1La loi du 16 décembre 2010 sur la réforme des collectivités territoriales prévoit l’achèvement de la carte intercommunale pour une couverture homogène du territoire à l’horizon 2013 : rattachement des dernières communes isolées, rationalisation du périmètre des Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) existants et suppression des syndicats intercommunaux, élaboration du schéma départemental par le préfet. Pour autant l’intercommunalité est essentiellement située dans le champ des compétences de la gestion des services territoriaux et des enjeux socio-économiques et urbains, avec le développement économique, le transport, l’aménagement du territoire, les grands services de l’eau et du ramassage des déchets, le développement durable, etc. Toutefois, le social reste une compétence peu développée dans la plupart des agglomérations urbaines. Afin de mieux saisir les enjeux du champ social dans le cadre de l’intercommunalité, Informations sociales a organisé une table ronde.
2Quels premiers éléments de bilan peut-on dresser de l’intercommunalité dans le champ social ? Va-t-on vers un renforcement de l’intégration des questions sociales dans le champ des compétences intercommunales ?
3Laurent Cytermann (L. C.) : L’action sociale n’est pas la compétence emblématique des intercommunalités. D’ailleurs, jusqu’à la loi de cohésion sociale de 2005, elle n’était pas mentionnée explicitement parmi les compétences pouvant être transférées à celles-ci, même si le transfert pouvait se faire en tant que compétence facultative. L’intérêt de gérer au niveau intercommunal des services comme le logement, les transports, l’eau ou les déchets est manifeste, car il existe une forte interdépendance entre les communes. La difficulté en matière d’action sociale est qu’il s’agit de services de proximité : il n’y a pas a priori d’inconvénient à ce que chaque commune gère les crèches ou les services à domicile aux personnes âgées pour ses propres habitants. Pourtant, l’intercommunalité a acquis un rôle social qui est loin d’être négligeable. C’est davantage le cas, il est vrai, pour les petites intercommunalités, qui ont le statut de communauté de communes. Ainsi, selon une enquête de l’Association des communautés de France (ADCF) [2], 77 % des intercommunalités de 5 000 à 10 000 habitants ont une compétence en matière sociale contre 38 % de celles de plus de 50 000 habitants. Pour les communes rurales, c’est souvent le seul moyen de mettre en place des services sociaux, par exemple pour l’accueil des jeunes enfants, indispensables pour attirer des ménages actifs. L’intercommunalité sociale est moins développée dans les villes mais elle existe aussi, avec des exemples de mutualisation très poussée comme à Beauvais ou Blois.
4Je crois que, même si la gestion au niveau intercommunal s’impose avec moins d’évidence pour le social que pour d’autres compétences, elle présente de nombreux avantages, y compris pour les agglomérations urbaines. Elle simplifie beaucoup le travail de partenariat avec d’autres acteurs, comme le département ou la Caf : il est plus facile pour eux de passer des contrats avec quelques dizaines d’intercommunalités qu’avec plusieurs centaines de communes. Elle permet d’assurer une péréquation des moyens, ce qui est important car les besoins sociaux sont souvent répartis de manière inégale au sein d’une agglomération. Elle facilite aussi la professionnalisation des travailleurs sociaux et des agents des centres d’action sociale.
5Patrick Le Lidec (P. L.L.) : Le transfert complet de la compétence sociale à l’échelle intercommunale risque d’être très difficile à réaliser : jusqu’ici, les compétences que les maires acceptent de transférer aux communautés sont avant tout des compétences techniques. Or, le social n’a rien d’une compétence technique. Les maires se montrent réticents pour transférer toutes les compétences permettant de construire une relation directe avec le citoyen parce c’est de celles-ci que les élus tirent une large part de leurs ressources politiques. Quand on regarde le type de compétences qui ont été transférées, il s’agit plutôt des grands réseaux, des compétences techniques, éventuel-lement aussi celles qui sont très chères et qui ne sont pas jugées rentables politiquement. Par ailleurs, nous sommes face à un tableau de l’intercommunalité en général qui est extraordinairement divers. Nous constatons que le social est de plus en plus saisi par les communautés non pas dans une logique de transfert de compétences mais d’extension ou de création de compétences. L’action intercommunale ne vient pas se substituer à l’action communale, elle en constitue un prolongement. Autrement dit, ce que des communes seules ne faisaient pas parce qu’elles n’avaient pas la taille critique, elles peuvent désormais le faire dans le cadre intercommunal. Dans le champ social, c’est le moyen de faire des crèches et des maisons de retraite pour des communes qui, isolément, n’en n’avaient pas les moyens financiers.
