1La réforme de la politique de la Ville réussira-t-elle à articuler développement social et traitement urbain ? C’est son ambition autant que la condition de sa réussite. Mais remobiliser les institutions et les acteurs dans les « quartiers », faire participer les habitants plutôt que traiter les territoires comme des poches de pauvreté à compenser, suppose le décloisonnement des modes opératoires administratifs et politiques. Autant le dire, une révolution culturelle de l’action publique.
2Cela fait plus de trente ans que le « problème des banlieues » fait l’objet d’une intervention spécifique de l’État, avec une politique de la Ville qui engage des mesures de discrimination positive territoriale et implique une mobilisation accrue des collectivités locales. Objet de vives critiques, la politique de la Ville ne parviendrait pas fondamentalement à agir sur les causes de la ségrégation urbaine, mais on estime généralement que, sans son application, la situation des quartiers réputés « sensibles » aurait été bien pire.
3Face à un bilan qui apparaît très mitigé, les orientations récentes de la politique de la Ville affichent une nouvelle ambition. Celle-ci repose sur une réforme de la gouvernance des politiques publiques, qui n’ont pas réussi jusqu’à présent à réduire les inégalités territoriales et les difficultés sociales des populations [2]. Dans ce contexte, cet article analyse les conditions de mobilisation de l’action publique dans des territoires qui sont actuellement profondément transformés par les vastes opérations de rénovation urbaine (démolition et reconstruction des bâtiments). Cette réforme invite en particulier à réfléchir sur la place et le rôle d’un projet social renforcé, là où prédomine une forte inflexion sur les actions de revitalisation physique des quartiers. Elle vise à réussir une approche globale de la question sociale, qui est à l’origine de la politique de la Ville des années 1980, en tentant de mettre fin à la séparation entre le développement urbain et le traitement social des quartiers. La mise en cohérence des programmes de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) au travers d’une politique contractuelle rénovée (contrat de ville unique de développement social et urbain) répond à cette préoccupation, tandis que s’affirme la volonté d’une meilleure coordination des services au niveau de l’État afin de mobiliser la priorité du droit commun.
4Cette réforme milite pour un retour aux sources de cette politique et à ce qu’elle aurait dû être, c’est-à-dire une approche ascendante de l’action publique, plus participative, transversale et ancrée sur les territoires. Afin d’inscrire la priorité d’un projet social au cœur du projet urbain, il est nécessaire de tenir compte du bilan de la politique de la Ville. Celui-ci permet d’identifier un certain nombre de conditions qui relèvent autant de la conception et des finalités que des modalités de mise en œuvre et des professionnels de cette politique. Sont discutés dans cet article quatre enjeux concernant la gouvernance de la politique de la Ville : remobiliser le droit commun dans les quartiers ; innover par une politique transversale ; décloisonner le travail social ; articuler l’urbain et le social dans un projet de territoire.
Remobiliser le droit commun
5À l’origine, la politique de la Ville devait être un levier pour diffuser et rendre plus efficaces les politiques publiques dites de « droit commun » (emploi, logement, éducation, santé, sécurité) dans les quartiers. Mais parfois, loin d’assurer ce passage de relais, cette offre de nouveaux financements a peu à peu entraîné une forme de dérive qui a vu les crédits dédiés se substituer aux crédits de droit commun. En effet, lorsque la politique de la Ville s’est déployée dans les quartiers concernés, les autres administrations ont eu tendance à se dérober. Or, la politique de la Ville vise par essence à mobiliser les crédits du droit commun, non pas à s’y substituer. Ce n’est donc ni la philosophie ni la méthode de la politique de la Ville qui sont en cause, mais l’adéquation du droit commun avec les caractéristiques spécifiques des quartiers, avec un service public adapté en termes de compétences, d’effectifs et de pérennité [3]. En effet, ce sont toutes les politiques des différents ministères qui devraient intégrer la préoccupation des quartiers dans leurs modes d’intervention. Si le droit commun évolue dans le sens d’une plus grande égalité de traitement, alors la politique de la Ville pourrait se déployer comme une politique spécifique et innovante et non pas substitutive et stigmatisante.
