Vivre ensemble, oui mais pourquoi ?
« Les villes et la cohésion sociale », sous la direction de Cyprien Avenel et Jean-Louis Sanchez. Recherche-action réalisée par l’observatoire national de l’Action sociale décentralisée, 250 bis, boulevard Saint-Germain, 75007 Paris, janvier 2013, 286 p., www.odas.net
1Chaque ville a son projet. Valenciennes souhaite devenir l’une des villes les plus agréables à vivre d’Europe, Le Havre se veut une métropole maritime internationale et Besançon, la terre de l’innovation sociale. Bordeaux, Clichy-sous-Bois, Strasbourg et Tourcoing ont elles aussi leurs projets. Au-delà de la mise en forme des énoncés qui résument les désirs des maires et des équipes municipales, l’étude de l’Odas sur les projets de ces municipalités montre que les thématiques du développement de la compétitivité, de l’aménagement urbain et du maintien de la solidarité constituent les bases d’une action municipale où la recherche d’un meilleur « vivre ensemble » l’emporte sur les autres préoccupations. Soucieuses de mettre en œuvre ces projets globaux, les villes sont dans le même temps confrontées à la fragmentation de leurs activités et à la diversité de leurs missions. En s’appuyant sur trois cent cinquante-cinq entretiens qu’ils ont réalisés avec les principaux acteurs des villes, les auteurs de l’étude montrent que la transversalité interne, entre les élus, entre les services, entre les élus et les services, semble conditionner la réussite du partenariat externe. Or cela ne va pas de soi. Si des organigrammes ont pu être refondus ici ou là, la transversalité n’est pas qu’une affaire d’organisation ; elle doit s’appliquer aux façons de faire des uns et des autres, en articulant les logiques politiques et administratives. La transversalité se construit pas à pas par la volonté des élus. Pour l’Odas, ce n’est ni le territoire qui fait le projet ni le projet qui fait le territoire, mais les coopérations que développent entre eux les différents acteurs qui rendent possible le projet de territoire. Bons connaisseurs du social, les auteurs consacrent des pages intéressantes à la question de la place des centres communaux d’action sociale, frein à la transversalité ou bras armé des collectivités locales dans le champ social. Leur position est nuancée, surtout lorsqu’ils mettent l’accent sur la fonction primordiale d’observation sociale que doivent conserver et développer les villes. Proche des collectivités locales, l’Odas met l’accent sur l’extension de la décentralisation, qu’il s’agisse d’enseignement ou d’emploi. Les auteurs reprennent le slogan « il faut toute une ville pour élever un enfant », de la même manière qu’il faudrait mobiliser l’ensemble des compétences locales pour accompagner des demandeurs d’emploi dans leurs recherche de travail. Sécurité publique et politique de la ville obéissent aux mêmes logiques.
2Réf. 1744
Politiques de la ville, réseaux de villes
« Les dynamiques des quartiers en difficultés dans les villes Urbact », Benjamin Badia, Damien Bertrand, Séverine Bressaud, Florence Brunet et Rémi Mazet. Rapport d’étude, cabinets Fors et Eureka, Secrétariat général à la Ville, 5, rue Pleyel, 93283 Saint-Denis Cedex, janvier 2012, 98 p.
3La politique de la ville, souvent regardée avec un œil critique par les Français, est à l’inverse observée avec beaucoup d’attention par les pays de l’Union européenne. La création du programme européen « Quartiers en crise », au début des années 1990, a été suivie par les programmes d’initiative communautaire Urban I (1994-1998) et Urban II (2000-2006), qui ont proposé un financement spécifique et, surtout, une méthode pour la régénération des quartiers en difficulté.
4Plus de trois cents villes participent aujourd’hui au réseau Urbact. La question des quartiers dégradés ne se pose pas dans tous les pays de manière identique. Alors qu’elle concerne en France principalement les grands ensembles construits à partir des années 1960, dans d’autres pays, les territoires en difficulté sont plutôt des zones de copropriété, des portions de centres anciens dégradés, des grands territoires industriels en reconversion comme dans la Ruhr, en Allemagne, voire des périphéries urbaines résultant d’une urbanisation anarchique. Illustrée de nombreux exemples et de témoignages, l’étude des cabinets Fors et Eureka insiste sur les acquis partagés de ce travail en réseau. Elle souligne, en particulier, l’importance d’une approche dite intégrée qui veut que tout projet de développement urbain comprenne cinq volets traités simultanément : le développement économique, l’emploi, l’environnement, le social et la culture. Les auteurs soulignent également l’importance des formes de gouvernance de ces projets : ceux-ci réussissent d’autant mieux qu’ils intègrent une forte participation d’acteurs locaux dans des processus de négociation.Si ce rapport ne met pas de côté les difficultés, les coûts et les échecs, il s’attache surtout à souligner les réussites et les avancées.