6Emmanuel Heyraud (E. H.) : Il faut effectivement insister sur la diversité des situations. Il existe des intercommunalités de projet, défensives, d’opportunité… On observe au sein d’un même type d’agglomération – je pense en particulier aux communautés urbaines – des niveaux d’intégration et d’engagement variables sur les politiques sociales. Regardons par exemple les communautés urbaines de Bordeaux et Strasbourg, qui ont été créées peu ou prou au même moment. Celle de Bordeaux est assez peu engagée (ou récemment) sur les politiques sociales, y compris sur la politique de la Ville. À l’inverse, la communauté urbaine de Strasbourg est très intégrée : les personnels municipaux relèvent de l’intercommunalité et partagent les mêmes locaux avec, de surcroît, une délégation consentie du département à la ville pour la gestion de l’action sociale.
7Nous assistons à une lente montée en puissance de l’intercommunalité pour ce qui concerne les politiques sociales. Le plan de cohésion sociale (PCS) de janvier 2005 a été un accélérateur. Mais c’est surtout la délégation, décidée en 2004, des aides à la pierre aux Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et aux grandes villes, dotés de Programmes locaux de l’habitat (PLH), qui marque le début de ce mouvement. Le bilan des Centres intercommunaux d’action sociale (Cias), huit ans après leur création, est assez contrasté. Ils ont émergé dans le tissu périurbain, voire en milieu rural, précisément parce qu’un certain nombre de communes sans moyens y ont vu l’occasion de déléguer les compétences sociales les plus coûteuses, tout en gardant néanmoins le contrôle des centres communaux d’action sociale (CCAS) pour une offre de proximité, en direction de publics spécifiques.
8P. L.L. : En fait, l’intercommunalité ne s’inscrit pas dans un processus de substitution. De ce point de vue, il y a une ambiguïté fondamentale dans la manière dont l’intercommunalité s’est construite en France. Elle était censée, dans l’esprit de ses promoteurs au niveau des administrations centrales, être un moyen de rationaliser et de se substituer aux communes, à moyens constants et, donc, de faire mieux au même prix, voire moins cher. Mais les élus municipaux ont privilégié une lecture différente dans la mise en œuvre, puisqu’elle est devenue à leurs yeux un moyen de faire plus avec davantage de moyens.
9E. H. : Je voudrais revenir sur la question du Plan local d’urbanisme intercommunal (Plui). Elle a généré beaucoup de tensions et controverses au moment du vote de la loi Grenelle II, en 2010. Nombre d’élus, plus particulièrement ceux issus de petites et moyennes villes, se demandaient ce qui allait leur rester si on leur retirait la compétence du droit des sols. C’est pourquoi le Plu d’agglomération ou le Plui a été repoussé à la fois par la droite et la gauche, alors que le gouvernement de l’époque y était favorable. Il sera intéressant de voir, dans l’Acte III de la décentralisation tome 1 (dédié aux métropoles), ou bien dans la loi Urbanisme et logement portée par la ministre du Logement et de l’Égalité des territoires (dite « Duflot II »), si les élus vont accepter le principe du transfert du Plu de niveau communal au niveau intercommunal. En effet, ce qui est en jeu derrière le Plui, c’est toute l’articulation d’un projet social et urbain intégré et mené au bon échelon, avec le PDU, le PLH, le programme de rénovation urbaine et, le cas échéant, les futurs contrats de ville nouvelle génération à partir de 2014/2015.
10Quels sont les enjeux posés par ce lien communes-intercommunalité ?