Innover par une politique transversale
6Cette ambition, et c’est là tout l’enjeu de la réforme, exige d’impulser un changement en profondeur, voire une rupture, du modèle de gouvernance, à partir d’une approche plus « ascendante » de l’action publique fondée sur la définition d’un projet local de territoire, dont le maire (et l’agglomération) est le pivot avec l’appui de l’État, et la signature d’un contrat unique de développement social et urbain. Pour le dire encore plus nettement, cette orientation va plus dans le sens d’une définition locale de la politique de la Ville, avec un accompagnement de l’État, que d’une programmation nationale que le local doit appliquer. Elle engage une conception moins étatique et plus décentralisée de la politique de la Ville. Car la norme nationale ne garantit pas l’implication des acteurs locaux autour d’un projet global, malgré la méthodologie du contrat, ni l’effet levier attendu sur le droit commun.
7La politique de la Ville a ainsi besoin de retrouver sa dimension de « laboratoire » de l’action publique. En effet, cette politique avait impulsé au début des années 1980 une innovation dans l’action publique. Cette approche innovante était étayée par une remise en cause des politiques universelles, centralisées et sectorisées au profit d’approches plus globales, transversales et plus proches des populations. Rappelons les rapports fondateurs sur les quartiers (Dubedout, 1983), l’insertion des jeunes en difficultés (Schwartz, 1982) et la prévention de la délinquance (Bonnemaison, 1982). Ils ont été à l’origine de nouveaux dispositifs d’action publique qui s’appliquent à des territoires délimités, visent la mise en œuvre d’une action globale et transversale, accordent un rôle central au local et fonctionnent enfin par « contrat », où l’appui de l’État est conditionné par l’engagement des collectivités locales et la « participation des habitants ». S’est ainsi mise progressivement en place une approche territoriale de lutte contre l’exclusion, en faveur des zones urbaines défavorisées, menée par l’État en partenariat contractuel avec les collectivités locales (Avenel, 2010).
8Or, c’est un constat largement partagé par les acteurs locaux, l’évolution récente de la politique de la Ville consacre moins la logique de développement endogène des quartiers que la conception d’une politique de traitement des carences des territoires pour un retour au droit commun. La stratégie de développement social de départ a été éclipsée par une approche valorisant le zonage. Le traitement des déficits s’est substitué à la mobilisation des habitants. La valorisation d’une politique descendante a remplacé la promotion d’une démarche ascendante.
9Si ce constat peut être nuancé, il n’en est pas moins récurrent d’un site à un autre. Les professionnels locaux de la politique de la Ville disent avoir le sentiment d’être dans une sorte de fin de cycle où l’on aurait perdu le « processus » dans la « procédure », sans pour autant entrapercevoir le fil conducteur d’un nouveau modèle d’action. Selon eux, il faudrait en finir avec l’empilement des « dispositifs » et l’accroissement du temps consacré à la recherche des financements et à la gestion de la complexité administrative, qui risquent d’entraîner une perte de sens de la mission. Par exemple, les Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) font l’objet d’une critique récurrente : celle de ne pas engendrer de dynamique de développement social et de ne pas favoriser la mise en cohérence des dispositifs existants.
10Les chefs de projet peuvent aujourd’hui apparaître comme des « courroies de transmission » en charge de l’application de dispositifs descendants. En somme, en allant du « contrat de ville » (2000-2006) au CUCS (2007-2014), on serait passé du chef de projet, partenaire et développeur du territoire, au chef de l’appel à projets, exécutant de la municipalité et capteur de financements… Et ce, bien que les délégués du préfet, chargés d’une mission transversale d’impulsion et de relais des méthodes de coopération, incarnent la présence physique de l’État sur le territoire et un rôle de facilitateur entre les partenaires (Didier, 2011). Toutefois, la jeunesse du dispositif ne permet guère de parler d’une modification de la gouvernance locale de la politique de la Ville par l’action rapprochée des délégués du préfet.
11Quant aux associations, elles soulignent le risque que représente un positionnement trop resserré sur une fonction d’opérateur des politiques publiques, doté d’une délégation de service et de prestation, au détriment de leur rôle actif de creuset de l’action collective et de la participation citoyenne. Le fonctionnement sur le mode des « appels à projets » implique une logique de « réponse » à des commandes des institutions publiques qui altère la fonction historique de médiation et d’innovation sociale revendiquée par les associations.