5Réf. 1745
Le métissage, entre avenir radieux et déchirement
« Liens sociaux et construction identitaire des enfants des couples mixtes. Une étude comparée en France, en Allemagne et au Royaume-Uni », Anne Unterreiner. Thèse pour l’obtention du grade de docteur en sociologie, équipe de recherches sur les inégalités sociales, Centre Maurice Halbwachs. École normale supérieure, 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris, école doctorale « Sciences sociales», novembre 2012, Tomes 1 et 2, 535 p.
6Comment vivent et surtout se vivent des enfants dont les parents sont nés dans des pays différents ? Deux points de vue s’opposent. Pour l’un, ces enfants se trouvent le plus souvent repoussés dans un entre-deux bien inconfortable, peinant à s’identifier à l’un ou l’autre de leur groupe de référence. Pour l’autre, nettement plus optimiste, le métissage est l’avenir du genre humain dans des sociétés de plus en plus ouvertes et mondialisées. La thèse d’Anne Unterreiner, dirigée par Serge Paugam, penche plutôt pour le second point de vue, en montrant que les enfants dans cette situation ont la liberté de leurs choix dans le respect d’un ensemble de contraintes sociales. Ce résultat étant admis, cette thèse est doublement passionnante. Elle l’est d’abord par sa dimension comparative. Selon les pays ; les formes prises par l’intégration sociale des enfants de couples mixtes diffèrent sensiblement. En Allemagne, la nation est encore trop taboue pour qu’elle puisse constituer une référence d’identité ; les enfants sont alors les héritiers de parents qui conservent des liens forts avec leur pays d’origine. En France, l’appartenance à la nation structure au contraire l’identité mais, lorsque les parents appartiennent à un groupe de référence plus faible, l’enfant court le risque de ne pas sentir français et de ne jamais être reconnu comme tel. Telle n’est pas la situation au Royaume-Uni, où l’appartenance ethnique structure le sentiment d’appartenance. Ainsi, au fil des entretiens et des exploitations d’enquêtes quantitatives dans les trois pays, Anne Unterreiner montre que la filiation se construit aussi, en dehors de la parentalité, sous le regard des autres. Une réflexion bien utile dans la période actuelle.
7Réf. 1746
Québec : le travail aux risques de la flexibilité
« L’emploi pour lutter contre la pauvreté : les défis à relever », Jean-François Aubin, Jane Cowel-Poitras, Dominique Daigneault, Richard Gravel et Monique Toutant. Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, 425, rue Saint-Amable, bureau RC 145, Québec, G1R4Z1, Canada, mars 2013, 55 p., www.cclp.gouv.qc.ca
8Le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale du Québec ressemble fortement au Comité national de lutte contre les exclusions (CNLE) français. Il organise des auditions, lance des études et des recherches et propose au gouvernement du Québec des avis pour lutter contre la pauvreté. Ne résistons pas au plaisir de citer in extenso une phrase extraite des premières pages de ce rapport, tant elle résume l’état d’esprit qui imprègne la totalité du document : « Le Comité consultatif affirme sa confiance envers les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale qui, comme le reconnaît la loi, sont les premières à agir pour transformer leur situation et celle de leurs proches. Renforcer la capacité d’agir des personnes et des collectivités permettra d’enrichir l’ensemble de la société et de favoriser le développement durable ». Poursuivant dans cette direction, le rapport insiste sur le fait que la motivation des personnes en situation de pauvreté est davantage liée à la situation du marché du travail qu’à l’existence de revenus provenant de l’aide sociale. Les auteurs rappellent qu’au cours des dernières décennies, la pauvreté s’est réduite mais qu’en revanche, la part des travailleurs pauvres a augmenté en dépit de l’existence de mesures comme la hausse annuelle du salaire minimum ou l’extension de primes et de bonifications, des outils largement utilisés en France. Au Québec, comme ailleurs, la précarisation des emplois, l’augmentation du travail temporaire, les failles de la protection sociale en matière d’emplois atypiques ont conduit à une augmentation du nombre de travailleurs pauvres, souvent au nom de la flexibilité. Parmi ses recommandations, le rapport insiste sur la nécessité de lutter contre les discriminations en matière de genre, d’origine et d’appartenance ethnique, qui touchent particulièrement les femmes immigrées.