11E. H. : Le décalage est important entre l’échelon de proximité, auquel les Français se disent attachés dans les sondages d’opinion, et l’échelon pertinent de gouvernance, à savoir l’intercommunalité avec les moyens dédiés. À mon sens, il existe un déficit d’appropriation du fait intercommunal en France qui est préoccupant. L’avenir du pays et son redressement dépendent largement d’agglomérations consolidées, puissantes et solidaires, dont les modes d’intervention et de fonctionnement sur les territoires devront être décloisonnés. Il n’est pas certain que les citoyens identifient les leviers et ressources fiscaux à la disposition des intercommunalités auxquelles ils adhèrent de manière indirecte – puisque, pour mémoire, les présidents d’intercommunalités et conseillers communautaires ne sont toujours pas élus au suffrage universel direct. Il n’est pas sûr non plus, faute probablement de pédagogie, que nos concitoyens aient compris que les politiques publiques structurantes à dimension locale seront, demain, organisées et mises en œuvre au niveau de l’intercommunalité. À l’horizon des années 2020-2026-2032, surtout si les EPCI et futures métropoles deviennent des collectivités de plein exercice, il y a fort à parier que l’arène politique centrale, là où se prendront les décisions significatives à forts enjeux pour les populations, sera l’espace intercommunal.
12P. L.L. : Le constat de ce déphasage n’est pas nouveau. Il date au moins d’un demi-siècle. Pour autant, il n’est pas sûr que les conditions institutionnelles du transfert du pouvoir vers l’échelon intercommunal sont pleinement réunies, du fait du positionnement des maires et de l’importance de leurs relais au Sénat.
13L.C : Sur le lien entre communes et intercommunalités, la législation actuelle permet de faire du « sur-mesure », avec la possibilité de ne transférer que certaines compétences sociales à l’intercommunalité, en fonction de leur intérêt communautaire, et de faire coexister centre intercommunal d’action sociale (CIAS) et centres communaux d’action sociale (CCAS). Le « sur mesure » présente bien sûr l’avantage de mieux s’adapter à la diversité des situations locales. Mais on peut se demander s’il n’est pas source de complexité et de manque de lisibilité pour le citoyen. Peut-être que passé une première phase d’acclimatation, on pourrait aller plus souvent vers l’intégration totale de la compétence sociale au niveau communautaire, avec fusion des CCAS dans un seul Cias. Cela n’interdit pas, d’ailleurs, que le fonctionnement de celui-ci soit assez déconcentré pour préserver la proximité avec les besoins de la population.
14Sur la question sociale, quel lien peut-on envisager entre l’intercommunalité et le département, chef de file de l’action sociale ? Et comment analyser la voie qu’ouvre le projet de métropole, en particulier sur le plan des compétences sociales, dans le sens de l’Acte III de la décentralisation ? Va-t-on assister à une profonde redéfinition des compétences départementales, communales et intercommunales en matière sociale ?
15L. C. : Il me semble que les deux modèles ont leur pertinence : celui d’un département chef de file, avec de véritables prérogatives pour organiser l’action de ses partenaires (communes et intercommunalités, Caf) dans un cadre cohérent, ou bien celui d’intercommunalités disposant de plus d’instruments qu’aujourd’hui pour définir et mettre en œuvre un projet social sur leur territoire. Tout le problème est de choisir. Je crains qu’à trop vouloir renforcer l’intercommunalité par des délégations de compétences des conseils généraux, on ne fragilise ces derniers dans leur rôle de chef de file. Le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ouvre la voie au transfert de compétences sociales du département à quelques très grandes agglomérations, de manière certaine pour Lyon et potentielle pour les autres. Ce serait en quelque sorte l’extension du schéma parisien à quelques autres grandes villes, mais il ne me semble pas que cela ait vocation à concerner une large partie du territoire. En fait, il est probable que peu d’agglomérations soient intéressées par la reprise des grandes compétences obligatoires du département (RSA, personnes âgées, personnes handicapées, protection de l’enfance), qui sont coûteuses et contraignantes. Le projet de loi ne le prévoit d’ailleurs pas en dehors du cas de Lyon.
