CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La crise que connaît l’Europe depuis 2008 a eu un effet paradoxal sur les dépenses sociales. Celles-ci ont certes augmenté, mais cette évolution ne doit pas masquer l’effort de restriction budgétaire entrepris dans le même temps. Dans un premier temps, la hausse des dépenses s’explique par le jeu des stabilisateurs automatiques, c’est-à-dire l’action des mécanismes anticycliques de régulation économique que constituent des droits sociaux (assurance chômage, minima sociaux, prestations sous conditions de ressources). Ces mécanismes ont eu plus d’effet que les décisions des États visant à renforcer leurs systèmes sociaux. Cependant, les dépenses sociales se sont révélées, dans la deuxième partie de la crise, en deçà de ce qu’elles auraient dû être en comparaison avec les effets des crises antérieures, ce qui témoigne de l’ampleur des coupes décidées par les États dans cette seconde phase.

Une première phase (2007-2009) d’expansion des dépenses sociales

2La première phase de la crise est marquée, en Europe et dans l’ensemble de la zone OCDE, par une forte hausse des dépenses sociales, tant en part dans le Produit intérieur brut (PIB) qu’en termes réels. Cette hausse est spectaculaire en 2009. Alors que l’Union européenne enregistre cette année-là un recul de son PIB de 4,3 %, l’ensemble des dépenses a crû, en termes réels, de 5,4 %. Sur la période 2007-2009, la hausse cumulée des dépenses sociales réelles s’élève à 9,2 % [1] et s’explique par le jeu des stabilisateurs automatiques.

3Les dépenses d’assurance chômage ainsi que les prestations sous conditions de ressources ont mécaniquement augmenté avec le ralentissement économique, puisqu’une part croissante des citoyens européens ont fait valoir leurs droits à l’assistance ou aux assurances sociales. Le terme de « stabilisateurs automatiques » s’explique par les effets des droits sociaux sur l’activité économique : en limitant la perte de pouvoir d’achat des ménages due à la crise, ils contribuent à éviter un effondrement de la demande et une aggravation de la récession.

4D’une part, la crise économique a fait passer les dépenses chômage de 0,7 % du PIB en moyenne en 2007 à 1,1 % en 2009 (OCDE, 2012). L’effet de la hausse du chômage sur les dépenses sociales est particulièrement fort en Islande, en Irlande et en Espagne où la hausse du chômage a été respectivement de 5,7 et 10 points entre 2007 et 2009.

5D’autre part, à la même période, les dépenses correspondant aux prestations sous conditions de ressources en direction des populations d’âge actif (minima sociaux, aides au logement, prestations familiales sous conditions de ressources) ont fortement augmenté. Elles constituent la deuxième composante des stabilisateurs automatiques. La crise, en réduisant les ressources des ménages, a fait basculer un nombre croissant de ceux-ci dans ces dispositifs. Les pays où la proportion de prestations familiales sous conditions de ressources est la plus élevée enregistrent la hausse la plus forte des dépenses Famille (OCDE, 2012) : la hausse est ainsi, sur la période 2007-2009, de 1,2 % en Irlande et 0,6 % au Royaume-Uni contre 0,3 % du PIB en moyenne dans l’OCDE. Au Royaume-Uni, le nombre de familles recevant des crédits d’impôt (Child Tax Credit et Working Tax Credit) est passé de 6 millions en 2004 à 6,1 millions en 2009 puis 6,3 millions en 2010.

Tableau

Évolution des dépenses sociales dans les pays ciblés par l’étude (en % du PIB)

Tableau
2007 2008 2009 2010 2011 2012 Royaume-Uni 20,4 21,8 24,1 23,7 23,9 23,9 Portugal 22,7 23,1 25,6 25,6 25,2 25,0 Espagne 21,3 22,9 26,0 26,5 26,0 26,3 Pays-Bas 21,1 20,9 23,2 23,5 23,7 24,3 Finlande 24,7 25,3 29,4 29,4 28,6 29,0 France 29,7 29,8 32,1 32,2 32,1 32,1 Allemagne 25,1 25,2 27,8 27,1 26,2 26,3 Grèce 21,6 22,2 23,9 23,3 23,5 23,1

Évolution des dépenses sociales dans les pays ciblés par l’étude (en % du PIB)

Source : Eurostat.

