CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans un contexte budgétaire contraint et un environnement social et institutionnel mouvant, les décideurs nationaux et locaux ont plus que jamais besoin de données pertinentes et fiables leur permettant de connaître et d’analyser les besoins et réalités des territoires et de mesurer les effets des politiques mises en œuvre. Malgré la multiplicité des données existantes ainsi que des dispositifs et outils locaux et nationaux d’observation, force est de constater la difficulté à produire parfois une information cohérente et durable pour aider à la prise de décision.

2À la suite d’un colloque organisé à Nantes le 23 janvier 2008 par le Conseil national de l’information statistique (Cnis), l’Assemblée des départements de France (ADF) et le conseil général de Loire-Atlantique, deux groupes de travail successifs, associant des représentants des départements et des organismes concernés [1], se sont saisis de ces questions. Ils ont abouti à des propositions concrètes et opérationnelles qui ont permis d’élaborer un système d’indicateurs accessibles et cohérents. Les groupes de travail ont également formulé des recommandations pour l’amélioration des échanges d’information ainsi que la poursuite de la démarche.

Un système cohérent d’indicateurs utiles et accessibles

3Un « noyau dur » d’indicateurs partagés par les divers acteurs a été conçu, fondé sur les quatre politiques sociales des départements : personnes âgées, personnes en situation de handicap, insertion, enfance et jeunesse en danger. Des indicateurs de contexte sociodémographiques ont également été intégrés dans cet ensemble. Une forte sélection a été opérée parmi la liste initiale d’indicateurs recensés, pour ne retenir que ceux qui apparaissaient à la fois utiles, fiables dans le temps et accessibles. Les groupes de travail ont également préconisé d’éviter le recours à de nouvelles collectes et de procéder à des échanges de données afin de simplifier la production de données. Finalement, 76 indicateurs sociaux départementaux ont été retenus, dont une grande partie sont d’ores et déjà documentés et accessibles en ligne sur le site de l’Insee et le seront bientôt également sur celui de la Drees.

4Ces indicateurs ont été répartis en plusieurs catégories. L’une regroupe une vingtaine d’indicateurs de contexte démographiques et sociaux (espérance de vie, intensité de la pauvreté monétaire, jeunes non-diplômés…). Une autre, une dizaine par politique d’aide sociale : personnes âgées (bénéficiaires de l’Allocation personnalisée d’autonomie (Apa), taux d’équipement en services de soins à domicile, part de la grande dépendance parmi les bénéficiaires de l’Apa à domicile…) ; personnes en situation de handicap (premières demandes à la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), allocataires de l’Allocation aux adultes handicapés, places en établissements et services pour personnes handicapées…) ; insertion et minima sociaux [jeunes n’étant ni en emploi ni en formation, personnes couvertes par le Revenu de solidarité active (RSA), bénéficiaires de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C)…] ; enfance et jeunesse en danger (mesures d’aide sociale à l’enfance, taux d’équipements de l’aide sociale à l’enfance, enfants vivant dans une famille sans actif occupé…). Enfin, une dernière catégorie est constituée d’une quinzaine d’indicateurs financiers (dépenses brutes d’Apa par bénéficiaire, dépenses de RSA par habitant, coût annuel à la place en établissement…).

5Une fiche précise pour chaque indicateur son objectif, les sources utilisées, ses qualités et ses limites ainsi que des éléments plus détaillés sur la source de données mobilisée, les concepts utilisés. Elle donne aussi des liens vers des publications ou des données complémentaires. Cette documentation est complétée et améliorée continuellement.

Améliorer la qualité et les échanges d’information

6Outre la sélection d’indicateurs, les groupes de travail ont procédé à la formulation de propositions pour renforcer la qualité des données utilisées et améliorer les échanges entre les différents acteurs.

7La qualité et la fiabilité des données sont apparues très clairement liées aux conditions de leur production. La multiplicité des demandes de données comme le manque de compatibilité entre les systèmes informatiques des divers acteurs rendent très difficiles la collecte et la transmission d’informations homogènes. En outre, le manque de retour d’informations vers les professionnels qui assurent la saisie de ces données ne favorise pas leur mobilisation, accroissant encore cette difficulté. Il apparaît ainsi indispensable de limiter et d’articuler entre elles les diverses sollicitations, de simplifier les processus en les inscrivant dans les systèmes d’information eux-mêmes, ainsi que de former, associer et accompagner les professionnels.

8C’est pourquoi des propositions ont été faites pour préciser et enrichir certains indicateurs, avec les principes suivants : priorité donnée aux 76 indicateurs, accord sur leurs définitions, recherche de simplification des demandes et des processus et information mutuelle sur les analyses en cours ou en projet.

Une utilité éprouvée

9La démarche apporte ainsi des réponses concrètes à des difficultés récurrentes auxquelles sont confrontés les départements et les producteurs nationaux de données. L’utilité du système proposé repose sur sa capacité à articuler des données habituellement séparées, contribuant ainsi à une vue globale et décloisonnée des réalités sociales et des politiques mises en œuvre. L’observation peut alors apporter un regard transversal, favorisant l’articulation des dispositifs et des politiques ainsi que la rencontre entre les divers schémas et plans d’action.