16E. H. : Dans ces affaires sociales, force est d’admettre que, pour une large part, les conseils généraux gèrent des prestations définies par l’État. On ne comprend donc pas toujours très bien quelle est la plus-value d’une assemblée départementale élue pour gérer des compétences normées nationalement. Cela renvoie à l’Acte II de la décentralisation, impulsé en 2004 par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui visait à renforcer les compétences des conseils généraux, d’une certaine manière malgré eux, à l’aune des déficits aujourd’hui accumulés.
17P. L.L. : En réalité, il s’agissait de sauver les conseils généraux…
18E. H. : Et de transférer des charges aussi !
19P. L.L. : La fidélité à la chronologie impose de reconnaître que le transfert des charges n’a été que la conséquence de l’appétit des conseils généraux pour de nouvelles compétences. Il leur a fallu ensuite payer la facture de la survie, ce transfert ayant fortement limité leurs marges de manœuvre budgétaire. Si cette situation est jugée absurde par certains, je ne crois pas trop au scénario du retour des compétences sociales dans le giron de l’État sur lequel tablait la Cour des comptes dans son rapport de 2010 consacré à la fiscalité locale. Une délégation ou un transfert de la compétence sociale aux intercommunalités est davantage envisageable mais cela ne peut concerner que les plus grandes d’entre elles : métropoles, communautés urbaines et éventuellement certaines communautés d’agglomération. Sinon, le risque est bien de provoquer des « déséconomies » d’échelle au nom de la proximité.
20Particulièrement dans le périurbain et le semi-rural ?
21P. L.L. : Le scénario vers lequel on s’achemine avec le projet de loi est celui de la différenciation territoriale qui verrait effectivement se mettre en place des institutions métropolitaines se substituant aux conseils généraux dans les zones très denses. Dans les zones les moins denses, a contrario, on verrait se pérenniser une architecture construite autour des communautés mais aussi des conseils généraux, qui continueraient d’exercer un certain nombre de compétences, que les communautés n’ont pas vocation, du fait de leur taille, à prendre en charge. L’existence du conseil général est liée historiquement à l’émiettement communal. À partir du moment où cet émiettement communal disparaît, la fonction sociale du conseil général devient problématique. Sa légitimité de fait est discutée depuis qu’on a relancé l’intercommunalité à fiscalité propre avec la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République. Aujourd’hui, la plupart des intercommunalités ont une maille très insuffisante pour leur permettre de prendre le relais des conseils généraux. Il est donc logique que dans ces espaces-là, la pérennité du conseil général ne soit pas questionnée.
22Donc on rajoute un niveau ? On met un échelon territorial de plus, la métropole, sans supprimer le département ?
23E. H. : Oui, de fait la métropole est un nouveau niveau d’administration, d’aucuns diront une nouvelle couche du mille-feuille territorial à la française. Mais on ne pense pas à supprimer ou remplacer le département…
24P. L.L. : À terme, pour ma part, j’ai la faiblesse de penser que le département sera en charge du social en milieu urbain, en milieu périurbain et en milieu rural. Pour le moment, exception faite de la métropole lyonnaise, le projet du gouvernement prévoyait le transfert de la compétence aux métropoles en 2017. Mais face aux protestations des présidents de conseils généraux des dix départements concernés, on s’achemine plutôt vers une délégation de la compétence à la métropole et non plus vers un transfert.
25E. H. : En effet, une délégation de compétences librement consentie.
26P. L.L. : Oui. Mais dès lors qu’il ne s’agit que d’une délégation, ça ne sera pas grand-chose de plus par rapport à l’existant.
27E. H. : La question posée est, au fond, la suivante : est-ce que la métropole va se faire contre le département et la région ? Pour l’instant, départements et régions semblent s’inscrire dans une forme de concurrence des territoires, au détriment du projet politique qui doit effectivement permettre à la France – à l’image de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou de l’Italie – de faire émerger des métropoles puissantes et solidaires qui puissent exister à l’échelon européen. Quelle complémentarité, dès lors, avec le département et la région ? Il est quelque part dommage que le tome 1 du projet d’Acte III ne traite que des métropoles, en attendant les tomes 2 et 3 qui traiteront des régions et des liens de coopération entre départements, régions, villes, EPCI et métropoles. Nous ne sommes pas encore dans une approche intégrée mais plutôt dans une approche segmentée, par territoire et par niveau de collectivité territoriale.