6Cependant, l’effet des stabilisateurs automatiques n’explique pas toute la hausse des dépenses sociales sur la période. En 2009, la hausse des dépenses en termes réels s’explique pour 60 % par l’assurance maladie et les retraites alors que les dépenses chômage, stabilisateurs automatiques par excellence, ne représentent que 23 % de la hausse [2]. Les dépenses Famille expliquent 7 % de la hausse. Dans ce domaine, certains pays ont pris, au cours de la première phase de la crise, des mesures de relance de la consommation par la création d’allocations nouvelles (comme le RSA en France en 2009) ou augmenté des allocations existantes sous formes de dispositifs ciblés, comme la prime exceptionnelle aux bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire (ARS) en France, ou universels, comme le « chèque bébé » en Espagne.

Une deuxième phase de plans de consolidation à partir de 2010

7À partir de 2010, les dépenses sociales ont vu leur croissance réelle se stabiliser : + 0,6 % en 2010 selon la Commission [1]. Elles ont ensuite reculé en 2011 (– 1,5 %). Le recul s’est poursuivi en 2012, au moins pour les dépenses en nature, les dépenses en espèces étant relativement stables selon la Commission. Certains pays de l’Union ont été particulièrement affectés par cette baisse des dépenses : en Grèce et au Portugal, les dépenses sociales publiques en termes réels sont, en 2011-2012, respectivement 13,7 % et 0,8 % plus faibles qu’en 2007-2008 (OCDE, 2012).

8Le coup d’arrêt est particulièrement spectaculaire en matière de dépenses de santé. Au sein de l’OCDE, les dépenses de santé totales ont stagné en 2010 alors qu’elles avaient crû de 4,8 % par an en moyenne entre 2000 et 2009.

9L’évolution des dépenses publiques de santé est passée de + 4,9 % en 2009 à – 0,3 % en 2010. Certains pays ont connu une véritable chute des dépenses de santé, notamment l’Irlande (– 7,6 %), l’Estonie (– 7,3 %) et la Grèce (– 6,5%). En 2011, l’Italie et le Portugal auraient connu à leur tour une baisse de leurs dépenses (respectivement – 1,3 et – 5,2 %) (Astolfi et Morgan, 2013).

Un « social spending gap » en progression rapide

10La Commission européenne a calculé l’écart entre l’évolution des dépenses sociales durant la crise et leur progression vraisemblable si la crise n’avait pas eu lieu et si les dépenses avaient suivi une progression tendancielle. Cet écart entre les dépenses sociales constatées et leur évolution attendue hors crise s’appelle le « social spending gap », par analogie avec l’« output gap » qui mesure l’écart du PIB par rapport à sa progression tendancielle. Le social spending gap depuis 2008 a été comparé à celui observé durant de précédentes récessions dans les années 1990 et 2000. En 2009, l’écart a été positif de 5 %, soit beaucoup plus que durant les précédentes récessions (+ 1 %), en raison de l’effet très important des stabilisateurs automatiques. Dès 2010, cet écart s’est rapidement réduit, pour devenir négatif en 2011 et atteindre – 5 % en 2012. Durant les précédents épisodes récessifs, l’écart des dépenses sociales trois ans après la récession n’était que de 1 %. Cet écart atteste de l’ampleur des coupes sociales lors de la présente crise.

Notes

  • [1]
    Voir Annual Growth in Real Public Social Expenditure in EU (2001-2011), Commission européenne, 2013, graphique n° 44.
  • [2]
    Voir Contributions of Different functions to the Real Annual Growth of Total Social Expenditure in EU (2001-2010), Commission européenne, 2013, n° 43.

Bibliographie

  • Astolfi R. et Morgan D., 2013, « Health Spending Growth at Zero : which Countries : which Sectors Are Most Affected ? », OECD Publishing, 29 janvier.
  • Commission européenne, 2013, EU Employment and Social Situation, Quarterly Review, n° 5, mars.
  • Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), 2012, Social Spending during the Crisis.
Catherine Collombet
Sous-directrice des relations internationales à la Caisse nationale des Allocations familiales et chargée de mission au Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Elle a publié notamment : « Diversité des modes d’accueil du jeune enfant en Europe », Informations sociales, 2013/1, n° 175 ; « La protection sociale en Amérique latine. Analyser les enjeux et identifier les axes de coopération pour la France », Document de travail du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, juillet 2013.
Avec la collaboration d’
Anna Hiltunen
Conseillère technique à la Direction des relations internationales de la Caisse nationale des Allocations familiales.
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/03/2014
https://doi.org/10.3917/inso.180.0082
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