1L’autorité qu’un père de famille peut légitimement exercer sur ses enfants a revêtu de nombreuses configurations au fil des siècles. Pour s’en tenir au seul monde occidental et, particulièrement à notre pays, on distingue à travers l’évolution de ses formes et ses contenus un mouvement dont l’essence est à la fois culturelle et idéologique. L’empire romain (753 avant J.-C. à 476 après J.-C.) s’est d’abord attaché à une notion réifiée de l’enfant, celui-ci, dès sa naissance, devenant un simple élément du patrimoine de la famille – au sens élargi – dont le chef, le pater familias, personnage omnipotent, peut faire l’usage qui lui convient, y compris le tuer ou le vendre comme esclave. Le premier contrôle judiciaire de ce pouvoir n’est intervenu qu’à partir de 311 avant J.-C., l’affermissement de l’État conduisant alors à soumettre l’autorité du paterfamilias à une délégation et à canaliser son rôle vers une fonction de relais politique, la famille dont il est le chef devenant alors la fameuse « cellule de base » de la société où s’apprend l’obéissance au pouvoir.
2C’est sous l’influence croissante du christianisme que des inflexions au sort des enfants ont été apportées. Autour de l’année 100, un édit de Trajan institue le principe que le père d’un enfant est juridiquement le mari de la mère, mettant ainsi un terme au système de paternité sociale ou « purement volontaire » qui s’imposait alors. Plus tard, en 374, l’empereur Constantin interdit l’infanticide et l’abandon et abrogea le droit paternel de vie et mort sur les enfants, ces derniers ayant été reconnus comme pourvus d’une âme. Avec le Moyen Âge et l’instauration de son ordre religieux, la paternité n’est reconnu qu’à l’homme marié, le sacrement du mariage permettant seul d’accéder à une descendance et de s’inscrire dans la communauté.
3La Renaissance, quant à elle, a introduit l’idée du devoir éducatif du père dont la mission s’enrichit de transmettre à sa descendance un héritage moral, spirituel, affectif et culturel plus encore que matériel. L’image du père évolue pour s’inscrire dans la hiérarchie qui conduit de Dieu au Roi et du Roi au chef de famille. Jusqu’à la Révolution, la période parfois qualifiée « d’âge d’or de la paternité » verra ainsi les prérogatives paternelles s’affirmer comme par capillarité avec le pouvoir du monarque. Mais ce renforcement n’est dû qu’à une délégation et si un père a la pouvoir de faire enfermer un enfant « rebelle », c’est aussi à cette époque, entre 1673 et 1697, que sont mises en place des dispositions qui assurent un contrôle efficace de l’autorité du père sur sa famille et en limitent les excès potentiels.
4En même temps qu’ils contestaient la puissance de la monarchie, les philosophes des lumières et les révolutionnaires de 1789 ont conduit à une profonde remise en question du pouvoir des pères qui, au terme d’un jeu foisonnant de propositions très diverses, se voit implicitement chargé de préparer ses enfants aux exigences d’un monde en pleine transformation et non plus de leur inculquer le seul respect des valeurs et des croyances d’antan.
5L’époque contemporaine, dont on peut fixer l’origine à 1945, a d’abord été marquée non pas forcément par un déclin de l’autorité paternelle mais plutôt par son partage au bénéfice du couple parental ainsi qu’en témoigne en 1970 l’apparition dans le Code civil de la notion d’autorité parentale qui s’est substituée à celle de puissance paternelle. Le mouvement semble aujourd’hui tenter de rapprocher la parenté légale de sa réalité biologique, que les progrès de la génétique permettent d’établir désormais avec une grande sûreté.
6Mais sous l’influence des faits induits par les restructurations familiales et par l’importance croissante du nombre des familles recomposées, l’idée d’une parenté sociale évidemment distincte de la parenté biologique se fait également jour à partir des années 1980, le débat se cristallisant alors autour de la question d’une reconnaissance des droits du parent non biologique ou n’ayant pas adopté au maintien des liens avec l’enfant.