Villes à la campagne
« Insécurité en territoires périurbains », Tanguy Le Goff, Virginie Malochet et Hélène Heurstel. Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, 15 rue Falguière, 77740 Paris Cedex15, septembre 2012, 141 p., www.iau-idf.fr
1Lotissements de pavillons bon marché, jaunes, tous semblables, les uns à côté des autres ou logements résidentiels dissimulés derrière des haies, zones de petits immeubles à l’écart des villes, le périurbain s’est installé en France depuis plusieurs décennies mais commence seulement à apparaître dans le paysage de la politique et de la recherche. Concurrencé dans l’espace médiatique par les banlieues, le périurbain n’attire guère l’attention. Ses habitants trouvent dans cette discrétion la source de leur raison d’être éloignés de la ville. Propriété, tranquillité et sécurité constituent les contreparties d’un éloignement du travail payé en heures de transports. Si l’Insee définit le périurbain comme une zone séparée d’une autre agglomération par des espaces non bâties, espaces verts de détente ou zones agricoles et dans laquelle 40 % de la population travaille à l’extérieur, l’étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France montre qu’il existe de multiples formes de périurbains. Entre les Français « petits-moyens » du sud de la Seine-et-Marne et les villages cossus de l’ouest parisien, ce ne sont pas exactement les mêmes populations qui occupent les mêmes pavillons. Tous partagent cependant cette crainte de voir leur tranquillité menacée. Les menaces ne sont pas toujours identiques, ici ce seront les jeunes qui squattent la place publique ou les abribus, ailleurs, la crainte des manouches. Depuis quelques temps, la peur des cambrioleurs se propage dans ces similis campagnes. L’étude montre, même si les données de la gendarmerie sont quasiment impossibles à obtenir, que les voleurs ne sont pas en augmentation et que nulle déferlante insécuritaire ne vient troubler la paix des potagers. Moins d’agressions, moins de vols, pas plus de cambriolages qu’ailleurs, les résultats des enquêtes de victimisation invalident la thèse d’une dégradation du climat de sécurité. Cela n’empêche pas les habitants d’exprimer des fortes préoccupations sécuritaires, estimant insuffisante la présence de policiers dans leur quartier. Les maires, sans grands moyens, se trouvent en première ligne, sous la pression directe de leurs administrés, les gendarmes, mis à mal par la RGPP, travaillent moins dans la proximité et tous se disent que la vidéosurveillance devrait permettre de tout voir mais a surtout l’avantage d’être visible par tous, autant outil de communication politique que de sécurité.
2Réf. 1708
La psychiatrie comme expériences
« Frontières invisibles. L’expérience de personnes prises en charge au long cours par la psychiatrie publique en France », Julien Girard. Thèse en anthropologie sociale, École des hautes études en sciences sociales, École doctorale de sciences sociales, octobre 2011, 582 p., téléchargeable sur HAL (archives ouvertes)
3En 2007, Julien Girard, étudiant de troisième cycle en anthropologie est accepté comme observateur et bénévole dans un Groupement d’entraide mutuelle (Gem) de l’agglomération lilloise. Quelques mois plus tard, il anime l’atelier cuisine. Élu secrétaire adjoint à l’unanimité des membres du conseil d’administration, il devient ensuite salarié à temps partiel dans ce Gem. Quatre années plus tard, il soutient une passionnante – et très lourde – thèse d’anthropologie sociale sur la psychiatrie comme expérience. Entre deux, il y a eu des dizaines et des dizaines de rencontres et surtout huit investigations approfondies avec des hommes et des femmes pour qui le Gem constitue un point d’ancrage dans leur vie au jour le jour. Il y a Maurice qui a passé six années à l’asile, après un essai manqué comme facteur dans la région parisienne, Jacques le costaud qui vit tantôt à la rue, tantôt en foyer, et qui a fait 37 tentatives de suicide, mais aussi Florian et Jonathan, l’homme au chat, avec lequel l’auteur a de si nombreuses conversations téléphoniques. Il y a aussi, Paul, Isabelle, Louise, et encore Hamid. Tous ont vécu la violence et la souffrance, une violence qui prolonge une jeunesse d’inégalités sociales, d’échecs scolaires ou familiaux. La plupart d’entre eux ont connu un passage par la psychiatrie asilaire. Des années après ce moment, leur vie reste marquée par l’expérience asilaire comme si les transformations inachevées du système psychiatrique gardaient en mémoire, celle des hommes et celle des institutions, les souvenirs des pratiques anciennes du temps de l’enfermement. La thèse de Julien Girard ne refait ni Michel Foucault ni Robert Castel, s’appuyant sur un très riche matériel fait de conversations, d’entretiens, de recueils de journaux intimes, de promenades, d’observations, de groupes de discussions, de photographies, elle interroge sur le prolongement dans nos vies des expériences antérieures dont nous avons été les acteurs, actifs ou passifs.