12En fin de compte, il s’agirait de retrouver l’essence même de la politique de la Ville, en appliquant au fond sa méthode et les fondamentaux de toujours : un diagnostic partagé et porté sur le plan politique, puis un projet local, une approche globale et un contrat unique. Mais la mise en œuvre effective de ce référentiel d’action implique un changement radical, voire une « révolution culturelle » des postures et des pratiques, étant donné la persistance des difficultés d’articulation entre le « social » et « l’urbain ». Le cloisonnement continue de dominer sur le projet partagé. S’il existe au plan local une réelle volonté de transversalité de l’intervention, elle se déploie souvent, de fait, avec toute une ingénierie politique et administrative bâtie en « silos ». La vision est globale mais les modes opératoires demeurent sectoriels et spécialisés. En fait, la compartimentation des politiques est devenue l’un des principaux obstacles au développement de la cohésion sociale. En somme, si l’on osait la formule, désenclaver les quartiers ce serait, d’abord, désenclaver les institutions et les modes de faire.
Décloisonner le travail social
13La rencontre entre les professionnels de la politique sociale et ceux de la politique de la Ville ne s’est jamais véritablement opérée. On a pu parler à ce propos d’un « rendez-vous manqué » (Brévan-Picard, 2000). Au départ, la politique de la Ville a été perçue et vécue comme une remise en cause directe du travail social et de son efficacité. Il est vrai qu’elle émergeait d’une critique des différentes mesures sectorielles liées à l’exclusion, avec l’ambition d’agir de façon décloisonnée en mettant en œuvre une approche partenariale faisant travailler ensemble tous les acteurs concernés. C’est d’ailleurs le club « Habitat et vie sociale » (HVS) qui va promouvoir la formule du « développement social », un terme qui apparaît pour la première fois dans une circulaire ministérielle du secrétariat d’État au logement en 1972. Cette formulation, portée par certains professionnels du champ urbain au sein du ministère de l’Équipement, élabore une approche de l’action sociale globale, à l’échelle des quartiers et des agglomérations, qui s’oppose aux formes traditionnelles d’assistance individuelle. C’est la matrice de la future politique de la Ville.
14Or, sur cette question du travail social, il est important de noter que dans certains endroits, celui-ci peut ne pas être dissocié de la politique de la Ville, comme on pouvait l’observer il y a une quinzaine d’années. Dans certains quartiers, la rénovation urbaine a pu être un levier de transformation de l’action sociale, au point de renouveler les approches et les pratiques professionnelles, en particulier du travail social. C’est, par exemple, ce que nous avons observé à Valenciennes (Avenel, 2013) : les travailleurs sociaux du CCAS (les assistantes sociales), qui connaissaient les populations concernées, ont été un atout en facilitant l’approche des familles, avec le concours des centres sociaux. Le Projet de rénovation urbaine (Pru) a notamment permis de réaliser un bilan social complet sur ces territoires, en détectant des publics isolés qui n’avaient pas recours aux services sociaux classiques. Au Havre, Besançon et Clichy-sous-Bois également, des rapprochements se dessinent entre travail social et politique de la Ville, comme si le fameux rendez-vous entre les deux secteurs pouvait finalement être honoré.
15Toutefois, de façon générale, dans un grand nombre de projets les travailleurs sociaux n’ont guère été associés. Leur positionnement est implicitement en cause : quelle place doivent-ils tenir dans les Pru ? Quelles informations peuvent-ils transmettre ? Et comment appréhender la question délicate du secret professionnel et de l’éthique ? Le lourd passé de la politique de la Ville du point de vue des travailleurs sociaux continue de peser. La temporalité sous-jacente au montage des projets s’est en outre avérée difficilement compatible avec celle du suivi des ménages : « Le temps de la rénovation urbaine est un temps long mais très normé alors que celui du travail social est différent, long également, mais plus « incohérent », parce que c’est celui de l’humain » (Madelin, 2009). Par ailleurs, la persistance des cultures métiers et des représentations ne facilite pas le rapprochement des acteurs. Plus fondamentalement, la concentration des problèmes sociaux et l’hétérogénéité croissante des publics engendrent pour les professionnels du travail social une intensification et une surcharge de tâches, souvent administratives. L’architecture des dispositifs à vocation sociale est souvent d’une complexité telle que leur travail peut être embolisé par l’explication des droits auprès des bénéficiaires et d’évaluation des situations, puis d’orientation et d’instruction des dossiers, au détriment du temps consacré à l’accompagnement social. En somme, le travail social serait de plus en plus associé à l’exécution des dispositifs et de moins en moins à l’innovation et au développement. L’approche curative centrée sur l’urgence enferme le travail social dans une logique de la « réparation », au détriment d’une approche plus préventive. Dans les grands instruments de la gouvernance locale (Pru, Plu, Scot, PLH, CUCS, etc.) [4], le social est souvent considéré comme le « volet de », « l’accompagnement de », « ce qui reste à prendre en charge ». De fait, le social est davantage pensé comme le chantier de l’après-Pru. Si l’articulation entre projet social et projet urbain est certes une tendance émergente, elle demeure encore largement insuffisante pour contrebalancer les processus lourds de ségrégation.
