce au système sociofiscal aurait-elle pour effet d’accroître le taux de fécondité de seulement 5 %. En outre, l’effet des incitations financières selon le rang de naissance varie, les naissances de rang plus élevé semblant plus sensibles aux prestations financières.

16La réforme du quotient familial de 1981 a introduit la prise en compte d’un troisième enfant pour une part entière dans le calcul du revenu imposable, au lieu d’une demi-part jusque-là. C’est un cas intéressant pour appréhender l’influence de la fiscalité sur la fécondité de rang trois (Landais, 2003). Cet effet est positif mais de très faible amplitude. Une variation de 1 % de la réduction d’impôt pour un troisième enfant aurait produit une hausse de la proportion de ménages à trois enfants d’au plus 0,05 %. Les effets de la réforme ont été de surcroît très lents à se diffuser, de cinq à dix ans. L’effet est plus prononcé pour les ménages à revenu plus élevé où l’incitation est aussi plus forte.

17Breton et Prioux (2005) adoptent une perspective de plus long terme en intégrant les réformes ayant affecté les aides au troisième enfant depuis 1970. Des variations cycliques très similaires de 1970 à 2000 sont observables quant aux probabilités d’avoir un deuxième ou un troisième enfant. Elles sont assez congruentes avec les mesures politiques visant les naissances de rang 3 (voir le graphique 2). Cela suggère que ces mesures ont pu, par un effet domino, non seulement affecter la décision d’avoir un troisième enfant mais, aussi, celle d’avoir un deuxième enfant, dans la perspective à terme d’en avoir un troisième ou non. Le signal de ces politiques volontaristes peut avoir également un effet sur une population indirectement concernée.

Graphique 2

Évolution de la propension à avoir un deuxième ou troisième enfant

Graphique 2

Évolution de la propension à avoir un deuxième ou troisième enfant

Source : Breton et Prioux, 2005.

L’influence des aides à la conciliation du travail et de la vie de famille

18Toutefois, la propension à avoir un troisième enfant apparaît nettement plus sensible aux mesures bénéficiant spécifiquement aux ménages avec trois enfants qui ont été introduites à la fin des années 1970 et dans les années 1980. Ces mesures ont visiblement eu un effet sur le calendrier des naissances, tout comme elles semblent avoir contribué à la stabilité, voire à une faible croissance, de la probabilité d’avoir un troisième enfant jusqu’à la fin des années 1980. Réservée aux parents de trois enfants et plus à sa création en 1985, l’APE semble y avoir particulièrement contribué, même s’il est difficile de quantifier précisément cet impact. À l’inverse, la probabilité d’avoir un troisième enfant a décru significativement à partir du moment où les mesures ne visent plus spécifiquement le troisième enfant. Lorsqu’à partir de 1994 l’APE a été ouverte au deuxième enfant, la probabilité d’avoir un deuxième enfant du fait des prestations a augmenté.

19L’effet particulier de l’APE de rang 2 est aussi plus particulièrement analysé par Thomas Piketty (2005), qui prend en compte le fait que cette mesure puisse affecter la situation au regard de l’emploi des femmes avant même la fécondité, puisque c’est cela même qu’elle vise en premier lieu. Pour réellement identifier l’effet causal, un point clé est de pouvoir prédire quel aurait été le nombre total de naissances de rangs 2 et 3 en l’absence de réforme, de manière à distinguer l’effet dit causal des effets d’aubaine correspondant aux naissances qui auraient eu lieu même en l’absence de réforme. T. Piketty estime que la réforme de l’APE ne peut expliquer plus de 20 à 30 % de la hausse totale des naissances observées de 1994 à 2001 ; au plus, 10 % des naissances de troisième rang et entre 10 et 20 % des naissances de deuxième rang seraient ainsi expliquées. L’effet sur la fécondité est précédé d’un effet sur l’emploi des femmes puisque la même réforme aurait causé directement une interruption d’emploi de 100 000 à 150 000 mères de deux enfants (sur un total de 220 000 retraits du marché du travail). Pour Moschion (2010), une part importante des femmes auraient ainsi programmé un retrait d’activité pour la naissance d’un deuxième enfant, alors qu’avant la réforme, ce retrait avait plus souvent lieu à la naissance du troisième enfant. Toutefois, la réforme semble avoir essentiellement induit un retrait d’activité temporaire sans altérer la propension au retour à l’emploi des femmes avec deux enfants, puisque leur participation à l’emploi (y compris à temps plein) s’est accrue dans des proportions comparables aux femmes sans enfant ou avec un enfant dans les douze ans suivant la réforme – avec toutefois un retard correspondant aux années d’introduction de la réforme (Thévenon, 2009b).

20Ces évaluations montrent que les politiques soutenant financièrement les familles ou permettant une brève interruption d’activité après une naissance jouent favorablement sur la fécondité. Les effets identifiés restent néanmoins modestes et très insuffisants pour permettre d’expliquer que la France est aujourd’hui le pays d’Europe où le taux de fécondité est le plus élevé, et combiné à un taux d’emploi des femmes lui-même relativement élevé. Comparativement aux femmes de beaucoup d’autres pays européens, les Françaises se distinguent par une plus grande conciliation d’un emploi à temps plein avec la présence d’un enfant quel que soit son âge, et par un travail à temps partiel de durée relativement importante et dont la fréquence croît avec la présence d’un deuxième et surtout d’un troisième enfant (Thévenon, 2009b).