9Réf. 1747
Des chiffres bien policés
« Rapport d’une mission d’information relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences », Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin. Assemblée nationale, rapport n° 988, 24 avril 2013, 216 p., www.assemblee-nationale.fr
10Si cette rubrique a parfois rendu compte de documents du Conseil économique, social et environnemental, nous nous sommes toujours abstenus de présenter des travaux issus des Assemblées parlementaires, considérant qu’il s’agissait de matériaux non liés directement à la production de recherches ou d’études et que leur caractère partisan, plus affirmé en France que dans d’autres pays, appelait un commentaire différent de celui que nous proposons ici. Nous faisons une exception pour le rapport de deux députés ayant conduit une mission sur la mesure de la délinquance, car il constitue un remarquable exemple d’une autre manière d’aborder les travaux parlementaires. Sur un sujet où tous les risques de dérapages étaient imaginables, les membres de la mission indiquent que le chiffre qui sert à la communication politique en matière de délinquance résulte de l’agrégation grossière de données éparses et ne représente aucune réalité. Il ne s’agit pas là d’un slogan mais du résultat de l’analyse fine des outils statistiques qui mesurent surtout l’activité de la police et de la gendarmerie et ne rendent pas compte de la délinquance et de son évolution. Les auteurs se livrent également à une critique salutaire de la segmentation des statistiques entre police et justice, ce qui fait que la chaîne pénale n’est jamais reconstituée dans son ensemble. De nombreuses propositions figurent dans ce rapport, dont celle d’un rapprochement entre la recherche et l’administration publique, avec la création d’une direction des statistiques de la délinquance sur un modèle proche de celle que nous connaissons dans le secteur sanitaire et social avec la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). On soulignera l’intérêt de la quinzième préconisation qui demande que soient expérimentées des enquêtes de satisfaction de la population à l’égard de l’activité des force de l’ordre, rendant notamment compte de la qualité de l’accueil et des conditions de dépôt des plaintes, sur le modèle du Royaume-Uni ou de la Belgique.
11Réf. 1748
Les loyers dans le cadre
« Marché locatif privé : état des lieux et évaluation des dernières mesures gouvernementales », Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart. Document de travail de l’OFCE, 69 Quai d’Orsay, 75007 Paris, avril 2013, 39 p., www.ofce.sciences-po.fr
12Trente et un pour cent des ménages qui se situent dans le quart le plus bas des revenus habitent dans le parc locatif privé. Pour ces ménages locataires, le taux d’effort a augmenté au fil des années, particulièrement dans certaines régions. Ainsi, en Île-de-France, le quart des ménages du secteur privé consacraient en 2010 plus de 44 % de leur budget à leurs dépenses de logement. Dans ces zones tendues, c’est au moment de la relocation que les hausses de loyers sont les plus importantes, ce qui freine considérablement la mobilité résidentielle. Un couple qui vient d’avoir des enfants n’est pas incité à déménager lorsqu’il découvre que le seul fait de changer de logement va augmenter le prix du m2 de près d’un tiers. Paradoxalement, en dépit de ces fortes augmentations, l’investissement locatif n’est pas d’une très grande rentabilité tant la hausse des prix de l’immobilier a été importante ces dernières années. Les auteurs analysent les effets potentiels de deux mesures récentes prises par le gouvernement. Ils montrent que l’encadrement des loyers dans les zones les plus tendues pourrait avoir un impact positif si l’offre de logement ne se réduit pas et si la transparence de l’information sur les loyers s’améliore. Quant au dispositif « Duflot », qui succède au dispositif « Sellier », permettant une défiscalisation d’une partie des sommes investies dans un logement, ses chances de bénéficier aux couches moyennes inférieures de la population sont faibles en dépit d’un coût fiscal non négligeable.