Articuler développement social et projet urbain dans les projets de territoire
16Il apparaît essentiel de ne pas limiter la notion de « projet social de territoire » aux seules dimensions de Maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (Mous) ou de Gestion urbaine de proximité (Gup), dont les enjeux portent sur la préservation urbaine et les questions d’entretien, de prévention de dégradations et de sécurisation des espaces publics [5]. Les enjeux de la cohésion sociale impliquent une approche globale des problèmes économiques, scolaires et sociaux. Car des individus mieux logés mais sans emploi ou en emploi précaire sont des individus qui continueront de développer une perception mitigée de leur situation. Les personnes relogées sont des personnes en situation de pauvreté et elles restent pauvres dans leur nouveau logement. Aussi les enjeux socio-économiques et scolaires qui procèdent du Pru posent-ils la question de la définition partagée, et de la mise en œuvre, d’un véritable projet de territoire ; et, tout particulièrement, la question des complémentarités entre les politiques du département, chef de file de l’action sociale, les politiques municipales, les organismes de protection sociale et le mouvement associatif. L’observation montre une vraie fragilité dans l’effort de construction locale d’une politique sociale et d’insertion économique coordonnée autour du projet urbain.
Rénover les relations de complémentarité entre les départements et les villes
17Pour transformer l’essai, la politique de la Ville est tributaire d’une refondation des relations de complémentarité entre les départements et les villes. En effet, les départements devraient être des acteurs à part entière de la politique de la Ville, même si la non-signature des CUCS n’empêche pas, dans les faits, une intervention sur différents domaines stratégiques [6]. À tout le moins, il s’agirait de faire en sorte qu’ils puissent s’impliquer davantage sur le droit commun (action sociale, prévention spécialisée, collèges, insertion) dans le cadre de projets de territoires concertés, articulant le développement social au projet urbain de la ville. Or, sur ce plan, le chantier reste entier. Car si le département est bien présent sur le territoire des villes, il l’est bien plus en termes d’implantation d’équipements, d’attribution de prestations sociales et d’offre de services qu’en termes de coopération stratégique. L’action du conseil général dans les territoires urbains devrait donc être profondément repensée. En effet, l’accentuation des responsabilités sociales obligatoires transférées aux conseils généraux, alors que leurs marges de manœuvre financières s’épuisent, pèse sur leurs capacités d’agir en matière de prévention. De nombreuses observations se rejoignent pour souligner une faible implication des départements dans des actions de développement social sur les territoires urbains, où rien de décisif ne peut se faire sans une forte coopération avec les maires.
18Une démarche de concertation s’impose d’autant plus entre les deux collectivités territoriales qu’elle soulève un enjeu décisif : celui d’une lecture commune du concept même de politique sociale, dans le sens d’une approche plus préventive et participative, moins curative et assistancielle. La réorientation des politiques sociales dans cette direction constitue un enjeu de premier plan. En effet, la prise en compte des enjeux de la cohésion sociale exige non seulement de réduire les inégalités, mais de s’engager également dans une intervention plus globale sur le lien social et le « faire société », à l’échelle de la commune et pas seulement du quartier. Il s’agit donc moins de « guérir » que de « prévenir », moins de « réparer » que d’investir, dans un enrichissement des liens sociaux et une extension de leur qualité, en prenant appui sur les ressources locales existantes. Le défi consiste alors à intégrer une politique de quartier et de proximité dans une approche plus générale qui est celle du projet de ville et d’agglomération.
Un enjeu de visibilité du projet social
19Cette ambition se heurte à une difficulté récurrente : le « projet social » manque de lisibilité non seulement en raison de la grande diversité des acteurs concernés et de leurs missions, qui s’empilent les unes sur les autres, mais également en raison de la singularité de son objet. Il s’agit là d’un problème de fond, car le projet social est diffus et « ne se voit pas », à l’inverse du projet urbain et des gestes architecturaux, qui sont tangibles. Cette difficulté pose une question décisive, qui relève du portage politique de la politique sociale, car celle-ci est le plus souvent perçue comme une compétence nécessaire, mais finalement peu attractive.
