1Il n’est pas contestable que la pratique des jeux de société a beaucoup diminué au fil des dernières décennies. Emblématique des « soirées en famille » dans les années 1950, elle ne constitue plus aujourd’hui en France, selon une étude réalisée par l’Institut d’études politiques de Grenoble, qu’une activité de loisirs assez peu fréquente (« quelques fois dans l’année ou moins souvent ») mais citée quand même par 46 % des personnes sondées. La télévision puis l’ordinateur et les tablettes numériques ont, bien entendu, porté des coups sévères aux plateaux de Scrabble ou de Monopoly. Toutefois, dans l’espace semi-public, il n’est pas rare d’assister encore, par exemple au fond de nombreux cafés, à des parties de jeux de cartes ou de dominos.
2Beaucoup a été écrit sur les jeux de société, sur leur valeur éducative, les mécanismes qu’ils mobilisent (mémoire, observation, stratégie, échange…), les valeurs qu’ils véhiculent ou les types de classification qu’on peut leur appliquer. Ces jeux aujourd’hui, toutes variantes confondues, seraient au nombre de neuf cents et plus, selon l’inventaire mondial qu’en a établi Jean-Marie Lhôte [1] au terme d’une recherche couvrant cinquante siècles et cinq continents. Le plus ancien d’entre eux, le jeu de Senet imaginé par les Égyptiens trois mille ans avant notre ère, consistait pour deux joueurs à déplacer des pions sur 3 rangées de 6 cases. Il passe pour l’ancêtre le plus lointain du jeu d’échecs, dont la conception est liée à la hiérarchisation, par les Perses cette fois, de la valeur des pions. Plus tard, les Romains introduisirent le hasard dans leurs loisirs en inventant les dés. Il faudra attendre l’essor de l’imprimerie pour que se multiplient les jeux de cartes, dont le principe trouve toutefois son origine dès la fin du XIVe siècle.
3Au-delà de leur fonction première qui est clairement le loisir, et de la grande diversité des règles qui déterminent leur déroulement, affrontement ou coopération, ces jeux sont aussi le reflet des sociétés qui les ont imaginés et, pour certains d’entre eux, une « initiation à la vraie vie ».
4Moyen d’évasion, le jeu de société est donc aussi une activité qui s’enracine dans le concret. Le Scrabble, le jeu des 1000 Bornes, le Monopoly ou le Trivial Pursuit, avant les jeux de rôle apparus au début des années 1970, renvoient à des univers et à des préoccupations caractéristiques des époques où ils ont été imaginés. Ils constituent un ensemble culturellement cohérent que Roger Caillois [2] a, le premier, proposé d’organiser sous la forme d’une classification fondée sur l’esprit qui anime ces jeux (compétition, hasard, simulacre, vertige) plutôt que sur leur description. À cette typologie, le dernier ouvrage [3] de Jean-Marie Lhôte, réédité vingt-cinq ans après sa première parution, propose une alternative en les classant en fonction de leurs supports : « l’ordre du monde », jeux d’affrontement et de compétition ; « le sort des rêves », jeux le plus souvent soumis au hasard, ouverts parfois sur la divination ; « le plaisir d’être ensemble », jeux de masques et d’illusion en relation avec la fête ; enfin, « la magie des objets », jouets enracinés dans le mystère des origines.