13Réf. 1749
Cancer et inégalités
« Rapport 2012 de l’Observatoire sociétal des cancers », sous la présidence de Jacqueline Godet. Ligue nationale contre le cancer, 14 rue Corvisart, 75013 Paris, avril 2013, 124 p., www.ligue-cancer.net
14Dans la perspective d’une meilleure compréhension des conséquences individuelles et familiales de la survenue de la maladie, et dans le prolongement des États généraux de 1998, le plan cancer 2009-2013 avait confié à la Ligue contre le cancer l’organisation d’un Observatoire sociétal des cancers. La Ligue vient de présenter le second rapport de cet organisme. S’appuyant sur un recueil d’informations des effets sociaux du cancer réalisés par les comités locaux de la Ligue auprès des personnes accueillies, selon un modèle assez proche de celui utilisé par le Secours catholique dans le domaine de la pauvreté, le rapport met l’accent sur les inégalités face au cancer. Inégalités géographiques lorsque le taux de cancer est plus important dans le nord de la France que dans le sud, inégalités sociales lorsque le risque de décéder d’un cancer est multiplié par 2,5 entre les niveaux d’études les plus élevés et les plus faibles. Au-delà des chiffres, le rapport consacre une part importante aux représentations et aux attentes des proches.
15Réf. 1750
L’argent, à quoi ça sert ?
« La philanthropie à la française », Sabine Rozier et Odile de Laurens. Étude de l’observatoire de la Fondation de France, 40 avenue Hoche, 75008 Paris, septembre 2012, 42 p., www.fondationdefrance.org
16À la différence des États-Unis, où des personnes comme Bill Gates ou Warren Buffet sont connues aussi bien pour leurs réussites économiques et financières que pour leur engagement dans des fondations qui mobilisent des sommes colossales, la philanthropie française est dépourvue de visage. Cet anonymat ne signifie pas inexistence. La Fondation de France recense quelque 660 très grands donateurs, entrepreneurs ou cadres supérieurs qui ont construit rapidement de grosses fortunes et qui ont choisi de créer, de leur vivant, des fonds et des fondations de financement. L’estimation de ces actifs cumulés est de l’ordre de 2,7 milliards d’euros et ces capitaux placés en biens immobiliers ou mobiliers ont permis de financer des projets pour un montant estimé de 165 millions en 2011. Au-delà de ces chiffres, le rapport de la Fondation de France esquisse un portrait groupé du philanthrope français à partir d’entretiens avec dix-huit grands donateurs. Pour ces hommes et ces femmes, le don n’est pas un moyen approprié pour échapper à la fiscalité mais plutôt une façon de répondre à la question du sens de la vie lorsque l’argent afflue et lorsqu’une histoire de famille, une rencontre, parfois une blessure intime, ne permettent plus de s’identifier à l’image du riche.
17Réf. 1751
Aide alimentaire et état de santé
« Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire », Dorothée Grange, Katia Castetbon, Alexandra Delannoy, Valérie Deschamps, Valérie Féron, Gaëlle Guibert, Hélène Escalon, Michel Vernay et Catherine Vincelet. Rapport de l’étude Abena 2011-2012. Observatoire régional de santé Île-de-France, Institut de veille sanitaire, Institut de prévention et d’éducation pour la santé, mars 2013, 184 p., www.inpes.sante.fr
18En 2004-2005, une enquête réalisée auprès d’un échantillon d’utilisateurs avait permis de décrire les comportements alimentaires et l’état nutritionnel des personnes ayant recours aux épiceries sociales et aux distributions alimentaires de colis ou de repas, dans quatre zones urbaines : Paris, Seine-Saint-Denis, Dijon et Marseille. L’un des principaux résultats de cette étude avait montré la nécessité d’améliorer la qualité des aliments distribués et l’organisation de l’aide alimentaire. Le renouvellement de l’enquête en 2011-2012 devait permettre de mesurer et de comprendre les évolutions survenues dans ce secteur au cours des six dernières années. Qu’il s’agisse de la prévalence de l’obésité ou de l’hypertension artérielle, la nouvelle enquête montre que l’état de santé des usagers de l’aide alimentaire reste préoccupant. Ces usagers renoncent plus souvent aux soins que la population générale. Leur alimentation est plus faible en quantité (nombre de prises alimentaires par jour) et d’une moindre qualité. En particulier, ces personnes se tiennent très éloignées des recommandations nationales en matière de consommation de fruits et de légumes.
19Réf. 1752