4Réf. 1709
Ateliers santé ville : description
« Enquête annuelle des suivi des ateliers santé ville », Nicolas Hervieu, Alix de Saint-Albin. Étude réalisée par Pluricité, à la demande de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, 209, rue de Bercy, 75585 Paris Cedex 12, juillet 2012, 72 p., www.lacse.fr
5Financé par l’État, les communes et les agences régionales de santé, l’Atelier santé ville (ASV) est un lieu de coordination des professionnels de santé et de l’action sociale. Ouvert également aux associations locales, il constitue le volet santé des contrats urbains de cohésion sociale. Depuis 2009, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances réalise une enquête annuelle auprès des ASV. L’enquête 2012 portait sur 230 ateliers santé ville soit la quasi totalité de ces structures très liées à la politique de la ville. Les publics scolaires et les jeunes de 16 à 25 ans constituent les principales cibles de l’action des ASV, actions qui portent principalement sur la nutrition, les pratiques addictives, la santé mentale, le VIH et les cancers ainsi que sur la santé de la mère et de l’enfant. Au-delà d’actions en direction des populations, les ateliers santé ville participent activement à la réalisation des diagnostics territoriaux de santé. Si l’étude donne une image décrivant globalement bien l’activité de ces ateliers, et reflétant la stabilité des actions conduites, on regrettera que la partie relative à l’évaluation des actions menées reste très, sans doute trop, limitée. On remarquera aussi que le nombre d’ASV créé chaque année est en décroissance, passant de 59 en 2007 à 6 en 2011.
6Réf. 1710
Migrations vers l’insertion
« L’emploi et les métiers des immigrés », Cécile Jolly, Frédéric Lainé et Yves Breem. Document de travail, Centre d’analyse stratégique (Cas), février 2012, 46 p. www.strategie.gouv.fr
7Sans apporter d’éléments véritablement nouveaux, l’étude du Centre d’analyse stratégique sur « l’emploi et les métiers des immigrés » constitue une synthèse très accessible de la situation des populations immigrées résidant en France. Remercions les auteurs de souligner dès l’entrée de leur travail que les comparaisons européennes doivent être lues avec précautions, la France ayant adopté une définition de l’immigré qui n’est pas celle retenue dans la plupart des pays européens. Si en France un immigré est une personne née étrangère à l’étranger, les statistiques internationales et européennes considèrent qu’un immigré est une personne née à l’étranger. Pour la France cette différence est significative la part de l’immigration, équivalent à 8 %, passe à 11 % si on inclut les Français nés français à l’étranger. Les principales données mobilisées montrent les transformations structurelles de la migration : féminisation de la population immigrée, augmentation des flux de migration en provenance d’Asie et d’Afrique subsaharienne, élévation des niveaux de formation. Représentant 9 % de la population active, l’étude insiste sur la vulnérabilité en emploi des immigrés qui touche principalement les natifs des pays non européens. Elle montre que cette vulnérabilité qui se traduit par une plus grande part de contrats précaires, un taux de chômage plus élevé conduit aussi les immigrés à tenter des formes différentes d’insertion sur le marché du travail en devenant artisan, commerçant ou chef d’entreprise, principalement dans les secteurs du bâtiment, de la restauration ou de l’hôtellerie. Ces comportements concernent surtout les hommes, les femmes se retrouvant le plus souvent dans des métiers de services à faible qualification.
