CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1À la suite des différentes lois de décentralisation qui se sont succédé depuis le début des années 1980, les collectivités locales sont aujourd’hui l’échelon privilégié et incontournable de mise en œuvre des politiques d’action sociale. Cette territorialisation apparaît comme un moyen d’adaptation des politiques sociales susceptible de rééquilibrer, en faveur du développement social, une approche orientée vers des publics ciblés. Afin d’améliorer l’efficacité des politiques d’action sociale, la décentralisation traduit la volonté de s’appuyer sur l’atout de la proximité. Elle incarne l’ambition d’une approche plus locale et partenariale des politiques publiques, afin de dépasser les approches verticales et sectorielles.

2Cependant, les questions sociales se sont complexifiées dans l’articulation des niveaux territoriaux et la multiplication des acteurs publics et privés. La diversité des acteurs qui interviennent à un titre ou à un autre dans le champ social (État, collectivités locales, organismes de sécurité sociale, associations) interroge la répartition actuelle des compétences, le plus souvent enchevêtrées, et le degré de coopération entre ces acteurs autour d’un projet social de territoire. L’action publique locale demeure largement compartimentée, segmentée, et manque souvent de lisibilité. En même temps, on assiste à une technicisation croissante des politiques sociales.

3Dans un contexte de crise économique, de fortes contraintes budgétaires et au moment où se prépare une nouvelle étape de la décentralisation avec la loi sur les métropoles, ce numéro d’Informations sociales souhaite remettre en perspective les enjeux actuels des politiques sociales locales (famille, insertion, politique de la ville…) et questionner la gouvernance de ces politiques.

4La première partie de ce numéro est consacrée à la définition des finalités et des enjeux de cet ancrage territorial de l’action sociale. À partir d’un bilan de la décentralisation du social, la nécessité d’une approche transversale et de l’intégration d’une perspective préventive des politiques sociales est questionnée. Une première grande interrogation concerne la complexité des problématiques sociales et, de ce fait, la difficulté d’une clarification des compétences. La notion de « chef de file », notamment, se trouve remise en question au regard de son effectivité et des marges de manœuvre juridique et financière des conseils généraux. Au-delà de l’architecture politique et administrative légale, comment les responsa-bilités de chaque acteur peuvent-elles être articulées sur le territoire ? Quels enseignements pouvons-nous tirer de l’évolution des organisations locales dans d’autres pays, comme le Québec ou ceux de l’Union européenne ?

5La deuxième partie de ce numéro tente d’appréhender le social au prisme des territoires. Deux conditions essentielles pour une plus grande cohérence et transversalité des interventions sont ici examinées : le repositionnement du travail social, d’une part, la mutualisation de l’observation sociale locale, d’autre part. Dans la mesure où le travail social s’est développé à partir d’une approche catégorielle des populations, le référentiel du territoire peine à s’imposer. Son inscription dans une stratégie de développement social pourrait toutefois concourir à lui redonner un sens et un projet. On trouve là une deuxième condition stratégique de gouvernance des politiques : l’observation sociale partagée, est non seulement un outil de connaissance du territoire et de la population, mais favorise surtout la reconnaissance des acteurs, tout en les fédérant autour d’une ambition commune.

6Cette deuxième partie explore également deux enjeux d’actualité liés à la réorganisation territoriale. Le premier est la consolidation de l’intercommunalité voire de la métropole qui se traduit par une progressive montée en charge à ce niveau de certains dispositifs à caractère social. Le second est celui de la politique de la Ville, inventée pour cibler les quartiers les plus défavorisés et pour transformer l’action publique.

7Enfin, la dernière partie de ce numéro interroge la régulation des politiques sociales – de la famille et de l’insertion notamment – par l’analyse de leur gouvernance. Au fil de ce parcours, il apparaît que les politiques sociales ne peuvent faire l’économie d’une réflexion sur la démocratie locale et la participation citoyenne. Il apparaît également qu’une réforme de la gouvernance locale des politiques sociales est peut-être moins à espérer du côté d’une clarification des compétences, que du côté d’une rénovation des modes de faire et de coopération autour d’un projet de territoire. La structuration des complémentarités par une gouvernance multiniveau entre les acteurs locaux concernés par les politiques de cohésion sociale semble une priorité.

Cyprien Avenel
Actuellement adjoint au chef de la Mission analyse stratégique, synthèses et prospective de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) au ministère de la Santé et des Affaires sociales. Sociologue, il a notamment été directeur de la recherche à l’Observatoire national de l’action sociale décentralisé (Odas). Il enseigne en tant que chercheur associé au programme Villes et territoires à l’IEP de Paris. Membre du Conseil scientifique de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), il a conduit un ensemble de travaux universitaires et institutionnels sur les effets de l’action publique dans les quartiers populaires et, plus généralement, sur la thématique des politiques sociales et familiales. Il a notamment publié en 2010, Sociologie des « quartiers sensibles », Paris, Armand Colin (3e éd).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 10/02/2014
https://doi.org/10.3917/inso.179.0004
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