20La notion de projet social exige plusieurs conditions. La première réside dans la mutualisation de l’observation sociale locale et l’élaboration d’un diagnostic territorial partagé, surtout porté par les élus, non seulement pour en faire un outil de connaissance, mais davantage un outil de culture commune, de partage des finalités, de rassemblement et de reconnaissance des acteurs. L’appropriation politique et fonctionnelle de l’outil de l’observation constitue le paramètre essentiel, car actuellement les collectivités ne s’emparent pas véritablement de l’observation et celle-ci n’accompagne pas suffisamment le choix des dirigeants, alors que les diagnostics divers s’accumulent. La deuxième condition est l’association des habitants aux décisions qui les concernent, ne se limitant pas à une simple logique de consultation. Si l’on veut retrouver le sens du projet de territoire, il semble nécessaire de concrétiser l’étape de coconstruction avec les habitants et les associations (le nouveau « concept horizon » de l’empowerment). La troisième condition tient à l’organisation progressive d’un repositionnement du travail social dans une approche plus participative et territoriale, facilitant l’implication des professionnels au projet urbain de la ville au sens large, au diagnostic territorial et à l’animation des quartiers.
21Ne doit-on pas finalement métamorphoser la conception de la politique de la Ville en modifiant le regard qui est généralement posé sur les quartiers ? Le discours social et politique tend à les considérer comme des quartiers « hors norme », à l’image de la conception d’une politique de traitement des carences des territoires, qui les définit de façon pathogène par la somme de leurs écarts statistiques par rapport à la moyenne de l’agglomération. L’intervention publique véhicule alors une représentation des quartiers comme des « zones à détruire » plutôt que des territoires à valoriser. L’image négative d’eux-mêmes ainsi renvoyée aux habitants n’aide guère à se sentir reconnu et accepté dans la société. Cette vision, basée sur la compensation et la remise à niveau, est devenue un élément à part entière du problème : elle enferme la politique de la Ville dans la réparation et la stigmatisation et bloque la possibilité d’une approche plus préventive et participative.
Notes
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[1]
Cet article n’engage que son auteur.
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[2]
Voir le comité interministériel des villes du 19 février 2013 qui se conclut par 27 décisions regroupées en cinq priorités : la révision de la géographie prioritaire, avec une concentration des crédits spécifiques sur un nombre plus restreint de quartiers ; la mobilisation du « droit commun renforcé », avec une politique contractuelle rénovée et une exigence de solidarité territoriale et de péréquation plus cohérente ; l’achèvement du programme de rénovation urbaine ; l’association des habitants aux décisions et aux projets dans un objectif de coconstruction des nouveaux contrats de ville ; et, enfin, la lutte contre les discriminations. Cette réforme procède d’une consultation nationale, « Quartiers, engageons le changement ! », ouverte par François Lamy, ministre délégué à la Ville, à Roubaix le 11 octobre 2012 et clôturée le 31 janvier 2013 à l’Assemblée nationale.
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[3]
En ce sens – mais c’est un autre débat –, parler d’un « échec » de la politique de la Ville est un contresens.
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[4]
Programme de rénovation urbaine (Pru) ; Plan local d’urbanisme (Plu) ; Schéma de cohérence territoriale (Scot) ; Programme local de l’habitat (PLH) ; Contrat urbain de cohésion sociale (CUCS).
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[5]
La gestion urbaine de proximité (Gup) est confrontée à un double défi, lié d’une part à la pérennisation des acquis de la rénovation urbaine et, dans le cadre d’un habitat physiquement renouvelé, aux problématiques de cohabitation entre les nouvelles populations et celle qui est majoritairement restée sur place d’autre part. Ces enjeux en entraînent d’autres qui sont liés à la responsabilité qui incombe aux pouvoirs publics, notamment en ce qui concerne la conception, l’organisation et la maintenance des espaces collectifs ainsi que la pertinence et la cohérence des politiques d’attribution et de gestion locatives.
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[6]
En effet, 54 départements seulement étaient signataires des CUCS en 2010. Quelques-uns participent au cofinancement des Mous.