CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les États-Unis concilient des niveaux assez élevés de fécondité (2,06 enfants par femme en 2011) et de taux d’emploi des femmes (62 % en 2011, soit six points de plus que la moyenne OCDE) avec une faible intervention publique en matière d’accueil des jeunes enfants. Les modes d’accueil privés, qu’il s’agisse des offres du marché ou d’une garde informelle assurée par les proches (grands-parents, frères et sœurs, etc.), y jouent un grand rôle. L’accueil des jeunes enfants avant leur entrée à l’école est largement considéré comme relevant de la responsabilité des parents et de la sphère privée.

2Si la tendance dominante est donc à la responsabilité individuelle, il existe cependant sur le sujet de la garde d’enfants un clivage assez net entre Républicains et Démocrates. Les premiers sont hostiles à toute intervention publique : en 1971, le président Richard Nixon a opposé son veto à une loi adoptée par le Congrès qui instaurait un financement fédéral de la prise en charge des enfants de moins de 5 ans. À l’inverse, les seconds ont à trois reprises créé des programmes publics en la matière : en 1964 le programme Head Start, en 1996 le Child Care Development Block Grant et, à partir de 2009, le plan « Zero to Five » de Barack Obama.

Un système morcelé dominé par le recours au marché

Un système morcelé

3Le système américain présente une grande diversité de modes d’accueil des enfants de 0 à 6 ans, qui peuvent être regroupés en trois grandes catégories.

  • Les modes d’accueil de type préscolaire. Il s’agit notamment du « kindergarten », qui accueille les enfants de 5 ans, un an avant le début de la scolarité obligatoire. On compte également des « pre-kindergarten » (ou « pre-K ») ainsi que des « nursery schools », qui accueillent les enfants plus jeunes. Ces modes d’accueil mettent l’accent sur la dimension éducative et ne fonctionnent souvent qu’à temps partiel.
  • Les modes d’accueil de type care. On y trouve les « day care centers », qu’on peut rapprocher de nos crèches, le « family day care », analogue à notre système d’assistantes maternelles, et la garde à domicile. L’accent est plutôt mis sur la garde des enfants et les soins et l’accueil y est plus fréquemment assuré à temps complet.
  • Les structures relevant du programme fédéral Head Start. Celui-ci se distingue des autres modes de prise en charge par sa relative homogénéité dans l’ensemble du pays et par le fait qu’il cible les enfants de familles pauvres et qu’il offre une prise en charge globale, incluant le suivi de la santé de l’enfant et le soutien aux parents. Cette diversité s’enracine dans l’histoire. À l’origine, les modes d’accueil de type préscolaire ont plutôt été créés pour des enfants de familles favorisées, dans une optique de développement précoce de la socialisation ; les mères de ces enfants ne travaillant pas, un accueil à temps partiel était suffisant. À l’inverse, les day care centers visaient à répondre au besoin de faire garder les jeunes enfants de familles ouvrières dont les deux parents travaillent (New, 2010 ; Thévenard, 2003).
À la différence de la plupart des pays européens, il n’y pas de césure nette entre les modes de garde en fonction des tranches d’âge, avec par exemple les 0-3 ans qui seraient gardés dans des structures de care et les 3-6 ans dans des structures préscolaires. Le care se prolonge jusqu’à l’âge préscolaire : ainsi, 1,1 million d’enfants de 3 à 4 ans, soit près de 15 % de cette tranche d’âge, sont encore gardés en crèche. Quant à l’accueil préscolaire ou à Head Start, s’il s’est surtout centré sur les enfants de 4 à 5 ans, il tend à se développer pour des enfants plus jeunes (avec par exemple le lancement du programme Early Head Start pour les enfants de 2 à 3 ans). Le morcellement est accru par l’importance des compétences des États dans ce domaine. Ceux-ci sont compétents en matière d’éducation et décident librement de l’ampleur donnée à l’accueil des jeunes enfants par le système scolaire public, des normes de qualité et des procédures d’autorisation des différents types de mode de garde.

Un partage des rôles entre marché, États fédérés et État fédéral

4Dans un système qui, dans son ensemble, fait largement appel au marché pour satisfaire les besoins de garde, les États fédérés et l’État fédéral interviennent de manière très différente. Les pouvoirs publics interviennent globalement très peu sur la tranche d’âge 0-2 ans : les day care centers et le family day care, qui sont les seuls modes de garde extérieurs à la famille significatifs pour cette tranche d’âge, relèvent presque entièrement du secteur privé, à but lucratif ou non lucratif.

5Entre 3 et 5 ans, l’intervention des États fédérés, compétents en matière d’éducation, augmente avec l’âge des enfants. D’une part, la proportion d’enfants scolarisés est de 38 % à 3 ans, de 69 % à 4 ans et de 86 % à 5 ans. D’autre part, la part du secteur public au sein de l’offre de type scolaire est également croissante avec l’âge : elle est de 51 % à 3 ans, de 64 % à 4 ans et de 86 % à 5 ans. L’intervention des États fédérés s’inscrit donc dans une logique de préparation à la scolarité obligatoire. Elle culmine à l’âge de 5 ans, celui des kindergarten, qui sont obligatoirement proposés à tous les enfants dans la grande majorité des États.