8Réf. 1711
Devenir aidant familial : l’engrenage
« Carrières d’aidants informels », Sylvie Lemasson. Mémoire présenté pour l’obtention du diplôme d’État d’Ingénierie sociale, Université Toulouse – Le Mirail, février 2012, 145 p., consultable sur www.cediasbibli.org
9Émilie, Annie et Béatrice ont entre 76 et 83 ans, elles prennent en charge le quotidien de leurs conjoints devenus dépendants, Josiane est voisine de la personne qu’elle aide, Gérard, Christian, Hélène et Danièle sont les enfants des personnes aidées, Isabelle et Florence sont les aidantes de leurs beaux-parents. Si le déclenchement du processus d’aide est presque toujours lié à l’aggravation de la maladie ou de la dépendance, au passage par une hospitalisation qui marque un avant et un après, la construction de la situation d’aidant s’enracine dans un passé plus ancien. Dans la plupart des situations analysées par Sylvie Lemasson, l’aidant a le sentiment d’avoir d’abord été un aidé parce qu’il a reçu du patrimoine, une maison ou des terres agricoles. Ce sentiment peut naître aussi de la reconnaissance de n’avoir pu atteindre une situation meilleure que par le sacrifice ou le soutien des parents ou des beaux-parents, aider est alors vécu comme « un juste retour des choses ». L’inscription dans un parcours d’aidant peut être antérieure à l’entrée dans la dépendance des parents, ce moment ne fait chez certain que réactiver des relations de dépendances, parfois de soumissions, de toute une vie. La dépendance devient alors une codépendance. Dans le milieu rural où Sylvie Lemasson situe son terrain de recherche, la pratique de l’aide familiale ne marquerait pas l’émergence d’une nouvelle fonction, voire d’un nouveau métier, mais bien le prolongement d’un système de relations au sein de lignées familiales.
10Réf. 1712
Économie solidaire, alternative ou complémentaire ?
« Quel potentiel de développement pour l’économie sociale et solidaire ? », Philippe Frémaux. Étude réalisée par Études et communication. Alternatives économiques, janvier 2012, 68 p., www.alternatives-economiques.fr
11Des villes et des régions avaient désigné des élus pour s’occuper de l’économie sociale et solidaire, il y a maintenant un ministre délégué en charge de l’Économie sociale et solidaire et de la consommation, mais la définition et le périmètre de ce secteur font toujours l’objet d’échanges et de controverses. Le rapport de Philippe Frémaux contribue à objectiver ces débats, même si l’auteur reste un fervent défenseur de cette forme d’organisation. Pour Philippe Frémaux, l’économie sociale et solidaire regroupe des organisations qui se définissent par leur statut non lucratif, leur gestion démocratique ou un objet social qui se réclame d’une utilité sociale spécifique. Cette forme d’organisation témoigne aussi du fait que l’enrichissement individuel n’est pas forcément le seul mobile qui fait agir les humains. Regroupant aussi bien des mutuelles, des associations, des sociétés coopératives, des entreprises, les emplois de l’économie sociale et solidaire contribuent pour 20 % à l’emploi total mais pèsent très fortement dans des secteurs comme l’action sociale, l’éducation, la culture, la santé, les banques et l’assurance. Si elle entre parfois en concurrence de manière frontale avec l’économie de marché, elle reste cependant peu présente dans des secteurs comme l’industrie et le bâtiment, ce qui l’empêche de se présenter comme un modèle alternatif et la renvoie plutôt à une fonction complémentaire. L’une des faiblesses de l’économie sociale et solidaire réside aussi dans sa difficulté à se présenter et à s’organiser comme un mouvement d’ensemble capable de peser sur des choix politiques et économiques alors que les valeurs qu’elle défend constituent de véritables alternatives. Réf. 1713
Solidarité et décentralisation, troisième acte à venir
« La décentralisation des politiques sociales est-elle conciliable avec l’exercice de solidarité nationale ? », Patrick Milhe Poutigton. Mémoire en vue de l’obtention du diplôme d’État d’Ingénierie sociale, École supérieure de travail social, Paris, 127 p., 2012, consultable sur le site du Cédiasbibli.org
12Au moment où le rideau devrait se lever sur le troisième acte de la décentralisation, un résumé des chapitres précédents n’est pas inutile. L’auteur du mémoire privilégie une analyse de la décentralisation à partir de l’examen de la mise en place du revenu minimum d’insertion. Après un long détour historique par le concept de solidarité nationale, Patrick Milhe Poutigton, s’intéresse à la dimension nationale du « R » de RMI qui renvoie bien à ce concept alors que le « I » d’insertion laissé à la discrétion des conseils généraux oscille entre une très grande discrétion et une plus grande générosité. Des départements comme la Marne ont profité d’une baisse du nombre des allocataires pour augmenter leurs dépenses par personne, d’autres comme la Corse ont accompagné par une baisse de leur intervention financière la diminution du nombre des allocataires. La solidarité nationale se fractionne ainsi en de multiples stratégies qui dépendent des choix locaux conduisant l’auteur du mémoire à réaffirmer avec force la nécessaire primauté de la solidarité nationale. Attendons maintenant la fin du troisième acte.