28P. L.L. : Le texte, dans son tome 1, est en fait la traduction d’un compromis politique. La condition fixée par les sénateurs à l’acceptation des métropoles est de n’autoriser la création que d’un nombre très réduit de métropoles. C’est la condition de préservation du collège électoral sénatorial.
29L. C : Mis à part la métropole de Lyon qui est spécifique, la métropole est une forme renforcée de communauté urbaine, ce n’est donc pas un nouveau niveau par rapport à ce qui existe aujourd’hui.
30Un point critique dans la métropolisation est la concentration des richesses en un seul lieu qui ravive notamment la question des inégalités entre les territoires. Qu’en pensez-vous ?
31P. L.L. : Les travaux des économistes suggèrent que les métropoles sont des moteurs de création de richesse. Pour pouvoir redistribuer, il est d’abord nécessaire de produire. Équiper institutionnellement les métropoles pour les aider à résoudre les problèmes qui se posent à elles (logements, transports) en unifiant leur gouvernance peut être une part de la solution. Si cette solution devait être adoptée, il est clair qu’il faudrait mettre en place des mécanismes de redistribution à une autre échelle, que celle-ci soit régionale ou nationale. L’échelle des mécanismes de redistribution doit être pensée à l’aune de l’échelle des inégalités territoriales que génère la mondialisation. De ce point de vue, le maintien à l’échelle départementale de la fonction de redistribution des richesses entre les territoires peut paraître inadapté.
Projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles
Pour atteindre cet objectif, le texte prévoit notamment : de poser le principe de libre coordination des interventions des collectivités territoriales et il propose un pacte de gouvernance territoriale débattu dans le cadre de la conférence territoriale de l’action publique (article 1er) ; de rétablir la clause de compétence générale des départements et des régions qu’avait supprimée, à compter du 1er janvier 2015, l’article 73 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (article 2) ; d’instituer le pacte de gouvernance territoriale (articles 5 à 8).
En second lieu, le projet de loi entend conforter les dynamiques urbaines en affirmant le rôle des métropoles (titre II) : la Métropole de Paris (chapitre 1er, articles 10 à 19), la Métropole de Lyon (chapitre 2, articles 20 à 29) et la Métropole d’Aix-Marseille-Provence (chapitre 3, article 30) sont ainsi dotées d’un régime spécifique. Le titre II comprend également diverses mesures concernant les métropoles, notamment la création d’un nouvel établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (article 31) ; le département ou la région peuvent transférer l’exercice de certaines de leurs compétences à une métropole (article 32).
Enfin, le texte définit les transferts et la mise à disposition des agents de l’État et la compensation des transferts de compétences de l’État (titre III).
32E. H. : Sur le plan économique, oui, mais dans le domaine social de proximité, peut-être pas.
33P. L.L. : On peut techniquement résoudre ce problème et conserver cette fonction au conseil général, en renforçant les mécanismes de péréquation au niveau national. C’est-à-dire que la richesse produite par la métropole sera en partie captée au niveau national et redistribuée vers d’autres territoires. Notre système fonctionne déjà ainsi.
34E. H. : D’une manière très insuffisante pour ce qui est de la péréquation…
35P. L.L. : Oui, bien sûr. La montée en puissance de la péréquation se heurte à deux obstacles de taille : le défaut de croissance dans un système de « droits acquis » où la péréquation ne joue que sur le delta de progression de la ressource ; le cumul des mandats qui permet aux collectivités les plus riches de bénéficier de puissants avocats.