6L’État fédéral intervient de manière beaucoup plus sélective et ciblée sur les ménages les plus défavorisés à travers deux dispositifs : le programme Head Start, qui offre des services intégrés (éducation préscolaire ainsi que services de santé, services sociaux, etc.) pour les enfants de familles pauvres, et le Child Care and Development Block Grant (CCDBG), une dotation attribuée aux États pour aider les ménages à bas revenus retrouvant un emploi à financer une solution de garde.

Un système qui assure un assez large accès, y compris pour les familles pauvres

Un accès y compris pour les familles pauvres

7En dépit de la faiblesse de l’intervention publique dans cette tranche d’âge, les États-Unis ont, avec environ 35 % d’enfants accueillis, un des taux d’accueil des 0-3 ans parmi les plus élevés des pays de l’OCDE. On constate aussi que l’accès des familles pauvres à des solutions d’accueil y est relativement élevé. Le taux d’accès des ménages gagnant moins de 1 500 dollars par mois à des solutions de garde autres que familiales est de 26 %, à peine inférieur à celui des ménages gagnant entre 1 500 et 4 500 dollars. Ce n’est que pour les ménages gagnant plus de 4 500 dollars que le taux d’accès est significativement supérieur, avec de plus de 44 %. On constate donc un « gradient social » assez faible de l’accès à des solutions de garde.

8L’existence du programme Head Start, qui n’accueille qu’un enfant éligible sur six, n’explique que de manière partielle ces résultats. Il faut sans doute y voir l’effet de la pression très forte pour le retour à l’emploi (outre l’effet de l’absence de congé parental et parfois de congé maternité rémunéré), des subventions accordées dans le cadre du CCDBG (aides au financement de modes de garde pour les familles à bas revenus, sous réserve de la reprise d’un emploi) et de la possibilité pour les parents de s’appuyer sur leur environnement familial.

Des services coûteux pour les familles

9Le coût de l’accès aux modes de garde est élevé pour les familles américaines. Celles qui ont des enfants de moins de 5 ans dépensent 10,1 % de leur revenu dans la garde d’enfant. Le taux d’effort atteindrait même 52,7 % pour les familles gagnant moins de 1 500 $. La National Association of Child Care Resource and Referral Agencies[1], qui publie chaque année un rapport sur le coût des modes de garde (NACCRRA, 2011), souligne les écarts très élevés entre les États. Le coût d’une garde à temps plein en crèche pour un bébé varie de 4 650 $ par an (État du Mississippi) à 18 200 $ (District de Columbia). La NACCRRA relève également que ce coût dépasse le loyer médian dans un État sur deux et celui des frais d’une université publique, pourtant très élevés aux États-Unis, dans près des trois quarts (36 États sur 50).

10Le coût élevé apparaît comme la contrepartie de l’ampleur du recours au marché. Le fait que les familles acceptent cependant de le consentir, en affichant un nombre d’enfants parmi les plus élevés parmi les pays industrialisés, apparaît comme un paradoxe américain.

Débats et initiatives sur la qualité

11Les États-Unis sont l’un des foyers de la réflexion théorique sur la qualité de l’accueil du jeune enfant. C’est un économiste américain, James Heckman, prix Nobel d’économie en 2000, qui a établi le rendement particulièrement élevé de l’investissement en capital humain à l’âge de la petite enfance (Heckman, 2006). La National Association for the Education of Young Children (NAEYC) conduit depuis 1985 des programmes d’accréditation pour les structures d’accueil et la formation des professionnels. Elle a conçu en 1987, et actualise régulièrement depuis, les Developmentally Appropriate Practices (DAP – « Pratiques de développement appropriées »). Elles visent à orienter le contenu des programmes destinés aux enfants de 0 à 8 ans et sont devenues une référence au-delà même des États-Unis. D’autres normes peuvent être mentionnées, comme celles élaborées par l’Institut Frank Porter Graham du développement de l’enfant, qui permettent d’évaluer la qualité des modes d’accueil aux différents âges : Infant / Toddler Environment Rating Scale (ITERS) pour les 0-2 ans ; Early Childhood Rating Scale (ECERS) pour les 2-5 ans ; enfin, Family Child Care Rating Scale (FCCERS) pour l’accueil individuel.

