1La notion de droits sociaux est en vogue, comme l’atteste l’abondante littérature anglo-saxonne consacrée à leur régime juridique et à la possibilité de garantir leur effectivité devant les tribunaux. Le droit français est moins précis sur la question, ce qui contribue peut-être à entretenir chez nous une certaine ambiguïté de la notion et à en rendre difficile une approche globale. Sous le terme de « droits sociaux » s’entremêlent en effet plusieurs catégories hétérogènes, qui recouvrent le droit des salariés face aux employeurs et le droit de l’aide sociale ainsi qu’un certain nombre d’autres droits fondamentaux, individuels et collectifs, concernant par exemple la liberté d’expression, le droit au logement et aux soins, l’action syndicale et le droit de grève, pour n’évoquer que quelques-uns d’entre eux. Un ouvrage récent [*], issu d’une recherche remise en 2011 au ministère de la Justice, s’attache à établir une intéressante comparaison du traitement doctrinal qui a été réservé, dans notre pays, au sein de la communauté européenne et dans le monde anglo-saxon, à ces droits et aux débats que la discussion sur leur statut a alimentés. Il n’esquive pas, au nom de ce débat intellectuel, les questions pratiques liées à leur exercice et à leur mise en œuvre.
2Peut-on, donc, combattre la pauvreté, éradiquer la faim ou lutter contre la marginalisation des pauvres grâce au droit ou aux droits ? Les travaux se succèdent pour affirmer que la lutte contre la misère est non seulement une question juridique mais, aussi, un enjeu pour les droits fondamentaux. L’observation des moyens de nombreuses décisions de justice récentes, entreprise dans cet ouvrage, traduit les évolutions contemporaines des réponses juridictionnelles relatives aux droits sociaux, lesquelles facilitent ce que les chercheurs appellent leur « justiciabilité », c’est-à-dire leur timide sortie d’un état de formalisme faisant d’eux des principes purement incantatoires. Si les conclusions qui se dégagent de ce travail de droit comparé portent essentiellement sur l’Europe, elles s’intéressent également aux systèmes juridiques de quelques pays émergents (Inde, Afrique du Sud, Argentine et Brésil). Elles soulignent l’augmentation du nombre de procédures qui permettent aux tribunaux de connaître de la violation des droits sociaux, la convergence des sources auxquelles les juges se réfèrent et l’interconnectivité des principes dégagés. De plus, elles font également remarquer l’inadéquation de la grille de lecture à partir de laquelle est traditionnellement abordée la question de la nature juridique des droits sociaux. Pour autant, le fait qu’il soit possible d’évoquer des droits sociaux devant les tribunaux n’est pas toujours synonyme de l’effectivité de ceux-ci. Pour l’expliquer, les chercheurs avancent deux raisons majeures : la première est que la défense des droits sociaux doit souvent s’appuyer autant sur des textes que sur une mobilisation militante ou un contexte politique favorable ; la seconde, que l’ouverture de procédures fondées sur les violations les plus graves de ces droits suppose des dépôts de plainte de la part des membres des secteurs les plus défavorisés de la société, lesquels sont, précisément, ceux qui recourent le moins facilement à la justice pour des raisons culturelles et financières bien connues.
Notes
-
[*]
Roman D. (dir.), 2012, La justiciabilité des droits sociaux. Vecteurs et résistances, Paris, Éd. Pedone.