1Promu par un mouvement dans lequel se mélangent le retour à la nature, le souci de produire « bio », celui de consommer moins cher et une très certaine revalorisation culturelle du travail de la terre, l’entretien des jardins, qu’ils soient floraux ou potagers, connaît depuis quelques années un grand engouement.
2Cette activité longtemps réservée à des hommes aux mains sales mais à la connaissance profonde du monde végétal n’est cependant pas seulement un marqueur de mode ; l’histoire des potagers dont la popularité médiatique remonte à la découverte par la presse, en 1987, des jardins ouvriers de la banlieue parisienne, commence en réalité bien avant cette date. Appelés indifféremment et successivement jardins ouvriers, jardins familiaux ou jardins communautaires, leur création est l’œuvre de l’abbé Lemire (1853-1928), député-maire de Hazebrouck, qui les imagina à la fin du XIXe siècle dans le cadre de la révolution industrielle, afin d’améliorer la situation des familles ouvrières, et qui fonda en 1896 la Ligue française du coin de terre et du foyer dans le but d’en faciliter la gestion en la codifiant.
3C’est au détour d’un travail de recherche sur les pratiques domestiques des hommes des classes populaires connaissant des conditions de vie et d’habitat différentes que Florence Weber [*] s’est intéressée à ceux qui, en plus de leur activité professionnelle le plus souvent ouvrière, s’adonnaient régulièrement à la culture d’un lopin de terre ne leur appartenant même pas.
4D’une question à une autre, d’un témoignage à un autre l’immense richesse de la question s’est révélée à la chercheuse, qui a pris conscience de sa complexité. Découvert un peu « par hasard », cet objet sociologique a révélé au fil de l’investigation la diversité des dimensions qui le constituent : ethnologique, économique, sociologique, politique, culturelle, écologique, historique… Même si Florence Weber pratique ce qu’on pourrait appeler – de manière laudative – une sociologie modeste qui s’interdit à la fois les généralisations hâtives et la théorisation sommaire, son travail dévoile mille observations qui s’éclairent mutuellement.
5L’intention de départ qui était l’étude de la culture potagère comme production alimentaire domestique s’est vite heurtée, de l’aveu de l’auteur elle-même, à la multiplicité des facettes que présente la question. Mais le regard historique que Florence Weber porte à celle-ci permet de souligner l’évolution dans la variété des arguments des promoteurs des « jardins du peuple ».
6Lié d’abord à la propriété et à la famille (« La terre est le moyen, le but est la famille », disait l’abbé Lemire), le potager s’est ensuite vu attribuer une fonction rédemptrice pour les classes dangereuses parce qu’urbaines. Ces arguments s’articulent désormais dans un discours qui met en avant la pédagogie de l’environnement ou l’insertion sociale et célèbre une certaine spontanéité populaire créatrice.
Notes
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[*]
Weber F., 1998, L’honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du XXe siècle, Paris, Belin (série Socio-histoires).