12Pourtant, dans les faits, la qualité de l’accueil est très inégale et souvent médiocre. Une étude de Suzanne W. Helburn de 1995 (Helburn, 1995) a montré que la qualité dans la majorité des centres allait de « mauvaise » (non respect des exigences sanitaires de base, problèmes de sécurité, manque de relations chaleureuses avec les adultes, manque de matériaux et de jouets) à « médiocre » (exigences sanitaires et de sécurité correctes, un peu de relations positives et d’apprentissage). La qualité était majoritairement médiocre pour les 3-5 ans et mauvaise pour presque la moitié des 0-2 ans. Des résultats similaires ont été recueillis pour le family child care (Galinsky, 1994). Enfin, une étude qui a comparé la qualité des modes d’accueil aux États-Unis, en Autriche, en Allemagne, en Espagne et au Portugal a montré que la qualité moyenne n’était bonne nulle part, mais que les États-Unis se distinguaient par de très forts écarts de qualité, allant du très mauvais au très bon (Tietze et al., 1996).

13Le fait que chaque État définisse ses propres normes de qualité concourt sans doute à ces disparités. On observe souvent que la réglementation est plus contraignante dans les États économiquement les plus avantagés. Ainsi, en Alabama et au Nouveau-Mexique, un adulte peut s’occuper de six enfants alors qu’en Californie le maximum est trois. Dans le système fédéral antérieur au CCDBG, le programme « Title X », les subventions fédérales étaient accordées à des programmes remplissant des critères de qualité supérieurs à la moyenne. Depuis 1996, dans le cadre du CCDBG, les États reçoivent une dotation globale et sont très libres de son usage : les parents peuvent bénéficier de la subvention quel que soit leur mode d’accueil, dans une optique de « libre choix ». Cette situation est critiquée par l’association Child Care Aware, qui pointe le fait qu’une proportion élevée de subventions du CCDBG va à des modes de garde totalement informels.

14En 2009, le président Barack Obama a lancé un plan d’ensemble, Zero to Five, pour développer la qualité de l’accueil des jeunes enfants. À la différence de la réforme de 1996, ce plan se réfère explicitement aux théories qui mettent en avant l’intérêt d’investir dans un accueil de la petite enfance de qualité. Une subvention fédérale de 600 millions de dollars a été dégagée pour inciter les États à développer la qualité (initiative Race to the Top-Early Learning Challenge) et 2,1 Mds $ ont été investis dans Head Start dans le cadre du plan de relance de 2009. Enfin, dans le cadre de la réforme de la santé (Affordable Care Act), 1,5 Md $ ont été prévus pour financer, pendant une période de cinq ans, des visites à domicile centrées sur les familles plus vulnérables.

15Barack Obama a lancé en 2009 un autre programme fédéral, The Promise Neighborhood Initiative, pour subventionner les initiatives locales s’inspirant de Harlem’s Children Zone, une expérience initialement menée par une association locale pour les enfants de quartiers défavorisés d’Harlem. Cette initiative intégrée, dite « cradle-to-career » (« du berceau à la carrière »), a en effet montré des impacts très positifs sur les résultats scolaires.

16En offrant un ensemble complet de services dès le plus jeune âge, elle vise à s’assurer que les enfants de ces zones défavorisées poursuivent leur cursus et accèdent à l’université, et contribue ainsi à lutter contre la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté en zone urbaine défavorisée. Elle inclut des actions de soutien à la parentalité, des classes de pre-Kindergarten à plein temps, des écoles, du soutien scolaire, une aide sociale en matière de logement et des programmes de santé. Avec l’objectif d’étendre cette initiative à d’autres communautés sur le territoire américain, le programme Promise Neighborhood a été doté d’un budget de dix millions de dollars en 2010, trente millions en 2011 et soixante millions en 2012.

Note

  • [1]
    NACCRRA, Association qui fédère des centres d’information sur les modes de garde destinés aux familles.

Bibliographie

  • Galinsky E., 1994, The Study of Children in Family Child Care and Relative Care : Highlights and Findings, Families and Work Institute.
  • Heckman J., 2006, « Skill formation and the economics of investing in disadvantaged children », Science, vol. 318, juin.
  • Helburn S. W., 1995, Cost, Quality, and Child Outcomes in Child Care Centers, rapport technique, Denver, Département d’économie, Center for Research in Economic and Social Policy, Université du Colorado.
  • NACCRRA, 2011, Parents and the High Cost of Child Care, National Association of Child Care Resource and Referral Agencies.
  • New R. S., 2010, « D’une affaire privée à une politique publique. L’éducation préscolaire aux États-Unis », Revue internationale d’Éducation-Sèvres, avril.
  • En ligneThévenard E., 2003, « Problème privé, responsabilité publique ? L’État et les politiques d’accueil de la petite enfance aux États-Unis », Revue française d’études américaines, 2003/3, n° 97.
  • En ligneTietze W., Cryer D., Bairrao J., Palacios J. et Wetzel G., 1996, « Comparisons of observed process quality in early child care and education programs in five countries », Early Childhood Research Quarterly, n° 11, p. 447-475.
Catherine Collombet
Diplômée de l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale, Catherine Collombet est sous-directrice à la direction des relations internationales de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et chargée de mission au Centre d’analyse stratégique (Cas).
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/08/2013
https://doi.org/10.3917/inso.177.0150
Pour citer cet article
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