13Réf. 1714
France-Allemagne : neuf partout
« Comparaison France-Allemagne des systèmes de protection sociale », Pierre Édouard Batard, Grégoire de Lagasnerie, Adélaïde Favrat, Perrine Fréhaut, Charlotte Geay, Guy Lalanne, Anaïs Le Gouguec, Marie Magnien, Delphine Prady, Laurence Rambert, Emmanuel Saillard et Kahina Yazidi. Documents de travail de la DG Trésor, Cahiers n° 2012/02, août 2012, 136 p., www.tresor.economie.gouv.fr
14Au moment de sa rédaction, les auteurs de ce cahier étaient tous en poste à la Direction générale du trésor du ministère de l’Économie et des Finances et au ministère du Commerce extérieur. Ce document a été rédigé dans une période où les débats politiques étaient parfois houleux, voire même de très mauvaise foi, lorsqu’il s’agissait de vanter les mérites et de dénoncer les faiblesses de l’Allemagne et de la France, tant au plan économique que social. Neuf thématiques sont abordées : le financement de la protection sociale, l’assurance maladie, l’assurance des soins de longue durée, la politique familiale, la pauvreté et les minima sociaux, le système de retraites, les dispositifs d’épargne retraite et les politiques de l’emploi et le chômage partiel. Chaque chapitre est accompagné d’une synthèse très claire et de tableaux de chiffres faisant de l’ensemble un document très pédagogique. Si le système sociofiscal français protège mieux de la pauvreté, les deux pays consacrent une part équivalente de leurs revenus à la politique familiale mais la France a une natalité plus dynamique et un taux d’emploi des mères plus élevé. Les différences fortes portent sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi par les services publics. Alors que Pôle emploi consacre 71 équivalents temps plein pour 10 000 chômeurs, ce nombre est de 150 en Allemagne où la faible augmentation du chômage dans la période de crise a été fortement liée à une mobilisation du chômage partiel. Si la part des travailleurs pauvre est identique en France et en Allemagne, en revanche l’écart est considérable pour les chômeurs puis 70,3 % sont en situation de pauvreté contre 33,5 % en France. Enfin, les auteurs montrent que le pilotage financier des politiques publiques est plus exigeant en Allemagne qu’en France, comme en témoigne, par exemple, l’obligation d’équilibre des caisses d’assurance maladie.
15Réf. 1715
Formation et emploi, construire des passerelles
« Institutionnalisation des territoires et action publique », Dominique Damman-Vial. Thèse pour l’obtention du grade de docteur en sociologie, Université Aix-Marseille, école doctorale Espaces, cultures, sociétés, Lest – UMR 7317, 35 avenue Jules-Ferry, 13626 Aix-en-Provence Cedex 01, novembre 2012, 393 p., consultable sur HAL (archives ouvertes)
16Maisons de l’emploi, pôle régionaux d’innovation et de développement économique et solidaire, comités territoriaux éducation et formation, comités locaux école-entreprise, la créativité institutionnelle n’est que rarement prise en défaut lorsqu’il s’agit, pour les régions, de nouer ou de renforcer les liens entre formation et emploi. La richesse et la diversité des instruments de l’action publique ne garantissent pas toujours l’atteinte de l’objectif. La thèse de Dominique Damman-Vial rend précisément compte, à l’échelle d’une région mais surtout des territoires constitutifs de cette région, des dynamiques et des blocages qui font que la transversalité et le décloisonnement restent toujours plus des projets que des réalités. Les volontés d’hégémonie entre un État toujours prompt à recentraliser son action et des acteurs locaux soucieux d’affirmer leur ancrage territorial, le fait que l’histoire des acteurs locaux leur permette de se saisir des règles du jeu dans le cadre d’une « localité », c’est à dire dans un espace déjà ouvert, support d’une vie sociale, économique et politique riche en interactions, tout cela conditionne la réussite ou l’échec de la mise en œuvre de ces politiques. En un mot, il ne suffit pas d’instaurer la coordination pour que celle-ci se mettre en œuvre. L’existence de réseaux, la capacité des acteurs à se saisir des connaissances, la plasticité des systèmes de relations, le dynamisme des porteurs de projets sont quelques-unes des conditions sans lesquelles les politiques publiques ne peuvent fonctionner sur des territoires.
17Réf. 1716