36E. H. : Plusieurs questions, non exclusives, sont posées : est-ce que demain les régions ont vocation à assumer une compétence sociale ? Est-ce que ce n’est pas plutôt de la responsabilité des intercommunalités urbaines ? Que fait-on des départements ? Pour l’instant, personne ou presque ne répond de manière précise. Laurent Davezies, dans son dernier ouvrage [3], explique, à juste titre, que, dans un contexte budgétaire contraint, la solidarité financière de l’État vers les territoires marchands et non marchands en déclin ou en déprise sera difficile et compliquée. Donc on peut se demander quel(s) fond(s) de péréquation sera(ont) à l’avenir mis en place, pour la réallocation d’une partie des ressources aux territoires dits défavorisés. Je crains que les considérations sur le désendettement nécessaire des comptes publics ne relèguent au second plan l’aide aux territoires les plus démunis, à moins que la solidarité locale (dite horizontale) ne supplée en partie au désengagement de l’État.
37P. L.L. : La mondialisation implique nécessairement que les dispositifs de péréquation soient repensés à des échelles plus larges. Sur la question de la péréquation, le système français bénéficie de la faiblesse du régionalisme politique. Bien qu’elle produise le quart de la richesse nationale, l’identité politique de la région Île-de-France reste heureusement introuvable. C’est un atout que n’ont pas les pays voisins : la mondialisation renforce la concentration des richesses et les inégalités interrégionales. Elle sert de carburant au sécessionnisme des régions les plus riches.
38Cette problématique des niveaux territoriaux pose plus fondamentalement la question de la conception même de l’action sociale et de son évolution. La territorialisation des politiques sociales apparaît comme l’une des modalités d’adaptation de l’action publique locale susceptible de rééquilibrer, en faveur du développement social, une approche sectorielle orientée vers des publics ciblés. Le département est-il le mieux placé pour accomplir cette étape décisive ? Ou, à l’inverse, doit-on affirmer que ce sont les grandes villes qui sont les mieux placées pour accomplir la révolution culturelle de l’action sociale ? Doit-on d’ailleurs raisonner en termes d’« optimum territorial » sur le plan des compétences ?
39L. C. : Il me semble que le passage de l’action sociale au développement social est moins un problème d’échelon territorial que d’évolution des pratiques professionnelles. Lors d’un colloque organisé par le Conseil d’État en mars dernier sur la décentralisation des politiques sociales, plusieurs intervenants ont convenu que la diffusion des bonnes pratiques en matière d’action sociale restait très peu structurée dans notre pays, même si des initiatives existent. C’est sans doute en organisant cette diffusion et aussi par une meilleure connaissance des pratiques étrangères de développement social que cette culture professionnelle progressera.
40P. L.L. : Il est toujours utile de raisonner en termes d’optimum territorial pour la dévolution de chaque compétence, et d’éviter autant que faire se peut la coopération entre plusieurs échelons, du fait des coûts de coordination et des rivalités entre gouvernements locaux. Mais l’expérience prouve que la réflexion en la matière est assez vaine, dès lors qu’il s’avère en pratique trop coûteux politiquement (et donc à peu près impossible) de modifier la ligne de partage des compétences entre les différents niveaux de collectivités.
41E. H. : Je crois personnellement aux coopérations et aux échanges de bonnes pratiques. Il importe à terme d’organiser le passage d’un modèle curatif de traitement social d’urgence à un modèle préventif de développement social et urbain intégré et transversal. Cela s’impose en période de disette budgétaire, d’autant que les collectivités locales vont devoir, elles aussi, faire des efforts dans les prochaines années. J’observe toutefois que ces changements de méthodes professionnelles ne se décrètent pas mais se travaillent sur la durée et dans la confiance réciproque des acteurs et institutions concernés. Autrement dit, l’optimum territorial évoqué ne peut s’organiser que sur plusieurs mandats et si possible avec une stabilité des personnels et des élus, ce que le suffrage universel ne garantit naturellement pas. En définitive, les freins identifiés ne doivent pas exonérer les professionnels d’une révision en profondeur des habitudes de travail, pour sortir des interventions en silos, qui ne permettent pas aux publics accompagnés de sortir de la logique de dispositifs et de guichets. On doit donc pouvoir miser sur l’intelligence de l’action publique locale et sur la responsabilité, la complémentarité et la convergence des acteurs. À ce titre, la crise que nous traversons doit être regardée comme une chance et une opportunité pour revisiter en profondeur notre modèle social et son organisation.