Concilier travail et vie familiale : un enjeu essentiel pour la fécondité

21Pour comprendre la façon dont les politiques familiales contribuent à cette situation, il est utile de comparer les tendances de la fécondité entre pays pendant plusieurs décennies et de chercher à mesurer quelle est l’influence des politiques sur les différences de tendances. Luci-Greulich et Thévenon (2013) estiment cette influence en prenant en compte les trois composantes standards des politiques familiales :

  • l’octroi de congé lié à une naissance, en tenant compte des différences concernant la durée du congé et le montant moyen par enfant versé au titre du congé ou d’une prime à la naissance,
  • les autres formes de prestations financières, elles aussi mesurées en moyenne par enfant au sein de la population de moins de 18 ans,
  • l’offre de services pour la petite enfance, caractérisée par le taux de couverture et les dépenses réalisées en moyenne par enfant de moins de 3 ans.

22Toutes les formes d’aide exercent un effet positif sur la fécondité, toutes choses étant égales par ailleurs, suggérant ainsi qu’une combinaison de ces aides est susceptible de favoriser la fécondité. Toutefois, l’effet de la durée du congé et des dépenses associées apparaît, en moyenne, particulièrement faible par rapport à l’effet du taux de couverture des services d’accueil pour les enfants de moins de 3 ans. En outre, l’effet des différentes mesures n’est pas uniforme selon les pays et varie selon les caractéristiques d’ensemble des politiques familiales.

23Ainsi, les aides financières ont une influence comparativement plus importante dans les pays nordiques, où la couverture des modes de garde est relativement importante et les congés comparativement généreux. En revanche, l’effet de la couverture des modes de garde est plus important en Europe continentale, où le taux de couverture est plus faible que dans les pays nordiques et où les aides financières sont massives. Au total, ces différences suggèrent que c’est un certain équilibre entre les différentes mesures qui est susceptible d’influencer le plus fortement la fécondité.

24***

25En dépit de la très grande difficulté à mesurer la contribution à la fécondité des politiques d’aide aux familles, la plupart des études recensées sur le sujet concluent à leur effet positif sur la fécondité. En France, comme dans d’autres pays européens à forte fécondité, la décision d’avoir des enfants est de plus en plus conditionnée par la possibilité de concilier travail et prise en charge des enfants.

26Le succès des politiques familiales « à la française » réside alors dans l’ensemble diversifié d’aides qui octroient aux parents des ressources complémentaires en matière de moyens financiers, de temps et de services nécessaires à la prise en charge des enfants. L’ensemble de ces aides et la diversité des modes de prise en charge offerts contribuent à rendre la décision d’avoir un enfant moins dépendante du statut professionnel des parents et de la mère en particulier. La mesure de la contribution respective de chacun des dispositifs d’aide est sans doute une tâche impossible, tant l’effet combiné et global de toutes ces mesures est certainement bien supérieur à la somme des effets pouvant être associés à chacune d’entre elles, en raison de leur cohérence globale et historique et de la confiance ainsi engendrée.

Notes

  • [1]
    Bien que ce ne soit pas son objectif premier, la Prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) et les modes d’accueil des jeunes enfants influencent ainsi la fécondité, en facilitant la reprise d’activité des parents après la naissance.
  • [2]
    Voir Gilles Pison, « Les conséquences de la crise économique sur la fécondité en France et dans les pays développés », Informations sociales, n° 180, nov.-déc. 2013, p. 22-30.
  • [3]
    Les « évaluateurs » parlent dans ce cas d’un manque de validité externe du résultat d’une évaluation, qui peut être dû au fait que l’expérience évaluée ne s’adressait qu’à une sous-population très particulière ou avec des caractéristiques propres très précises. Cela peut être le cas lorsqu’une mesure de politique familiale (une aide financière) ne vise qu’une population très particulière. Il n’est pas certain que la mesure aurait des effets proportionnels si elle était étendue à toute la population ; de même qu’il n’est pas garanti que le rendement d’une mesure serait accru dans les proportions mesurées par l’expérience si le montant financier de l’aide était accru.
  • [4]
    Créée en 1985, l’Allocation parentale d’éducation (APE) est une prestation forfaitaire versée à l’un des parents ayant fait le choix de s’arrêter de travailler pour élever un enfant. Ouverte en 1994 aux parents de deux enfants, elle été remplacée en 2003 par le Complément de libre choix d’activité (CLCA) de la Paje et étendue, sous certaines conditions d’activité, aux parents n’ayant qu’un enfant.
Français

Les objectifs des politiques familiales se sont diversifiés au cours du temps. Celles-ci ne visent plus seulement à soutenir la fécondité et améliorer les conditions de vie des familles mais d’abord à permettre une meilleure conciliation entre travail et vie familiale. La palette des dispositifs pouvant influencer la fécondité s’est donc élargie, sans qu’il soit toujours possible – ni même pertinent – d’estimer l’effet respectif de chaque mesure sur la fécondité. La plupart des études recensées concluent à un effet positif mais faible sur la fécondité des différentes mesures constituant la politique familiale. Les aides accordées sous forme financière, de congé parental ou de services de garde jouent des rôles complémentaires ; les modes de garde sont devenus cruciaux pour permettre de concilier la naissance d’enfants avec la participation à l’emploi des deux parents.

Bibliographie

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Olivier Thévenon
Chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Ses thèmes de recherche couvrent les politiques familiales et leurs conséquences sur la fécondité, l’activité des femmes et la conciliation entre travail et vie familiale. Il a travaillé pour l’OCDE en contribuant au développement de la base de données sur la Famille ainsi qu’aux publications suivantes : Bébés et Employeurs, Assurer le bien-être des familles, Inégalités homme-femmes : il est temps d’agir. Avant de rejoindre l’Ined, il a été chargé de mission à la Mission Recherche (MiRe) du ministère des Affaires sociales, en charge des programmes de comparaison des systèmes de protection sociale.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/08/2014
https://doi.org/10.3917/inso.183.0050
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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