10Les départements cherchent régulièrement à se situer les uns par rapport aux autres sur les divers champs de leur intervention, de façon à mieux comprendre leurs réalités territoriales et apprécier l’impact de leur action. Dans ce cadre, le système d’indicateurs a servi, à titre expérimental, à construire plusieurs typologies, telles celles de la « vulnérabilité sociale » (Mansuy et Guist’hau, 2011) ou de la précarité (Mansuy et Lacroix, 2011). Cette dernière a ainsi permis de distinguer plusieurs groupes de départements selon l’intensité et le type de la précarité à laquelle sont confrontées leurs populations.

11L’intérêt de la démarche a également été démontré pour la réalisation d’analyses locales (départementales et infra-départementales). Ainsi, en coordination avec les travaux nationaux, les conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais et la direction régionale Nord Pas-de-Calais de l’Insee ont réalisé une étude sur le thème de la précarité dans cette région, qui a permis de dresser une typologie communale (Chaillot et al., 2011). Ce travail est une porte d’entrée pour des études plus approfondies et a en outre enrichi l’analyse nationale. Il en est allé de même pour les travaux réalisés par d’autres départements sur les motifs de recours à l’Apa (Mansuy, 2011).

Un réseau et une démarche pérennes

12Forts de l’expérience de ces travaux, les différents membres des groupes de travail ont souhaité inscrire cette démarche dans le long terme, avec la volonté de ne pas faire double emploi avec les instances et outils déjà existants. À cette fin, le réseau des indicateurs sociaux départementaux a été créé en 2012. Celui-ci est copiloté par l’ADF, la Drees, l’Insee et l’Odas ; il est animé par la Drees et l’ADF. Des progrès ont été accomplis sur la production d’indicateurs non encore diffusés ainsi que sur la documentation des possibilités de déclinaison des indicateurs au niveau infra-départemental.

13En 2013, le réseau s’est fixé comme priorité d’améliorer encore la production et la diffusion du système d’indicateurs, plus particulièrement dans les domaines de la protection de l’enfance et des personnes handicapées. Il s’agira entre autres d’expérimenter plus avant les données disponibles et l’apport de la sélection d’indicateurs sur ces sujets. Enfin, le réseau diffusera largement une lettre d’information annuelle et organisera une réunion plénière du réseau, qui sera notamment l’occasion de présenter des analyses (locales ou nationales) reposant sur des données issues des indicateurs sociaux départementaux.

14Répondant à des préoccupations récurrentes des responsables départementaux et nationaux, lesquels sont à la recherche d’indications pertinentes et fiables pour les aider dans leur prise de décisions, le système d’indicateurs constitue une boîte à outils mise à disposition de chacun. La démarche des indicateurs sociaux départementaux doit permettre l’enrichissement et l’amélioration du système d’indicateurs et de sa documentation. Enfin, la constitution d’un réseau pérenne doit favoriser l’échange et l’analyse partagée autour d’un langage commun. Son efficacité dépendra de la capacité de ses acteurs à animer et développer le réseau.

Note

  • [1]
    – Les groupes de travail successifs ont réuni : l’Assemblée des départements de France (ADF), des représentants de conseils généraux toujours plus nombreux (près d’une trentaine en 2012), l’Insee, la Drees, la DGCL, la Cnaf, la CCMSA, la CNSA, l’Odas et l’Oned. D’autres producteurs nationaux de données ont été contactés tels que la Cnav, la Dares ou la Depp.

Bibliographie

  • Chaillot P., Laidebeur P. et Lavenseau D., 2011, Connaître pour agir : des indicateurs au service des politiques sociales, Insee Nord Pas-de-Calais, Pages de profils, n° 92.
  • Guist’hau J., Gauthier P. et Mansuy M., 2009, Rapport du groupe de travail « Indicateurs sociaux départementaux », Conseil national de l’information statistique, n° 118.
  • Mansuy M., 2011, « Intervention sociale en faveur des personnes âgées dépendantes : regards croisés entre la France et la Loire-Atlantique », in « Politiques sociales locales », Drees, Revue française des affaires sociales, n° 4.
  • Mansuy M. et Guist’hau J., 2011, Rapport du groupe d’expérimentation ADF-Drees, indicateurs sociaux départementaux, Drees, document de travail, Séries sources et méthodes, n° 25.
  • Mansuy M. et Lacroix S., 2011, Aides sociales à l’insertion et aux personnes âgées, les situations contrastées des départements, Insee, Insee Première, n° 1346.
Isabelle Leroux
Adjointe au chef du bureau des collectivités locales de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Ministère chargé de la santé et des affaires sociales.
Mis en ligne sur Cairn.info le 10/02/2014
https://doi.org/10.3917/inso.179.0084
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